- Fénérile, qu’est-ce que tu fais ? demanda soudain Laurent.
Celle-ci venait de se lever, serrant les poings.
- Je vais aller rejoindre mon Lowell, dit-elle nerveusement. Il n’est pas question que je reste ici à me tourner les pouces.
- Mais t’es complètement folle ! Lowell va me tuer ! Il m’a fait promettre de te garder à l’abri !
- Et ben maintenant que c’est fait, je me casse.
- T’es pas sérieuse ! continua Laurent sur le même ton plaintif. C’est la guerre dans les rues, et le danger est encore plus grand à côté de ton frère et de l’autre barjo !
- Les coups de feu se sont arrêtés depuis quelques minutes déjà. Et je n’ai pas peur de ce… garçon, avec son aura.
- Mais… Mais…
Laurent n’eut pas la possibilité de continuer sa phrase. Fénérile s’était accroupie pour passer par l’entrée, puis s’était élancée vers un côté de la rue.
- Et merde !
A son tour, il passa par le trou puis, débouchant sur l’extérieur, il poursuivit Fénérile.
- Attends-moi !
Lowell et Arcanas tentèrent de se lever tous deux, ayant toutes les peines du monde à le faire. Ils s’étaient frappés mutuellement avec la plus grande force dont ils disposaient, mais ce n’était pas encore suffisant pour départager les deux adversaires.
- Tu es vraiment coriace ! s’exclama Arcanas. Tu ne pourrais pas abandonner un peu ? Il n’y a aucun espoir pour toi de me vaincre !
- C’est plutôt à moi de te dire ça, répondit Lowell avec un sourire. Tu es trop prétentieux.
Ils réussirent à se dresser sur leur jambes flageolantes en même temps. Aucun ne voulait céder face à l’autre, tant par leur orgueil que par leurs motivations. Ce n’était plus devenu un combat pour départager le sort de la Ville, mais pour savoir qui avait tort dans sa vision du monde, et qui avait raison.
Lowell n’en pouvait plus. Il était bien plus qu’exténué, il avait l’impression qu’une très fine frontière le séparait de l’évanouissement. Mais il devait continuer ce combat par tous les moyens, même s’il devait ensuite tomber dans le coma pendant dix ans. Il devait prouver à ce type qu’il n’allait pas se laisser faire.
- Qu’est-ce que tu espères en tuant tout le monde ? demanda-t-il soudain, tentant par tous les moyens de reprendre un maigre souffle.
- Je te l’ai déjà dit. Je suis comme un aspirateur, et je ne suis destiné à rien d’autre qu’à aspirer et supprimer la poussière de la Terre. Pourquoi suis-je né ? Pourquoi m’a-t-on donné ces pouvoirs ? Je ne vois pas d’autre réponse : je suis né pour anéantir. Le meurtre est la preuve que j’existe. La destruction est mon seul but. Sans ça, qu’est-ce qu’il me reste ? Rien du tout. Du vide. Et tant qu’il y aura des hommes qui vivront, j’aurai encore une parcelle de vie dans mon corps et dans mon âme.
- C’est pas très joli mais c’est quand même poétique, ce que tu dis là.
- La ferme ! Je n’ai pas besoin de l’avis de quelqu’un qui va crever !
- N’empêche que t’as dû en voir des vertes et des pas mûres pour oser parler comme ça, poursuivit Lowell, la mine sombre. Mais ce n’est pas parce que t’es le héros d’une tragédie que je vais te prendre en pitié. Il restera plus rien de ton corps quand j’en aurais fini avec toi.
Arcanas eut un sourire confiant.
- Je veux bien voir ça !
Lowell fondit vers lui avec le peu de forces qu’il lui restait. Il avait tout juste assez de puissance pour porter un seul coup, une faible aura bleue scintillant autour de son poing. S’il pouvait porter ce dernier coup à son adversaire et le mettre KO, il aurait gagné.
Mais apparemment, Arcanas semblait avoir eu la même idée. Lui aussi concentrant son aura rouge autour de son poing, il s’élança sur Lowell en courant le plus vite possible.
Un dernier coup. Juste un dernier… Au visage. Il devait… gagner !
Et un seul poing frappa, pas l’autre. Lowell avait réussi à frapper Arcanas !
Tous deux roulèrent au sol les membres ballotté dans tous les sens et soulevant de la poussière derrière eux. Puis leur mouvement s’arrêta, tous deux allongés sur le dos. Lowell, souffrant de ses multiples contusions, sentait déjà sa conscience flotter et s’éloigner de son corps, comme s’il allait s’endormir. A sa gauche, il put voir Arcanas tenter de faire un geste, mais il comprit qu’il n’arrivait plus à bouger. Son dernier coup de poing au visage l’avait paralysé pour un bon moment. Tant mieux. Il pouvait à présent faire un petit somme et…
Non !
