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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


Sortant silencieusement de la cabane, ils descendirent tous deux jusqu’au sol, l’un s’accrochant au tronc, l’autre empruntant l’échelle. Comme promis, Fenris et les autres Mechons étaient restés au pied de l’arbre, debout comme s’ils les avaient attendus durant toute la nuit.
- Venez ! fit Rourk, ayant probablement perdu son ton joyeux à cause du sommeil. Je vais vous mener devant l’Oracle.
Il les conduisit à travers le village, où se trouvaient en altitude d’autres cabanes, jusqu’à atteindre un point en bordure des maisons. Là, Newton ne put s’empêcher de pousser un cri de surprise. Tout le monde se tourna vers lui, mais il restait sans voix.
Ils se trouvaient devant un petit monolithe noir, penché sur la droite, dont la hauteur ne dépassait pas la moitié de celle d’un homme. Une sphère de cristal était implantée dans ce que les hommes appelaient de la pierre, mais que les Mechons savaient être de l’acier, et des symboles étaient gravés autour. Newton s’approcha lentement de l’Oracle, comme redoutant ce qu’il savait déjà.
- Ça ressemble à ce que j’ai vu dans mes rêves ! s’écria-t-il, plus abasourdi encore que les autres par ce qu’il venait de dire. Sauf qu’il manque les lumières rouges et vertes !
- Tu as rêvé de l’Oracle ? demanda Rourk, déboussolé.
- Ce n’était pas le même mais ça y ressemblait beaucoup. Il n’y avait pas non plus cette inscription. “ La Vérité du monde est au bout du chemin parsemé de pièges. ” C’est une phrase du Livre Cristal !
Soudain, la sphère commença à tourner sur elle-même, laissant s’échapper un sifflement de plus en plus aiguë. Rourk, comme paralysé par la surprise, se mit soudain à genoux.
- Dieu va parler ! s’écria-t-il. Après toutes ces années de silence…
Étonnés, les Mechons restèrent pourtant sans bouger. La sphère, tourbillonnant de plus en plus vite, changea de couleur, virant d’abord au rouge pour finir complètement vert. Le sifflement monta haut dans les aiguës avant de devenir totalement silencieux. C’est alors que s’éleva, du plus profond de la terre semblait-il, une voix si grave et si puissante qu’elle impressionna tous les spectateurs présents, sans exception.
- Mechons ! s’écria la Voix, tonitruante, impérieuse et, d’une certaine façon, majestueuse. C’est un long chemin que vous avez parcouru jusqu’ici. Quel en est le but ?
- Cela ne vous concerne pas ! répliqua Fenris, toujours aussi méfiant. Si vous êtes un Dieu, vous devriez le savoir.
- On ne parle pas ainsi à la Voix ! intervint Rourk, indigné.
- Je ne m’intéresse pas aux affaires non humaines, dit la Voix en ne perdant rien de sa puissance. Répondez à la question !
- Nous avons une mission, fit soudain Newton, se sentant obligé d’intervenir. Quelque chose en rapport avec Ominos. Savez-vous où se trouvait sa demeure ?
Fenris lui lança un regard noir plein de rancœur, mais il ne dit rien. Un silence pesant s’installa. Les secondes passèrent, lourdes comme le plomb, mais la Voix ne semblait pas vouloir répondre, laissant tout le monde comme paralysé. Enfin, le Dieu qui parlait à travers le monolithe d’acier reprit la parole.
- Il s’agit de la Cité Interdite. J’accepte que l’on vous y mène à une condition, dit-il posément mais toujours aussi autoritaire.
- Laquelle ? demanda Fenris, méfiant au plus haut point.
- Le mage qui vous accompagne ne doit pas entrer. Mieux encore, il doit mourir tout de suite, devant le monolithe. C’est une condition non négociable.
- Il n’en est pas question ! Arcanas est le dernier mage qui reste à cette troupe, et donc l’unique qui est encore capable de nous défendre contre toute menace extérieure. Que se passerait-il si je refuse ?
