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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


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Le duel

Lowell se releva brutalement du sol en poussant un grand cri. Une fulgurante douleur avait traversé son corps tout entier et l’avait tiré de son sommeil réparateur.
- Qu’est-ce qui se passe ? hurla-t-il à plein poumon.
Mais sa fatigue le fit se rallonger très vite.
- Ce n’est rien, dit alors la voix douce de Fénérile. On t’a enlevé la balle qui s’est fichée dans ton épaule. Heureusement, toutes celles qui t’ont blessé dans le dos ont rebondi, on ne t’enlève plus rien. Rendors-toi.
- T’es marrante,, répondit-il d’une voix plus faible. Si vous me torturez pendant que je dors, ça sera pas facile…
Mais déjà, il sentait son esprit s’éloigner de la réalité et ses yeux se fermèrent une nouvelle fois…

…Pour se rouvrir douze heures plus tard, allongé entre plusieurs couches de draps épais.
Argh ! Il était fait en sandwich !
Il ne sut pas pourquoi il tentait de faire de l’humour débile. Il s’extirpa tant bien que mal de sa mince prison chaude puis, une fois debout, défit les bandages sales et remplis de sang qui recouvraient son corps. Sa sœur et Laurent les avait sûrement trouvé dans une poubelle et s’en étaient servi sans craindre le moins du monde une infection… C’était vraiment très malin !
Il regarda autour de lui et reconnut l’endroit où il habitait en compagnie de sa sœur. On l’avait traîné jusqu’ici ? Laurent devait être sacrément costaud !
Ce dernier apparut brusquement au coin de la rue, bavardant joyeusement avec Fénérile. Le cœur de Lowell se réchauffa intérieurement en voyant le superbe sourire qui illuminait son visage. Mais il n’en montra rien.
- Alors ? lui demanda Laurent. Ça va ?
- Ça va, merci, répondit Lowell avec un petit sourire.
Puis il montra les bandages qui entouraient son corps.
- C’est vous qui m’avez mis ça ?
- En fait… On avait rien d’autre sous la main, alors on n’a pas trop eu le choix, répondit à son tour Fénérile. On ne voulait pas que tu perdes plus de sang. Est-ce que tes blessures sont guéries ?
Lowell défit ses bandages tant bien que mal. Lorsqu’il eut fini, il remarqua que la cicatrisation était très avancée. En fait, les différentes traces du dernier combat avaient à moitié disparu !
Laurent en fut abasourdi. Se précipitant le garçon, il palpa la blessure à l’épaule avec des yeux obnubilés.
- C’est dingue ! s’exclama-t-il. C’est la première fois que je vois ça !
Il toucha l’épaule avec son index et pressa assez fortement. Lowell eut un cri de douleur et protesta :
- Tu es fou ! cria-t-il. Qu’est-ce que tu cherches à me faire mal comme ça ? Tu veux rouvrir la blessure ou quoi ?
- C’est dingue ! répéta Laurent sans prendre la peine de répondre aux protestations. Regarde ça. Il s’est reçu une balle mais il reste presque plus rien. C’est la première fois que je vois ça !
- J’ai faim, dit soudain Lowell. Et si on mangeait ?
- On a apporté de la nourriture, dit Fénérile avec un sourire. Laurent a payé des fruits et de la viande.
- Tu as payé ? demanda Lowell avec surprise. Comment tu as eu de l’argent ?
- Bah heu… Je l’ai trouvé par terre, répondit Laurent, mal à l’aise. Bon, on mange ?

C’est sur une nappe tâchée d’huile qu’ils avalèrent leur repas. La nourriture fut délicieuse et c’est sur un beau soleil couchant qu’il terminèrent leur repas. Ce n’est lorsqu’ils l’eurent terminé que Luc se montra à eux.
Ses cheveux étaient ébouriffés et ses yeux étaient marqués par de profondes cernes, comme s’il n’avait pas dormi de la nuit. Il les contemplait, tous les trois, d’on œil méfiant. Cependant, il s’approcha.
