- Passes dans cette rue-là, murmura calmement Layos. Tu es environ au centre de la Ville ici. Maintenant, prend une direction, n’importe laquelle du moment que tu suis ton intuition.
Lowell fit ce qu’il dit et commença à marcher dans un des sens de la rue, Layos sur ses pas. Il continua à marcher pendant plusieurs minutes, ne sachant que faire, se sentant ridicule au plus au point. Puis, brusquement, sans trop savoir pourquoi, il bifurqua à droite.
Une ruelle sombre s’étendait devant lui. Le sol était jonché de détritus, dont se nourrissaient quelques rats. Il y avait plusieurs clochards assis, dos contre le mur, semblant attendre quelque chose… Peut-être tout simplement de mourir ? Lowell ne le savait pas.
En tout cas, il emprunta la ruelle, sans trop savoir ce qui l’attendait. Curieusement, il ne ressentait aucune crainte, malgré le fait que jusqu’à ce jour, il avait toujours pris soin de s’éloigner de ce genre d’endroit à cause de la peur de se faire agresser. Mais aujourd’hui… C’était différent. Rien ni personne n’aurait pu lui donner la frousse en ce moment. Sauf à la limite…
Il se retourna et vit Layos qui le suivait, en retrait. Lowell poussa un soupir de soulagement.
Après quelques secondes de marche, Lowell put voir ce que son intuition cherchait. Cinq personnes entouraient un jeune garçon qui n’avait à peine qu’une dizaine d’années. Ce dernier était accolé au mur, regardant successivement ceux qui semblaient l’agresser.
- Allez, passes-moi l’argent ! disait l’une des racailles, affichant un grand sourire. Nous aussi on a besoin d’acheter le pain. Notre mère aussi est malade, tu sais !
- Allez, fait pas ta chochotte, disait un autre. On n’a pas de raison de te tabasser si tu nous donne gentiment ce qu’on te demande.
Il commença à lui prendre fermement un bras mais s’arrêta brusquement, tournant sa tête vers Lowell.
- Qu’est-ce que tu veux, toi ? lança-t-il d’un air menaçant. Tu veux ma photo ?
Lowell ne répondit pas et préféra faire quelque pas dans leur direction.
- Arrêtes-toi là où on t’éclate, dit une des autres racailles.
- Aidez-moi ! lança le jeune garçon sans défense.
Lowell semblait dans un état second. On aurait dit que quelqu’un contrôlait son corps, quelqu’un qui lui ressemblait beaucoup mais qui n’était pas lui. Instinctivement, il chercha quelque chose en lui puis, quelques secondes plus tard, son corps était recouvert d’une fine aura bleue. Il était impressionnant de constater à quel point la lumière semblait éclairer la sombre ruelle. Un instant, les cinq délinquants se tenaient debout, absorbés par cette image fabuleuse d’un homme entouré d’un halo bleu… Mais, se ressaisissant soudainement, ils commencèrent à marcher lentement vers Lowell, chacun se positionnant autour de lui, tandis que ce dernier conservait son calme et les laissait faire. Curieusement, ses ennemis semblaient davantage amusés qu’effrayés. Peut-être se sentaient-ils trop invincibles pour craindre quoi que ce soit.
- Bah alors, il t’es arrivé quelque chose ? fit l’une des racailles avec un sourire narquois. On a avalé un pack de tubes fluorescents ?
- Mais non ! intervint un autre d’une voix fortement empreinte de sarcasme. Vous voyez pas que c’est Mister Radioactif Man ?
Et tous les cinq riaient et s’amusaient. Le jeune garçon, encore accolé au mur, semblait captivé par la situation. Il ne songeait même pas à fuir ! Mais Lowell ne l’en blâmait pas. De toute façon, il savait que, maintenant qu’il était là, le garçon n’avait plus rien à craindre. Tout simplement parce que lui, Lowell, était un héros puissant. Le héros de cette Ville.
Sans attendre, l’un des raquetteurs balança son pied en avant. Sans réfléchir le moins du monde, Lowell ne put s’empêcher de prendre la jambe et, avec une force surprenante, de soulever le reste du corps, avant de l’envoyer violemment sur un autre agresseur qui s’apprêtait aussi à s’avancer. Déjà deux au tapis, assommés par la violence du choc.
