« C’est quoi encore ce bordel ? » fit Jack d’une voix ensommeillée.
Jack Everal était inspecteur. Il était trois heures du matin à son réveil et le téléphone venait de sonner. C’était son adjoint, Bruce Derail, qui l’appelait : ils avaient besoin de lui, comme d’habitude. Ce coup-ci, il s’agissait d’un meurtre. Car Jack, bien que faisant correctement son métier, avait des méthodes pour les moins expéditives, voire violentes. Mais il possédait un don, un don rare, ce qui faisait de lui un flic incroyablement efficace : il était médium. Depuis son adolescence, il avait des visions. Certaines se déclenchaient seules, comme un rêve, d’autres lui venaient au contact d’un objet ou d’une personne, d’autres encore apparaissaient quand il le voulait. Il avait ainsi élucidé un grand nombre de crimes depuis sa mutation à New York sept ans plus tôt, en l’an 2134. Jack s’habilla et enfila son pardessus puis quitta son appartement, situé dans la tour numéro 17. Il descendit jusqu’au parking et prit son aéromobile pour se rendre sur les lieux du crime, dans le Bronx.

New York avait bien changé depuis le 20ème siècle, tout comme le reste du monde : le contrôle des naissances et l’instauration des classes sociales avaient accentué les inégalités entre les hommes. Suite à la fin de la Guerre Antiterroriste déclenchée par les Etats-Unis en 2053 et à l’invention d’un traitement gériatrique augmentant l’espérance de vie à plus de 110 ans, un baby-boom d’une ampleur considérable est survenu durant deux siècles, faisant passer la population de la planète de six milliards d’habitants à plus de douze milliards. Le contrôle des naissances avait réussi à stabiliser la population à neuf milliards, mais cela posait quand même un immense problème de place : les classes sociales avaient donc été créées. Elles divisaient la population en cinq classes : C1, C2, C3, C4 et C5. Les C1 devaient se contenter d’immeubles délabrés situés dans les vieux quartiers, les centres-villes s’étant déplacés vers la périphérie. Les C2 avaient droit à peu près au même traitement mais dans des quartiers un peu moins miteux. Les C3 par contre habitaient des appartements très confortables et assez spacieux situés dans d’immenses tours de verre polies très modernes. Les C4 avaient droit à des maisons individuelles assez grandes situées en périphérie des villes. Quant aux C5, ils possédaient d’immenses maisons familiales avec un terrain en conséquence, placées aussi en périphérie des villes. Bien que toutes les organisations humanitaires et de respect des droits de l’homme aient protesté, ce système avait été adopté par tous les pays membres de l’ONU.
New York possédaient 21 tours C3, comme celles où habitaient Jack. Ces tours avaient une hauteur de 1000 mètres, ce qui permettaient de loger beaucoup de monde, les C3 étant la catégorie de la population la plus répandue —du moins officiellement. Il y avait aussi un certain nombre de vieux quartiers. New York était donc devenu aux yeux du monde politique un modèle d’organisation et d’ordre mais aux yeux de la population la ville des libertés bafouées.

L’inspecteur arriva sur les lieux du crime en 10 minutes. Un cordon de sécurité avait été installé, comme d’habitude dans ce genre de cas. Il sortit de son aéromobile et se dirigea vers le cordon. Les gardes en faction le laissèrent passer. Une fois de l’autre côté, son adjoint le rejoignit. Ils s’approchèrent du corps, celui d’un homme âgé d’une trentaine d’années. Il portait de profondes marques de couteau sur le corps, comme si le meurtrier s’était acharné sur lui. Jack réprima un frisson de dégoût.
« Heure de la mort ?
- Environ minuit. Un passant a vu le corps et nous a appelés. Nous sommes arrivés vers une heure trente. Le légiste a fait son examen.
- Qu’a-t-il découvert ?
- Que le premier coup, porté au cœur, a été mortel. L’assassin s’est acharné sur le corps et l’a lacéré. Le cadavre porte la trace d’une quarantaine de coups.
- Des pièces à convictions ?
- Une étrange statuette représentant un homme couvert d’un pagne en position de combat et avec écrit « Océan » sur le socle a été découverte près du corps.
- Je peux la voir ?
- Bien sûr. »
Bruce fit un signe de main à l’un des hommes qui amena l’objet en question. Jack le toucha.

Une jeune fille courait dans une rue, poursuivit par un homme à la tête balafrée. L’homme se jeta sur elle et la lacéra de coups de couteaux. Le sang giclait par litres. Enfin la victime cessa de se débattre, agonisant. L’homme se releva et se mit à courir, tandis qu’une femme à sa fenêtre poussait des cris perçants.

« Aïe !
- Qu’est-ce qu’il y a, patron ?
- Rien, ça ira. »
Le médium avait eu un moment d’intense douleur en sortant de la vision. Cela lui arrivait très rarement. De plus, il était inquiet : la vision ne lui avait pas montré le bon crime.
« Qu’est-ce que vous avez vu ?
- Un ancien meurtre… Bill Daring est encore en taule, non ?
- Oui, il me semble… A-t-il un lien avec cette affaire ?
- J’en sais rien… Tu peux vérifier s’il est bien en prison?
- J’y vais. Au fait, la victime porte un étrange tatouage sur l’épaule, vous devriez regarder. »
Bruce s’en alla tandis que Jack découvrait l’épaule du cadavre.
« C’est pas vrai ! #$%@! ! »
Jack connaissait bien ce tatouage. Il désignait les membres de Titan, une organisation gouvernementale secrète qui formait les gens possédant des pouvoirs paranormaux pour qu’ils apprennent à s’en servir et qu’ils s’intègrent dans la société (en théorie). Il en avait lui-même fait partie. Et celui qu’il avait sous les yeux indiquait que ce type était un des douze chefs de l’organisation.
« S’il vous plaît !
- Oui, inspecteur ?
- Pouvez-vous me trouver toutes les informations possibles sur les Titans ?
- Pardon ?
- Les Titans de la mythologie grecque. C’est important.
- Je vais voir ce que je peux faire. »

Onze personnes étaient assises autour d’une table, dans une pièce plongée dans la pénombre.
« Comme vous le savez, un de nos membres vient d’être assassiné. Il ne fait aucun doute que c’est l’organisation qui est visée. Aussi, je vous conseille à tous la plus extrême prudence. Océan nous manquera, mais n’oubliez pas que l’organisation passe avant tout, y compris votre vie. Suis-je assez clair ? Très bien, la séance est levée. »
Une à une, les onze personnes quittèrent la pièce.