Version d'archive
Depuis peu, les mondes Humains recouvrant une grande partie de la galaxie ont découvert une peuplade extraterrestre hostile qu'ils nommèrent Cetfans. Pourtant, les Humains restent très occupés par leurs propres querelles et après s'être fait décimer sa flotte par la Cosmoguarde, l'Union survit en s'approvisionnant chez les contrebandiers. Quelques individus vont être contraint de faire un saut hyperspatial au hasard, les plongeant vers l'inconnu...
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ZVEA - la formation et le recrutement - :
Les premiers corps de ZVEA datent de la création de l’Union. Initiée sous le commandement du général Fed Aykin l’idée des ZVEA apparut à la suite des émeutes légaliennes contre la Cosmoguarde quand il fut avéré qu’un petit parti de soldats entraînés et dévoués pouvait mener avec succès une guérilla contre une grande armée conventionnelle. Le recrutement des ZVEA se fait uniquement parmi les enfants à charge de l’État d’un des membres de la fédération indépendante, donc uniquement des orphelins. Les futurs ZVEA sont pris en charge assez jeunes, dans tous les cas avant qu’ils n’aient atteint leur âge adulte. Ils suivent une formation pointue dans tous les domaines militaires. Ils sont experts en armement et peuvent en utiliser n’importe quel type. Ils suivent aussi un entraînement spécial de self-control ainsi que divers sports de combats rapprochés. Les ZVEA sont formés de plus au pilotage d’engin de chasse, d’exploration et à la navigation dans des bâtiments de fort tonnage. Chaque officier choisit finalement un domaine précis qu’il approfondira tout particulièrement. Les ZVEA restent normalement en groupes d’opérations dans le corps spécial mais il arrive que certains d’entre eux soient incorporés dans d’autres sections plus conventionnelles de l’Union, notamment dans la Coordination.
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Requête RegStar,
Base de registre de l'Union - 9381 GS
Les oiseaux qui fuient, le sol qui tremble, l’air qui charrie herbes et feuilles, et ce grondement sourd... Pourquoi cette violence, pourquoi ici ? pourquoi la paix est-elle si fragile et si faible ? Pourquoi la rage et la furie sont-elles toujours là à veiller, qu’est-ce qui pourrait les bâillonner et les bannir à tout jamais ?
Le souffle est maintenant si fort que plus rien ne vole, tout est déjà balayé et soudain ce calme... Même le souffle devient silencieux quand arrive la Tornade, environnée d’éclairs, comme les antiques dieux en colère, terrassant et labourant tout sur son passage, rien ne lui résiste. Elle est tout en même temps réunie : la guerre, la haine, le feu, les cris et le sang. Tout n’est plus que ravage, pillage et massacre. Le temps est suspendu sur cet instant de folie : la plaine autour de la tempête est rouge, le rouge écarlate du sang des innocents et l’odeur de la mort plane, suffocante...
Kérian sursauta, en nage et tremblant. Comment un cauchemar peut-il paraître aussi réel ? Il regarda autour de lui, les murs en pierre étaient proches et solides, son vertige s’estompait. Pourtant, une image s’était gravée dans son esprit, furtive, comme une étincelle, celle du calme, tout près, juste derrière la tourmente. En cet instant il sut qu’il y avait quelque chose qui l’attendait lui, à cause de l’ouragan et parce qu’il n’y avait qu’un chemin, un seul, qui menait à cet endroit calme et paisible, cette étincelle qu’il ne pourrait jamais oublier.
Il s’assit sur son lit et se rappela que ça n’en était pas un en s'éveillant définitivement. Il se trouvait sur une sorte de hamac semblable à ce qu’il avait vu dans la maison de Farad : une peau épaisse et tendue entre les murs dans la partie haute de l’habitation. Le “ lit ” était recouvert de couvertures et de coussins, Kérian les poussa et se dirigea vers l’échelle murale pour descendre au rez-de-chaussée. La pièce était petite, un carré de trois ou quatre mètres de coté, il y avait une petite cheminée, une table et quelques meubles de rangement. Ses affaires étaient suspendues sur une sorte de portemanteau, il s’habilla et sortit par l’unique porte, en bois massif.
