Jack se réveilla dans son sommeil. Encore une vision, songea-t-il. Il se leva, se lava longuement et s’habilla de la tenue qui avait été déposé près de lui, une tenue spéciale des commandos en civils. Il mit ensuite des vêtements normaux par-dessus, heureux de s’être débarrassé de sa tenue de prisonnier. Un Éclateur avait aussi été préparé pour lui, ainsi qu’une életro-matraque. Il glissa ces objets à la place prévue sur la ceinture, enfila un blouson (probablement tiré des séries policières de 70 pensa-t-il) et se rendit au salon où avait eu lieu son interrogatoire de la veille.
Hypérion le rejoignit, visiblement contrarié.
« Bonjour.
- Bonjour. Votre chef s’est fait tué cette nuit, fit Jack sur le ton de la conversation.
- Je suis au courant. Tiens. »
Il lui tendit une plaque d’identité magnétique, avec sa photo, son nouveau nom et sa nouvelle profession dessus.
« Détective privé Hercules Holmes. C’est une blague ? demanda-t-il.
- Non, c’est ta nouvelle identité.
- Et je fais quoi avec cet armement ?
- Tu infiltres les bars clandestins de Manhattan. Tu es un privé et tu cherches un certain Franck Chase, un chasseur de primes à qui tu veux donner un contrat. Dès que tu le trouves, tu le neutralises.
- Il y a un léger problème : Franck me connaît, et si ce n’était pas le cas, il pourrait lire mes pensées.
- Erreur. Franck Chase est aveugle depuis dix ans, du poison a atteint ses yeux. Voici une chose qui te protègeras de ses pouvoirs mentaux. »
Hypérion tendit au médium un boîtier rectangulaire dépourvu de tous signes ou de commandes.
« C’est un camouflage psychique. Chase croira avoir à faire à Hercule Holmes et à ses souvenirs. Il ne pourra pas non plus te manipuler. Bonne chance. »

L’ancien inspecteur, désormais privé pour la journée, arriva à Manhattan sans encombre. Il passa loin du commissariat où il risquait d’être reconnu et arrêta l’aéromobile que lui avait prêté Titan, un modèle récent. Il sortit et descendit les quelques marches qui menaient aux anciens égouts désormais aménagés en ville clandestine. Il connaissait son existence comme tout le monde, mais la police n’était jamais intervenue : vu que cette ‘‘cité’’ et ses bars n’existaient pas officiellement, tous les problèmes qui s’y déroulaient ne concernaient pas les représentants de l’ordre. Cet accord tacite avait l’air profitable aux deux parties, se dit Jack en voyant les restes calcinés d’un homme aux bas des marches.
Au bout de quelques dizaines de mètres, un établissement ressemblant à une fumerie d’opium était ouvert. Il continua son chemin jusqu’à trouver un bar relativement fréquentable, présentant des personnes sales et mal habillées. Des C1, pensa le médium. Habitant dans un confortable appartement de catégorie C3, il ne s’était jamais aperçu à quel point les C1 et C2 étaient pauvres, il en avait conscience aujourd’hui. Il entra et se dirigea vers le bar en essayant de ne pas remarquer tous les regards braqués sur lui, puis engagea la conversation avec le barman.
« Bonjour, je voudrais un whisky s’il vous plaît.
- Et s’il me plaît pas ? »
Le fugitif se rendit compte qu’il fallait sûrement parler plus familièrement dans ces lieux.
« Donne-moi un whisky, et plus vite que ça ! » fit-il d’un air menaçant.
Cela eut l’air de marcher. Le barman lui servit sa commande dans un verre sale et ébréché, mais il fit semblant que cela lui soit égal et commença à boire.
« Je cherche aussi un chasseur de primes, t’en aurais pas vu qui traînes dans le coin ?
-Y a bien Chase… Il pourra peut-être t’aider. Reviens ce soir, il est pas là pour l’instant. »
Jack finit rapidement son verre et sortit, conscient de sa chance.