N’attendant pas que les trois autres se ressaisissent de leur grande stupéfaction, Lowell chargea vers une racaille, prise au hasard, et fit un bond incroyable avant de donner un violent coup de pied sur le menton. Les deux qui restaient attaquèrent dans le dos mais n’eurent pas le temps de toucher ce qui devait leur sembler un monstre : ils furent mis au tapis par deux coups de poings simultanés.
C’était déjà fini. Il n’avait fallu que quelques secondes pour mettre à terre cinq hommes.
Mais Lowell se tourna vers le côté. Sa fine ouïe l’avait prévenu du son caractéristique d’une arme à feu que l’on chargeait. L’un des agresseurs à terre pointait un automatique vers lui. Et il tira.
En fait, Lowell aurait eut le temps de le désarmer une vingtaine de fois avant que l’autre n’appuie sur la gâchette. Mais il l’avait laissé faire. Et pourquoi cela ? Peut-être pour mesurer l’étendue de ses pouvoirs. Peut-être pour impressionner celui qui tirait. En tout cas, il n’avait eu aucune difficulté pour arrêter toutes les balles tirées. Elles étaient toutes dans sa main, chaudes, brûlantes même, mais sans effet sur les mains. En tout cas, elle avaient fait davantage effet sur celui qui avait tiré que sur celui qui avait reçu. L’homme à terre avait une expression horrifiée, son esprit ne pouvait comprendre ce que lui montraient ses yeux. Comment un homme dégageant une lumière bleue pouvait-il arrêter des balles à mains nues ? C’était impossible !
Lowell s’avançait lentement vers lui, son visage ne reflétant aucune émotion. Dans un certain sens, cela le rendait davantage terrifiant, davantage majestueux aussi. Arrivé devant l’autre, il baissa la tête afin de le regarder dans les yeux – des yeux traduisant la peur la plus absolue. Et, d’une voix grave, il lui dit :
- A partir de maintenant, tu vas arrêter de faire du mal à qui que ce soit. Si je te reprend une seule fois en train d’agresser quelqu’un, je te tue.
En réalité, Lowell ne pensait pas vraiment ce qu’il disait, mais il voulait profiter du fait qu’il était impressionnant pour pouvoir marquer l’esprit du jeune homme et le contraindre ainsi à faire ce qu’il lui avait ordonné. Mais il sembla que cela n’avait pas eu l’effet escompté, car l’autre répondit, affichant un faible sourire en contradiction avec la peur qu’il ressentait :
- Comptes là dessus ! Je fais partie du clan des Chiens Enragés, alors si tu penses que je…
Mais il ne put finir sa phrase, assommé par un violent coup de pied.
Lowell était satisfait des pouvoirs. Ils étaient impressionnants ! Il se rendait parfaitement compte que c’était une très grande responsabilité qu’on lui avait donné, mais il n’allait pas se plaindre. N’avait-il jamais rêvé d’avoir ces mêmes facultés ? On les lui avait confié, et c’était un immense bonheur que de se voir faire d’aussi belles pirouettes et de porter d’aussi beaux coups. C’était encore mieux que dans son imagination !
- Excellent ! dit alors une voix derrière lui.
Lowell se retourna et vit Layos, debout, regardant les corps étendus sur le sol.
- Vraiment excellent ! insista-t-il. Tu as bien pris en main les pouvoirs que l’on t’a accordé. Tu ne seras peut-être pas un mauvais élu, après tout.
- Bien sûr que je ne le serais pas ! s’indigna Lowell. Je vais être un super héros, et tout le monde m’acclamera dans cette ville.
Il afficha un large sourire, visiblement satisfait de se voir ainsi. Il ne voulait pas décevoir ceux qui lui avaient transmis les pouvoirs, ainsi ils n’auraient pas besoin de les reprendre.
- Dites monsieur, vous parlez à qui ? demanda une voix frêle et aiguë derrière lui.
Lowell se retourna et vit le jeune garçon qui avait été victime de racket. Celui-ci semblait moins pâle que tout à l’heure, et affichait même un tout petit sourire.