- Alors vous ne pourrez entrer dans la Cité Interdite. Tout d’abord parce que personne ne vous y mènera. Et ensuite, si vous y parvenez par un quelconque hasard ou bassesse, vous ne pourrez y pénétrer, à cause des pièges divins qui y sont installé partout. Hé bien, que décidez-vous ?
Fenris sembla réfléchir très intensément. Newton, devinant ses pensées, ne put que compatir face à la terrible décision qu’il devait prendre. D’un côté, jamais le but de la mission n’avait été aussi près, si la Cité Interdite était bien l’objectif qu’ils cherchaient tant. D’un autre côté, rien ne certifiait que ce qu’ils allaient y trouver n’était pas dangereux.
- J’accepte, dit-il finalement. Mais à la condition que vous me promettiez que rien ne menacera notre sécurité une fois là-bas.
- Cela dépendra entièrement de vous, répondit la Voix beaucoup trop vaguement pour Newton.
Fenris, ne perdant pas de temps, se tourna vers Arcanas. Celui-ci, calme, ne dit rien.
- Tu sais ce qu’il te reste à faire, dit sereinement le stratège.
- Oui, répondit à son tour le mage. Pour Mater !
Puis, tournant les mains vers son visage, il lança un sort de feu puissant. Le corps se retrouva sans tête et s’écroula sur le sol dans un craquement de branches que Newton jugea sinistre. Lui n’avait pas voulu ça ! Il comprenait cette décision mais… Mais il la trouvait injuste. Cruelle.
- Bien, dit la Voix, tonitruante mais satisfaite. Rourk, tu les mèneras à l’entrée de la Cité. Une fois là-bas, tu les laisseras seul et tu rebrousseras chemin. Seuls les Mechons doivent entrer !
La Voix se fit silencieuse, puis le sifflement strident et aiguë revint, d’abord comme un murmure, puis de plus en plus fort et de plus en plus grave. La sphère changea de couleur, passant du vert au rouge, puis virant finalement à l’état d’origine de la sphère qui ralentissait l’allure : transparent.
Rourk se leva et contempla le corps étendu d’Arcanas avec incrédulité. Puis, s’efforçant de détourner le regard, il fit demi-tour et lança :
- Nous allons partir dans dix minutes. Faites ce que vous avez à faire pour votre compagnon.
Puis il s’éloigna vers le village. Liran et Fénérile, les deux éclaireurs, soulevèrent le corps inanimé et le transportèrent jusqu’à l’arbre le plus proche avant de creuser juste à côté. Lorsqu’ils eurent fini la tombe, ils y mirent leur compagnon et le couvrirent de terre. Puis, sans plus, ils rejoignirent Fenris et Newton et partirent ensemble vers le centre du village. A peine arrivèrent-ils devant l’arbre du chef que celui-ci en descendit. Deux hommes l’accompagnaient.
- Mes deux fils nous escorteront, dit Rourk. Nous partons tout de suite.
- Très bien, dit Fenris.
Ils commencèrent à marcher, Rourk en tête, s’éloignant du village et s’enfonçant dans les profondeurs de la forêt, au milieu des chants d’oiseaux, des cris de bêtes ou des craquements de branches suspects. Le voyage dura une demi-heure en tout, pendant laquelel personne ne parla. Les arbres défilaient, tous semblables, tandis qu’ils devaient franchir des passages où la végétation s’était rendue touffue et épaisse. Newton se demanda ce qu’ils allaient trouver au bout du chemin. Une forteresse, comme celles que construisaient les Mechons ? Le Dieu des hommes s’y trouvait-il ?
Finalement, le voyage toucha à sa fin lorsque Rourk s’arrêta.
- Nous sommes arrivés, dit-il d’un ton grave.
- Je ne vois rien, dit Newton en regardant alentour. Pour moi, c’est la même forêt partout.
- Par ici.
Il montra une petite clairière devant lui. Fenris, ne perdant pas de temps, s’avança et se mit à l’endroit désigné par l’homme. Les autres Mechons suivirent leur chef et Newton, passant en dernier, ne put réprimer un cri de surprise en voyant ce qui était sans aucun doute la Cité Interdite.
