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Au début il n'y avait rien. Et puis il y eu l'espace et dès lors Humain n'eût plus de cesse que de s'y déplacer. Il voulait aller partout, tout voir, tout connaître. Mais l'espace était trop vaste, et sa vie était trop brève. Alors Humain pleura de tout son être, et Dieu entendit sa détresse. Dieu avait créé l'espace assez vaste pour accueillir tous les mystères, mais l'espace était noir et Humain n'aimait ni le vide ni le noir. Alors Dieu créa le Saut, et Humain fut partout.
Et Dieu vit que cela était bon.
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Bible Méthodiste Sen-Saraf
Tyrr - 9381 GS
La flotte de l’Union était arrivée à sa destination et continuait son avance prudemment en vitesse lente. L’objectif n’était pas un sauvetage et il avait le mérite d’être clair dans son énoncé : l’Union devait s’approcher du système et rassembler autant de données sur les Cetfans que possible. Si l’opportunité se présentait, il fallait capturer un navire cetfan et le remorquer jusqu'à une base pour l’étudier. Mais l'affrontement devait être évité.
Tout cela était très simple sur le papier... Mais c’était une autre affaire que de le réaliser. L’Union n’avait pas des forces spatiales très impressionnantes. L’état-major de l’Union avait décidé de parier sur la rapidité et la précision des tirs plutôt que sur la puissance brute. Cette conception était symbolisée à merveille par ses frégates : elles étaient à peine plus longue qu’un aviso de la Cosmoguarde, pour un tonnage double. Ces vaisseaux ne comportaient que deux escadrilles de chasseurs et presque aucune troupe d’assaut. Toute la place disponible restante était occupée par les deux canons principaux, directement reliés aux centrales des moteurs hyperspatiaux. La puissance de ces canons était réputée dans toute la galaxie, et de nombreux capitaines de frégate se targuaient de pouvoir affronter des cuirassés et d’en sortir victorieux.
Douze frégates accompagnaient le croiseur-amiral de la flottille. Sur le marbrage sombre de leur camouflage se détachait en gros l’emblème de l’Union : une planète bleue entourée de laurier, le tout encadré par des ailes stylisées. Quelques chasseurs volaient par groupes autour des navires. L'Union avait finalement été forcé de sortir des confins du système et de se rapprocher. Peu de temps après leur arrivée, tous les systèmes utilisant les hyperfaisceaux s'étaient mis en panne sans que personne ne puisse en déterminer l'origine.
Un message d’une escadrille de reconnaissance résonna sur la passerelle du croiseur :
_ Amiral, venons de détecter une flottille. Identification en cour, trois appareils... Cosmoguarde. Je répète, nous venons de détecter un destroyer et deux avisos de la Cosmoguarde. Terminé.
Une femme sortit du mess accompagnée de deux officiers. Sur son col était visible l’étoile dorée entouré de deux ailes, insigne des Amiraux. Elle s’arrêta devant l’holocom de la passerelle qui affichait les informations sur la flottille ennemie :
_ La Cosmoguarde ? Quelle surprise... Décidément, on aura toujours ces lourdauds dans les pattes.
Elle réfléchit un instant puis annonça au leader du groupe de chasseur :
_ Ici l’Amiral, faites les signaux universels. Je veux une communication conventionnelle avec leur capitaine. Je suppose que eux aussi ont leurs hyperfaisceaux bloqués.
Quelques instants de silence suivirent ses paroles puis l’holocom grésilla avant d’afficher le visage d’un officier de la Cosmoguarde. Son visage paraissait sévère et sûr de lui mais l’Amiral perça derrière cette apparence un profond désarroi. Comme l’autre ne disait rien elle prit la parole :
_ Capitaine. Je ne sais pas ce que vous êtes venus chercher dans ce secteur mais deux possibilités s’offrent à vous : soit vous vous rendez, soit ma flotte vous détruit. Décidez-vous rapidement.
L’officier de la Cosmoguarde n’avait pas l’air surpris, ce qui en soi était plutôt surprenant. Mais il tenta malgré tout une légère résistance :
_ Pour qui me prenez-vous ? Vous croyez que je suis seul ici ? En ce moment même, mon Amiral est informé de votre présence et se prépare à vous chasser.