Six jours déjà qu’ils étaient ici et rien ne se précisait. Kérian n’avait jamais entendu parler d’un monde peuplé d’humains primitifs. Comment était-ce possible ? Par quel hasard malicieux avait-il atterri ici ? Comment rejoindre la civilisation, celle dans laquelle il était né et celle pour laquelle il se battait ? Perdu dans ses pensées, il parcourait distraitement le court trajet qui le mènerait à l’habitation que l’on avait attribuée à Massad, non loin de la sienne. En arrivant devant la porte, il frappa et entra sans attendre une réponse qui ne viendrait probablement pas.
_ Massad ! appela-t-il, lève-toi, il faut qu’on parle.
L’autre grogna puis consentit enfin à descendre. Il demanda en baillant :
_ Qu’est-ce qui se passe ?
_ Nous devons trouver le moyen de partir d’ici.
Massad se retourna en enfilant ses vêtements, il regarda son ami puis déclara :
_ Toi, tu as quelque chose derrière la tête n’est-ce pas ?
_ Non Massad, il m’est juste venu une idée, comme ça. Nous sommes ici depuis une semaine et cette planète n’est pas normale. Nous avons vus les personnes les plus hautes placées. Ces gens sont trop évoluées et trop primitifs en même temps…
Massad regarda l’intérieur de la petite maison, l’air songeur. Kérian se tourna vers la fenêtre en rajoutant :
_ Je ne sais pas… Rappelle-toi ce que nous a dit La Brulite. Massad se souvenait parfaitement de la scène.
Le voyage avait commencé tôt le matin. Ils accompagnaient le chariot de provisions destinées au vieil homme. Dix feydars en armes les guidaient, cinq femmes sur le chariot avec des armes que l’on identifiait sous le nom d’“ arc ” et des poignards et cinq hommes en armures montés sur des animaux, ces espèces de chats géants, montrant tous les signes de la férocité. “ Togre ” avait simplement répondu un soldat à la question de Kérian. Ils avaient marché toute la journée sur la route pavée avec une courte pause de ravitaillement le midi. Le trajet s’était effectué dans le silence, tous le monde restant aux aguets et attentifs. Massad avait rapidement arrêté ses efforts de communication avec leur escorte : tous semblaient peu disposés à discuter. Le souvenir de la fin tragique de leurs compatriotes restait manifestement très présent dans leur esprit. A moins que ce ne soit leur manière habituelle de se déplacer hors de la protection de leur cité.
Vers la fin de la journée ils étaient arrivés à un croisement où ils bifurquèrent sur la voie qui serpentait vers les collines.
Comme s’il était prévu d’avance, le trajet prit fin juste en même temps que les derniers rayons du soleil. Le crépuscule pourpre embrasait le ciel et donnait des reflets infernaux à la paroi de rocher qui s’ouvrait sur une caverne. On apercevait la base d’une façade maçonnée en retrait dans la grotte dont la voûte se perdait dans l’ombre.
Alors que les guerriers mettaient pied à terre, la façade s’illumina soudain, d’une lumière blanche, uniforme, stable et puissante, sans rapport avec les torches et braseros rencontrées dans la ville le jour précédent. Un vieil homme sortit de la porte, comme un génie au milieu d’une apparition. Il salua l’escorte du groupe puis s’approcha des deux hommes.
_ Kérian et Massad, les deux visiteurs venus des étoiles… Je savais bien que vous finiriez par venir me voir. Ne soyez pas étonné, la plupart des Feydars ne savent rien des sciences, les Chants Anciens seuls permettent de survivre alors personne ne cherche à en savoir plus. Rentrez, suivez-moi, inutile de consommer pour rien les soleils artificiels. Je ne peux pas en fabriquer beaucoup, ajouta-t-il comme une sorte d'excuse.
Sur ce il se retourna et partit en trottinant vers l’entrée de la grotte aménagée.
Massad souriait en repensant à la tête qu’ils avaient dû faire tous les deux plantés là par un vieux petit bonhomme.
La première surprise passée, les deux hommes emboîtèrent le pas de leur hôte pendant que leurs compagnons de voyage déchargeaient le chariot de provisions. Ils entrèrent dans un petit hall par une lourde porte de bois massif blindée de plaques métalliques, du solide, mais pour résister à quoi ? Les gorgues seuls ne justifiaient a priori pas une telle protection. Trois portes partaient du hall, deux au fond et une à gauche. La Brulite s’était éclipsé par celle de gauche et revint presque immédiatement. Il les invita à le suivre en passant par une des deux portes. Ils débouchèrent sur une immense salle rectangulaire avec un haut plafond remplie d’un incroyable capharnaüm d’objets de toutes sortes, de récipients, de sacs et d’outils tantôt amoncelés à même le sol tantôt plus ou moins rangés sur de grands établis. Ils s’assirent autour d’une petite table un peu moins chargée que les autres et qui restait visible sous les babioles qu’elle supportait. La Brulite les regarda minutieusement avant de prendre la parole :
_ Oui... je vois dans vos yeux beaucoup de questions... Et je ne pourrai pas répondre à toutes, non... Pourtant Farad pense que je peux vous aider.