- Luc ! s’exclama Fénérile en s’apercevant de sa présence.
Aussitôt, Laurent et Lowell se retournèrent pour voir le nouvel arrivant.
- Qu’est-ce que tu fais là, toi ? demanda Laurent sur un ton mauvais, visiblement rebuté à l’idée qu’il s’adressait à un vrai traître.
- Je… Je suis venu po-poser une question, répondit Luc en bégayant quelque peu.
- On ne veut pas de toi ici. Dégage ! s’exclama Laurent avec colère.
- Laisse, intervint Lowell. Quelle question tu veux poser ?
Luc hésita un instant, avant d’inspirer profondément de l’air pour se donner du courage.
- Pourquoi ?
Lowell le regarda sans comprendre. Mais Luc continua :
- Pourquoi tu t’es pris une balle pour moi ? Pourquoi est-ce que tu m’as sauvé alors que j’ai tout dit aux malfrats ?
Lowell eut alors un faible sourire. Avait-il devant lui quelqu’un dont la conscience le torturait ?
- Je ne sais pas trop… Je crois que c’est parce que je ne peux pas laisser quelqu’un mourir sous mes yeux. C’est plus fort que moi.
- Mais tu es vraiment stupide ! s’exclama alors Luc. Il faut vraiment être un parfait crétin pour risquer sa propre vie pour celle des autres !
- Tu me reproches de t’avoir sauver ? fut abasourdi Lowell.
- Tu ne comprends rien ! continuait Luc sans écouter autre chose que lui-même. Il n’y a que sa propre vie qui compte, celle des autres n’est rien ! Il faut à tout prix survivre et éviter la mort ! Sinon, à quoi ça sert de vivre ? Pourquoi tu es tellement stupide que tu ne te rends compte de rien ?
Il criait, s’égosillait, et versait des larmes tout en fermant les yeux. On avait l’impression qu’il parlait plus pour lui-même que pour les autres. Lowell eut de la pitié pour lui. Il n’était vraiment pas méchant. Simplement, il avait souffert de vivre dans un monde aussi infernal, et sa conscience devait le torturer que quelqu’un qu’il avait trahi lui sauvât la vie.
Lorsqu’il se fut calmé et qu’il reprit un peu son calme, Lowell parla à son tour.
- Ce n’est pas de ta faute si tu penses comme cela. On vit tous dans une Ville où effectivement, c’est chacun pour soi. Et forcément, grandir dans cette ambiance fait souffrir tout le monde, sauf les plus aisés. Mais écoute-moi : il y a toujours pire que la mort. Il existe des situations où mourir vaut beaucoup mieux que vivre.
- Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Luc en élevant la voix, sans pour autant atteindre le volume sonore d’avant. Il n’y a rien de pire que la mort.
- Si, dit gravement Lowell. Par exemple, quand la solitude est étouffante. Ou quand, une fois la nuit tombée, personne n’ait envie de te rencontrer le lendemain. Quand chaque jour qui passe est une souffrance perpétuelle. Il y a toujours pire que la mort, souviens t’en. C’est pour ça qu’il faut du courage non seulement pour rester en vie, mais aussi protéger ce qui nous est cher, des personnes proches comme des idéaux que nous poursuivons.
Luc resta silencieux, comme méditant ces paroles. Mais, se ressaisissant soudainement, il redressa la tête, emplit d’air ses poumons et s’exclama :
- C’est toi qui ne sait rien du tout ! Les vivants ont encore la chance d’être heureux et d’être reconnus. Les morts ne savent plus rien, ne font plus rien et tout le monde les oublie ! C’est ça, plus personne ne se souvient d’eux puisqu’ils sont morts !
