- Je… Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, tenta désespérément Ano.
Il commençait déjà à bafouiller, impressionné et dépassé par les évènements.
- Cela fait quelques temps que nous t’observons, poursuivit Ivaldir du haut de son trône. Et nous avons constaté que tes activités étaient certes intenses, mais pas toujours louables…
Ano respirait déjà difficilement. Impossible aussi de cacher les gouttes de sueur qui perlait à sa tempe.
- J’ai le… le droit d’avoir un avocat ? demanda-t-il timidement.
Ivaldir eut un sourire chargé d’ironie.
- Crois-moi, il vaut mieux pour ta défense qu’il ne vienne pas, cet avocat.
- Oui mais… j’insiste…
- Et donc, poursuivit le Dieu sans tenir compte d’Ano, mes Modéros et moi-même ne comprenons pas que…
Il dut s’interrompre subitement alors que quelqu’un entra précipitamment dans la salle, faisant bruyamment claquer la porte.
Ano fut surpris par l’apparence de l’homme. Il avait tout l’air de débarquer d’une autre planète, avec son costume de cosmonaute recouvrant son corps. Un casque en bulle, dont le verre transparent laissait entrevoir un visage jeune. Il avait l’air essoufflé.
- Je proteste ! s’exclama-t-il. Quelqu’un a été amené devant le grand Ivaldir et je n’ai pas été prévenu à temps ! C’est contre l’ordre cosmique de l’univers métastaphasique et subirréel dans lequel le refuge baigne depuis la nuit du commencement ! Un véritable scandale !
Ano fut troublé par la prestation pour le moins bizarre du personnage, mais préféra ne rien dire. Il était trop soulagé de pouvoir avoir une défense convenable, à présent qu’un avocat officiel allait se charger de lui. Mais est-ce que ça allait changer quelque chose, finalement ?
Le nouveau venu s’approcha à pas rapides de son client. Puis, lorsqu’il arriva à sa hauteur, il lui tapota l’épaule.
- Si tu es ici, c’est que tu as dû faire quelque chose de grave. Que s’est-il passé ?
- Il n’est allé à l’église qu’une seule fois depuis son arrivée, l’informa Ivaldir. Et encore, parce qu’on lui a fait visité. Il n’y est pas retourné.
Le reste des Modéros acquiescèrent gravement, c’était apparemment une grande faute.
Ano, quant à lui, avait du mal à comprendre ce qu’il se passait, ne réalisant que peu à peu. Il n’était pas ici pour faire parti d’un groupe de terroristes, ou pour avoir recruté des membres appelés à devenir terroristes à leur tour ?
Il n’était vraiment là que pour ne pas être allé à l’église ?
Il eut envie de hurler de rire, de s’esclaffer et se rouler par terre jusqu’à mourir étouffé, épuisé. Il avait envie de secouer tout le monde et de rire aux larmes devant eux, crier partout de joie… Tout ça n’était qu’une énorme blague, il était fou d’inquiétude, il avait peur de finir lobotomisé, mais tout ça n’était que du vent !
Mais il se retint, ne laissa rien transparaître de peur qu’on ne lui soupçonne de fautes bien plus graves.
- Mais c’est grave, très grave, acquiesça l’avocat, le dénommé Cassini. Ne pas aller à l’église pour implorer le pardon d’Ivaldir pour tous ses pêchers, ça ne se fait pas. Il faut obéir à Ivaldir ! Il faut constamment se prosterner à ses pieds ! Nul ne doit contester ni ignorer la Toute Puissance du Grand Ivaldir ! Rien ne peut ni ne doit être plus important que le Grand Ivaldir, le Dieu Suprême !
- Exactement ! approuva Ivaldir d’une voix grave et puissante, emplie d’une mégalomanie telle qu’Ano n’avait encore jamais vu. Je suis le plus Grand, le Plus fort, le plus Puissant ! Toute personne de ce refuge doit m’aduler plus que quoi que ce soit ! Je dois être plus qu’un Dieu ! Je dois être… Je dois être…
Mais il n’arrivait pas à voir ce qu’il y avait au-dessus de Dieu lui-même. Finalement, il se contenta de se tourner vers ses Modéros puis, sur un ton cassant et froid :
- Chantez pour moi « L’Ode du Grand Ivaldir » écrite par Cassini le Fanatique lui-même ! ordonna-t-il.
Les Modéros soupirèrent, apparemment lassés par tant d’égocentrisme de la part de leur Maître, mais ils finirent par obtempérer. Ils inspirèrent ensemble puis, d’une même voix, chantèrent solennellement :
Ode à Ivaldir
Au plus sombre de la nuit teintée d’écarlate,
Lorsque les peines étreignent le cœur des justes,
Contemple le ciel, né des larmes et du sang,
Ressens la puissance de Son enchantement.
Quand Ses enfants sont cernés par la barbarie,
De Ses ailes le frémissement retentit.
Sa ténébreuse clarté emplit nos âmes
D’un espoir qui sera notre très sainte lame.
Voyez Ivaldir, Grand Archange de la Toile,
Maître des Gardes d’Aerie sous les étoiles,
Créateur du Refuge abritant nos esprits,
Dieu façonneur de céleste draperie.
Le visage assombri par Son fardeau divin,
Le regard brûlant toute chair de malandrin,
Nul ne peut être indifférent à Sa prestance,
Qui Le hait en finira avec l’existence,
Qui L’aime embrassera la vraie félicité.
Il n’est d’alternative à ces extrémités.
Ses ennemis périront, que ce soit par l’œuvre
De Sa foudre n’épargnant ni riche ni pauvre
Ou par Ses fidèles assoiffés de carnage
Et qui dans le vermeil des hérétiques nagent.
Mais Ivaldir ne punira que les pécheurs,
Qui seuls de Son châtiment connaîtront la peur.
Les méritants seront assis à Ses côtés,
Baignés de Sa lumière pour l’éternité.
Il est le soleil de sang et de réconfort
Qui nous nous fait nous sentir plus forts.
Immortelle est sa divinité éclatante.
Ave Ivaldir, precator te saluta !
Ivaldir, satisfait de lui-même et de l’Ode, soupira d’aise et se rassit confortablement en se calant contre le trône.
- Cassini, dit-il avec un sourire en coin, ton génie à mon service me semble toujours plus grand à chaque fois que j’écoute cette Ode…
Et Cassini de se courber pompeusement devant le compliment et la grandeur d’Ivaldir…