New York (Etats-Unis), 18 Mai 1976
C’était le soir. L’homme, habillé d’un pardessus noir et d’un chapeau lui couvrant le visage sortit de la bouche de métro dans une immense avenue remplie de tours fraîchement construite mais aux trottoirs déjà salis par les chewing-gums, les mégots et les excréments de chiens. D’immenses panneaux publicitaires fluorescents vantaient les vertus d’une nouvelle boisson, autour de lampadaires déjà souillés. Il entra tranquillement dans la l’immense tour de verre polie, où une enseigne indiquait « Takanega Technology ». Il enleva son chapeau et se dirigea vers la réception. La standardiste était apparemment plongée dans une conversation très intéressante, du moins pour elle:
« Tu crois qu’il va me demander en mariage ? Il n’osera pas ! »
« Et qu’est-ce que tu fais samedi ? »
« Je vais en discothèque. Tu ne me reconnaîtras pas, avec mes cinq kilos en moins !»
Après dix minutes d’attente, John toussota. La jeune femme raccrocha enfin.
« Que puis-je pour vous, Monsieur ? »
« Je suis l’inspecteur en armement » fit le vampire en montrant une carte factice.
« Un instant je vous prie. »
Elle chercha sur son cahier des rendez-vous.
« Effectivement. L’ascenseur est à gauche, L’armurerie est au 32e étage. »
« Merci, mademoiselle. »
John prit l’ascenseur en s’assurant que personne ne montait avec lui. Son but était simple : il avait été chargé par son supérieur, Maître Pélias, de récupérer une nouvelle arme. D’après ce qu’il savait, la lame de l’épée de Nafai, le premier des Juges, avait été retrouvée lors de fouilles archéologiques en Egypte. La société Takanega s’était rendu compte de l’indestructibilité de la lame et en avait fait une GunBlade, une épée-fusil, à des fins militaires. Les Juges, ne voulant pas que leurs artefacts soient utilisés pour la destruction, avaient chargé John de récupérer l’épée. Il s’arrêta à l’étage que lui avait indiqué la réceptionniste, l’armurerie puis s’avança dans le couloir et neutralisa deux gardes en leur brisant la nuque. Il regarda un plan pour se repérer et arriva enfin à la salle après cinq minutes de marche dans les couloirs et quelques cadavres supplémentaires. Au milieu, sur un piédestal, était posée un coffret avec l’arme à l’intérieur, ainsi que plusieurs cartouches.
« Qu’est-ce ? » se demanda John.
Il n’avait jamais vu une arme aussi belle, qui dégageait une aura de puissance phénoménale. Il imagina tout ce qu’il pourrait faire avec une telle arme. Elle était effectivement magnifique, sa poignée sans garde servant aussi de crosse, la gâchette placée de façon à glisser facilement sous le doit, sa lame gravée et indestructible prolongeant un barillet.
Un pas résonna derrière lui.
« Cette arme te plaît ? Tu as bon goût. »
Un homme aux cheveux blancs, habillé d’un manteau rouge et d’un pantalon bleu s’avança dans la pièce. Il portait une énorme épée dans une main et un fusil encore fumant dans l’autre.
« Manque de chance, c’est la mienne. »
« Désolé, mais je l’ai vue avant ! » répliqua le vampire.
« Un duel, ça te dit ? »
« Si c’est le seul moyen… »
John prit sa forme vampirique.
« Quel est ton nom ? »
« Je m’appelle Rychart. »
« Le mien est Nightmare ! »
Le vampire envoya un coup de pied circulaire au démon qui, surprit, se le reçut en plein dans le torse. Il bondit alors vers le coffret et récupéra l’arme.
« Nous sommes désormais à égalité : nous avons tous deux une arme. »
Rychart se releva, ses pupilles rouges de démon mineur du Feu brillant d’un éclat meurtrier.
« Le combat à l’épée est le combat roi, fit-il en jetant son fusil à terre. En garde ! »
Les deux adversaires levèrent leurs armes en position de défense, tournant autour l’un autour de l’autre. Le démon attaqua le premier, John para. Les coups s’enchaînèrent de plus en plus rapidement, attaque et parade se mêlant de façon automatique. Le combat devint une chorégraphie mortelle entre les deux surhommes. Ni l’un ni l’autre ne prenaient l’avantage jusqu’au moment où Rychart, fatigué, baissa quelque peu sa garde. Le vampire en profita pour placer un coup à la jambe.