Il fallait en finir tout de suite, pendant qu’il était encore temps ! Il devait trouver un moyen de supprimer ce psychopathe avant qu’il ne cause davantage de problèmes !
Résolu à ne pas s’endormir, il roula faiblement puis, allongé sur le ventre, il s’avança vers son ennemi à la force de son seul menton.
Il… fallait… l’achever.
Arcanas réfléchissait. Quelque chose n’allait pas… Il avait perdu. Qu’est-ce que cela signifiait ? Est-ce que… Est-ce qu’il s’était trompé quelque part ? Avait-il eu tort à un moment donné ? Avait-il faux depuis le tout début ? Son adversaire…
Il se tourna vers Lowell pour le contempler. Etais-ce lui qui avait raison ?
Soudain, il se rendit compte que celui-ci s’avançait lentement vers lui. Mais qu’est-ce que… Que voulait-il faire ? Il voulait… le tuer ?
Une goutte de sueur descendit de son front et parcourut le long de sa tempe avant de terminer sa course sur le sol.
- Non ! Ne t’approche pas ! s’écria-t-il. Je veux pas que tu viennes ! Arrête !
Mais Lowell était insensible à ses cris. Tout ce qu’il voyait, c’était sa sœur en pensée, et ce monstre qui voulait la tuer. Il ne devait pas le laisser en vie, même si pour cela il devait devenir un meurtrier.
- Fénérile, dit brusquement Lowell.
Plusieurs années s’étaient déjà écoulées depuis qu’ils s’étaient vu pour la première fois.
- Quoi ? demanda la jeune fille.
- Je t’aime beaucoup tu sais.
Il avait dit ça avec un large sourire, mais ses joues légèrement rosies trahissaient son embarras. Cependant, il s’était forcé à le dire parce qu’il le pensait.
- Moi aussi je t’aime beaucoup, répondit Fénérile en étirant à son tour sa bouche en un large sourire.
- Promets-moi une chose alors, dit-il soudain d’une voix grave. Quoiqu’il arrive, on sera toujours frère et sœur.
Puis il étira son bras devant lui, paume vers le ciel.
Fénérile le regarda avec ses petits yeux, ne comprenant pas. Puis elle se rendit compte de ce que ces paroles impliquaient et, à son tour elle posa doucement sa main sur celle de Lowell.
- Je te promets que quoi qu’il arrive, nous resterons toujours frère et sœur.
Soudain, Lowell vit quelque chose apparaître entre lui et Arcanas. Pendant un instant, il ne comprit pas ce que ses yeux lui disaient. Puis il leva son regard et vit, abasourdi, Fénérile qui avait mis son pied entre les deux ennemis.
- C’est bon Lowell, dit-elle avec un sourire. Tu n’as plus à t’en faire.
- Fénérile…
- Je suis désolé ! dit Laurent, tout essoufflé derrière elle. Je n’ai pas pu… la retenir.
- Tu n’as plus à t’inquiéter, poursuivit Fénérile. Je m’occupe de tout.
Elle se tourna vers Arcanas, lui lançant des yeux bizarres, presque terribles. Pendant un instant, celui-ci ressentit davantage de peur que face à Lowell. A nouveau, il cria du mieux qu’il put :
- Ne t’approche pas de moi ! Je ne veux pas que tu viennes ! Non !
Sourde à ses protestations, elle s’avança vers lui et s’accroupit devant son corps animé seulement d’une lente et faible respiration.
- Qu’est-ce que tu veux me faire ? protesta-t-il avec le peu de forces qui lui restait. Ne me tue pas ! Laisse-moi ! Arrête !
Elle souleva doucement son torse et sa tête puis, délicatement, l’enserra dans ses bras, comme une mère le ferait avec son bébé…
- Mon pauvre, dit-elle d’une voix tendre et maternelle. Comme tu as dû souffrir.
Arcanas resta ébahi devant un tel geste, qu’il ne comprenait pas. Puis, lentement, des souvenirs qu’il croyait perdus à jamais refirent surface. Même si cela remontait à très loin, à une autre vie, il se souvint d’avoir été bercé alors qu’il était très jeune. Sa mère qui lui racontait une histoire avant de dormir. Les petites berceuse qu’on lui chantait alors qu’il savait à peine marcher…
- Ma… Maman… prononça-t-il faiblement.
Ses yeux se fermèrent lentement, et sa conscience s’éloigna de son corps, alors qu’il avait trouvé, pendant quelques instants, une paix et une sérénité qu’il avait longtemps oublié…
Lowell regarda la scène, interloqué. Puis il sourit. Oui, il se souvint pourquoi Fénérile comptait tant pour elle, et ce qu’elle lui apportait de réconfort chaque jour.
