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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


Quatre ans plus tard.

Arcanas sourit. Il avait préparé un magnifique cadeau pour les sept ans de Lowell. Chez les Démons, un rituel était accompli à cet âge qui nécessitait le sacrifice d’un Elfe, après quoi un cadeau lui était offert. Il s’agissait en général d’une belle dague ou d’une série de tatouages tribaux d’une grande esthétique sur les corps rouges des Démons, et très appréciés par tous en général. Mais Arcanas avait choisi quelque chose de plus discret mais de plus impressionnant. Il espérait ainsi faire plaisir à cet enfant qui vivait dans un donjon depuis sa naissance.
Des pas précipités se firent entendre dans les couloirs froids et quelqu’un frappa à la porte de sa chambre. Un bref « Entrez » suivit et ce fut un Gargar troublé qui pénétra dans la pièce faiblement éclairée. Il ne prit même pas le temps de s’agenouiller devant son supérieur tellement l’émotion l’envahissait.
Gargar avait pris du galon entre-temps. Il était passé de garde à capitaine de la Garde, chose rare étant donné sa jeunesse et sa faible expérience, mais son intelligence semblait avoir balayé cette difficulté. Arcanas eut l’intuition qu’il l’avait pris pour model, le considérait comme un héros entre tous les Démons, telle une légende vivante.
Bref, Gargar avait pris pour habitude de s’adresser à lui lorsque des choses inhabituelles survenaient. Et apparemment, le cas de ce jour-ci était encore plus exceptionnel qu’à l’accoutumé.
- Seigneur ! s’écria-t-il, quelque peu essoufflé. Il se passe quelque chose d’incroyable !
- Calme-toi Gargar. Qu’est-ce qui t’amène ?
- Des messages nous parviennent de toutes parts du continent ! Les esclaves Elfes…
- Hé bien, dépêche-toi !
- Ils ont tous cessé de travailler. D’un seul coup !
- Une rébellion ?
Le cœur d’Arcanas commença à battre de plus en plus rapidement. Pourtant, rien n’avait été fait pour mettre les Dieux en colère. Que se passait-il ?
- Non, mon Seigneur. Ils ne se battent pas. Ils ont simplement arrêté de travailler, dans le silence le plus complet, et les coups de fouet n’ont rien changé. Ils se contentent de regarder… Dans une direction.
- Laquelle ? Le nord ? L’est ? L’ouest ?
- En direction du château, mon Seigneur.
- De ce château dis-tu ?
- Oui ! s’exclama Gargar plus fort qu’il ne l’aurait sans doute voulu –Il ne put s’en empêcher, cet évènement avait quelque chose d’extraordinaire–.
Arcanas s’assit sur sa grande chaise en bois à haut dossier, luxe que ne pouvaient s’offrir que les plus Grands et les plus importants Démons, et ses pensées se perdirent dans une réflexion intense. C’était troublant…
- Seigneur, pensez-vous que cela ait rapport avec l’enfant ? demanda Gargar en regardant attentivement celui qu’il admirait. Vous savez tout comme moi que c’est le jour de ses sept ans, et que chez les Démons, avant le Jour Maudit…
- Tait-toi ! ordonna brutalement Arcanas.
Parler de ce que ne possédaient désormais plus les membres de sa race, et tout particulièrement lui, Arcanas, membre du Conseil et légende vivante avant le Jour Maudit, ne fit que raviver la colère qu’il avait essayer d’étouffer jusque maintenant au plus profond de son être.
Mais il se ressaisit, redressa la tête dans une attitude plus civilisée et, d’une certaine manière, plus impressionnante, avant de retrouver son calme. Pendant un instant, un très court instant, il avait eu besoin de tuer quelqu’un. Il était prêt à se jeter sur le capitaine et lui arracher le cou afin de le vider complètement de son sang. Gargar aurait été à sa merci, il n’aurait rien pu faire face à la grande puissance d’Arcanas du Conseil. Mais il avait réprimé ses instincts démoniaques, et ses yeux ne regardaient plus à présent le cou qui aurait été si juteux, il ne regarda plus cette nuque qu’il aurait adoré entendre se briser dans un craquement d’os sec.
- Si c’est effectivement Lowell la cause de ceci, reprit Arcanas plus pour lui-même que pour Gargar, je pense que c’est temporaire. Les Elfes ont dû sentir un courant de magie impressionnant les traverser, ce doit bien être la première fois qu’ils ont dû ressentir pareille puissance. C’est certainement temporaire, mais je pense que le thème sera évoqué pendant la réunion du Conseil dans trois jours. –Puis il se tourna vers Gargar–. Tu peux disposer.