« Arghhhhhhh ! Tu vas me le payer ! »
Le démon rouge envoya sa lame en avant de toute sa force, ce qui projeta l’envoyé des Juges au sol. Il lui asséna un violent coup à la jambe.
« Nous sommes à nouveau à égalité ! »
Rychart leva son épée, mais au moment où il allait l’abattre, il alla se fracasser contre le mur. Un Juge entra alors dans la pièce.
« Il me semblait bien que ton absence était anormalement longue. Tu t’es fait un nouveau camarade ? » fit-il à John.
« Merrick ! Que fait-tu ici ? » répondit ce dernier en reprenant sa forme humaine.
« On m’a envoyé te chercher. Tu sais quel jour nous sommes, je suppose ? »
« Attends… Cela fait exactement cent cinquante-six ans que je travaille pour vous ! »
« C’est exact. Tu es libre. Mais avant, les Juges doivent accomplir leur part du marché. Allons-y. »
« Où allons-nous ? »
« A l’endroit où tout démon rêve d’aller : à la Tour des Anges… »
Ils disparurent, laissant Rychart blessé et en partie assomé.
« On se retrouvera. Et ce jour-là, tu ne gagneras pas. »
Tour des Anges (Triangles des Bermudes), quelques secondes plus tard…
Dans un éclat de lumière bleu, Merrick et John apparurent dans un immense hall éclairé par de gigantesques fenêtres. Tout ici semblait démesuré. John observait, muet devant le spectacle grandiose qu’offrait cette pièce. La tour tout entière était ainsi. C’était une immense tour surgissant des flots de l’océan, faisant plusieurs kilomètres de largeur et presque autant de hauteur. Une barrière magique avait été installée tout autour de l’édifice pour que les humains ne passent pas. La tour était construite en pierre grise, mais cet aspect simple était en harmonie avec le mode de vie des Juges.
« Bienvenue à la Tour des Anges ! C’est ici que vivent les Juges. »
« C’est magnifique ! Mais comment se fait-il que les humains ne peuvent pas vous voir ? »
« Une barrière temporelle est en place : grâce à un puissant sortilège, le temps est accéléré pour les humains. C’est pour cette raison que personne ne revoit ceux qui s'aventurent ici, car tout le monde les croit fous quand ils disent être partis dix ans auparavant. Ils ont baptisé cette zone le Triangle des Bermudes. C’est une mesure cruelle mais nécessaire pour notre sécurité. Viens, nous devons aller voir mon supérieur. »
Ils arrivèrent à une grande salle où plusieurs groupes de Juges discutaient. Ils attendirent que le supérieur de Merrick eut fini sa conversation.
« Bonjour à toi, frère Merrick. »
« Bonjour, Maître Pélias. John a accompli sa mission. »
« J’ai honoré ma parole, à votre tour. »
« Très bien, je me souviens bien de notre accord, bien que ton nombre de victimes ait monté en flèche depuis ton arrivée parmi nous… »
« J’ai deux demandes à vous faire : la première, puis-je garder cette épée ? »
« Tant qu’elle ne tombe pas entre de mauvaises mains, oui. Mais nomme-la car je pense qu’elle te servira souvent… »
« Très bien, je nomme cette épée Ouranos, du nom grec du père des Titans. Puisse-t-elle être aussi puissante ! »
John marqua un temps d’arrêt, réfléchissant au plus profond de son être.
« Ma deuxième demande, reprit-il enfin, concerne le pouvoir que vous m’aviez promis. »
« Quel pouvoir voudrais-tu ? »
« Celui de récupérer le pouvoir des ennemis que je vaincrais, tout en gardant mes pouvoirs de vampire, sauf la crainte du soleil. »
« Ce pouvoir est puissant, il te sera donc limité : tu ne pourras voler que trois pouvoirs. Pour la crainte du soleil, nous te l’avons déjà enlevé, il va de soi que nous te laissons ce cadeau. »
Une sphère d’énergie blanche se matérialisa devant John puis entra en lui. Un spasme le parcourut tandis que le pouvoir affluait en lui.
« Fais-en bon usage. »
« Ne vous en faites pas. Merci et peut-être à jour prchain. Merrick ? »
« On y va quand tu veux. »
« Allons-y ! »
Ils disparurent dans une lueur bleue, laissant derrière eux le magnifique édifice.