- C’est vrai, les vivants peuvent encore être heureux. Mais lorsque la souffrance est quotidienne et qu’elle ne semble pas vouloir nous quitter, on désespère qu’elle ne s’arrête jamais. C’est ça la véritable souffrance, c’est ça qui peut parfois pousser au suicide. Mais souviens-toi qu’il y a des moments où survivre n’est pas la priorité absolue. Il y a des situations où il vaut mieux sacrifier sa vie pour sauver quelqu’un qui nous est cher. C’est vrai que ça demande encore plus de courage que de vivre, mais ça nous rend aussi plus fort. Tu veux savoir pourquoi je me suis pris cette balle à ta place ? Je vais te le dire : parce que j’ai suivi ma conscience et mon idéal. Ce n’est pas la confiance en mes capacités surnaturelles qui m’a fait supporter la balle. J’ai pu le faire parce que je voulais sauver quelqu’un, et que si je ne l’avais pas fait, je ne me sentirais plus le courage de vivre !
- Je m’en fous ! Je ne veux plus jamais te voir ! s’exclama alors Luc en criant de toutes ses forces, dans un accès de fureur. Plus jamais de ma vie ! Je te hais !
Il se retourna et s’éloigna en courant.
Lowell avait vu ses larmes. Il soupira et regarda la viande qu’il était en train de manger avant qu’on ne l’interrompe. Il n’avait plus très faim à présent, son appétit avait disparu.
- Laisse ce tocard, dit Laurent, dégoûté. En plus d’être un parfait crétin, il est têtu comme une mule. C’est nous qui voulons plus le voir.
Lowell vit Luc disparaître de la ruelle en tournant. Aussitôt, il y eut une grande confusion d’évènements. Tout d’abord, Une grande lumière rouge passa devant eux, à la vitesse de l’éclair, puis Laurent et Lowell furent projetés par une force invisible et puissante. Seule Fénérile était restée où elle était, la bouche grande ouverte, ne comprenant visiblement pas ce qui se passait. Sa cuisse de poulet glissa de ses minces doigts et atterrit sur la nappe sale sans aucun bruit.
Puis l’agresseur apparut alors aux yeux de tous, juste devant Fénérile. C’était un garçon très mince, avec des cheveux blonds ébouriffés dans tous les sens et des tâches de rousseur sur les pommettes. Son corps dégageait une lumière rouge très intense et très belle, rendant celui qui la portait une certaine majestuosité.
Lowell se demanda un instant si ce qu’il voyait n’était pas un rêve ou un mirage… Mais non. Il avait devant lui un jeune garçon qui, comme lui, possédait une aura. Une aura rouge cependant. Mais la couleur déterminait-elle quelque chose ? Etait-il plus rapide, plus fort, plus intelligent ? Il eut le sentiment que non.
Le jeune garçon eut un petit sourire supérieur. Il avait l’air content de lui-même.
- Bonjour, bonjour ! s’exclama-t-il. Est-ce que tout va bien ?
Puis il partit d’un rire bref, avant de s’arrêter pour contempler les autres de haut.
- Hum… Tu es Lowell, n’est-ce pas ? demanda-t-il en se tournant vers ce dernier. Je t’ai un peu observé ces derniers temps.
Lowell sentit soudain que ce garçon lui était profondément antipathique. Il eut pendant un bref instant une pulsion de violence, qu’il réfréna non sans peine. Pour toute réponse, il répondit par un bref grognement. Puis il finit par consentir à parler à l’étranger.
- Est-ce que je pourrai au moins connaître ton nom, puisqu’on dirait que tu sais le mien.
- Ha oui, désolé j’avais oublié ! répondit l’autre sans le paraître pourtant. Je m’appelle Arcanas.
Il y eut un faible silence puis le garçon enchaîna :
- Ça fait un jour ou deux que je t’observe Lowell. Je trouve que tu es très intéressant. On m’avait prévenu que quelqu’un avec une aura comme la mienne était en Ville. Ça n’a pas été très dur de te trouver, tu sais, tu ne te caches pas vraiment en agissant toujours au même endroit.
- Qu’est-ce que tu me veux ? demanda Lowell avec méfiance. On est sensé se battre tous les deux pour que je réussisse le test, c’est ça ? Alors finissons-en tout de suite.
Arcanas fronça un instant les sourcils.
- C’est pas sympa de te payer ma tête comme ça. Tu vas le regretter.
