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Théorie du voyage spatio-temporel :
La physique de l’hyperespace est un domaine qui dépasse la plupart des chercheurs, les premières expériences sur ce type de propulsion spatiale furent menées dans un lointain passé par des ingénieurs de la FCTE. La fondation a comme à son habitude diffusé et commercialisé son savoir sans rentrer dans les détails. En fait seule la possibilité d’utiliser et d’entretenir les machines ont été offertes dans un premier temps. Depuis cette époque, la technologie s’est largement diffusée et tout chantier spatial sait fabriquer et concevoir de nouveaux moteurs hyperspatiaux, cependant les grandes avancées techniques viennent toujours de la fondation. Le voyage proprement dit consiste en une compression du temps grâce à une grande source d’énergie. La sufrile apparaît comme la seule source d’énergie capable de faire fonctionner le procédé. Nous n’avons que peu de données sur la Fondation Terrienne mais une vieille étude des ratios d’utilisation de la sufrile semblait mettre en évidence une utilisation quasiment nulle de la part des Terriens. Pour plus d’information sur ce sujet lancez une nouvelle requête RegStar.
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Requête RegStar,
Base de registre de l'Union - 9381 GS
Inspiration...
Expiration...
Inspiration...
J'étais anormalement conscient des mouvements de ma respiration. L’attente avant l’ordre d’assaut est toujours un moment où les choses futiles de la vie prennent une importance exagérée. J’étais allongé dans la végétation depuis quelque temps. Il faisait nuit noire. De toute façon Feyd n’avait pas de satellite, la nuit était toujours noire. Je comptais mes respirations. Ma tête était emplie de questions existentielles :
Combien de fois ai-je respiré sans m’en apercevoir ? Combien d’inspirations puis-je espérer faire jusqu'à ma mort ? Meurt-on en inspirant ou en expirant ?
C’est ainsi. L’approche du danger fait fonctionner le cerveau en sur-régime. J’étais à demi dissimulé par des racines, je sentais la présence de mes coéquipiers plus que je ne les voyais. Mon système de vision nocturne incorporé était braqué sur l’orée du bois. Un bout de construction était visible. Aucun mouvement depuis que je le regardais. Les chefs ne disaient rien mais je me doutais bien qu’eux non plus n’avaient rien repéré. Nos ennemis se terraient, ils étaient donc avertis de notre présence. Encore une fois l’effet de surprise était perdu.
Le décompte projeté sur ma rétine par mon casque indiquait seize minutes. Les commandos devaient déjà être partis. Je bougeais la tête pour mieux voir le bâtiment ennemi. Je repérais deux formes aplaties qui progressaient vers une des parois. L’ordre de mission était classique, l’officier avait dit :
_ L’attaque sera déclenchée à une heure par dix commandos. Ils feront des trous dans les parois du bâtiment. Les charges exploseront à une heure quinze. Votre bataillon interviendra à ce moment. Vous investirez la position ennemie. Les chars viendront juste après vous, dès que nous serons maîtres de l’entrée. Notre force aérienne ne couvrira que les blindés. Selon nos estimations nous aurons vaincu vers trois heures. Les deux bataillons de réserve démoliront le bâtiment. Il ne doit rien en rester et les prisonniers ne sont pas souhaités.
Une heure dix. Plus que cinq minutes. Je revérifiais le taux de charge de mon fusil. Maximum. Mon scanner thermique révéla une petite tache sur la paroi du bâtiment : les charges étaient activées.
T moins deux minutes.
Toujours aucune réaction visible du bâtiment. Il avait l'air abandonné et j'espérai soudainement de manière incontrôlable que ce soit vraiment le cas.
T moins dix secondes.
L’explosion surchargea mon viseur qui fut brouillé par une tache blanche pendant quelques secondes. Le vacarme de l’explosion résonnait dans une belle unité mais je savais que des charges avaient sauté sur tout le pourtour du bâtiment. Les patrolers commençaient à courir vers les trous fumants, d’un bond je me levais et commençais à avancer. Nous progressions en nous couvrant mutuellement : courir pendant une vingtaine de mètres, se jeter par terre, scruter l’ennemi, attendre que les équipiers passent et se couchent et puis recommencer à courir. J’ai fini par arriver devant la muraille percée. Je m’y suis plaqué de dos en braquant mon fusil sur l’ouverture. En jetant un coup d’œil sur le terrain que je venais de traverser j’y vis des corps immobiles au sol. Des patrolers ? J’étais pourtant sûr de n’avoir pas vu de tirs ennemis !
