A peine Ano ouvrit-il la porte qu’il sentait déjà la bonne humeur transpirant de cet endroit. Certes, des verres et des bouteilles volaient dans tous les sens (il était écrit « Champomy » sur chacune d’elle, mais Ano doutait que la mixture ne comporte pas d’alcool, étant donné le comportement de chacune des personnes présentes dans la salle), des coups étaient rendus dans tous les sens, des bagarres d’ivrognes suivaient des insultes vaseuses et sans humour, mais Ano sentait que toutes ces activités étaient plus des blagues que du sérieux. Cependant, préférant ne pas trop tarder dans cet endroit, il resta dehors et referma la porte.
Non loin de là, il put voir une autre bâtisse où était gravé sur le panneau de bois: « Topic [Débat] Le Nucléaire ». Comme le nom affichait un côté sérieux, Ano s’y dirigea avant de pousser l’entrée.
A l’opposé du topic de l’anniversaire, de celui-ci ressortait une atmosphère plus sérieuse, intelligente et, d’une certaine manière, plus grave. Quelques personnes semblaient discuter de l’écologie du monde, de la radioactivité, et d’autres choses toutes aussi importantes. Ano s’aperçut qu’il y avait beaucoup moins de monde dans cette bâtisse sérieuse que dans l’autre, où la folie semblait être le mot d’ordre. Avait-il atterri dans un monde pauvre intellectuellement ? Il espérait que non. Ce serait vraiment jouer de malchance !
Il resta un bon moment à écouter ce que chacun disait, les arguments, les théories, les dénonciations du système… Tout était si intéressant ! Il resta quelques temps à l’intérieur du topic puis, commençant à fatiguer devant le temps de réflexion de certaines personnes face aux arguments d’un tas de sable aux formes vaguement humaines, il préféra partir, se promettant de revenir dès qu’il en aura à nouveau l’occasion.
A nouveau, il se retrouva au milieu de la large avenue centrale. A présent, que devait-il faire ? Il n’allait tout de même pas visiter toutes les bâtisses une par une, n’est-ce pas ?
Il décida de suivre la grande route pour savoir où elle mènerait… Après tout, pour chaque trait il existait un début et une fin, non ? Ou est-ce que ce monde bizarre n’était pas régi par les lois normales de la physique ?
Ainsi longea-t-il l’axe routier vers un sens pris au hasard. En route, il croisa une belle brochette de personnes différentes tant par leur aspect que par leur mode de pensée. Ano se demandait pourquoi tant de gens si distincts les uns des autres pouvaient être réunis en un seul lieu. Cependant, il remarqua que presque tous employaient le français avec un certain respect de la langue et des autres, ce qui n’était déjà pas trop mal (il sentait qu’il existait d’autres mondes bien pires sur ce sujet-là, mais il ne parvenait pas à savoir s’il le savait ou s’il s’en souvenait).
Il croisa deux gamins blondinets (des jumeaux certainement), un travesti (une petite fille aux yeux blancs avec une voix d’homme… déjà si tôt dans l’âge !), un paratonnerre ambulant (disons simplement une sorte de magicien traînant de la ferraille sur ses longs vêtements), et encore une incroyable variété de créatures inhumaines ou pas qui auraient facilement pu s’établir dans un cirque.
- S’lut ! cria soudain une voix surexcitée.
Ano se retourna et découvrit l’un des deux blondinets qu’il avait déjà croisé. Il affichait un regard enfantin et débordant d’énergie.
- Hé dis ! Hé dis ! On m’raconte que t’es un nouveau v’nu… C’est vrai ?
- Heu… Oui, c’est bien ça, répondit Ano avec un sourire gêné. Je m’appelle Ano et toi ?
- Moi j’m’appelle Gamer.jeux ! Enchanté d’faire ta connaissance !
- Heu… Moi de même.
Ils se serrèrent la main.
- Alors tu viens d’où man ? C’est quoi qui t’a poussé à v’nir ici ?
Ano réfléchit un cours instant, tentant de comprendre ce que disait l’énergumène en face de lui. Si jamais ce pauvre bougre tombait sur le magicien au sourire énigmatique, il risquait de passer un sale quart d’heure. Ano ressentit même de la pitié pour lui rien qu’à cette pensée.
- Je ne sais plus trop pourquoi je suis venu en fait… Je pense me rappeler faire quelque chose ici, mais là je parcours un peu ce monde… Dis-moi, tu le connais un peu ? Ce serait possible de me guider, étant donné que je suis nouveau ici ?