Il serra les poings un instant, tous les traits de son visage tendus à l’extrême, puis il se radoucit complètement, comme un ballon que l’on aurait vidé de son air.
- Mais je ne suis pas venu ici pour me battre. J’ai un marché à te proposer.
Ce fut au tour de Lowell de froncer les sourcils.
- Accord ? Quel accord ? Ce n’était pas prévu dans le programme.
- C’est vrai, mais qu’est-ce que ça peut faire ? C’est nous les puissants, les auras, c’est nous qui sommes les plus forts. C’est donc nous qui devons nous charger de changer ce monde. Qu’est-ce qu’on s’en fout des règles !
Lowell le considéra avec méfiance.
- Hum… Alors qu’est-ce que tu me veux ? demanda-t-il à nouveau.
- Associons-nous !
- Hein ? Tu veux qu’on s’associe ?
- Oui.
- Pour quoi faire ? Que vont dire les Dieux là dedans ?
- Oublie les Dieux. Est-ce qu’ils ont déjà fait quelque chose pour empêcher cette Ville d’être ce qu’elle est ? Non. Ils se prennent au tout dernier moment pour intervenir, comme pour se faire passer pour des sauveurs. Oublie-les, ceux-là.
- Et tu veux qu’on s’associe pour sauver cette Ville ?
- Je n’aime pas le mot “ sauver ”. Disons plutôt la purifier. Je veux la détruire.
Lowell en resta coi. La détruire ? ça voulait dire quoi ? Tout raser ?
Un silence très pesant s’installa, que seul vint troubler le bruit d’une voiture passant pas très loin. Il s’allongea à chaque seconde qui passait. Lowell n’arrivait même pas à réfléchir. Ce gars-là voulait tout abattre ?
- Attends, attends, dit finalement Laurent. Tu veux détruire le monde entier ? Tu es sûr que ça va dans ta tête ?
- JE NE TE PERMETS PAS, HUMAIN ! tonna Arcanas. Je ne vais pas te tuer tout de suite parce que tu as l’air dans les faveurs de Lowell. Mais ne recommence jamais ça !
- Je suis pas sûr de comprendre, intervint Lowell. Tu veux détruire le monde ? Pourquoi ça ?
Arcanas prit une profonde respiration puis soupira bruyamment.
- Est-ce que ça n’est pas logique ? Les humains ne sont pas dignes de vivre, tout simplement.
- Je te signale que tu en es un, dit Laurent à son tour.
- Je l’étais. Mais maintenant, je suis à un stade supérieur. Cependant, je sais que ma mentalité n’a pas changé. Quand je serai sûr que tous les humains auront péri, alors, et seulement alors, je me détruirai, tout à la fin.
- Il est complètement cinglé, dit Laurent en secouant la tête et en faisant du doigt le signe de la folie.
- JE T’AVAIS PREVENU, commença à s’énerver Arcanas.
Mais Lowell s’interposa entre lui et Laurent.
- Les humains ne sont pas dignes de vivre ? Pourquoi ça ?
Arcanas se calma quelque peu, se contentant de lancer un regard noir rempli d’éclairs.
- Regarde ce qu’ils ont fait de cette Ville ! Et ce sont les enfants comme nous qui subissent tout le malheur du monde. On crève de faim et de froid. On dort tous dans la rue, et nos parents nous abandonnent lâchement parce qu’ils se disent qu’on leur pompe trop de fric dans cette vie trop dure. Toi aussi tu as souffert comme moi. Est-ce que ça n’est pas vrai ?
Lowell sua à grosse goutte. Est-ce que… Est-ce qu’il n’avait pas raison au fond ? Les humains méritaient-ils de vivre, vraiment ? A quoi cela servait de vivre dans la souffrance, est-ce que leurs vies à eux signifiaient quelque chose pour les autres ? Non. Est-ce qu’il ne valait pas mieux…
- La souffrance est le maître mot de ce monde, enchaîna Arcanas. Les plus forts tuent ou torturent les plus faibles, car ils se sentent ainsi toujours plus puissants de dominer un être plus frêle qu’eux. Les hommes sont pourris de l’intérieur, c’est une mauvaise herbe de l’évolution qui n’a fait que se reproduire et coloniser le monde, tout en ne laissant derrière que des ruines. Il faut détruire toutes les mauvaises herbes le plus rapidement possible, avant qu’il ne soit trop tard.