- Aucun humain à part toi ne peut me voir, précisa Layos.
- Je ne parles à personne, répondit Lowell au garçon d’une voix douce. Est-ce que ça va ?
- Ho oui ! Merci beaucoup !
Et cette fois, son sourire se fit plus large.
- Dis ! Est-ce que tu peux m’apprendre à faire la même chose ? Moi aussi je veux une lumière bleue ! Comme ça, plus personne ne m’embêtera.
- Je suis désolé mais c’est pas possible, répondit Lowell avec un petit rire. J’aurais bien voulu, mais ça dépend pas de moi.
- Je m’en doutais un peu… Tant pis ! Merci quand même. Allez salut, sauves tout plein de gens ! Et punis les méchants !
- T’inquiète.
Déjà, le garçon marchait vers la sortie. Lowell le regarda s’en aller, assez fier de voir qu’il avait, aujourd’hui, pu sauver un enfant qui semblait avoir le même âge que sa sœur. Il se sentait si ému… C’était comme si Fénérile avait parlé à sa place. Qu’il recevait directement le compliment d’elle.
- C’est la plus belle des récompenses, dit alors Layos derrière lui. La gratitude des gens que l’on sauve. C’est quelque chose dont on ne se lasse jamais, crois-moi.
- Oui, répondit Lowell, les yeux rêveurs.
- Bien, ne restons pas là. Il y a d’autres personnes qui ont besoin de toi…
Lowell avait dû parcourir tout le secteur, pendant toute la journée. Il arriva, exténué, devant la porte de chez lui, aussi vidé que le crâne de ceux qu’il avait pu punir. Il fallait vraiment être stupide pour infliger tant de malheur dans ce monde. Mais lui aurait pu être pareil qu’eux, s’il n’y avait pas eu sa sœur. Il le savait.
Il était épuisé. Oui, il avait mis à terre les agresseurs. Oui, il avait reçu l’infinie gratitude de leurs victimes. Mais les “ merci ” et la satisfaction du devoir ne suffisent pas à remplir les batteries, et Lowell était affamé et fatigué. Il aurait cédé n’importe quoi pour un plat chaud et un bon lit.
Malgré cela, il était fier de ce qu’il avait fait en une journée. Il devait bien avoir sauvé une vingtaine de vies. Un incendie criminel par ci, des tentatives d’assassinat par là… Le plus dur était d’arriver à temps, avant le méfait, et souvent l’intuition du chemin qu’il ressentait s’estompait, signalant que le crime ou le délit s’était finalement accompli, comme l’avait judicieusement fait remarqué Layos.
Il arriva devant la décharge et repéra le groupe de copains assis en rond. Avec un énorme soupir de soulagement, il vit que sa sœur était avec eux. Elle riait. Et que son rire était beau ! Comme il aurait donné n’importe quoi pour qu’il se fige à jamais, qu’elle soit heureuse dans ce monde pourri jusqu’à la moelle.
Auparavant, il s’était fait la promesse de fuir cette Ville pour que tous deux soient heureux. Désormais, son objectif avait changé : il se promit de tout faire pour changer cette même Ville pour la rendre meilleure. Il pouvait se le permettre, maintenant qu’il avait les pouvoirs nécessaires. Peut-être était-ce monter la barre trop haut. Mais Lowell ferait n’importe quoi pour cela. S’il devait choisir entre sauver sa vie et sauver cette Ville, il opterait sans hésiter pour la deuxième solution. A condition d’être sûr que sa sœur serait à l’abri et heureuse. Tant pis s’il y passait.
Trois jours étaient à peine passés depuis qu’il avait reçu ses pouvoirs que Lowell se sentait de plus en plus désespéré.
Il fallait le reconnaître : le nombre de crimes dans la Ville était infiniment plus titanesque que la rapidité d’action de Lowell. Lui qui avait ces pouvoirs, à quoi servaient-ils s’ils ne pouvait sauver que dix personnes par jour, alors que cent se font frapper ou tuer ? Certes, dix personnes, c’était mieux que zéro, mais il était de loin préférable de sauver tout le monde, ou en tout cas une très grande majorité.