- Tu rêves mon gars ! s’exclama Gamer.jeux toujours avec le même sourire large fiché sur ses lèvres (ses muscles s’étaient-ils coincés ?). Je suis un peu noob moi aussi, et pis de toute façon je me casse jamais du forum général, c’est trop l’délire ici ! Youhou !
Puis le blondinet, toujours débordant d’énergie, fit demi-tour et partit en sautant dans tous les sens. Poussant un soupir consterné, Ano préféra poursuivre son chemin plutôt que de repenser à cet incident. Il se remit en marche.
Au fur et à mesure qu’il avançait, Ano se rendit compte que les bâtiments devenaient de plus en plus gris, anciens, tombants presque en ruine sans jamais s’écrouler. Les vieilles pancartes accrochés au-dessus des portes laissaient entrevoir une écriture couverte de poussière. Il put lire « Topic MORE » ou encore « Topic Demande de Promotion … » avec écrit en petit juste en dessous : « Administrateurs, lisez ceci pitié ! ».
Ano fut surpris du nom de ce dernier bâtiment… Il existait donc une hiérarchie dans ce monde ? Dans ce cas, dans quel poste se trouvait-il, lui ? Etait-il dans la classe la plus basse ?
Soudain, il se rendit compte que les différents Topics s’arrêtaient… Au-delà d’une limite invisible, il n’y avait plus aucune maison. Il vit alors un panneau dressé au milieu de la route. Il s’approcha et lut : « Vous entrez désormais dans le forum Sondage ».
Pourtant c’était étrange… La route avait l’air de s’arrêter là, comme si un couteau géant avait tranché net le chemin…
Mû par une pulsion insolite, il franchit la ligne mais, au lieu d’atterrir sur la pelouse rouge et fraîche, son pied se posa sur une nouvelle rue, apparut soudainement. Quelle curieuse impression, on aurait dit que le monde s’était mis à tourner comme une horloge, et qu’Ano s’était retrouvé pendant quelques instants les pieds vers le haut. Mais cette impression se dissipa après quelques secondes.
Lorsqu’il leva le regard, il n’en crut pas ses yeux. De nouvelles maisons apparurent instantanément, aussi gaies et colorées qu’avant… Et lorsque Ano regarda derrière lui, il constata qu’il n’y avait plus rien. Juste une immense étendue d’herbe rouge.
- Incroyable ! s’émerveilla-t-il.
Pourtant, il se demanda un instant s’il n’était pas revenu sur ses pas, tant ce qu’il voyait paraissait similaire à la partie d’avant…
Mais non. A présent, le panneau au milieu de la route n’affichait pas la même chose. Cette fois-ci, il était gravé sur le bois « Vous entrez désormais dans le forum Général ». Ainsi à présent se trouvait-il dans la partie Sondage… Vraiment, il trouvait cela impressionnant !
Il commença à marcher le long de la grande avenue ainsi révélée, s’arrêtant parfois pour lire les pancartes. Il entra uniquement dans les maisonnées les plus colorées, ne s’attardant pas davantage dans cette partie du monde (ainsi, ça s’appelait un forum ?) car tout était désert… Pas une personne ne traînait dans le coin. Cependant, ce n’était pas lugubre, juste un peu plus… tranquille.
Il poursuivit son chemin en longeant l’avenue, puis finit par atterrir sur une autre limite, qu’il franchit en un seul pas, avant de se retrouver dans un autre forum, celui des Portails. Là non plus, il n’y avait pas beaucoup de monde, il préféra donc passer son chemin et partir vers le forum suivant.
C’est ainsi qu’il finit par arriver là où il désirait : le forum Fiction. Il y avait beaucoup de monde ici aussi, pas autant que dans la partie Général, mais c’était mieux que le vide des deux précédents forums qu’il avait visité.
Se rappelant soudain le but de sa venue dans ce monde rougeoyant, il entreprit de chercher des commandes autour de lui, avant de tomber pile sur ce qu’il souhaitait : un panneau de contrôle permettant de créer de nouvelles maisons. Sentant l’excitation monter en lui, il pianota sur plusieurs touches puis fouilla quelque chose dans ses poches. Enfin, il put en extraire ce qu’il cherchait : une disquette. Il l’inséra avec soin dans une fente réservée à cet usage avant d’appuyer sur « entrer ». Puis il attendit…