Bien sûr, tout cela était vrai. Si les hommes n’étaient pas mauvais de l’intérieur, alors pourquoi n’ont-ils fait que des ravages sur cette planète ? Pourquoi y avait-il tant de guerres et de misère dans le monde, si ce n’est parce que les humains sont depuis le début les bêtes les plus maléfiques de la nature ?
- C’est pas vrai ! s’écria soudain une voix.
Fénérile, qui s’était levé d’un bond, pointa Arcanas du doigt.
- Les hommes sont pas mauvais. La preuve ! Mon frère est plus gentil que tout le monde réuni.
- Fénérile… dit lentement Lowell.
- Et Laurent aussi est gentil, continua Fénérile sans écouter personne d’autre qu’elle-même. Je connais plein de gens qui sont très gentils. Même Luc est gentil, même s’il ne le sait pas. Tu vois, les hommes sont pas tous mauvais.
Des larmes de colères emplissaient ses yeux sans couler sur ses joues. C’était la première fois que Lowell la voyait dans cet état. Arcanas eut un rire sarcastique.
- Il faut toujours de tout pour faire un monde. Les exceptions ne font que confirmer la règle. Mais je ne m’attends pas à ce que tu comprennes quoi que ce soit. Tu es encore trop jeune et trop naïve pour savoir comment est ce monde. Il est cruel et froid. Et surtout malfaisant.
- Ce n’est pas parce que tu es comme ça que le monde entier est comme toi ! riposta Fénérile.
Les joues de Arcanas virèrent soudain au rouge.
- Je te défends de me parler comme ça, sale morveuse ! s’écria-t-il avec colère. Tu vas voir ce qu’il en coûte de m’énerver !
Il fit un pas dans sa direction mais Lowell s’interposa pour la deuxième fois.
- Laisses-la ! dit-il d’une voix dure et cassante qu’il ne se connaissait pas. Elle n’a fait que dire la vérité !
Il soutint le regard haineux de Arcanas et alla jusqu’à faire apparaître son aura. L’intervention de sa sœur lui avait ouvert les yeux. Il avait été prêt à condamner l’humanité toute entière dans un instant de doute. Mais Fénérile lui avait fait recouvrir ses esprits.
La douceur revint sur le visage du jeune garçon toujours entouré d’une faible lumière rouge. Il posa ses yeux tour à tour sur Fénérile, Laurent puis Lowell.
- Très bien, dit-il d’une voix monocorde. Si j’ai bien compris, tu refuses d’être avec moi ?
- C’est tout à fait ça, répondit Lowell. Détruire le monde entier, ça me semble un peu trop démesuré à mon goût. Même dans cette Ville il existe des gens qui méritent de vivre. Désolé, mais il n’y a pas d’accord entre nous.
- Très bien…
Pendant un moment, Arcanas sembla battre en retraite. Il baissa la tête dans une mine pitoyable, comme s’il avait honte de lui et de ses idées. Puis soudain, avec une vitesse incroyable, il frappa violemment Lowell à l’épaule, à l’endroit où s’était fiché la balle plusieurs heures auparavant. Le garçon laissa échapper un cri de douleur perçant, poussé en arrière par la puissante force du coup. Son dos rencontra brutalement un mur en brique solide, et il glissa jusqu’au sol où il s’y affala, à demi conscient des évènements.
Mais pas longtemps : il entendit un cri aiguë qu’il connaissait si bien.
Fénérile !
Se levant d’un bond rapide, il tenta de ne pas penser à l’horrible douleur qui le tenaillait ni de regarder la blessure qui s’était rouverte. Tout ce qu’il voyait, c’était que sa sœur était prisonnière d’Arcanas.
