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Narcos

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Narcos voyait le reflet de son image mais ne parvenait pas à se saisir du regard. Il y voyait nettement flou, rien n’avait vraiment de consistance dans cette impression de lui. Ce n’était pas une faiblesse de ses yeux ; les croûtes de dentifrice, les traces de doigt, les taches de rouilles n’obstruaient pas suffisamment le processus de réflexion pour que l’image que lui renvoyait son miroir ne corresponde pas à ce qu’il lui présentait. Il savait bien sans avoir besoin d’y réfléchir que c’était lui-même qui était vague. Il chercha des mots pour se définir et poser un semblant de structure à la vapeur qu’il se sentait être ; châtain foncé. Il n’avait trouvé que ça. C’est la première chose qui lui était venue et il se disait que le reste était superflu. Nom de Dieu, il était tellement châtain foncé. Il eut une bouffée d’optimisme qui l’étouffa presque. C’était Narcos, châtain foncé, ni plus ni moins. Qu’importait sa barbe d’un jour et demi, son tee-shirt blanc avec une tâche de sauce au soja, son oreille et l’autre qui manquait, ce poil noir unique qui poussait sur son omoplate gauche ? Il avait des cernes aussi, c’était le manque de sommeil. D’ailleurs il se disait : « châtain foncé, quelle connerie, je dois travailler pour devenir un être équilibré, je ferais aussi bien de me raser la tête tout de suite ». Il l’a fait figurez-vous.
Narcos avait le crâne rasé, mais ses cheveux repoussaient vite, et sa barbe restée impunie s’était étirée dans toutes les directions. Il n’avait pas changé de tee-shirt. Cela faisait bien deux semaines. Il dormait toujours aussi peu et n’avait pas travaillé depuis fort longtemps. Il regardait la télévision et mangeant des conserves froides et trouvait ça formidable. Il se trouvait formidable. Il se prit en photo et se trouva un peu plus net. « C’est parce que ce n’est pas tout à fait moi. » Rien ne valait un miroir. Il alla dans sa salle de bain à nouveau. Il n’y était pas allé depuis la dernière fois. Il détailla le visage hirsute qui le détaillait en retour avec la même intensité. Rien à faire, il n’était pas clair. Il prit un crayon, une feuille et entreprit de le saisir. Narcos avait du talent, mais le résultat n’était pas lui. Et cela d’une manière plus complète que la pipe de Magritte. Ce ne pouvait être lui, il y manquait trop d’éléments essentiels, des éléments qu’il était incapable d’identifier. Il songea à cette représentation de l’enfer faite par Jean-Paul Sartre. Etait-ce vraiment Sartre ? Qui s’en soucie. Cet enfer était un monde sans miroir. Sans miroir et dans lequel on ne pourrait s’isoler, loin des autres. Dans le monde de Narcos il n’y avait personne, et il y avait des miroirs. Ce devait donc être le paradis. Mais si « l’enfer c’est les autres », il apparaît évident que le paradis ne peut pas être « personne d’autre que soi ». Ce serait trop simple, trop bête. Trop décevant.
« Je dois être au purgatoire, en somme. »

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