Et, comble du comble, il s’était aperçu qu’il ne pouvait aller bien loin autour du secteur où il vivait.
- Qu’est-ce que tu fais ? avait demandé Layos, plus exaspéré que d’habitude (si c’eut été possible).
- Je ne peux pas aller plus loin, avait répondu Lowell d’un ton calme, habitué aux exclamations de son “ guide ”. Je ne connais pas les rues de ce côté-là. Je ne saurais pas rentrer si j’y vais.
- Mais on s’en fiche, il y a des plans partout ! Tu n’as qu’à en consulter un lisible et…
- Je ne sais pas lire, avait coupé Lowell.
Layos l’avait alors considéré gravement. Ses yeux avaient exprimé une grande incompréhension, comme s’il ne parvenait pas à interpréter les paroles.
- Tu ne sais pas lire ? avait-il dit, les yeux exorbités.
- Bah non ! Comment j’aurais pu apprendre ?
- Tu es un héros qui ne sais ni lire ni écrire ?
Et il était alors parti d’un éclat de rire si énorme que Lowell s’était à son tour senti exaspéré.
- Qu’est-ce tu crois ? avait-il continué. Les écoles ont été fermées depuis longtemps. Trop d’élèves se sont vengés sur leurs profs d’autrefois… Et ils ne veulent plus du tout faire apprendre à des gamins qui risqueraient de les estropier ou de les tuer…
Layos s’était alors retourné, et Lowell n’avait pu voir son visage à ce moment-là. Tout ce qu’il entendait, c’était ses paroles, qu’il avait répété plusieurs fois en secouant la tête :
- Un monde de fous… Vraiment !
Trois jours après avoir commencé son travail de Sauveur de la Ville, Lowell rentra dans la décharge. Les piles de voitures formaient ces collines de ferrailles rouillées, métaphore à petite échelle de la Ville : usée jusqu’à la moelle, déformée et détruite, violente, froide, et surtout remplie de déchets. Lowell était habitué à ce spectacle de désolation. Partout où il était allé dans la Ville, c’était le même décor. Un jour peut-être, tout cela changerait…
Lorsqu’il rentrait de son “ travail ”, Lowell se sentait bien, avec cette petite satisfaction du devoir accompli. Mais quelque part en lui demeurait ce poids, ce creux dans l’estomac qui lui disait que dix avaient été sauvés, mais que cent avaient péri. Quelle horrible sensation !
Pour la première fois, il ne vit pas sa sœur en entrant dans la décharge. Pas de beau sourire de fin de journée, pas même ce visage naïf et enfantin. Elle n’était pas là.
Lowell sentit son creux s’alourdir, comme si son estomac avait pris plusieurs kilos en quelques secondes, descendant jusqu’à ses pieds. Il avait un atroce pressentiment.
C’est alors qu’il entendit quelques cris assez lointain. C’était un mélange de plusieurs voix, mais Lowell put en distinguer une, tout juste plus aiguë que les autres : celle de sa sœur.
Son sang ne fit qu’un tour. Sans réfléchir, avec la rapidité d’une mère poule inquiète pour son poussin, il se précipita vers l’origine des cris. Son cœur battait à tout rompre, et il n’hésita pas à sortir son aura pour aller plus vite. Sa rapidité décupla de façon phénoménale, à tel point qu’il dépassa à toute allure le lieu où il voulait se rendre. Il freina brusquement son élan, laissant sur le sol poussiéreux des traces longues et profondes, comme celles qu’aurait laissé une voiture en plein dérapage. Il se retourna à toute vitesse, patina pendant quelques instants, puis revint à la charge. Enfin, après quelques secondes, il put voir sa sœur et ses copains de jeu.
Ils n’étaient pas seuls. Trois adultes se tenaient devant eux.
Lowell avala sa salive. Les inconnus avaient ce regard aiguisé que seuls possédaient les tueurs expérimentés. Leur visages étaient parsemés çà et là de cicatrices et de balafres. Aucun doute là dessus, ils faisaient parti de la mafia locale, leurs vêtements en portaient le symbole : une croix entourée de chaque côté de deux sabres entrecroisés.