Celui-ci arborait un sourire triomphant. Son aura rouge parut luire plus intensément qu’avant, lui donnant un semblant de folle frénésie. Il tenait sous le bras Fénérile, qui ne devait rien peser pour lui grâce à sa puissante force.
- Même si tu dis refuser ma proposition, je te laisse quelques jours pour réfléchir à tout ça, à tête reposée. J’emmène ta sœur comme garantie. Essaye de me retrouver si tu veux la revoir, et par la même occasion me donner ta réponse. A la prochaine !
Puis il partit d’un bref éclat de rire avant de faire un bond d’une dizaine de mètres de hauteur et de courir sur les toits des immeubles.
Lowell surmonta sa douleur et tenta de faire le même saut. Mais la blessure était encore trop présente dans son esprit qui refusait de s’en détourner, et malgré les énormes efforts qu’il faisait pour poursuivre Arcanas, il ne réussit pas à sauter au-delà de plusieurs mètres. Il avait donc tout prévu, le salaud !
Dans un ultime effort, voyant sa sœur s’éloigner de lui à toute vitesse, criant son nom, il hurla de toutes ses forces.
- Je te retrouverais Fénérile ! Je te le promets !
Il fit une nouvelle tentative pour bondir, mais la seule conséquence de ses efforts surhumains fut qu’il tomba dans les pommes. Il sombra alors dans un profond sommeil emplis de rêves et de souvenirs…

Lowell marchait les mains dans les poches, regardant le sol d’un air morne sans le voir. Le soleil matinal dégageait de doux rayons chaleureux qui n’égayait pourtant pas le jeune garçon. Pour ajouter à la beauté du spectacle, il y avait le silence. Un profond silence qui paraît être toujours là, et qui pourtant se faisait très rare dans la Ville. Pour une fois, aucune sirène de police ne hurlait, il n’y avait pas de coups de feu, tout était parfaitement calme. C’était beau. Et triste. Puis, alors qu’il marchait au milieu de ce silence si rare, des pleurs cassèrent cette monotonie.
En fait, les larmes étaient presque quotidiennes dans la Ville. Lowell décida de faire un détour pour ne pas croiser la personne qui souffrait lorsqu’un fait attira son attention. Ce n’était pas des pleurs habituels, ceux-là étaient plus aiguës, plus féminins, plus… enfantins. Cela aurait pu paraître insignifiant. Mais, après quelques secondes d’hésitation, il finit par prendre le chemin qui le mènerait ensuite à une petite fille pleurant à genoux devant une maison brûlée, dont les débris étaient encore fumants.
Lowell regarda la scène sans rien dire. Certainement un incendie criminel qui avait dévasté la maison, c’était si courant…
S’approchant silencieusement de la jeune fille, qui ne devait avoir que deux ou trois ans de moins que lui, il sentit de la compassion pour elle, sans pour autant vouloir le montrer. Dans son dos, il baissa la tête par respect et attendit quelques secondes avant de parler. Les pleurs ne cessaient pas, semblant au contraire augmenter de volume avec le temps. Lowell redressa la tête et, un peu à contrecœur, parla à la jeune fille.
- Tu t’appelles comment ?
La fille sursauta d’un coup. Elle se retourna précipitamment et découvrit Lowell, ses vêtement sales, ses cheveux noirs, et ses yeux d’un bleu profond.
- Et toi ? demanda à son tour la fille, les yeux emplis de larmes. T’es qui d’abord ?
- Je m’appelle Lowell. T’es toute seule ?
- N… non, pleurnicha la fille. Ma ma… ma mam… ma maman est à l’intérieur. Elle-elle est vivan… vivante !
Et ses larmes coulèrent plus abondamment encore. Lowell réprima un frisson dans le dos.
- Tu veux dire qu’il y a quelqu’un sous les décombres ?
- Oui ! hurla la fille. Il y a ma môman !
Lowell marcha lentement vers les ruines et commença à enlever des planches brûlantes et couvertes de cendres chaudes, malgré les protestations vigoureuses de ses mains.