Quelques heures plus tard, Arcanas descendit les longues marches de pierre en colimaçon afin de se rendre aux geôles. Comme toujours, les torches accrochées aux murs faisaient apparaître une semi-obscurité dansante et lugubre, une ambiance que les Démons adoraient en général, leur race étant un peuple de la nuit vivant à ses débuts dans des grottes ou des souterrains.
Arrivant au bout de l’escalier, qui paraissait interminable tant il s’enfonçait profondément dans la terre, Arcanas ne put s’empêcher de sourire. Voir de près des prisons, où s’imprégnait toute cette atmosphère de frustration d’être enfermé, de peur d’être exécuté, et de désespoir de ne plus revoir ses proches. Les Elfes qui habitaient ces geôles laissaient derrière eux une douce odeur de malheur qui apaisait n’importe quel Démon ou l’excitait. C’était doux, enivrant, telle l’odeur du sang montant à la tête, même si rien n’égalait celle-ci.
Arcanas regarda quelques prisonniers. Il commençait à se sentir irrité de voir toujours les mêmes têtes d’Elfes. Ne pouvaient-ils donc pas les exécuter une fois pour toute ? C’était exaspérant de voir moins de terreur que d’ennui peints sur les visages. L’odeur de la terreur de mourir était beaucoup plus savoureux d’une certaine manière que cette atmosphère d’ennui qui régnait.
Enfin, il arriva devant la cellule qu’il connaissait depuis à présent sept années. Un enfant de cet âge se tenait allongé sur un lit beaucoup moins grossier que celui des autres cellules, et pour cause ! Il était de notoriété publique dans ce sous-sol que le garçon était le favoris de l’un des Conseillers.
Arcanas grogna sur le gardien qui avait eu la faute de ne pas s’être réveillé à son approche. Aussitôt, le Démon s’empressa de prendre le trousseau de clé, accroché à un clou du mur, et de chercher avec ferveur celle qui correspondait à la serrure. Ses doigts tremblaient légèrement, signe manifeste de la peur pour sa vie en ayant trop fait attendre le visiteur –Peur justifiée, se dit Arcanas, si cela venait à se reproduire.
La porte s’ouvrit, et le Démon s’empressa de partir ailleurs, comme il avait coutume de le faire lorsque son seigneur venait visiter le Prophète. L’enfant, qui avait reconnu le doux son des gons qui pivotaient, se leva instantanément avant d’afficher un sourire radieux à la vue de celui qui entrait dans sa modeste demeure.
- Oncle Arcanas ! s’écria-t-il gaiement. Tu es venu ? Je suis content !
Le visage du Conseiller demeura impassible.
- Lowell, dit-il d’une voix stricte et autoritaire –qu’il avait l’habitude d’user pour ses subordonnés les plus anarchiques–, j’ai une question à te poser, et je voudrais que tu y répondes avec sincérité.
Le garçon baissa instantanément la tête et le ton avant de dire simplement :
- Oui, mon oncle, c’est vrai.
- Qu’est-ce qui est vrai ?
- J’ai utilisé mes pouvoirs…
Un silence s’installa pendant quelques secondes et qu’Arcanas s’empressa de rompre.
- Qu’est-ce qui t’as pris ? Combien de fois t’ai-je déjà dit qu’il ne fallait en aucun cas…
- …utiliser mes pouvoirs, je sais mon oncle, poursuivit Lowell toujours d’une même voix basse et honteuse. Pendant un instant… J’ai perdu la tête et je n’ai pas pu m’en empêcher.
- Pourquoi les as-tu utilisé malgré mes avertissements ? demanda Arcanas en prenant un ton plus doucereux et s’asseyant sur le lit à côté de l’enfant.
- Je suis presque devenu fou, mon oncle. J’en avais assez d’être enfermé et d’un seul coup, j’ai pas pu me contrôler et… voilà.
Un nouveau silence tomba.
- Sais-tu qu’aujourd’hui est ton anniversaire ? demanda brusquement Arcanas.
- Ha ?
Les yeux de Lowell s’emplirent soudain d’espoir.
- Et alors ?
Arcanas savait que l’enfant s’attendait à un cadeau de sa part, comme tous les ans, et il avait vu juste…
- J’ai quelque chose pour toi, dit-il avec un sourire. C’est quelque chose de très rare et de très précieux, alors ne le montre jamais à personne, d’accord ?
Lowell fit un « oui » énergique de la tête, ses yeux semblant s’illuminer de plus en plus. Arcanas sortit alors son poing de sa longue manche et ouvrit ses doigts, la paume vers le haut. Quelque chose brillait au creux de sa main et, visiblement, cela ravit encore plus Lowell, même s’il ne savait pas ce que c’était.
- C’est quoi ? demanda-t-il avec un ton empreint de respect, comme s’il sentait que l’objet en question avait quelque chose de réellement respectueux.