_ Comment pouvez-vous savoir de quoi nous avons discuté avec Farad ? lui demanda Massad perplexe.
_ Haaa, oui ! c’est ça qui vous intrigue. Il leur montra une sorte d’oiseau avec de grands yeux fermés perché sur les poutres de la charpente. Guisha m’a transmis un message de Farad, elle voyage la nuit pour éviter les prédateurs. Grâce à elle je sais tout ce qui se passe à la cité. Mais j’ai su avant eux que vous étiez arrivé... Oui, j’ai vu votre atterrissage, il se frotta le menton en plissant les yeux, mais je pensais que ce devait être moins dangereux. Votre véhicule prend-il toujours feu avant de se poser ? ça ne me paraît guère économique... Mmh ? termina-t-il en une moue dubitative.
Massad était stupéfait. Un sourire satisfait animait le visage de Kérian :
_ Parlons sans ambages, vous connaissez l’usage de machines ? Vos compatriotes n’ont pas l’air d’utiliser quoi que ce soit de mécanisé. Nous commencions à croire à une hallucination collective...
Les yeux du vieil pétillaient d’excitation :
_ Oh si, ils utilisent des machines, pas beaucoup... Ce sont mes conceptions, généramelent, mais depuis que je travaille sur mon dernier projet, ils m’ont banni hors de l’enceinte de la cité. Farad n’a pas apprécié la destruction de mon ancien entrepôt et des maisons qui l’entouraient, non... Mais ils ont quand même utilisé mes grues pour reconstruire ! Héhé.
Il semblait d'un coup assez fier de lui, et poursuivit bientôt :
_ En fait, les Feydars utilisent peu de machines parce qu’ils n’ont pas de temps à perdre pour les concevoir, moi... Je n’ai jamais été un bon guerrier, non... Alors j’ai construit des objets pour pallier ma faiblesse, vous n’avez pas vu la forge ? C’est moi qui l’ai inventé. j’étais forgeron dans ma jeunesse. J'ai amélioré le four. Et comme j'étais meilleur à ça j'ai finalement passé tout mon temps à concevoir... J’ai conçu les lance-pieux et les chars à volants...
Le petit bonhomme était tout excité par ces réminiscences. Il se leva tout en parlant, leur montrant des objets et des mécanismes. Complètement grisé par ses explications, il ne s’aperçut pas que les deux hommes ne l’écoutaient plus que d’une oreille. Kérian regarda le bric-à-brac qui les entourait en essayant d’évaluer les connaissances de leur orateur. Il y avait des mécanismes en bois, en métal, des fioles en verre et en d’autres matières curieuses et même de petits assemblages probablement électrique ? Peut-être que tout n’était pas perdu finalement, il lui fallait juste pouvoir réparer une radio hyperspatiale.
Massad se retrouvait d’un coup entre le flot de paroles de La Brulite auquel il ne comprenait plus rien et un Kérian perdu dans ses pensées au meilleur de sa forme.
Tous les trois s‘interrompirent, quelqu’un avait crié ?
_ Stop, répéta Massad, du calme, dit-il au vieillard en secouant son ami par le coude, et toi reviens avec nous, non mais qu’est-ce qui se passerait si je n’étais pas là, je vous le demande ? Je ne sais pas pour vous mais moi j’ai faim et si nous pouvions parler calmement de tout ça, avec un geste vague autour de lui, en dégustant un bon repas ce serait mieux, non ?
Effectivement, ça avait été parfait, ils avaient pris le repas tous ensemble avec leurs guides devenus bien plus loquaces. Ils avaient discuté très tard car il fallait sans cesse interpréter les paroles de La Brulite qui n’utilisait pas les termes habituels... Enfin, question de point de vue, comme toujours.
Kérian lui demanda :
_ Alors qu’est-ce qu’on a appris finalement ?