L'Amiral de la flotte de l'Union se tourna vers les consoles des transmissions et consulta leurs données avant de répondre avec un sourire :
_ Votre Amiral serait-il télépathe ? Votre navire n’émet pas de communications si ce n’est vers moi. Et je sais bien sûr dans quelle situation se trouve votre pauvre Amiral...
Ce dernier point était complètement faux mais elle était décidée à jouer avec son adversaire pour en apprendre le maximum. Cette fois-ci il ne put cacher sa surprise et finit par lâcher un long soupir de soulagement :
_ Très bien. Nous nous rendons.
Il haussa un sourcil interrogateur :
_ Aurons-nous les mêmes conditions que celles que vous accordez aux soldats qui désertent ...?
_ Bien sûr. Tous les appelés seront immédiatement démobilisés et renvoyés chez eux dès que possible. Les soldats sous contrats avec la Cosmoguarde se verront proposer un nouveau contrat pour l’Union. Ceux qui s’enrôleront chez nous se verront affecté à la défense des systèmes d’où ils sont originaires, dans certains cas à bord de leurs anciens navires.
L’autre était rassuré :
_ Je vous remercie.
_ Remerciez le Commador Zatombe. Suivez maintenant les consignes qui sont transférées a la suite de cette transmission. Je vous conseille de ne pas faire le malin mais... vous les suivrez sans difficultés n’est-ce pas ?
Il la regarda sans rien ajouter puis rompit le contact. Elle se retourna vers un de ses officiers avec un sourire. L’officier était un peu plus grand qu’elle, et de stature solide. Il avait la peau noire et ses cheveux crépus presque rasés. Il portait l’uniforme de commandant ZVEA, les commandos. Mais son allure était à la détente et il lança à l’Amiral sans cérémonie :
_ Félicitations, tu t’es débrouillée comme un chef !
Nullement gênée elle répondit :
_ Mais c’est normal, je suis chef.
_ C’est vrai... J’ai quand même du mal à croire que tu ai pu rentrer dans le cercle très fermé de l’Amirauté en aussi peu de temps.
Les autres officiers de la passerelle étaient tournés vers leurs opérations et Elle répondit à son interlocuteur assez bas pour que personne ne l’entende :
_ Massad, je suis Amiral, pourtant les généraux de l’Union ne sont pas aussi prompts que ça à me faire confiance. Cette opération est un peu une mission-suicide. Si l’affrontement tourne mal, les frégates pourront peut-être s’échapper. Pas nous.
Massad fit une moue sans rien répondre, alors elle continua :
_ Crois-tu que je n’ai pas remarqué qu’on m’a confié un des deux plus vieux croiseurs de l’Union ? Ce vieux “ Victorieux ” risque bien de ne plus garder encore très longtemps son nom très présomptueux. Même sous mon commandement. Et j'aimerai bien que tu te montres un peu plus respectueux de l'étiquette lorsque nous ne sommes pas en privés. Ton nouveau grade et nos relations passées ne peuvent justifier une telle familiarité.
Elle reprit sa voix normale pour annoncer à toute la passerelle :
_ Officiers, nous avons un problème à résoudre. Trois navires de la Cosmoguarde se sont rendus à nous sans difficultés en nous laissant supposer que le reste de leur flotte est en situation critique. Nous avons tout lieu de penser qu’ils ont affronté les Cetfans et que la lutte n’est pas forcément à leur avantage. La flottille de la Cosmoguarde nous aura rejoint dans presque trois heures. Je veux que d’ici là vous formiez des cellules de crise. Je veux que vous formuliez, en collaboration avec le cervo de notre vaisseau des hypothèses pour expliquer ce qui est arrivé à la Cosmoguarde. Vous, dit-elle en se tourna vers les techniciens, je veux savoir quelle était la composition exacte de cette cosmoforce.
Le chef technicien lui répondit :
_ Vous voulez qu’on pirate la centrale du destroyer pour accéder à ses archives ?
_ C’est ça.
Il haussa les sourcils :
_ C’est imposs...
_ Et soyez discrets, je ne veux pas que le capitaine du destroyer s’en aperçoive. Ne me dites pas que c’est impossible. Notre survie tient peut-être à ce que vous découvrirez.