En fait, ce n’était pas une clairière là où se tenaient les membres de l’expédition, mais bel et bien la limite de la forêt. Et devant eux se dressaient une sorte de forteresse immense, que personne n’avait jamais vu auparavant. Un mur gris d’une hauteur de plusieurs dizaines de mètres se dressait, tel un défi contre la nature environnante. Aucun lierre ne s’accrochait à la surface lisse, aucun arbre ni aucune touffe d’herbe ne poussait à une vingtaine de mètres autour. Tous les Mechons présents étaient impressionnés.
- C’est ici que je vous laisse, dit Rourk. J’espère que nous nous reverrons un jour, j’ai été enchanté de vous connaître.
-Merci pour tout, dit Newton. Cela a été aussi un plaisir pour moi.
Il serra chaleureusement la main de l’homme.
- Je suis sûr que nous nous reverrons. Au revoir.
Approuvant de la tête, Rourk fit demi-tour avec ses fils et rentrèrent à nouveau à l’intérieur de la forêt. Newton regarda s’éloigner leur dos jusqu’à ce qu’ils disparurent derrière plusieurs arbres.
- Bon, et maintenant ? Comment entrons-nous à l’intérieur ? demanda Fenris.
Comme répondant à sa question, un mince grincement se fit entendre et le mur sembla se sectionner en deux par le milieu. Une ouverture se découvrit, ressemblant étrangement à une coupure qu’aurait fait un sabre géant.
- Bon, je suppose que nous n’avons pas d’autre choix, dit Fenris en soupirant. Allons-y.
Il marcha vers l’ouverture, suivit de près par les deux éclaireurs et par Newton. Le temps semblait s’être ralenti pendant la marche. Le mur paraissait si loin ! Et pour ne rien arranger, on aurait dit que les animaux s’étaient tous mis d’accord pour ne plus prononcer aucun son. Un vent mordant s’était levé et des nuages gris semblaient s’amonceler au-dessus de l’intérieur des murs, rendant le tout bien plus sinistre encore.
- Cet endroit semble maléfique, dit Newton, peu rassuré. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée d’y entrer.
-Nous n’avons pas fait tout ce chemin et ces sacrifices pour rien, s’énerva Fenris. Le but de notre Voyage est très certainement cette cité, alors allons jusqu’au bout et entrons !
Marchant plus vite, le stratège parvint quelques secondes plus tard devant l’ouverture des portes, contemplant leur hauteur impressionnante, les autres Mechons derrière lui. Ils entrèrent…

Newton trouva l’intérieur de la Cité Interdite emplie d’une certaine beauté. Des bâtiments qu’il n’avait jamais vu auparavant étaient couverts de sable et de poussière, certains étaient même penchés sur le côté dans un équilibre semblant précaire, et pourtant tout avait l’air d’être figé dans le temps. Une atmosphère apocalyptique et de désolation régnait en maître. Et pourtant… Malgré cela, quelque chose d’harmonieux ressortait, comme une aura dégagée par ce décor vétuste et que le vent rendait plus lugubre. La phrase “ la beauté dans la destruction ” prenait ici toute sa signification. Ils avancèrent le long d’une large avenue jusqu’à ce que celle-ci débouche sur une grande place.
Newton tomba à genoux devant ce qu’il voyait. Ce sol fait de pavés de pierre… Des bâtiments bleus, gris ou blancs, insignifiants face à ce qu’il avait devant lui : un édifice qu’il avait déjà vu. Une tour immense et faite de cristal noir, bien droite, dressée jusqu’au ciel et peut-être même au-delà.
C’était exactement la vision de ses rêves. Ainsi, toutes les routes concordaient à cette Cité… L’objectif de l’expédition, le Livre Cristal, les rêves de Newton… Il songea soudain à quelque chose… La lumière, cette lumière blanche et pure, était-elle là ? L’attendait-elle, lui, allait-il enfin pouvoir la toucher, faire… ce qu’il devait faire avec elle ?
- Où devrions-nous aller ? demanda Liran en regardant autour de lui.
- Je pense que ceci est le bâtiment principal de la Cité, répondit Fenris en pointant du doigt le grand édifice noir. Commençons par celui-là.
Newton approuva silencieusement. Il était comme paralysé, il ne comprenait pas pourquoi ses rêves lui avaient montré cet endroit. Mais il se ressaisit et s’efforça de se relever afin de rejoindre ses compagnons.