Massad le regarda :
_ La Brulite est l’ingénieur du coin, il fournit les Feydars en mécanismes simples et conçoit des machines et inventions diverses. Il vient de découvrir la recette d’un explosif peu puissant mais malgré tout révolutionnaire par ici. Il a été banni de la ville mais Farad le protège quand même. En fait il n’est pas vraiment banni, il est juste mis a un endroit où il peut travailler sans danger pour la communauté. Les gorgues ne l’attaqueront jamais parce que le site de son labo est mystiquement dangereux pour eux. C'est ce que j'ai cru comprendre en tout cas. Mais le fait le plus important que nous ayons appris c’est qu'il ne connaît rien en matière d'électronique, et que ses balbutiements en électricité ne vont guère plus loin que le moteur électrique ou la dynamo et la fabrication de quelques ampoules produisant de la lumière par un procédé particulièrement archaïque : il ne pourra pas nous aider à réparer la radio.
_ Mais il ne nous a pas expliqué pourquoi la citadelle de la ville est en platzbéton. Tu sais ce que je crois, et Kérian montrait l’énorme tour visible par la fenêtre, je crois que les Feydars ont des ancêtres humains comme nous qui sont venus coloniser cette planète mais pour une raison que j’ignore ils ont perdu la quasi totalité de leur technologie et le contact avec le reste de la galaxie. Il n’y a qu’à voir les extensions de la ville : sur le même modèle que l’enceinte originale mais en simple roche naturelle. Il y a quelque chose sur cette planète qui a modifié les codes existants. Et cette chose n’a pas été détectée à temps par les colons qui sont venus ici. S’il s’agit d’une sorte de virus, il n’est pas du tout sûr que la vaccination universelle nous protège.
Massad fronça les sourcils et lui répondit franchement :
_ Holà, tu y vas peut-être un peu fort, là. Les feydars sont bien vivants, non ? Ils n’ont pas l’air d’être franchement différents de nous. Nous avons mangé la même nourriture qu'eux depuis une semaine. Et puis de toute façon la vaccination universelle a fait ses preuves. Aucun incident supplémentaire n’a été reporté depuis la synthèse des équations de Roultz. Maruroya est la seule planète qui a été victime d’une colonisation non stérilisée, et la seule aussi à avoir été ravagée par une lutte sauvage entre les gènes et germes indigènes et ceux que les humains avaient apportés avec eux. Si une autre planète avait dû perdre toute trace de vie suite à une colonisation, je crois qu’on en aurait entendu parler. Et de toute manière, il y a de la vie ici. Et notre présence depuis plusieurs jours n'a semble-t-il pas provoqué de désordres écologiques particuliers.
_ D’accord, il y a de la vie mais les espèces rapportées ont manifestement énormément évolué. D’après ce que nous avons appris, les formes de vie autochtones sont toutes soit reptiliennes, terrestres ou marines, soit insectoïdes. Pas de mammifères ni d’animaux à fourrure, uniquement des créatures qui pondent des œufs. Ça signifierait que tous les mammifères que nous avons croisés ont été apportés par les premiers colons pour leurs besoins. Ok ?
_ Jusqu’ici je te suis...
_ Alors regarde les togres. Des sortes de chats multipliés par dix, suffisamment gros pour qu’on puisse les monter, avec des dents et des griffes énormes ! Dans quel cas est-ce que des colons emmèneraient avec eux des bestioles manifestement aussi dangereuses ? Et pourquoi n’y a-t-il pas d’animaux d’élevage classique comme des vaches ou des poulets ?
Massad ne savait que répondre, Kérian poursuivit le fil de sa pensée :
_ Il est impossible que les feydars aient modifié génétiquement des races, même La Brulite ne sait rien de ces sciences-là. En admettant que les togres sont issus des chats, cette évolution s’est faite naturellement, ce qui implique deux choses : un, les feydars sont ici depuis extrêmement longtemps, suffisamment pour que les animaux évoluent d’une façon invraisemblable. Et, deux, l’environnement de Feyd ne fait pas de cadeau, ce qui expliquerait la disparition des races qui sont habituellement présentes sur la totalité des mondes colonisés par des humains mais qui sont plutôt faibles et démunies sans le concours de leurs éleveurs.
Il fit une courte pause avant d’en venir à sa conclusion :
_ Les feydars nous ressemblent physiquement, a par le fait qu’ils sont tous métisses, mais s’ils ont évolué parallèlement aux togres, ne peut-on envisager qu’ils ne soient pas aussi proches de nous qu’ils en ont l’air ? Peut-être que ce qui ne se voit pas à l’extérieur l’est à l’intérieur.