L’autre ferma la bouche et prit un air résigné :
_ Bon.
_ Ha, dernier détail : vous avez trois heures.
_ ...!
_ Amiral ?
Elle se releva de sa couchette où elle se reposait et rajusta sa tenue avant d’entrer dans le champ de l’holocom :
_ J’écoute.
Le chef technicien se trouvait de l’autre côté, il avait les traits tirés et l’air très fatigué.
_ Heu... nous avons réussi à récupérer une partie des données.
_ Continuez.
_ Nous avons la liste des navires qui composaient la flotte de la Cosmoguarde : c’est la petite qui est dirigée par Jurgen Ar Matorn. Deux cuirassés dont un Plétor, trois croiseurs, une dizaine de destroyers, des avisos, des transports. Une cinquantaine de vaisseaux au total. Nous avions perdu sa trace il y a quelques semaines.
_ Intéressant. Vous avez récupéré le journal de bord ?
_ Heu... non, ce n’est pas possible sans être repéré... c’est parce qu’il est actualisé en permanence vous comprenez alors si...
_ D’accord, d’accord. Vous avez fait votre possible, c’est bien.
_ Hum... Y’a autre chose, Amiral. Les données que nous avons pu décrypter nous donnent aussi des informations sur le statuts des engins dans la flotte : nous savons ce qu’ils contiennent, combien de chasseurs, de troupes etc. Et nous avons aussi les rapports d’avaries...
_ Et... ?
_ Un des croiseurs est détruit. Il n’est pas hors combat, ou avarié, il est détruit. Complètement. Et si nous avons correctement interprété les rapports de présence des chasseurs, ils ne leur reste plus qu’une moitié de leurs dévastateurs et la totalité de leurs chasseurs TKS atmosphériques. Tous les autres sont perdus. La plupart des engins d’escorte de la flotte sont endommagés... Je ne sais pas sur quoi ils sont tombés mais...
_ Je vous remercie, vous avez fait du bon travail. Relevez votre équipe et allez vous reposer maintenant.
_ Je... Heu... Bon, merci.
Il rompit le contact. L’Amiral sortit de sa cabine et se dirigea vers le mess des officiers. Le rapport ne la surprenait pas vraiment après le comportement du capitaine de la flottille convertie mais c’était quand même préoccupant. Un croiseur détruit ? C’était plutôt inhabituel, les navires de la Cosmoguarde étaient lourds et robustes. Ils étaient quelque fois vaincus, mais rarement détruits. Elle entra dans le mess où se trouvaient la plupart des officiers, plongés dans un vaste brainstorming. L’agitation lui indiqua qu’ils avaient prit connaissance du rapport des ingénieurs. Son lieutenant s’approcha d’elle :
_ Les avis divergent mais voici l’hypothèse la plus vraisemblable : nous savons que les Cetfans ont au moins un vaisseau de la taille d’un cuirassé et une dizaine de frégates ou destroyers. En supposant qu’ils n’ont pas reçus de renforts, ces seuls engins ont mit en difficulté des forces trois fois supérieures...
Il montra de la tête le groupe d’officiers commandants les chasseurs :
_ La Chasse pense qu’ils ont des chasseurs très puissants. Nos Couroks sont faibles même par rapport aux TKS, il ne faudra donc pas compter sur eux. La bataille s’éternise en longueur, il semble donc que les Cetfans aient quand même des difficultés à vaincre la Cosmoguarde. Surtout les navires de fort tonnage. En conclusion, la Cosmoguarde est lente, lourde et robuste. Les Cetfans doivent donc être soit très rapides soit très solides pour lui tenir tête. Les Cetfans doivent aussi posséder, vraisemblablement sur leur cuirassé, une arme de gros calibre à recharge lente d’une puissance terrifiante.
L'Amiral s’assit sur une chaise, tous les regards étaient tourné vers elle, attendant son jugement :
_ Cette hypothèse me plaît. Je suggère que les frégates soient réunies par groupes de trois : deux en attaque, une en protection. Chaque groupe se verra assigné une cible spécifique. Nous commencerons par les destroyers qui escortent le gros navire.