A 19 heures, il se rendit de nouveau au bar. Il demanda au barman où se trouvait le chasseur de primes. Il lui indiqua une table située au coin de la pièce. L’ancien représentant de l’ordre s’y rendit et s’assit.
Franck avait bien changé pendant ces années, songea-t-il. Il était plus grand, une aura maléfique émanait de lui. Il portait un long manteau marron avec un chapeau assorti et des lunettes noires masquaient ses yeux morts.
« Salut, on m’a dit que tu pourrais m’aider. J’ai, disons, un client indésirable sur les bras…
- Combien ?
- Cinq mille.
- Mes talents valent beaucoup plus cher que ça.
- Va pour dix mille.
- Quinze.
– Bon, d’accord, mais pas plus. »
Le contact est établi, songea Jack. Il ramena une main sous la table et ouvrit son holster.
« Qui est la victime ?
-Un certain Dan Nower, représentant en armes. Il habite Kennedy Park. »
Le médium empoigna la crosse et tira lentement le pistolet hors de son étui.
« Il est bien protégé ?
- Je ne crois pas.
- Vous voulez une mort rapide ou lente et douloureuse ?
- Comme il vous plaira. »
L’inspecteur déchu amena l’Éclateur sous la table et se prépara à tirer.
« Range ça, Jack. »
De surprise, son arme lui glissa des mains et tomba au sol.
« Tu crois vraiment que les imbéciles tordus de Titan allaient te donner une protection mentale ? Ton ‘‘camouflage psychique’’ ne vaut même pas 100 crédits sur le marché de Central Park ! »
Jack accusa le coup.
« Moi qui connaît bien ces tordus, je vais t’expliquer leur plan : ils t’envoient pour me neutraliser en te filant du faux matos, je te tue et ils me font exploser avec leur puce. Deux erreurs : je ne veux pas te tuer, je veux juste te torturer, et cela fait longtemps que j’ai remplacé leur puce explosive par une tout à fait inoffensive. Échec et mat, mon vieil ami ! »
Le tueur eut l’air de réfléchir. Jack ne pouvait bouger, paralysé par son ennemi.
« Finalement, je vais les tuer de suite. Tu vas même avoir le luxe de les voir mourir. »
Franck se concentra.

Un homme est dans une maison close, aux milieux de prostitués. Il est pris d’un spasme et meurt sur le coup.

Une femme s’entraîne au tir dans un sous-sol. Elle tombe à terre en agonisant.

Jack vit des scènes de mort se succéder encore six fois. La septième fois, Franck sembla se heurter à un obstacle.
« Seul Hypérion est resté intelligent, en se protégeant de ma colère ! Bon, bien sûr, les meurtres auxquels tu viens d’assister manquaient de raffinement, mais plus le temps de finasser. Sortons.»
Comme un automate, Jack se vit obéir et suivre Franck jusqu’à la sortie du monde clandestin, puis jusqu’au fleuve le plus proche.
« Ma vengeance s’est accomplie, tout se termine ici. Tu sais ce qui va arriver, n’est-ce pas ? »
Le médium remarqua alors avec horreur qu’il connaissait cet endroit : c’était le cauchemar qu’il revivait toutes les nuits.
« Ne restons pas là, les forces de Titan vont arriver !
- Non, elles sont là. Le Destin est le Destin, on ne peut le changer. Adieu. »
A ce moment, il prit possession du corps de Jack et courut vers le bord du quai, entre les rafales de pistolets-mitrailleurs qui venaient de commencer.
Jack sentit la déchirure lorsque le corps de Chase fut criblé de balles. Dans un dernier moment de lucidité, il comprit : il ne serait jamais plus maître de son corps.
Il ressentit tout de même la douleur lorsqu’un projectile traversa leur jambe et fit basculer leur corps vers l’eau. Un bruit de plongeon retentit, puis ce fut le noir.

« L’organisation Titan est morte. Mais nous avons remarqué que des enfants avec des pouvoirs extraordinaires apparaissaient depuis peu un peu partout dans le monde. Notre rôle sera de les aider et les élever. Notre nouveau nom sera Zodiaque ! J’étais Hypérion, je serais désormais Capricorne. Que la réunion commence ! »

Une main ensanglantée agrippa le rebord de la berge, puis un corps se hissa. Le seul corps dans lequel cohabitait deux esprits…