Paul-Pierre affirmait :« C’est de la coooonnerie. De euh… quoi je parle en fait ? » Paul-Pierre se sentait vaseux. Il avait quelques difficultés à actionner sa mâchoire et sa langue harmonieusement. Il expectorait difficilement comme une toux rauque un verbiage broyé et ramolli comme de la viande hachée. Il lui paraissait scandaleux que la diction nécessitât tant de muscles et d’organes différents et autonomes. Il avait l’impression que son tronc et sa tête étaient très lourds et ses jambes très maigres, grêles même. Il lui semblait se tenir difficilement hors de l’eau perché sur d’interminables échasses. « Maman les p’tits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes. Mais oui mon gros bêta s’ils n’en avaient pas ils ne flotteraient pas » Sa voix résonnait à ses oreilles comme celle d’un chanteur d’opéra. Émerveillé il poussa plus encore ses cordes vocales jusqu’à hurler. Soudainement sa voix s’étouffa dans une résonance grave et son nez se remplit d’eau. Il battit des bras et des jambes avec une vigueur renouvelée, cherchant à atteindre la toile argentée qui ondulait là-haut. Il creva la surface et chercha instinctivement à se remplir d’air mais ne parvint qu’à émettre un borborygme saccadé, incapable de se décider entre hurler et respirer. Il inspira par saccade et fut soudainement environné du brouhaha des discussions des convives et surtout des moqueries et des rires qui lui semblaient des grognements simiesques et il eut alors l’impression d’être le centre exact d’un monde blessant et intolérable.
Scandalisé et emporté par sa colère il jaillit hors de l’eau comme un bouchon de champagne et plongea sur le premier idiot à sa portée, serrant ses doigts autour de son cou comme un écharpe et visualisa le nœud se resserrant et rétrécissant à la manière d’un escargot saupoudré de sel. On le saisit par les épaules puis il se sentit planer pour atterrir lourdement sur une herbe fraîche. La bouche et les yeux ouverts, il resta là, face contre terre, une éternité de la durée d’un battement de cils. Ou l’inverse. Puis sa bouche déversa un fluide hétérogène et multicolore en un débit long et puissant. Il était surpris. Il ne s’y attendait pas et ne pensa pas à réagir suffisamment vite pour éviter que ses cheveux et sa joue baignent dans la flaque acide et méphitique. « trempé pour trempé » pensa-t-il, et il resta ainsi sans bouger d’un poil. Alors qu’il était sur le point de s’endormir il pensa soudainement à son lit et se redressa d’un coup. Pour se renverser aussi sec et rendre encore quelques décalitres. Puis il s’essuya le visage sur l’herbe et tâcha de se rappeler où il se trouvait. Il était au pied d’un portail qui fermait le court chemin menant à une grande maison éclairée par des lanternes et autres lampes de jardin, et qui résonnait d’un vacarme enjoué de rythmes lourds et répétitifs, de rires et de cris de joie. Paul-Pierre fouilla ses poches et en produisit une clef de voiture, qu’il pressa en vain. Aucun signal sonore ne lui répondit, la clef était trempée. Il chercha alors sa voiture de lui-même et finit par la repérer entre un van bariolé et un grand platane. Il grimpa au volant, tourna la clef, enfonça la pédale et fusa en marche arrière pour s’engouffrer dans un fossé. La voiture ainsi inclinée, sa position était confortable alors il s’assoupit. Cet écheveau complexe de malheurs ponctuels et d’événements incontrôlables était tout ce qu’il aurait et avait jamais, au bout du compte, souhaité.
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