Elle porta la main à sa joue en croisant les jambes :
_ Notre croiseur restera en retrait de la bataille, avec tous les chasseurs prêts à intervenir car je crois que nous n’avons aucune chance d’infliger des dommages sérieux au cuirassé si la Cosmoguarde n’y a pas réussi. Nous devons trouver autre chose.
_ Vous pensez à quoi ?
_ Les ZVEA que nous avons embarqué en vue d’opérations au sol pourraient nous servir... Commandant Karp ?
_ Un abordage ?
Massad eu un sourire en coin :
_ Pourquoi pas. Mais il faudra défendre nos navettes contre les chasseurs ennemis. Nous abordons lequel ?
_ Le plus gros bien sûr. Notre mission n'est-elle pas de ramener un vaisseau cetfan ?
Un autre officier se racla la gorge et prit la parole :
_ Vous envisagez sérieusement qu'on capture le cuirassé ?
_ Et pourquoi pas ? Il est évident que nous ne pourrons pas lutter contre lui. Si nous voulons avoir une chance de survivre, il faut que nous trouvions ce qui bloque nos hyperfaisceaux. A mon avis, un appareil d'une tel puissance ne peut se trouver que sur leur plus gros navire, ou sur une installation au sol. Les rapports de la Cosmoguarde nous laissent supposer que nos forces habituelles n'auront aucune utilité. Or les seuls forces non conventionnelle dont je dispose sont les commando ZVEA qui contienne quelques groupes feydars qui se sont portés volontaires.
_ Ok. Et pour la Cosmoguarde, qu’est-ce qu’on fait ?
Elle jeta un regard circulaire en répondant :
_ Nous ne les attaquerons pas. Je pense qu’ils feront de même, du moins tant que les cetfans ne seront pas vaincus. Il doivent avoir les mêmes objectifs que nous dans cette affaire.
Après le briefing tous les officiers retournèrent à leur poste. Les trois astronefs de la Cosmoguarde furent bientôt en vue et le capitaine de la flottille fut conduit sur la passerelle du Victorieux. Il avait repris sa contenance mais la perdit de nouveau devant les assertions de l’Amiral. Il rouge de stupéfaction :
_ Vous allez retourner là-bas ?!
_ Oui, nous sommes venus ici avec une mission à accomplir.
_ C’est de la folie ! C’est tout ce que vous avez comme flotte ? Vous allez vous faire massacrer !
_ Je ne vous oblige pas à venir avec nous.
_ Comment !? Alors ça c’est la meilleure !
_ Vous souhaitez participer ?
Il était outré :
_ Vous croyez que je me suis rendu pour que vous nous meniez à la mort ? Vous êtes complètement folle !
_ Bon écoutez, vous êtes mes prisonniers de plein droit. Mais je n’ai pas les moyens de faire du gardiennage alors je vous demande rester bien sagement ici avec vos astronefs. Il se peut que nous en ayons besoin à notre retour. Je vais vous donner une unique mission : si la balise de ce croiseur s’éteint, donc que nous sommes détruits, tentez de vous enfuir. Partez en propulsion conventionnelle s'il le faut, débrouillez-vous comme vous voulez, mais allez jusqu'à Tyrr. Vous donnerez ce sceau à l’ambassadeur de l’Union en personne. Mes hommes ont reprogrammé vos balises universelles, avec une procédure d’autodestruction en cas de violation : vous ne pouvez plus vous défiler, vos navires émettent désormais les signaux de l’Union.
Le capitaine la jaugea du regard puis déclara :
_ Vous avez beaucoup de courage. Mais je pense qu’il ne vous servira à rien. Ar Matorn aussi pensait qu'en s'éloignant du coeur du système nous finirions par sortir de l'influence du brouillage de Cetfans et ainsi pouvoir faire un saut. Mais je n'ai aucune certitude à ce sujet : nous étions très loin dans le nuage périphérique lorsque nous sommes arrivés et le brouillage était déjà là.
_ Je ne vous demande pas votre avis.
_ Soit. J’attendrais donc ici le signal de la destruction de votre vaisseau. Et je ne crois pas devoir attendre très longtemps.
_ Nous verrons cela.