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Le duel

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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


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Le duel

Lowell regarda l’immense ciel étoilé du bas de la petite rue où il vivait. Au loin résonnait et se répercutait sur les immeubles le son des sirènes de police. Elles étaient toujours présentes dans la Ville. Tout le monde était habitué à vivre avec dès le plus jeune âge. Jamais elles ne s’arrêtaient, jamais les délits et les crimes ne cessaient au sein de la cité.
Lowell soupira avant de se retourner sur le matelas. Dormir à la belle étoile était ce qu’il détestait le plus. Le froid était envahissant et se glissait partout sous les draps à cause de ce maudit vent. Les étoiles ne réchauffaient même plus son esprit, pas plus que son corps.
Il aurait pu avoir plus chaud. Sa petite sœur Fénérile, à côté de lui, avait empilé plusieurs draps les uns sur les autres, et ne ressentait pas le froid mordant de l’air. Elle dormait déjà, collée à lui plus pour lui donner la chaleur de son corps que pour s’en servir comme d’une peluche qu’il fallait serrer. Lowell savait que c’était sa manière de s’excuser pour prendre tous les draps. Elle insistait toujours pour lui en passer la moitié, et lui refusait toujours. Il devait s’occuper de sa sœur, c’était ainsi, elle était faible et lui devait se montrer fort. Il était nécessaire de passer par la faim et le froid pour cela. En échange, il recevait son amour.
Dit de cette façon, on pourrait penser que c’était stupide, voire un peu gnangnan… Après tout, quel garçon de moins de quinze ans pouvait ne serait-ce que penser à une telle chose sans se faire traiter de “ fillette ” ? L’amour, dans cette Ville, était la chose des filles et des femmes. Les hommes se réservaient la violence et le titre de “ homme ” pour affirmer leur virilité et leur courage. Il en allait de la réputation de chacun !
Mais Lowell ne voulait pas de la réputation ni de la violence. Il avait besoin d’être aimé de sa sœur, il avait besoin qu’on lui montre que quelqu’un, sur cette terre, avait besoin de lui, était dépendant de sa présence. Sinon, à quoi servait cette vie ? Dans quel but chacun errait-il dans cette Ville ? Lui, Lowell, avait-il vraiment une raison d’exister, ou n’était-il qu’un parasite de ce monde, qui n’allait pas tarder à périr sous le joug des gangs ? Pour sa part, Lowell se disait qu’il était là pour sa sœur. Et elle, elle était là pour lui, voilà tout.
Et pour cet amour, il était prêt à tout les sacrifices, il était capable de faire face à toutes les situations. Il n’avait peur de rien ni de personne, se jetait sur ses raquetteurs, se prenait les coups alors que sa sœur devait les recevoir. S’il devait subir toutes les humiliations et toutes les souffrances pour elle, il n’hésiterait pas une seconde. Ainsi étaient les choses.
Son seul rêve secret, auquel il pensait lorsque la faim ou le froid le tenaillait, comme à présent, était de fuir la Ville à tout jamais. Avoir une vie convenable sans haine et sans violence, une vie où il ne serait pas dans cette horrible Ville presque coupée du monde. Mais jamais il n’avait pu s’enfuir. Il y avait toujours des gardes armés, les gangs et les mafias veillaient à ce que personne n’entre ni ne sorte sans autorisation. Sous peine d’exécution immédiate et sans appel.
S’il avait eu les pouvoirs nécessaires, jamais il n’aurait laissé sa sœur grandir dans cet endroit lugubre et dangereux. La Ville entière était le théâtre de l’anarchie la plus totale, les lois en vigueur étaient celles qu’imposaient les gangs. Et chaque jour qui passait voyait la situation empirer. Si personne ne faisait rien…
Mais Lowell n’osa même pas imaginer ce qui se passerait si jamais la situation n’évoluait pas dans le bon sens. Sûrement était-il déjà trop tard pour libérer la Ville. Qui serait, de toute façon, assez fou pour vouloir la purifier de toute cette racaille ?
L’Etat ? Absolument pas. Les politiciens gagnaient un pognon monstrueux grâce aux gangs.
Les habitants des autres Villes ? Bien sûr que non ! Ils se contentaient de manifester, pensant que cela arrangerait la situation par ce seul mouvement. Certains faisaient des donations pour livrer de la nourriture aux habitants rackettés par les gangs. Mais c’était vraiment stupide de leur part. Comment ne pouvaient-ils pas se rendre compte que ces biens allaient directement dans les bras des mafias locales ? C’étaient elles qui dominaient cette Ville, et donc le courrier, les transactions, etc… Rien ne pouvait glisser entre leurs filets. Avec leur générosité, ils ne faisaient qu’accroître davantage les pouvoirs des malfaiteurs !
Avec un nouveau soupir, Lowell se retourna dans son matelas. Un ressort lui faisait particulièrement mal au dos, mais il essaya d’ignorer la douleur. Il était temps d’aller se jeter dans les bras de Morphée.
Lowell regarda tendrement le visage de Fénérile, endormie profondément. Il l’aimait plus que tout, sa sœur, ho oui ! Il était prêt à tout pour elle. Et un jour, lorsqu’il réussirait à trouver un moyen de s’échapper, il quitterait cette Ville maléfique pour toujours. Jamais il n’y retournerait, et il effacerait volontairement tous ses souvenirs sur cet endroit.
Ses yeux se fermèrent doucement, il songea à ce que pourrait être la vie en dehors de la Ville. Un travail bien payé et intéressant, une maison pour eux deux seulement, avec un chauffage poussé à fond, jusqu’à ce qu’ils soient obligés d’être en sous-vêtements, et un énorme frigo toujours rempli de choses délicieuses. Plus de violence. Plus de peur. Plus de froid. Plus de faim. Juste le bonheur…
Ses paupières se firent particulièrement lourdes et il s’endormit profondément.