- Tu t’es très bien débrouillé, dit alors une voix familière.
Il tourna la tête et découvrit Layos, dans sa robe rouge et or habituelle.
- Tu as réussi le test, comme il était convenu. Tu auras donc le droit de garder ces pouvoirs et le privilège de sauver cette Ville en les utilisant.
- Quel honneur ! fit Lowell sarcastiquement. Les Dieux sont tellement cléments…
- Ne te méprendd pas, répondit Layos en conservant son calme. Les Dieux n’ont rien à voir dans tout cela. Je ne sais même pas s’ils existent.
- Tu peux me répéter ça ?
Layos sourit.
- J’ai inventé une volonté divine pour te rendre plus docile. Les humains ont toujours tendance à se soumettre, lorsqu’ils croient que c’est une destinée qui les dirige.
- Qu’est-ce que tu me fais là ? Tu te fous de moi ? dit Lowell en colère.
- Le mot Dieu a été inventé pour désigner la fatalité, ce n’est rien d’autre qu’une excuse pour ne pas vouloir changer la misère, continua Layos. Les humains se disent qu’eux ne peuvent rien faire, ne peuvent pas changer ce monde parce que s’il devait changer, alors les Dieux le feraient à leur place. C’est ainsi que la Ville est devenue ce qu’elle est. Et c’est ainsi que sombrera le monde si l’on ne fait rien. Il me fallait quelqu’un comme toi pour sauver la Terre des humains et sauver les humains d’eux-mêmes.
- Mais… si les Dieux n’existent pas, toi, qui es-tu ?
- Je suis un magicien qui a gagné ses pouvoirs en ayant fait un pacte.
Lowell fronça les sourcils.
- Quel pacte ?
- Des pouvoirs contre mon corps. Je ne peux plus toucher quoi que ce soit. Mais en contrepartie, je peux changer ce monde indirectement. Grâce à toi. J’ai donné les même pouvoirs à Arcanas et lui ai dit que s’il réussissait à te vaincre, il pouvait faire ce qu’il voulait de ses pouvoirs.
- Mais c’est ignoble !
- C’est vrai. Mais je n’avais pas le choix. Je devais voir si tu étais capable de t’en sortir. Arcanas est l’image des épreuves qui t’attendront. Elles seront cruelles, puissantes et sans pitié. Je devais te soumettre à quelque chose d’analogue pour voir comment tu t’en sortirais.
Il arbora alors un grand sourire.
- Et tu as réussi. Pour mon plus grand bonheur !
Le silence s’installa. Mais il n’était pas lourd, il semblait au contraire léger et agréable.
- As-tu trouvé la réponse que tu cherchais ? demanda soudain Layos. As-tu trouvé un moyen de sauver cette Ville ?
A son tour, Lowell commença doucement à fermer les yeux.
- Oui, dit-il. Je ne dois pas m’isoler. Il faut que des gens me suivent, il faut purifier cette Ville non pas avec mes pouvoirs, mais avec le concours des gens. A la limite, l’Aura n’est nécessaire que pour éviter les morts. Mais Elle ne changera rien. Ce sont les gens et les idées qui changent le monde. Je demanderais à Arcanas de m’aider, et je demanderai à tous les habitants de la Ville, qui ont souffert mais qui ont continué à vivre, de me suivre pour tout changer.
Layos sourit à nouveau.
- Tu as bien grandi, dit-il.
Et Lowell s’endormit.
La nuit sans lune était noire comme peu de nuits l’étaient. Nombreux étaient les éclairages qui ne fonctionnaient plus. Même les gyrophares de la police ne brillaient plus depuis des années déjà.
Quelque part sur un balcon situé en hauteur, un garçon contempla la Ville. Il la trouvait sale et pleine de méchants. En fait, il en avait une peur presque maladive, c’était presque quelque chose d’inscrit au plus profond de son être, enfoui dans ses instincts.
Tout à coup, il vit une belle lumière bleue du coin de l’œil. Instantanément, son regard fut attiré par elle.
- Maman ! Maman ! cria-t-il soudain.
Aussitôt, la mère accourut, alerté par les cris de son fils. Elle respira un peu plus en voyant qu’il ne l’appelait que pour lui faire voir quelque chose.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle en se plaçant à côté de son fils.
- Regarde maman !
Le jeune garçon pointa son doigt vers la lumière bleuté, qui disparut rapidement derrière un immeuble.
- Qu’est-ce que c’était ?
La mère sourit alors, contente.
- Ça, mon fils… Ça, mon fils, c’est un héros…