_ Attends, tu te rends compte de ce que tu dis ? On ne peut pas modifier cinquante mille trucs à l’intérieur... Et puis... Et puis non, tu a forcément tort, le diagnoskit a bien réussi à soigner Elida.
_ Certes, et son rétablissement, et le tien aussi d’ailleurs, ont été un peu trop rapide, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais parler d’un changement de psychisme. Regarde-les : ils vivent en communauté dans une parfaite harmonie, ils n’ont pas de gouvernement puisque leur dirigeant est reconnu unanimement et son “ mandat ” est reconduit tacitement. Leur langue n’a manifestement aucune racine commune avec le galactique standard même si l’échotraduct peut la traduire presque entièrement. Ils n’ont pas de monnaie et ne font pas de commerce. Tu conviendras comme moi qu’une telle chose ailleurs dans l’univers que nous connaissons relève purement et simplement de l’utopie ou de l’holoroman de science-fiction !
Le visage de Massad exprimait une moue dubitative :
_ C’est vrai qu’on se croirait un peu dans un film. De temps en temps j’ai l’impression que si je me mets à courir je vais passer au travers du décor et voir tout ce qu’il y a derrière.
Le regard de Kérian prit cette profondeur qui trouble la plupart des gens :
_ Exactement. Tu vois que je ne suis pas le seul à sentir des choses bizarres, mais moi c’est un peu plus qu’une simple impression. Depuis que nous sommes ici je fais des rêves très étranges : ils sont de plus en plus prenants et ils ne sont pas dû à un simple stress... Ça fait longtemps que je sais maîtriser les troubles simples de comportement, comme tous les gradés de l’Union. Son regard se perdit encore un peu plus, si tu avais vu ce qui m’a réveillé ce matin... Toi aussi tu voudrais partir d’ici, et le plus vite possible. J'ai l'impression que ça finira mal si on s'éternise ici.
Massad resta silencieux quelques instants avant que Kérian ne reprenne :
_ Il faut que nous trouvions le moyen de contacter l’Union ! Les batteries que nous avons dans les restes de nos Couroks ne seront pas éternelles... Et tu as pensé que nos échotraducts ne fonctionneront pas deux semaines de plus sans recharge ? Il faudra que nous apprenions leur langue, Massad.
Deux coups portés sur la porte brisèrent le silence. Elle s’ouvrit sur une jeune femme qu’ils connaissaient bien. Massad la salua :
_ Salut, Elida.
Elle s’approcha d’eux avec un signe de tête :
_ Vous êtes tous les deux là, bien, La Brulite dit que vous venez des étoiles ? C’était presque une légende pour nous... En tout cas ça explique pas mal de choses, lança-t-elle en regardant Kérian de biais. Bon, je suppose que vous n’avez pas de Qeidyn ? C’est pour ça que je suis venue, je vous emmène chez le Balshir forgeron.
_ Qu’est-ce qu’un Qeidyn ?
Elle glissa sa main gauche dans son dos et en sortit le poignard avec lequel elle s’était fabriqué son arc de rechange, le couteau était assez semblable à celui que possédait Farad.
_ Mon Qeidyn, dit-elle simplement, le forgeron vous expliquera. Mais qu’est-ce que vous avez sur les joues ?
Les deux hommes se regardèrent en même temps, sans rien constater d’anormal. Ils avaient une légère barbe naissante tout à fait banale après ces quelques jours où se raser n’avait pas été une préoccupation primordiale. Kérian eût un déclic et exprima tout haut avec un léger sourire l’idée qui lui traversa la tête :
_ Les feydars sont imberbes.
Elida restait perplexe alors que Massad assimilait :
_ C’est vrai, maintenant que tu le dis : on n’a pas croisé un seul homme barbu. Elida, nous autres avons des cheveux qui nous poussent sur les joues. D’habitude on les rase parce que...
Il ne trouva pas d’explication alors il lança bêtement :
_ Parce que c’est comme ça, voilà.
_ Des cheveux sur les joues ?
Elle les regardait comme des bêtes curieuses :
_ Drôle de truc...
Elle esquissa un mouvement de la main comme pour toucher la joue de Massad puis se ravisa légèrement confuse :
_ Heu, bon, allons à la forge. Vous n’avez pas mangé ? demanda-t-elle sans attendre la réponse. Nous passerons par les halles.