Jusque maintenant, Lowell n’avait fait que dérouter de petites racailles des rues, sauvé quelques personnes d’incendies criminels… A présent, c’était le moment où jamais de voir de quoi étaient capables ses pouvoirs contre de vrais tueurs sanguinaires, ceux de la mafia.
Pourtant, ce n’était vraiment pas le bon moment ! Il put voir que sa sœur avait été soulevée par l’un des hommes comme si elle n’était guère plus lourde qu’une plume.
- Lâchez-moi ! criait-elle en se démenant comme un diable, à tel point que l’adulte devait faire des efforts pour la maintenir au-dessus du sol. Je vais appeler mon frère et il va vous massacrer !
Puis elle suivit ses paroles d’un grand cri aiguë et strident, pour appeler son grand frère qu’elle n’avait pas encore remarqué. Elle lui tournait le dos.
En revanche, les trois tueurs avaient remarqué Lowell. Il fallait dire que son aura bleu lumineuse n’était guère utile pour le camouflage.
- Hé ! Toi là-bas ! le héla l’un des hommes en pointant le doigt sur lui. Viens ici !
Lowell restait méfiant. Il savait avoir affaire à de véritables démons sanguinaires, et il préférait être le plus prudent possible. Surtout si sa sœur était leur prisonnière. Il pria pour qu’il ne lui arrive rien.
- Qu’est-ce que vous voulez ? cria-t-il à son tour.
- Je t’ai dit de venir ici, répéta l’homme d’une voix impatiente. Alors viens ici tout de suite ! Ou je tue ces gamins !
Il désigna d’un geste du menton les enfants devant lui. Derrière celui qui parlait et tenait sa sœur se tenaient les deux autres hommes, calmes, les mains dans les poches, dans une position décontractée. Apparemment, ils s’ennuyaient…
Préférant de pas prendre de risques, Lowell s’avança lentement, préférant de pas trop exaspérer son ennemi. Apparemment, celui-ci ne connaît pas l’étendue des pouvoirs qu’il possédait…
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda à nouveau Lowell.
Il se rendit soudain compte que la lumière qu’il dégageait ne surprenait pas les hommes. Seuls les autres enfants étaient quelque peu hypnotisés, voire subjugués, mais les tueurs semblaient trouver cela tout à fait normal. Et comme si cela ne fut pas suffisant, celui des trois qui parlait, apparemment le chef, ne fit que confirmer ses soupçons :
- On nous a dit que deux gus dans ton genre, des lucioles bleues et rouges, faisaient des ravages dans la Ville. Je suppose que tu en fais partie ?
Lowell préféra ne pas répondre.
- Je vais prendre ça pour un oui, continua l’homme, laissant Fénérile se retourner pour voir son grand frère entouré d’un halo bleu –sa bouche était grande ouverte. De toute façon, je suppose que ce genre de phénomènes ne court pas les rues…
- On nous a chargé de te tuer, dit alors l’un des autres adultes. Le marché est simple : soit tu nous dis où se trouve ton copain, et ta mort sera rapide ; soit tu ne dis rien, et l’on tuera tous ces gamins devant tes yeux impuissants, avant de te faire agoniser dans d’atroces souffrances. Et tu peux me croire quand je te dis que nous savons maintenir en vie des gens agonisants pendant des semaines. Alors ? Est-ce que le marché te convient ?
Son ton était aussi chaleureux que pouvait l’être la glace. En fait, c’était terrifiant : ses paroles étaient si calmes et prononcées d’une façon si banale que Lowell en avait des frissons dans le dos. Et ce n’était pas à cause du vent…
Malgré la peur, il enregistrait tous les éléments que l’on lui avait fourni : quelqu’un d’autre que lui possédait une aura, rouge cette fois. Mais en dehors de cela, concernant la situation, il n’y avait pas d’autre choix que d’immobiliser ces hommes. Ça aurait été chose facile s’ils n’avaient pas entre leurs mains ce qui obsédait Lowell au plus haut point : sa sœur !
S’il avait eu le temps nécessaire, il aurait pu réfléchir à un plan, mais dans ce cas là, ce n’était pas possible.