Il fut le premier à se lever le lendemain matin. Comme toujours, tel un rituel que l’on répète inlassablement, il se détacha de Fénérile et posa délicatement le bras qui le serrait quelques secondes auparavant. L’air était encore frais, mais moins que la veille au soir. Ou peut-être simplement son corps s’était-il habitué à la basse température.
Il se leva sans faire du bruit. L’un des seuls avantages à être un garçon des rues, c’était l’apprentissage du silence. Lorsque Lowell ne voulait pas que son corps émette le moindre son, pas une seule articulation ne craquait, pas un seul caillou ne crissait sous ses pas. Il devenait aussi silencieux qu’une ombre.
Cette discrétion presque surnaturelle était le fruit de la principale activité de la survie dans la Ville : le vol. Justement, Lowell s’appuya sur le mur, juste à l’angle d’une rue. Il repéra un magasin vendant de la nourriture, un magasin où lui, Lowell, n’était pas encore connu.
Tant mieux.
Il entra dans la boutique tranquillement, les mains dans les poches, avant d’en ressortir une pour prendre un panier. Il choisit quelques conserves de légumes, quelques biftecks surgelés, dédaignant la viande de porc congelée beaucoup trop lourde, et finit par prendre plusieurs pommes. Et, tout aussi lentement, il se plaça derrière la file d’attente, patientant comme les autres que ce soit son tour de payer. Rien ne pressait, pour l’instant du moins, et en contemplant son panier, il se demanda si ce n’était pas trop lourd… Le poids comptait beaucoup.
Lorsque le client devant lui finit par remettre l’argent, Lowell ne posa pas son panier tout de suite. Il fallait d’abord attendre.
- Hé bien mon garçon, demanda le vendeur, quelque chose ne va pas ?
Ce qui n’allait pas, c’était que la porte était obstruée par le dernier client à être passé. Celui-ci avait fait tomber un sac d’oranges sur le sol, et se contorsionnait dans tous les sens pour l’attraper sans faire tomber les autres sacs qu’il avait en main.
Pour gagner du temps, Lowell regarda le vendeur. Celui-ci était un homme pas très jeune, mais pas très vieux non plus. Peut-être avait-il la quarantaine. Il portait une moustache broussailleuse, où quelques poils gris étaient nettement visibles. Son crâne, en revanche, était presque dégarni. Seule subsistait une mince couronne de cheveux, et qui allait très mal avec sa moustache. Mais le visage était pire encore, rouge, couvert de rides très profondes, à tel point qu’on ne les distinguait presque même plus des nombreuses cicatrices.
- Heu… Je crois que j’ai perdu… commença Lowell.
Mais il n’alla pas plus loin. Enfin, l’entrée – ou plutôt la sortie – s’était libéré de tout obstacle et Lowell s’y rua alors comme un possédé. Il n’avait pas peur : combien de fois avait-il fait cela dans sa vie ? Des dizaines ? Des centaines de fois ? Lorsqu’il s’agissait de survivre, on était toujours prêt à tout.
Pourtant, une fois dans la rue, son cœur s’accéléra comme un fou lorsqu’il entendit des sons violents et vit le trou se former dans le mur devant lui.
On lui tirait dessus !
Lowell tourna à peine la tête pour apercevoir du coin de l’œil que le marchand avait carrément abandonné son poste pour lui tirer dessus avec une arme à feu assez primitive, mais ô combien efficace ! En revanche, il semblait ne pas bouger de l’entrée, songeant visiblement qu’il valait mieux ne pas laisser passer d’autres vols…
Lowell sauta in extremis et à une allure stupéfiante sur une ruelle à sa gauche afin d’être hors de tir. Et effectivement, il ne l’était plus. Son cœur, pourtant, semblait refuser de l’admettre. Il était aussi rapide et bruyant qu’un rafale de mitraillette, le son de ses coups bourdonnaient dans les oreilles. Quel chance que le marchand ne visait pas très bien !