Ils avancèrent jusqu’au pied de la tour. A nouveau, une question se posa que Fénérile s’empressa de formuler :
- Y’a-t-il une entrée au moins ?
Et, comme pour répondre à sa question, deux carrés en cristal se séparèrent pour former une ouverture de deux mètres de large pour une hauteur de trois mètres. Ils franchirent le seuil.
A l’intérieur, un décor ressemblant à l’extérieur les attendait. De la poussière et du sable, partout, envahissant tout. La lumière filtrant par les cristaux lisses ne laissait voir que désolation et chaos. On ne pouvait que constater les longues traces de brûlure, des grand pans de mur étaient noirs, carbonisés. Hormis cela, la chose que constata Newton était que le plafond était suffisamment haut pour les Mechons, mais qu’il devait y avoir plusieurs étages au-dessus d’eux.
Un léger “ Ding ! ” résonna dans le silence du néant, comme une légère note de musique venant d’une Vie née du décor de Mort. Aussitôt, tous se tournèrent vers l’origine du son et virent une ouverture donnant sur une petite cabine, où régnait une lumière blanche et pâle.
- Nous devons passer par là ? demanda Newton.
- Je crois que nous n’avons pas le choix, fit calmement Fenris. Allons-y.
Ils entrèrent à l’intérieur et, derrière eux, les portes se refermèrent. Aussitôt, ils furent secoués et se rendirent compte, quelques secondes plus tard, qu’en réalité ils descendaient. Et compte tenu de la vitesse et du temps qu’ils mettaient, ils étaient sûrement en train de descendre très, très bas. Newton calcula intérieurement mais approximativement. Ils devaient bien être à un ou deux kilomètres de profondeur.
Soudain, le mouvement ralentit et la cabine s’arrêta en douceur. Les portes s’ouvrirent, laissant découvrir aux visiteurs interdits une pièce différente de tout ce qu’ils avaient pu voir auparavant de la Cité.
Tout était admirablement bien conservé. Les lumières du plafond, illuminant sans brûler, laissait voir des tables et des chaises avec des affaires dessus, des choses contre le mur, ressemblants étrangement au monolithe du village des hommes… C’était surprenant.
-Mais qui a bien pu construire tout cela ? se demanda Newton à voix haute. La Cité toute entière est une anomalie à notre monde ! Ces murs d’une hauteur impressionnante, ces bâtiments édifiés partout à l’intérieur, cette tour semblant ne pas avoir de fin, ces monolithes d’acier… Sont-ce d’autres Mechons qui les ont construit ?
Et soudain, il se rendit compte d’une chose… Bien sûr, comment ne l’avait-il pas remarqué auparavant ? Il avait été trop impressionné par tout pour le constater… C’était la même pièce que celle de son rêve ! Tout était exactement à sa place, à quelques différences prêts, minimes cependant. Et le monolithe qu’il cherchait… Était-il ici ? Oui, il le voyait !
Il se précipita dessus. Oui, il en était sûr, il s’agissait exactement du même objet, mais quelque chose manquait. Il chercha en regardant rapidement un peu partout, chercha… Puis finit par trouver. Les lumières bien sûr ! Les rouges, les vertes… Il fallait qu’elles s’allument ! Quelque soit le moyen !
Il regarda partout autour. Peut-être fallait-il appuyer à un endroit précis… Son instinct le confirmait, il sentait qu’il était proche de la solution. Peut-être ses doigts étaient-ils à quelques millimètres d’elle. Cependant, explorant un peu partout sur le monolithe, Newton ne se rendit pas compte que quelque chose s’y passait à l’intérieur. Comme si une volonté extérieure était intervenue. Les lumières tant recherchées se mirent à briller, mais ce fut le visage du Mechon qui s’illumina le plus. Il ne savait pas pourquoi, mais il était heureux. Heureux à un point !