- Tu as entendu ta mère t’appeler ? demanda-t-il d’un ton morne. Où est-ce qu’elle est, dessous ?
- Je sais pas où elle est, pleurait la fille. Mais elle est vivante ! J’en suis sûr !
Lowell continuait à jeter plus loin des morceaux de poutres et de béton plus loin dans la ruelle, un peu exaspéré de devoir jouer les bons samaritains. Mais il commençait déjà à avoir une petite idée de ce qui se passait réellement. Ses soupçons se confirmèrent lorsqu’il vit, jusqu’alors aplatie sous les décombres, une main et un bras dépasser du tas de ruines. Ils étaient inanimés, sans vie. Il y avait du sang partout.
- Dis-moi petite, vous viviez toutes les deux seules dans la maison ?
Il entendit la petite fille pleurer moins fort derrière lui. Elle répondit par un mince “ oui ” hésitant. Lowell se retourna et la regarda attentivement. Elle était agenouillée au sol et semblait terrorisée à l’idée de bouger. Devait-elle voir sa mère ensanglantée et ensevelie sous les décombres ?
Il la regarda plus attentivement encore. Puis il se força à sourire. Au départ, c’était un véritable rictus horrible et déformé, ne pouvant en aucun cas prétendre au titre de sourire. Il se forçait plus qu’autre chose. Mais il s’obligea un peu plus et ses traits se firent plus humains, plus chaleureux et gai.
- Il n’y a personne, répondit-il avec une voix enrouée. Ta mère a dû sortir faire les courses avant que l’incendie ne ravage la maison.
La fille s’arrêta tout à coup de sangloter, interloquée, comme vidée de son air. Puis sa grimace de tristesse se métamorphosa petit à petit en un superbe sourire, toutes dents montrées, s’étirant jusqu’aux oreilles au fur et à mesure qu’elle réalisait ce que ces paroles signifiaient.
- C’est vrai ? demanda-t-elle, essuyant ses larmes d’un geste du bras. C’est vrai elle va revenir ?
Lowell eut un pincement de cœur mais, ignorant sa tristesse, il continua de sourire bêtement lui aussi, faisant semblant d’être content pour elle.
- Je te laisse. Prends bien soin de ta mère.
Il se retourna sans plus regarder le visage ébloui de la petite. Vraiment, le monde était cruel… Pourtant, il n’avait pas voulu mentir ! Il n’avait pas non plus voulu jouer les saints ! Mais alors, pourquoi s’était-il forcé pour cette fille ?
Il na voulait pas admettre la réponse, qui était pourtant évidente. Cette fille… lui faisait penser à lui-même. Ses parents aussi étaient morts dans un incendie. Il avait alors tout perdu, tant l’amour de ses parents que la nourriture journalière. Il avait dû commencer à vivre par lui-même, et cela avait forgé son caractère. Voilà pourquoi il avait aidé la fille.

- Lowell ! Réveilles-toi ! Il faut que tu te lèves !
C’était une voix familière qui lui donnait des ordres. Se retournant de l’autre côté, il grommela.
- Laisses-moi dormir, Fénérile, dit-il d’un ton grincheux, prêt à se rendormir tout de suite. Je t’apporterai ton petit déjeuner après.
Il sentait que quelque chose clochait dans ce qu’il disait, quelque chose qui le mettait très mal à l’aise.
- Il n’y a plus de Fénérile, répondit la voix. Elle a été enlevée.
Malgré l’engourdissement du sommeil, Lowell reprit aussitôt ses esprits et se souvint de ce qui n’allait pas.
- Fénérile ! Elle a été enlevée ! s’écria-t-il brusquement en se redressant.
- C’est ce que je viens de te dire !
Lowell regarda celui qui le parlait. Ce n’était que Laurent.
- Il faut que j’aille la chercher ! dit-il précipitamment. Il faut que je sache où elle est. La gars qui a…
- Calme-toi, dit alors une autre voix grave, familière aussi à Lowell mais depuis peu.