Quelque chose s’est abattu sur mon épaule, le temps que je me retourne, un de mes coéquipiers s’affalait devant moi. Il était complètement ensanglanté, je ne savais même pas pourquoi. Mes jambes se sont mises à trembler et je suis tombé par terre, toujours dos à la paroi. Dans la chute mon zoom s’était réglé au maximum. Il était braqué sur les restes d’un soldat de chez nous encastré dans un arbre. Il n’avait même plus de tête. Mais qu’est-ce qui s’était passé ? Il y avait plusieurs corps en bordure des arbres, la forêt était piégée ? J'étais passé au travers de ça ? Est-ce qu’il ne me manquait pas une jambe ou je ne sais quoi ?
_ O’Keffe !
La voix cria dans ma tête et ma radio, dure, réelle.
_ O’Keffe ! Tu me bouges tes fesses et tu rentres la’dans ! T’es couvert de sang mais c’est pas le tiens alors tu me magnes ton cul avant que je te descende moi-même !
Un officier. Cet imbécile a barbouillé mon oculaire de sang en me secouant, sans trop savoir comment j’ai réussi à me lever et à sauter dans l’ouverture, à l’aveuglette, une grande trace rouge sombre coulant lentement en travers de mon regard.
Kérian était serein. L’attaque venait de commencer mais il restait en communication constante avec Daryl. Selon lui, les pièges extérieurs avaient bien fonctionné, l’ennemi avait subi des pertes avant même d’engager le combat. Un bon début. Kérian était allongé dans une sorte de conduit d’aération, il dominait toute la grande salle centrale. Massad était dans un poste similaire à l’autre bout de la pièce. De leurs deux positions ils appuieraient les Feydars au sol. Les couloirs commençaient à résonner du bruit de pas des patrolers, les Feydars devaient attendre que tous leurs ennemis soient entrés dans les couloirs avant d’intervenir, c’est ce qui avait été convenu. Daryl lui envoya un petit message :
_ Kérian, je viens de faire tomber le portique de l’entrée. Les véhicules blindés sont tous bloqués à l’extérieur.
Kérian n’eût pas trop le temps de savourer cette information, les hommes feydars dissimulés sous leurs capes et dans les recoins d’ombre semblaient tous légèrement brillants. Était-ce dû à l’éclat de leurs épées ? Plusieurs patrolers firent irruption dans la pièce, Kérian les laissa se découvrir avant de les aligner. Bientôt la pièce fut investie par une trentaine de soldats de la Cosmoguarde, les Feydars se déployèrent, ils étaient rapides et précis. Très rapides même, les formes diffuses entourées de leurs capes virevoltaient au milieu des patrolers en leur assénant des coups meurtriers. Les lames fendaient les airs et les chairs avec une facilité déconcertante. Rares furent les patrolers qui eurent le temps de tirer et plus rares encore furent ceux qui touchèrent quelque chose...
La bataille ne dura pas trois minutes et tous les patrolers gisaient au sol. Les Feydars étaient déjà partis, comme évaporés, mais leurs cris de bataille résonnaient dans les couloirs, plus forts que les détonations des armes ennemies.
Kérian avait du mal à réaliser. Il croyait même n'avoir même pas réussi à descendre un seul ennemi. Tout étais allé si vite ! Il glissa sur une rambarde pour rejoindre le sol rapidement. Il se demandait ce qu’il avait vraiment vu, était-il possible que ? Il s’approcha du mur pour vérifier ce que son esprit n’arrivait pas à formuler : cela défiait les lois de la physique qu’il connaissait. Pourtant la marque était bien inscrite, réelle et profonde, comme la cicatrice du coup qui fut fatal au patroler qui gisait là. Le mur de platzbéton, le matériau le plus dur jamais fabriqué, venait d’être entaillé sur plus de cinquante centimètres par la lame d’une épée feydare ! Et il l’avait vu, cette lame qui semblait lumineuse, traverser cette masse comme si elle n’existait pas. Massad se trouvait derrière lui, penché sur un corps tranché net en deux morceaux :
_... Les armures de combats des patrolers sont tranchées net comme si on les avait taillées avec un laser de forage ?!
Kérian se retourna et regarda les corps pensivement :
_ Je ne comprends pas ce qui s’est passé mais s’ils se débrouillent tous de la même manière, les patrolers vont dérouiller... Tous les feydars sont partis et je ne crois pas qu'un seul de ceux qui étaient ici soit blessé. Aucun ne gît ici en tout cas. Il faut qu’on aille voir ce qui se passe, et si tout est dans la même veine, nous ferions bien ne nous concentrer directement sur le problème suivant : trouver un moyen de neutraliser les forces mécanisées bloquées à l’extérieur.