Respirant profondément, retrouvant peu à peu son calme, Lowell reprit son chemin et se rendit à nouveau dans la ruelle où se tenait sa sœur, encore endormie. Il était épuisé. L’adrénaline avait détruit toutes ses forces, mais il se força à oublier la fatigue pour arborer un grand sourire.
Jouer sa vie était chose courante dans la Ville. Qui, à part les plus pauvres, ne possédait pas d’arme à feu ? La Ville était ainsi dirigée par deux choses : les armes et l’argent. Et l’un n’allait jamais sans l’autre.
La vie était devenue peu à peu quelque chose de très mal traitée. Il fallait l’admettre : une vie ne dépassait jamais la somme de quelques billets. Même les pauvres valaient encore moins qu’une pièce. On tuait à tort et à travers, pour un rien. Rien d’autre ne dominait que la Force. Si l’on n’était pas un Fort, on n’était rien.
C’est pour cela que les habitants des autres Villes ne faisaient rien de concret : Ils ne savaient pas. Et de toute façon, voulaient-ils vraiment savoir ? Ils vivaient confortablement chez eux, ils ne demandaient rien d’autre qu’une vie tranquille et qu’on leur fiche la paix. Rien de plus.
Lowell comme les autres habitants malchanceux de cette Ville nourrissait une rancœur incomparable envers les habitants des autres Villes. Une haine féroce pour les “ Bourges ”, comme ils les nommait. Ces humains qui ne compatissaient même pas pour la misère d’autrui et qui, surtout, possédaient ce que les habitants de cette Ville ne possédaient pas : la Paix ; La Sécurité de sa vie ; La Liberté.
Ainsi, se faire traiter de “ Bourge ” était-il devenu la pire insulte qui soit. Des gens tuaient pour ce simple mot, et soit on le murmurait avec haine et fureur, pour montrer son dégoût, soit on en parlait dans la conversation mais à voix basse – presque dans un murmure.
Lowell avait arrêté de penser aux Bourges au bout d’un moment. A quoi cela servait-il ? Ils étaient là-bas, et lui était ici. Ils n’influaient pas sur sa vie. Ils étaient simplement la cible privilégiée lorsque l’on voulait laisser éclater le fureur d’une vie sans nom.
Lowell bouscula légèrement sa sœur pour la réveiller, tenant une pomme entre ses mains – comme tous les matins.
Fénérile remua, ne voulant apparemment pas bouger de son matelas moelleux et abritée par plusieurs couches de draps. Puis elle se tourna vers son frère instinctivement et ouvrit les yeux avant de les écarquiller.
- Oh ! Merci ! s’exclama-t-elle en voyant le fruit.
Elle prit la pomme et croqua un bout avec un superbe sourire de satisfaction.
- C’est bon !
Elle continua de mâcher ainsi pendant quelques minutes, discutant avec Lowell de choses banales, tout en conservant son sourire pur, innocent…
Fénérile ne demandait jamais où et comment son frère se procurait la nourriture. Avant, c’est vrai, elle posait des questions, curieuse de savoir tout, voulant montrer qu’elle s’intéressait à lui. Mais après plusieurs tentatives infructueuses, elle abandonna. Sans doute son frère ne voulait-il pas parler des vols qu’il commettait. Car elle n’était pas dupe, elle savait qu’il n’avait pas un sou en poche. Pourquoi ne voulait-il pas le dire ? Cela demeurait un grand mystère pour elle.
En réalité, Lowell n’osait pas dire à Fénérile qu’il volait, même si celle-ci le savait déjà. C’était lié au fait qu’il voulait qu’elle soit fière de lui. Et lui dire en face qu’il volait le bien d’autrui – pour survivre ou non – était au-delà de ses forces. Ce n’était pas tant le fait de voler qui lui semblait honteux. Au contraire, il trouvait cela parfaitement normal ! Mais le fait de le dire à sa sœur était pour lui tout autre chose.
Car la fierté de sa sœur était le centre de sa vie. Il ne pourrait vivre plus longtemps si sa sœur décidait qu’il n’était pas assez bien pour elle. Et il pria pour que jamais cela n’arrive. Il ferait tout pour l’éviter ! Qu’il en meure ou pas !

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