- Ne me tuez pas ! couina alors un voix frêle.
C’était Luc. Agenouillé devant ses agresseurs, il ne faisait rien d’autre qu’implorer leur clémence.
Lowell grogna intérieurement. Luc était le pire des lâches. Il avait toujours considéré sa propre vie plus importante que celle des autres. Il n’était pas vraiment méchant au fond, c’était simplement un gros trouillard.
- Pitié, je vous ai rien fait ! Laissez-moi partir !
De grosses larmes coulaient sur ses joues. Il était terrifié.
Le chef se mit soudain à sourire, un horrible rictus de cruauté se peignit sur ses lèvres. Et il ria. C’était un rire horrible, grave et monstrueux. On devinait la noirceur de son âme derrière ce son. Non, il n’épargnait personne.
Pourtant, une fois qu’il eut finit de rire, il éleva à nouveau la voix pour parler :
- Voilà quelqu’un d’intelligent ! Il a tout de suite compris qui nous étions !
Et ses acolytes de rire à leur tour. Malgré sa position assise, Luc tremblait de tous ses membres.
- Tu sais peut-être quelque chose sur ce type, continua le chef en désignant Lowell du menton. Depuis quand il a l’aura, qu’est-ce qu’il nous veut… tout quoi.
Luc regarda Lowell avec ses yeux tristes et apeurés, à moitié caché par ses longs cheveux noirs et ses larmes. Il lui murmura un vague “ désolé ” puis se tourna vers les tueurs.
- Il… Il s’appelle Lowell, murmura-t-il d’une voix faible, baissant les yeux. Je savais pas qu’il pouvait s’illuminer ou qu’il vous causait des ennuis, je… je le jure ! Mais-mais… je sais que elle c’est sa sœur.
Il désigna Fénérile d’un doigt tremblant.
Merde ! songea Lowell. Ils savent maintenant !
- Sale traître ! lança Laurent en lançant dans ses mots toute la haine qu’il avait en lui.
- Je ne veux plus jamais te voir, surenchérit Clarisse. Sale pourriture !
- C’est… C’est tout ce que je sais ! continua Luc sans faire attention à ses anciens compagnons de jeu. Je vous jure ! Laissez-moi partir…
De grosses larmes tombaient sur ses joues. Tout le monde demeurait silencieux devant ses paroles, mais les hommes souriaient méchamment.
- C’est très bien, dis leur chef. Tu as bien rempli ton devoir. Je vais te laisser partir, t’as intérêt à détaler vite ! Ne te retournes surtout pas.
Luc, sans cesser de baisser la tête, se leva puis, prononçant à nouveau “ désolé ” à tout le monde cette fois-ci, il se retourna puis courut, de toutes ses forces, à en perdre haleine, vers la plus proche sortie de la décharge. Derrière lui se dressait un petit nuage de poussière, sorte de bouclier voulant protéger le dos de celui qui le soulevait.
L’un des hommes, sans se débarrasser de son sourire, sortit un long automatique de sa poche, aussi brillant que l’argent, et pointa le canon vers Luc.
Et, à ce moment-là, le temps s’arrêta. La maigre brise cessa de siffler, tous les mouvements se figèrent… Grâce aux propriétés de l’aura. Seul le cerveau de Lowell continuait de réfléchir à une allure normale, peut-être même plus rapidement que d’habitude.
J’ai deux choix, songea-t-il. Soit je laisse Luc se faire descendre, et la situation demeurera la même qu’avant, avec un mort en plus ; soit je parviens à arrêter la balle, et je cours un risque que Fénérile soit en danger pour avoir mis en colère ces hommes.
Lowell était pris dans un grand dilemme. Sa situation retournait sans cesse dans sa tête dans une boucle qui paraissait sans fin. C’était presque la vie de Luc contre celle de Fénérile.
L’homme appuya sur la gâchette. L’énorme bruit de la poudre qui explose arriva avant que la balle ne fut en vue. Mais Lowell était à présent capable de la voir, fendant l’air à une grande allure. Que faire ? Que faire ?
Sans vraiment se rendre compte de ce qu’il faisait, il ferma les yeux pendant un petit instant…