Une violente déflagration mangea son dernier mot.
L’officier patroler qui surveillait le déroulement de opérations depuis son Q.G. de campagne suait à grosses gouttes : Les biosignaux de ses soldats s’éteignaient les uns après les autres, les caméras embarquées fournissaient des images incohérentes et floues... Leurs ennemis de l’union n’étaient jamais clairement visibles, vagues formes flottantes dans des vêtements amples. L’épaisseur des murs brouillait toutes les émissions, les chars étaient bloqués à l’extérieur et les engins d’appui aérien ne servaient à rien. Toutes les sections de patrolers étaient entrées dans la place et toutes s'y trouvaient bloquées. Tout fonctionnait de travers... Était-il vraiment possible que la moitié de ses hommes soient morts en moins de vingt minutes ?
_ O’Keffe !
Je sursautais. Qui avait crié ? Non personne, je l’entend encore crier mais je sais qu’il est mort. Je le sais, je l’ai vu devant moi, il me criait je ne sais plus quoi et puis j’ai vu une ombre derrière mais ce n’est pas de ma faute, il faut me croire... Je n’ai pas pu et puis la lumière l’a transpercé. Quelque chose m’a frappé, j’ai glissé... j’ai glissé ? Je sais même plus où je suis, je suis... Je suis encore vivant ? Ce sang partout, est-ce le mien ? Je ne sens plus ma jambe, pourquoi je n’ai pas mal ? Pourquoi je ne vois plus rien ?
Kérian s’était séparé de Massad, ils devaient trouver du matériel d’assaut lourd ennemi. Ils avaient du en amener avec eux, il en traînait certainement quelque part. Il fit irruption dans une pièce où se trouvaient quelques Feydars. Quelques-uns étaient blessés, l’un d’eux semblait mort, il avait le ventre brûlé par plusieurs impacts. Trois femmes entassaient du matériel pris à l’ennemi... Une pile hétéroclite et invraisemblable. Mais que s’était-il passé ? Comment avaient-ils pu tailler en pièce des patrolers avec une telle rapidité ? Il dissimula son malaise et récupéra un lance-roquettes avec plusieurs projectiles. Il s’éloigna avec un dernier regard sur la pièce : personne ne parlait. Tous aux aguets, tous plus ou moins tachés de sang.
Au tournant au bout du couloir il bouscula un patroler qu'il n'avait pas vu venir en sens inverse. Son regard était vide, sa bouche était ouverte mais aucun son n’en sortait. Il tenait son arme par le canon comme on traîne une branche morte. Dans l'instant de surprise avant que Kérian n’ai pu dégainer son Brolt une flèche transperça la tête du soldat qui s’effondra sur le mur. Aucun mouvement ne pu apprendre à Kérian d’où venait le projectile... Il récupéra son matériel et se hâta vers une issue de secours qu’il avait balisée la veille, où Massad devait le retrouver.
Du calme, du calme... Il faut que je me calme pour pouvoir réfléchir. J’ai la jambe cassée, je crois, c’est mon os qui en sort ? Ou alors c’est quelque chose d’autre qui est planté dedans ? Je vais me faire un garrot, c’est ça un garrot.
Dieu que ça fait mal !
Je préférais ne rien sentir du tout finalement...
Il faut que je m’échappe de ce mouroir. Je vais essayer vers la lumière là-bas...
Y’a... y’a quelqu’un ? Je n’ai pu retenir une exclamation. Un homme en armure de métal, drapé dans une cape, était debout dans la pièce ses deux mains jointes sur son épée. Elle était droite devant son visage démoniaque, ses yeux n’étaient pas visibles mais, je le jure, j’ai vu son arme brûler d’un feu blanc, diabolique... La flamme s’est élevée puis elle a disparu dans un claquement sonore. C’est un ange ? Non... C’est un démon ! Il a sauté en prenant appui sur le mur, sa lame a tournoyé dans les airs. Je me suis décalé pour voir qui il attaquait : trois patrolers gisaient au sol le temps que je me roule sur le côté.
J’ai sorti mon revolver en tremblant et j’ai tiré pendant qu’il se retournait vers moi, j’ai tiré plusieurs fois...
J’ai presque vidé mon chargeur thermique. On peut tuer ces créatures monstrueuses mais ce ne sont pas des soldats de l’Union, j’en suis sûr !
Kérian s’arrêta net : un instant plus tôt un Feydar tenait dans ses mains une épée qui brûlait d’une pâle lueur blanche ou bleutée. Il venait de tuer trois patrolers, ses mouvement avaient été fluides et parfait, presque magiques. Les corps avaient été tranchés sans la moindre résistance...