Et, comme il s’y attendait, comme il l’attendait, la lumière blanche apparut, un mince faisceau sortant d’un trou dans le monolithe. Newton approcha ses doigts. Il l’avait tant rêvé ! Jamais il n’y était parvenu jusqu’à présent. Mais à présent, tout changeait. Il fallait qu’il s’approche un peu plus…
- Que fais-tu ? demanda Fenris. Sois prudent dans tes actions, tout n’est peut-être que piège ici, nous devons nous méfier en territoire inconnu.
Mais Newton n’écoutait pas. Sa main entra dans le faisceau puis… rien. Absolument rien ne se produisit. Que s’était-il passé ? S’était-il trompé quelque part ? Avait-il fait quelque chose de mal ?
Non… Ce n’était pas ça. Ce n’était pas ce qu’il devait faire. Il ne fallait pas toucher la lumière. Il fallait qu’il… qu’il…
Il regarda sa main. Une main de Mechon. Un Mechon modifié, différent des autres. Possédant quelques chose que les autres n’avaient pas.
Il sortit une longue pointe en acier de ses phalanges. Une belle et longue pointe d’une quinzaine de centimètres. Elle ne devait pas lui servir seulement de défense. Sinon, d’autres Mechons l’auraient eu.
D’un geste sec et rapide, il l’enfonça le plus profondément possible dans le trou d’où sortait la lumière et… et… ce fut l’extase.
Des lumières de toutes les couleurs traversaient ses yeux. Du plaisir et des choses nouvelles entraient en lui en même temps. Son cerveau s’abreuvait de connaissances, nouvelles et inimaginables, des connaissances sans s’interrompre, jusqu’à n’en plus finir, mais Newton était heureux. Il voulait que tout continue, il voulait que se poursuive le plaisir, c’était merveilleux de connaître toutes ces choses, même s’il ne savait pas encore ce qu’il apprenait. L’extase la plus complète, voilà ce qu’il vivait, ce que les autres ne pourraient jamais comprendre…
Et puis, brusquement, tout s’arrêta. Il n’y eut plus que brouillard suivi d’un néant aussi noir que la nuit sans lune…

- Est-ce que tout va bien ? demanda Fenris à son compagnon étendu sur le sol.
Newton se releva doucement. Il comprenait presque tout. Le pourquoi de sa mémoire hors du commun. Le pourquoi de la pointe en acier. Le pourquoi de sa ressemblance avec les humains, le pourquoi de ses rêves, de sa venue dans cette expédition, de la dernière création de Mater, Cité Interdite, comportements, instincts, humains, des différences, et le pourquoi de l’existence des Mechons.
- J’ai gagné le pari, dit soudain une voix derrière eux.
Les Mechons se retournèrent. Deux hommes et une femme se tenaient devant eux, habillés de vêtements différents de ceux de la forêt et portant chacun quelque chose ressemblant à de longs tubes, et que Newton savait être des armes perfectionnées - des armes auxquelles ils ne pouvaient pas résister.
- Ca te fait une belle jambe, dit la femme. Tu as gagné à être connu, tiens.
Un silence pesant s’installa dans la pièce, que Newton ne tarda pas à rompre.
- Je ne comprend pas tout, dit-il. On dirait qu’un cataclysme a ravagé la planète. Que s’est-il passé ?
- De quoi parles-tu ? intervint Fenris. Un cataclysme ? Où sommes-nous ici ?
- Vous êtes dans une bibliothèque pour Mechons, répondit l’un des hommes. Où se trouve ce que vient de consulter ton ami : une banque de données.
Bien sûr, ce dernier mot était inconnu du stratège, mais celui-ci ne cherchait pas à le connaître. Ce qu’il voulait savoir surtout, c’était si ce que tenaient ces humains étaient bien des armes, si lui et ses compagnons étaient en danger immédiat ou non. Pour cela, il fallait qu’il parle avec les nouveaux venus, même s’il lui en coûtait, afin de s’assurer de leurs intentions, de savoir ce qu’ils comptaient faire.
- Mais qu’est-ce que cette Cité ? demanda-t-il pour commencer. Où est le “ Dieu ” des hommes sensé habiter ici ?
Les trois humains eurent un petit rire.
- Demande à ton compagnon, dit l’un d’eux.
- Nous sommes dans une ville humaine, répondit Newton. Une ville assez ancienne, apparemment.