Le trio se déplaça dans les hauteurs de la cité, les maisons qu’on avait accordées à Massad et Kérian se trouvaient à mi-hauteur dans les terrasses successives des quartiers. Ils se déplaçaient en descendant peu à peu, vers les halles où se trouvaient les cuisines communes de la cité. Tous les bâtiments publics étaient situés généralement en bas, accessibles directement par la grande route. Ces constructions étaient nombreuses, les feydars semblaient tout faire en commun. D’ailleurs il n’y avait ni cuisine ni sanitaire dans les habitations. Des petits thermes étaient répartis dans toute la cité mais les bâtiments communautaires étaient plus imposants vers le centre. Ils passèrent justement devant les grands thermes centraux en allant vers les halles. Ils n’étaient jamais rentrés à l’intérieur mais si ils étaient bâtis sur le même principe que les autres ils devaient pouvoir subvenir aux besoins d’un grand nombre de personnes.
Ils arrivèrent enfin dans les grandes halles dont les fourneaux ne semblaient jamais s’éteindre quel que soit le moment de la journée. Il y avait toujours des tables, des cuisiniers et des vivres en abondance. Pendant qu’ils se restauraient un groupe arriva accompagné d’un énorme reptile qui tirait une sorte de charrette. L’animal semblait paisible malgré la taille suggestive de ses membres, peut-être était-ce là une des démonstrations de la nature qui s’amusait parfois à donner des allures monstrueuses à des animaux inoffensifs ? Les feydars qui étaient arrivés avec le transport se mirent à déballer leur cargaison : le résultat d’une chasse et d’une cueillette. Kérian se demandait si les feydars utilisaient l’agriculture. Comment pouvaient-ils nourrir toute la cité sans cela ? Il devait bien y avoir dix mille personnes qui vivaient ici dans cette grande communauté. Il se souvenait pourtant très clairement n'avoir aperçu aucun champs ou culture aux abords de la cité, ni pendant leur voyage pour la rejoindre, ni pendant l'excursion vers le labo de La Brulite. Ils ne semblaient pourtant pas manquer de vivres ni être condamnés à un régime monotone : depuis qu'ils étaient là, ils n'avaient pas mangé deux fois la même chose, et tous les feydars croisés avaient l'air bien nourris et bien portants.
Il régnait une certaine agitation parmi les hommes et femmes en armes qui revenaient de leur expédition. En se déplaçant Kérian put apercevoir un feydar allongé à l’arrière de l’attelage, deux autres étaient penchés sur lui. Était-il blessé ? Elida lui répondit par l’affirmative :
_ La chasse est dangereuse, souvent il y a des accidents et des blessés. De toute façon il s’en tirera, sinon ils l’auraient laissé dans le fort à côté de la cité.
Ils partirent ensuite en direction de la forge, en laissant les feydars vaquer à leur occupations quotidiennes. La forge était à l'extrémité de la cité opposée au grand fort de l'entrée principale. Pendant le trajet Kérian resta légèrement en retrait, contemplant la splendeur de l’architecture des feydars. Elle était toute simple et pourtant il se dégageait de la cité comme une atmosphère de bien-être, un oasis de calme au milieu des tempêtes et des dangers de l’extérieur. Il aperçut même quelques enfants dans les étages supérieurs, jouant parmi la végétation et les jardins autour de maisons. Il n’en avait pas croisé beaucoup jusqu’à présent. Ils devaient avoir des petits travaux à faire ou alors suivaient-ils un enseignement groupé quelque part ? Peut-être n'avait-il tout simplement pas été attentif pour les remarquer.
Ils arrivèrent finalement devant la forge : un grand bâtiment à demi enterré, d’où sortaient trois énormes cheminées. Il suivit Massad et Elida sur les marches qui descendaient vers l’entrée en soubassement. La forge grouillait d’activité, les trois fourneaux étaient entourés par plusieurs feydars qui travaillaient le métal. L’atmosphère était surchauffée et l’on sentait fort les odeurs des efforts physiques. Un homme s’approcha d’eux, il portait un grand tablier en cuir épais et des gants usagés :
_ Je vous salue, je suis Shay, le Balshir forgeron, on m’a dit que vous n’aviez pas de Qeidyn ? En leur disant cela il se pencha pour vérifier l’absence de l’arme dans le dos des deux hommes. Je ne sais pas comment vous faites ailleurs mais ici, le Qeidyn c’est la vie. Chacun a le sien et les enfants aussi, c’est la première arme que l’on apprend à manipuler. Suivez-moi.