D’un coup le guerrier se retourna mais il fut foudroyé par un tir continu provenant d’un coin d’ombre. Le Feydar fut projeté sur le mur, à demi désintégré par la violence des décharges. Kérian recula mais il s’était déjà trop approché, il surprit le regard d’un patroler blessé, allongé sur le sol dans une petite coursive. Il tenait son revolver à la main. Kérian sentit une force nouvelle emplir son corps alors que le patroler levait son arme vers lui. D’un seul mouvement il activa son bouclier et sauta pour s’agripper à un conduit du plafond. Il senti la décharge absorbée par son bouclier juste quand il se lâchait pour retomber à moins de deux mètres du patroler.
Celui-là est un soldat de l’Union, il a un bouclier et moi comme un idiot j’ai vidé mon chargeur sur l’autre... Qu’est-ce ?! Non... Atten...
Kérian avait dégainé son Qeidyn et d’un geste précis l’avait lancé vers le patroler. Le couteau l’atteignit à la gorge juste quand il tirait sa dernière salve, elle fut déviée vers le plafond. Sa détresse était perceptible dans ses yeux avant qu’ils ne s’éteignent, brûlés par la violence du poison. Kérian s’approcha du corps, il regarda le visage juvénile... O’Keffe lut-il sur l’uniforme. Il n’avait probablement pas vingt ans. La salle était couverte de sang. Cinq cadavres se partageaient tristement l’espace. Quelle barbarie, quelle idiotie...
Le rouge pour toute couleur, le sang pour toute odeur, les cris et les explosions sourdes pour toute musique, et la peur et la violence qui vous tort les tripes...
La suite des événements fut un traumatisme pour les forces de la Cosmoguarde. La cavalerie de Togre fondit sur les positions arrières des patrolers et dévasta le Q.G. de campagne enterrés. Les engins volants furent les victimes de la puissance de feu récupérée sur l’équipement de l’infanterie décimée. Il furent détruits uns à un par des tris meutriers de feydars embusqués. Seul un dévastateur s’illustra par sa ténacité, les autres ayant déchargés rapidement leur feu et ayant du rebrousser chemin pour réapprovisonnement. Le dernier finit par être capturé alors qu’il se posait pour embarquer des rescapés et des blessés simulés par des Feydars déguisés. Les engins blindés subirent le même sort : leurs carapaces de platzacier ne résistaient pas aux lames des guerriers Feydars qui passaient sans entrave au travers de leur bouclier d'énergie et tuaient les conducteurs dans leur coquille comme s'il s'agissait d'une vulgaire motte de foin. Aucun patroler n’en réchappa, l’intégralité des forces de la Cosmoguarde fut pulvérisée en moins de trois heures. Le Q.G. du capitaine Gortion fut coupé de tout contact avec ses troupes d’assaut. Dix heures plus tard, l’avant-poste était lui aussi détruit. Les tourelles automatiques qui le gardaient étaient réglées sur la faune, elles ne tirèrent que sur les togres en épargnant leurs cavaliers. Elles les laissèrent fondre sur les quelques patrolers qui restaient sur place. Ils furent massacrés dans une panique totale, eux qui préparaient leur équipement pour démolir le Bunker feydar, censé être tombé aux mains de leurs compagnons.
Et la tempête Sahr continuait imperturbablement son approche, menaçant de tout balayer sur son passage.
Les Feydars, quant à eux, pansaient leurs plaies. Ils avaient essuyé quelques pertes. Une cinquantaine des leurs avaient été touchés dont une dizaine gravement. Neuf Feydars étaient morts au combat.
Kérian se trouvait dans la grande salle centrale du Bûne-Kher. Elle n’avait pas été nettoyée, tout juste les corps des patrolers entassés dans un coin. L’attaque avait détruit les murs sur une large surface et les premiers rayons de l’aube étaient visibles depuis la grande salle qui se trouvait précédemment bien enserrée au milieu de la construction. Le soleil se levait sur les nuages menaçants de la tempête. Ses rayons se confondaient avec eux et le ciel était rouge, comme un immense brasier infernal. Un oiseau fit planer une large ombre sur l’assemblée avant de se poser près d’un Balshir qui récupéra son message, il venait de la cité. Daryl relayait tout juste la victoire de la cavalerie sur le poste avancé quand le Balshir releva la tête le regard sévère :
_ C’est un appel de La Brulite, Horak Tunefel est attaqué par les gorgues !