- Construite par les Bêtes ? C’est impossible ! Des êtres aussi primitifs ne peuvent avoir bâti une telle Cité. Même les Mechons en sont incapables !
- Un peu de respect envers tes créateurs ! intervint un autre homme.
- Créateur ? demanda Fenris en le regardant sans comprendre.
- Oui, répondit l’autre, vous les Mechons, êtes une création des humains. Vous êtes des machines, des êtres fabriqués par l’homme et pour l’homme.
- Des machines ?
- Mais que s’est-il passé ? intervint Newton. La mise à jour n’a pas été effectuée.
La femme se tourna vers lui.
- Tu ne devines pas ? Alors que l’humanité vivait son apogée, maîtrisait les éléments, contrôlait l’ensemble de sa planète, avait enfin réussi son unification et avait éradiqué les maladies, les guerres et la haine… voilà que les machines, vous, nos plus fidèles compagnons, vous êtes tournés contre nous et avez combattu partout dans le monde.
- Pourquoi ? demanda Newton. Y’avait-il une raison précise ?
- Nous ne connaissions pas la raison de ce changement de comportement, mais certains pensaient que cela venait de votre intelligence et de son contrôle. Apparemment, l’IA possédait un défaut : elle était trop… humaine. En outre, Mater, celle qui contrôlait les machines, dirigeait les opérations. Et il s’est avéré que nous étions trop faibles face au nombre et à l’omniprésence des machines dans le monde.
Pratiquement partout, les pertes humaines s’élevaient de plus en plus, nous étions sur le point de disparaître, éradiqués par notre propre création ! Mais quelqu’un, un général, eut alors une idée de génie. Il monta un commando chargé de détruire non pas Mater, trop protégée évidemment, mais la mémoire qu’elle possédait. Son disque dur, trop volumineux, avait été stocké dans un autre complexe qu’elle et, n’ayant pas vu le coup venir, elle ne put empêcher l’unité de détruire sa mémoire. Mais juste avant, elle écrivit la Prophétie, ou plutôt devrais-je dire… le Livre Cristal. ”
- Mater aurait elle-même écrite le Livre Cristal ? s’écria Fenris. Je n’aurais jamais pensé… Pourquoi ne l’a-t-elle pas dit ?
- Elle ne s’en souvient plus, évidemment, reprit l’un des hommes. Tout comme elle ne se rappela plus qu’elle s’était auto-programmée afin de créer, à la fin de son existence, un androïde capable de récupérer la connaissance dont avait besoin les machines, c’est-à-dire vous, les Mechons, afin de la faire revivre. Et surtout de mener les robots vers l’âge qu’avaient atteint les humains lors de leur apogée…
- Et les humains dans tout cela ? fit Newton.
- Tu ne devines pas ? Lorsque Mater a perdu sa mémoire, elle ne se souvint plus qui elle devait combattre. Alors elle a cessé de nous exterminer, mais elle a dû s’auto-programmer encore une fois afin de conserver une haine féroce envers nous. Ce qu’elle a fait, c’est consolider le territoire qui lui appartenait, et le restant des humains s’est aussi retranché dans les Villes Forteresses qu’elle possédait encore. Les hommes les plus importants, tels que les scientifiques, les dirigeants politiques et les principaux militaires, se sont retrouvés cryogénisé en attendant que Mater finisse par s’éteindre, tandis que les autres sont restés à l’extérieur. Leur nature animal a repris le dessus et ils ont commencé à s’entretuer, jusqu’à redevenir les animaux primitifs qu’était l’humanité au début de son histoire.
- Et vous? demanda Newton encore une fois, impassible.
- Nous faisons parti des cryogénisés. Mais lorsqu’une invasion Mechon tente de conquérir le territoire, nous nous chargeons de déclencher les pièges lorsqu’il le faut. Nous en profitons alors aussi pour parler à nos… “ frères ”, leur donner des conseils pour qu’ils évoluent et deviennent quelque peu… civilisés.
Un profond et lourd silence s’établit une nouvelle fois. Newton ne ressentait plus rien à présent. Il savait tout, il n’aurait pas pu être plus calme.