Il les guida à travers l’atelier dans une pièce auxiliaire plus respirable et plus fraîche où il y avait un établi avec divers outils et récipients. Il prit une baguette au bout de laquelle se trouvait une sorte de pâte malléable qu’il tendit à Kérian :
_ La pâte prendra l’empreinte de tes doigts, passe ton doigt dans l’anneau et presse fortement.
Après que Massad eut lui aussi imprimé son empreinte Shay les accompagna dans une autre pièce où se trouvait entreposé un nombre impressionnant d’armes blanches à lames de toutes sorte, à peine terminées ou au contraire très travaillées :
_ Vos Qeidyn seront finalisés demain, si vous avez des envies particulières sur les matériaux de la garde c’est le moment de me le dire.
Devant leur indécision il leur montra des armes existantes en énumérant :
_ Métal ciselé, métal recouvert de peau, bois de sofis ou de billas, peau écaillée... Et pour le pommeau : des pierres, des toutes les couleurs, ou alors une rune, une inscription dans la masse ?
Massad opta pour un métal jaune, une poignée recouverte de cuir et un pommeau serti d’une pierre bleue, très semblable au Qeidyn d’Elida. Kérian choisit un métal très foncé ciselé sur la poignée, et un os blanchi sculpté en guise de pommeau. Shay le forgeron lui demanda en fronçant les sourcils :
_ Tu es sûr que tu veux cette rune-là ?
_ Oui, j'aime le motif. Pourquoi, que signifie-t-elle ?
_ Sahr...
_ Sahr comme la tempête ? C’est très bien ça.
Le Balshir nota quelques indications puis les regarda dans les yeux :
_ Comme vous n’avez pas l’air de le savoir je vais vous rappeler quelques notions élémentaires sur le Qeidyn. La lame est réalisée avec un métal différent de la garde qui est extrêmement toxique pour toutes les créatures vivantes. Le poison n’est pas enduit, il est la lame. Il ne sert pas pour la chasse, parce que la proie serait intoxiquée et impropre à la consommation. Ne vous avisez pas de vous blesser avec votre propre lame. Aucun guérisseur ne vous sauverait. Le Qeidyn n’est jamais très loin de l’Ahd et tous les feydars le portent sur eux en permanence. Quand vous sortirez vainqueur des batailles vos hauts faits d’armes seront gravés sur la lame. Les runes vous apporteront leur puissance pendant les affrontements et votre histoire sera liée à celle de votre Qeidyn.
Tout en leur expliquant, il avait sorti son poignard et en montrait les différents aspects. Sa lame était presque entièrement recouverte de fins symboles. Cela n'avait pas frappé Kerian sur le coup, mais il se souvenait maintenant que l'arme de l'Atashir de la citée était elle aussi très imprimée, alors que celle de Elida ne portait que quelques motifs.
_ Un Qeidyn se porte à l’arrière de la ceinture, la poignée orientée vers le bas, de telle sorte qu’en glissant la main dans le dos elle tombe naturellement dessus.
L'artisan joignait le geste à la parole et leur expliquait toutes les subtilités de l'entretien de l'objet et de sa manière de le porter. Il était très didactique, et Kérian supposa que c'était parce qu'il avait une grande habitude de faire ce genre de « cours » mais pas vraiment pour des adultes, d'habitude.
Il observait l’arme que leur montrait Shay. Elle faisait une trentaine de centimètres et ne gênait absolument pas les mouvements quand elle était dans son étui. Sa position dans le dos la rendait peu visible et elle serait probablement invisible si le porteur mettait un manteau long ou une cape. Son poids assez léger pour un couteau de cette taille la laissait se faire oublier, et la main pouvait la saisir très facilement pour la sortir tant dans un sens que dans l'autre : lame de front ou lame à revers. La perfection de l'ensemble semblait issu d'une longue pratique ayant peu à peu gommé tous les défauts pour ne garder que l'essentiel. Il jeta un coup d’œil vers Elida alors qu’une pensée émergeait dans sa tête : Tous les feydars portaient cette arme qui ne servait qu’en cas de guerre, et, d’après les propres paroles du forgeron, ils la portaient tout le temps. Les implications de cette constatation le laissaient songeur sur la précarité de la vie pour ce peuple.