- C’est un Cristal d’Evasion. Lorsque tu te sentiras trop oppressé par ces murs, tu fermeras les yeux et le presseras contre ton cœur. Alors, ton esprit se retrouvera ailleurs, comme si ton âme était téléportée dans un endroit calme et reposant.
- C’est vrai ?
- Mais fais attention, c’est réellement très rare !
Lowell contempla le cristal de ses yeux d’enfants, comme hypnotisé, un sourire béat accroché à ses lèvres. Puis soudainement, sa mine se renfrogna, et son visage pur et innocent se changea pour devenir plus obscur, empreint d’une tristesse qui aurait fait pleurer de compassion le plus infâme des crocodiles.
- Mais moi, je veux aller dehors ! Je veux pas seulement voir l’extérieur, mais le contempler aussi, y être, toucher des gens, et que des gens me voient et m’appellent par mon nom. J’en ai assez de ce geôlier qui ne cesse de me nommer « Prophète ci… Prophète ça… » comme si j’étais rien d’autre qu’une chose. Je veux sortir !
En même temps que ces paroles fussent prononcées, les murs de la prison tremblaient dangereusement, comme si les pierres qui les entouraient étaient capables de ressentir la colère de l’enfant. Arcanas redouta un instant que les murs ne s’effondrèrent sous l’effet des pouvoirs de Lowell. Mais le courroux n’était apparemment pas suffisant, et le sol s’arrêta de trembler aussi vite qu’il avait commencé. Pour la troisième fois consécutive, le silence s’installa, plus lourd et profond que les deux dernières fois. Arcanas attendit que le garçon se fusse calmer, et parla à nouveau.
- Je t’ai déjà dit pourquoi tu ne peux sortir Lowell, dit-il du ton le plus doucereux et le plus apaisant qu’il put mettre dans sa voix. Si cela ne tenait qu’à moi, tu sortirais tout de suite, sans attendre. Mais les choses sont ce qu’elles sont, et pour la raison que tu sais, les Démons haïssent aujourd’hui les Dieux pour ce qu’ils leur ont fait.
- Le Jour Maudit…
- Oui, Lowell. C’est là que notre race a vu changer son destin d’une façon irrémédiable. Certes, les Elfes, nos seuls ennemis, redoutables, sont devenus nos esclaves grâce à notre puissance, mais le prix à payer a été lourd. Tu peux déjà t’estimer heureux d’être en vie, tous les Prophètes du continent sont tués dès la naissance. Mais étant sous la protection d’Erebos, Celui-Qui-Domine-Les-Ténèbres, tu as obtenu la faveur de ne pas mourir –et ce, grâce à mon intervention, tu peux en être persuadé.
- Mais alors, pourquoi m’enfermer ? Je sais que tu m’as déjà expliqué, mais je ne comprend pas, je ne comprend pas…
Lowell secouait doucement la tête, des larmes brillantes caressant ses joues délicates.
- Mon neveu, les Démons préfèrent ressentir la satisfaction de la vengeance plutôt que la pitié. C’est dans notre nature.
- Mais toi… sanglota Lowell. Pourquoi ne peuvent-ils pas être comme toi ? Je n’ai pas décidé d’être Prophète !
- Mais c’est ton destin. Erebos t’a choisi et c’est un grand honneur.
- Qu’il se le garde, son honneur, je n’en veux pas ! Voilà où il m’a conduit : dans une prison !
Il s’allongea brutalement sur le lit, tentant de refouler ses sanglots –en vain.
- Un jour viendra où tu devras accomplir ta destinée, Lowell. Mais s’il le faut, il est possible que tu t’échappes avant…
Le jeune garçon redressa brusquement la tête.
- Hein ?
Arcanas respira profondément. Il devait choisir les mots avec soin.
- Oui, mon neveu. Tu n’es pas obligé d’attendre que s’accomplisse ton destin pour t’échapper d’ici.
- C’est vrai ?
- Bien sûr. Mais pas tout de suite. Il te faudra attendre quelques années encore, et que tu ne te fasses pas remarquer, ni toi, ni tes pouvoirs. Et lorsque viendra le moment, je te le dirai. Et nous partirons ensemble, Lowell, et je te promet de te donner tout ce ce don tu auras envie. Tu seras libre de faire tout ce que tu voudras.
La mine de Lowell se renfrogna.
- Mais pourquoi pas maintenant ?
- Parce que, sur ce continent, il existe encore des Démons bien plus forts que toi. Tu ne peux pas encore te dresser seul… Je veux dire, nous ne pourrons pas nous dresser seuls face à l’ensemble des Démons existant. Mais ensuite, tu deviendras suffisamment puissant pour tous les vaincre, et sans mon aide. C’est d’accord ?

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