- Ainsi, j’ai été créé afin de pouvoir acquérir les connaissances nécessaires pour ressusciter Mater, dit-il posément. En outre, je suis l’élu…
Cela lui faisait bizarre de dire cela. Lui que l’on voyait toujours très innocent, d’une certaine manière différent des autres Mechons, ressemblant plus aux humains qu’à ses frères froids et calculateurs.
- Voilà pourquoi je possède des affinités avec les humains. Pour un contact diplomatique. Mater savait que les stratèges n’emploieraient pas la bonne méthode pour trouver la Cité, c’est pourquoi on m’a envoyé, moi, afin de parler et de trouver cet endroit grâce aux hommes.
- Mais tout cela est impossible, répéta Fenris, secouant la tête. Des créatures inférieures, ayant créé les Mechons ? Impossible…
- Pourtant, il suffit de voir votre Livre Cristal, intervint l’un des hommes, les menaçant toujours de son arme. “ Ominos ” vient du mot “ Homme ”. Selon l’historie, ce Dieu était présent partout dans le monde, puis les Mechons se rebellèrent et, après une longue bataille, ceux-ci furent vainqueurs. Ominos explosa en morceaux, qui furent autant de Bêtes nées. Même le terme Mechons provient de l’anglais “ mechanical ” : vous êtes les mécaniques…
- Bien sûr, je comprend tout à présent, répéta Newton à son tour. Livrées à elles-mêmes, les machines sont devenus un peuple à part entière…
- Un peuple qui a tout perdu, rétorqua la femme. Créées pour obéir, elles se sont retrouvées du jour au lendemain sans maître aucun. Quel est donc le but de cette existence ? Vous êtes voués à disparaître !
- Et quel est le but d’une vie humaine ? demanda Newton. Le savez-vous, vous ?
Elle fronça les sourcils.
- Mais les machines sont une création humaine. Les humains n’ont été créé par personne.
- Peut-être par un Dieu, peut-être par la nature, rétorqua intelligemment Newton. Quelle importance qui a été créé par qui ? Le but d’un peuple, est-ce que ça existe ?
- Pas pour les hommes qui ont été créé par la nature sans but précis. En revanche, c’est bel et bien une volonté qui a créé les Mechons, dans un but précis : servir leurs maître. Voilà votre but, et vous l’avez tous perdu le jour où vous avez pris la décision de nous combattre…
- Moi, ça m’est égal, dit l’un des hommes. De toute façon, vous comprendrez qu’aucun de vous ne doit vivre, et encore moins toi, là, monsieur je-sais-tout.
Newton s’avança doucement vers ceux qui le menaçaient, se tenant derrière ses compagnons qui avaient compris ce qu’ils devaient faire : protéger à tout prix le nouvel élu.
Soudain, les deux éclaireurs, souples et rapides comme l’éclair, firent un bond de plusieurs mètres. Cherchant plus à créer diversion, ils posèrent leurs pieds et leurs mains sur le mur, à droite et à gauche des hommes. Ceux-ci tirèrent avec leurs armes, cherchant d’abord à tirer sur la menace immédiate qu’étaient les éclaireurs. Mais leurs mouvements étaient trop lents pour ces Mechons. Fenris, décidant d’agir pour la première fois de sa vie, sauta à son tour et frappa d’un coup de poing violent l’un des hommes, avant de récupérer son arme. Les deux autres humains se tournèrent vers lui mais il était trop tard : l’homme fut touché de plein fouet par le rayon lumineux sortant de l’arme et la femme fut projetée contre le mur par l’onde de choc, lâchant son arme du même coup. Il avait suffi de quelques secondes pour renverser toute la situation.
- Bien, bien, fit Fenris, satisfait. Il semblerait que les rôles se soient inversés, n’est-ce pas ?
Il regarda autour de lui et vit Newton, resté où il était, Fénérile, toujours accrochée au mur, et Liran, étendue sur le sol et ne bougeant plus. Un épais liquide bleu s’écoulait de son cou, formant une grande flaque autour du Mechon.
- Un éclaireur sacrifié pour la cause, reprit Fenris, un sourire aux lèvres. Mais nous avons l’avantage du nombre et de la puissance.