Kérian regardait la lumière extérieure déformée par l’épaisseur de la vitre, il était dans le sauna des petits thermes non loin de chez lui. Il prenait un repos bienfaisant après les efforts consentis face à Shay, le balshir forgeron qui accessoirement était aussi maître d’arme. Il lui avait proposé de s’entraîner l’après-midi et comme Massad et Elida s’étaient éclipsés on ne sait où il avait accepté sans trop savoir à quelle sauce il allait être mangé. Il avait bien sûr des notions d’escrime mais il faut reconnaître que les feydars avaient atteint un degré de maîtrise qui n’avait rien à voir avec le sien... Leur vitesse de déplacement était incroyable et leurs coups diaboliquement précis. Il avait du faire l'effet d'un enfant en face du maître rompus à toutes les types d'attaques et de parades. Ils avaient utilisé divers types d’armes mais quel que soit l’objet qu’il avait entre les mains, Shay paraissait aussi efficace. Une chose était sûre : il méritait bien son statut de maître d’arme. À la fin de l’après-midi, stoppé par leur fatigue respective ils avaient discuté d’armement, bien sûr. Ils avaient été rejoints par une femme d’une quarantaine d’années qui s’était présentée comme “ Elana, Duanshir ingénieure ”. Kérian avait noté mentalement : Balshir pour les meneurs masculins, Duanshir pour les meneuses... Combien y avait-il de “ shirs ” chacun dans leur domaine ? En tout cas ceux-là étaient respectés. Ils l’avaient questionné sur son équipement, la Duanshir comprit tout de suite le maniement de son brolt mais les feydars furent quand même tous les deux très surpris par la puissance de la déflagration, et la cible de paille fut bien évidement complètement vaporisée ainsi qu’une partie des pierres du mur qui se trouvait derrière. Il faut dire que le bruit de la détonation n'était pas vraiment un résultat du mécanisme lui-même, mais plutôt un ajout du fabriquant pour augmenter l'effet psychologique démoralisant de l'arme. Le brolt 45 n'était pas un pistolet conçu pour la discrétion. Il se rappelait la remarque satisfaite du forgeron quand il leur avait parlé du bouclier de stase :
_ Mais finalement même avec des armes aussi perfectionnées, on en revient aux bonnes vieilles lames de métal. Votre bouclier de protection ultime ne vous protège contre aucune des armes que nous utilisons, semble-t-il. Et même si votre revolver est très puissant, je pense qu'il ne vous sauverait pas si vous étiez surpris, disons, dans un cercle de deux mètres, par un feydar armé d'une épée.
Et il avait probablement raison. Avant d'arriver ici, kérian pensait n'être pas un mauvais combattant au couteau. Mais maintenant qu'il avait vu de quoi un feydars était capable, il était certain de se faire terrasser en duel par n'importe quel habitant de cette citée.
Il laissait planer ses pensée en se prélassant dans à la chaleur humide de l’endroit, ses muscles fatigués accueillaient ce répit avec un bonheur relaxant. En repensant à cette conversation, il avait quand même appris pas mal de choses. Pendant les combats contre les gorgues tout le monde était mis à contribution, les hommes dans la mêlée, à pied ou sur les togres, les femmes autour, avec des arcs et des armes à projectiles et même parfois les enfants quand le danger était trop grand, pour défendre la cité avec d’énormes modèles fixes d’arcs, c’était certainement là ce que La Brulite avait nommé très justement des “ Lance-pieux ”. Tous étaient vêtus de protections, des armures complètes pour les cavaliers aux plastrons allégés pour les femmes. Shay avait même pris ses mesures pour lui fournir une cuirasse. Ainsi donc tout cela était réel. Cette civilisation isolée du reste de la galaxie, perpétuellement menacée par toutes les formes de vie autochtones, ferraillant sans cesse pour survivre...
Peut-être devrait-il faire comme Massad, reléguer les questions au fond de sa tête et regarder de plus près les belles jeunes femmes de la cité. Mais il décida de continuer à rester vigilant, et s’il ne trouvait vraiment pas de réponses, alors il se résignerait à prendre les choses comme elles venaient. Pourtant ça ne lui plaisait pas beaucoup, tout ici rappelait la violence de la vie, que ce soit les Qeidyns, les togres, les immenses remparts ou les armes omniprésentes... Et les enterrements. Farad l’avait fait prévenir qu’un cortège irait rendre hommage aux feydars morts le jour de leur arrivée, Massad et lui étaient invités, tout le monde se rendrait au “ Bûne-Kher ”. De nouvelles questions en perspective mais quand donc arriveraient les réponses ?
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