Celui-ci se retourna et vit Layos debout, les bras croisés, le contemplant de haut de son regard perçant. Il portait la même robe rouge et dorée qui traînait sur le sol sans pour autant se salir.
- Je sais où se trouve ta sœur, reprit Layos, sûr de lui comme d’habitude.
- Où tu étais, toi, pendant qu’elle s’est fait prendre, hein ? cria Lowell. Où t’étais pour la protéger aussi ?
- Bah si tu crois que j’ai les même pouvoirs que toi… dit Laurent.
- Non pas toi, l’autre ! s’exclama Lowell.
Mais il savait que c’était inutile, Laurent ne pouvait pas voir Layos.
- Calme-toi. Je peux te mener à elle, continua Layos.
- C’est tout ce que je souhaite, répondit Lowell. Mais soit sûr qu’une fois que j’aurais récupéré ma sœur et que j’aurais buté celui qui l’a kidnappé, j’arrêterai de bosser pour vous. Je ne veux plus vous voir, vous ou vos Dieux de pacotille !
Layos esquissa un petit sourire.
- Tu es pourtant en bonne voix de devenir le héros de cette Ville. Pourquoi veux-tu t’arrêter, tout à coup ? Est-ce à cause de ta sœur ?
- Je… J’en ai marre de tous ces risques, dit-il d’une voix dure, sentant la colère monter en lui. Passe encore que des mortels s’en prenne à elle. Ça a été juste la dernière fois, mais j’ai confiance en mes capacités. Mais que des êtres possédant les même pouvoirs que moi lui fassent du mal, JAMAIS !
Il respirait de plus en plus difficilement, sa fureur l’empêchant d’inspirer et d’expirer de l’air autrement que par saccade. Tous ses membres tremblaient sans qu’il puisse se contrôler.
- Lorsque j’ai accepté d’avoir des pouvoirs et d’affronter quelqu’un comme moi, j’ai été d’accord. Mais je pensais que cette affaire ne concernait que nous. C’est un test, n’est-ce pas, cela veut dire qu’il n’y a que moi qui puisse être impliqué. Alors comment se fait-il que ma sœur se retrouve mêlée à tout ça, hein ? Elle n’a pas pris de décision, et pourtant elle est maintenant en danger de mort… par ma… par ma faute ! Ce n’est pas normal !
Il essaya de reprendre son souffle et de retrouver une respiration normale, mais cela lui prenait du temps. Sa colère l’avait submergé et avait parlé à sa place. Tous ses muscles étaient tendus à l’extrême. Mais où… où était-elle donc ? Elle devait avoir peur sans lui, elle devait sûrement crier son nom dans les ténèbres pour qu’il vienne la délivrer. Il avait toujours été là pour la protéger, il ne vivait que pour ça, c’était sa seule raison de vivre. Elle était la seule qui l’aimait dans ce monde, la seule qui avait besoin de lui !
De chaudes larmes coulaient sur ses joues pâles et froides. Elle avait tellement besoin de lui. Il avait telle besoin d’elle. Si elle était morte, jamais il ne se le pardonnerai, jamais plus il ne retrouvera…
Ses yeux bleus ne cessaient de transpirer des larmes qui lui chatouillaient le visage et descendaient jusqu’au menton, avant d’abandonner leur corps d’origine pour se perdre sur le sol, parmi les milliers de larmes qu’avait déjà déversé le ciel et ses nuages.
- Ta sœur est vivante, dit Layos, le visage impassible. Tu la retrouveras saine et sauve. Mais, d’une certaine manière, il te faut la gagner. Vainc le garçon qui la détient, et rien ne lui arrivera.
Lowell essuya son visage d’un revers de manche. Pendant un instant, il était redevenu un simple enfant. C’était ce qu’il était après tout : un gosse avec peut-être la décennie et demi d’âge, qui avait pleuré de tout son corps la disparition de sa sœur. Mais c’en était fini ! A présent, il devait retrouver son rôle de grand frère protecteur. Il devait sauver sa sœur ! Avait-il le choix ?
- Conduis-moi à mon adversaire ! dit-il de sa voix la plus résolue.

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