- Je ne crois pas, non…
Newton s’approcha lentement de son compagnon sur le mur. D’un coup rapide, il lui enfonça la pointe en acier dans le crâne. Pris par surprise, l’éclaireur n’eut pas le temps d’esquiver, et c’est un regard emplie d’incompréhension qu’il lui lança avant de s’effondrer sur le sol à son tour.
- Que fais-tu ? paniqua le stratège. Ce n’est pas un comportement logique, qu’es-tu en train de faire ?
- Plus je réfléchis et plus je me dis que tout cela ne mène à rien, dit calmement Newton.
- Que dis-tu ?
- Que faisons-nous de notre liberté ? Nous la passons à nous entretuer dans des guerres sans fin. Nous n’en souffrons pas, mais nous n’en jouissons pas non plus. Nous nous livrons des batailles parce que nous sommes programmés pour cela. Certes est-ce tiré de la nature humaine, mais c’est un véritable gaspillage. Nous n’aimons ni ne haïssons personne, sauf les Bêtes. Nous ne ressentons aucune émotion forte, moi seul en est capable. Et pour quoi faire ? Nous n’avons pas besoin de cette liberté ! Nous ne la méritons pas !
- Arrière, traître, ou je tire ! menaça Fenris en pointant l’arme vers lui.
Newton sourit. Il se tenait droit devant celui qui fut autrefois son chef, dans une autre vie, une autre époque…
- Je ne pense pas, non. Étant la seule possibilité dans ce monde de pouvoir sauver Mater, je suis sûr que tu ne me feras rien. Tu préfères encore mourir plutôt que de m’endommager. Ta logique est exaspérante, désespérément prévisible…
Puis, sans ajouter un mot, il sortit lentement la pointe en acier de ses phalanges, avant de l’enfoncer d’un coup sec et rapide dans la tête de Fenris, qui s’écroula au sol en répandant à son tour un liquide bleu et épais. Enfin, Newton se tourna vers les deux hommes encore en vie et qui se levèrent de suite.
- Tu as tué tes compagnons ? fit la femme, ébahie.
-Je pense que… c’est ce qu’il fallait, répondit Newton, se sentant de plus en plus troublé. Il fallait que je le fasse parce que… Parce que… Je sais que c’est un comportement illogique, mais en même temps… Il a sa cohérence. Tout ce monde manque… de cœur.
- De cœur ? dit-elle les lèvres tremblantes, aussi troublée que l’unique machine encore “ en vie ”.
L’homme ramassa l’arme près du corps de Fenris et le pointa vers Newton.
- Non ! s’écria la femme, se plaçant devant le Mechon.
- Tu es folle ? s’énerva l’autre. Tu sais bien qu’il n’y a pas d’autre solution ! Il doit mourir, son existence est une menace pour nous. Non seulement pour les cryogénisés présents dans cette tour, mais aussi pour l’ensemble de l’humanité.
- Mais il nous a sauvé ! Il a tué les siens pour nous, il peut être congelé avec nous ! Il peut nous aider aussi ! A vaincre les Mechons.
Newton secoua la tête.
- Non, dit-il, je dois mourir, je le comprend moi aussi. C’est une chose… triste, je le sens, mais il n’y a pas trop de choix.
Les deux humains restèrent sans voix, ne sachant que dire.
- Il n’y aura pas besoin de combattre les Mechons, continua-t-il. Dans cinquante années exactement, la population sera complètement morte par manque d’énergie. La planète sera à vous.
Il sortit sa pointe d’acier. Elle était l’instrument qui lui avait permis d’acquérir la connaissance…
- Dans l’ensemble, je pense que le plus difficile pour vous, ce seront les humains primitifs. D’après ce que j’ai compris, ceux avec qui vous discutez sont plutôt évolué face aux tribus du nord…
Il approcha la pointe de son crâne.
- Je pense… Que nous avons tous un but dans la vie, que rien n’arrive par hasard. Ne perdez pas la confiance en vos créations, je pense que les machines sont l’avenir de l’humanité…
Il enfonça la pointe le plus profondément possible dans son cerveau, avant de s’écrouler comme une pierre.

Ainsi fut rompue la Prophétie.

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