Bruce était maintenant caché, à l'intérieur d'une grange abritant quelques animaux qui l'avaient caché. Il ne savait pas pourquoi il avait couru. Le paradoxe était tellement étrange.Il se retrouvait comme dans son rêve, à revivre une scène déjà vecue.
Il s'était adossé à un poteau en bois massif, sur la paille. Maintenant qu'il était seul, il devait réflechir à la conduite à tenir. Il avait eu raison de fuir, d'éviter le contact avec son homologue dans le passé. Ca, il en était sur.
Comme il reorganisait sa mémoire en vue de la mettre à contribution, il entendait des pas qui se rapprochaient, dans cette petite rue toujours déserte. Le pavé n'était pas mouillé, sauf sur la saignée du milieu qui évacuait les eaux de pluie. Bruce était passé par la, dans son passé. Il se souvenait avoir perdu son poursuivant dans ce carrefour, celui de la fontaine. Il avait ensuite fait quelques pas, sur la droite puis la gauche, mais comme il ne percevait rien, il avait fini par faire demi-tour.
Les pas perdirent en intensité, puis disparurent.
Comme il remontait ses cheveux ébourriffés par la poursuite, il constata que sa chevelure avait très nettement poussé depuis l'épisode de sa détention à la Cathédrale. Se touchant le menton, il remarqua cette barbe de trois jours. Un petit sourire forcé parut sur son visage. Il venait de comprendre que ce qu'il vivait, il le vivait sous l'angle de la personne qu'il avait remarqué le jour du drame, qui l'avait marqué, sans qu'il n'arrive à savoir pourquoi.
L'épisode de la poursuite s'expliquait d'autant mieux. Pas étonnant que Bruce, même plus jeune et fringuant que lui n'avait pas réussi à le rejoindre, il se poursuivait lui-même, à la différence que lui savait quel chemin emprunté pour perdre l'autre. Tout concordait.
Et la dernière personne auquelle il n'avait pas déterminé de rôle était identifiée. C'était lui, transbahuté dans le passé. Tout était vraiment si étrange. En l'espace de quelques jours, il avait perdu la plupart de ses amis de la confrérie, il avait découvert le véritable rôle des religieux de l'Ordre, qui devaient certainement le traquer, il s'était vu offrir le rôle d'un personnage prophétique, dans le but de « sauver » l'Ordre du post-millenium, ce qui devait lui couter la vie.
Les choses étaient claires. Il devait découvrir en quoi consistait son rôle et le déjouer, avant qu'ils ne le tuent.

Bruce n'avait pas mis longtemps à mettre un plan au point, il n'avait qu'à consulter sa mémoire. Elle lui indiquait que son homologue se promenerait aux alentours de la Cathédrale peu avant la tombée de la nuit. Il fallait lui dire, il devait se méfier. Plus il reflechissait et plus il trouvait des incertitudes à son plan. Ses heures à lui étaient comptées, et sa mémoire comportait encore des trous béants, notamment sur le lieu de sa capture par les gardes de l'Ordre.
Sa rencontre changerait-elle son passé, et donc son avenir ? Il n'en avait malheuresement aucune idée. Mais il fallait essayer, il n'avait plus que ça.

Comme la nuit tombait, Bruce s'était tapi au coin d'une rue, il épiait le moindre geste. Mais rien, ni personne correspondant à son profil ne s'était encore aventuré. Comme il commencait à reflechir sur le tracé de sa promenade nocturne, il finit par capter le son d'une ombre qui s'avancait vers lui. Aprochant toujours plus prêt de lui, il finit par distinguer Bruce, qui préocuppé, reflechissait, sans doute aux implications du souffle... S'il savait...
Il se leva, s'avanca à vue et toisa du regard son homologue qui à sa vue flechit les cils et se mit en position prêt à attaquer. Il fallait faire vite, et bien.
« Qui es-tu ? » Bruce avait entamé la conversation de la manière la plus impolie qu'il soit, et son ton inspirait l'obligation de répondre.
Comme il allait répondre, il capta derrière lui un bruit furtif. Il se sentait observé ! Qui cela pouvait-il être d'autre que le vieillard capé... Son esprit fonctionnait maintenant à toute vitesse, comme il percevait désormais le plan de l'Ordre. Celui-ci lui avait prédit sa mort d'un ait si assuré qu'il avait du probablement déceder entre le moment de la discussion qui allait se jouer et sa capture ensuite. Qu'est-ce qui pouvait provoquer sa mort ? Comme il se posait la question il comprennait le Plan dont il était la cible, il savait.

Bruce était à genoux. La scène insolite de sa rencontre avec lui-même l'avait particulierement fatigué. Quel paradoxe de se retrouver à parler comme devant une glace, avec une image qui ne se reconnaît pas. L'autre Bruce avait été baillonné par les gardes de l'Ordre, qui avaient surgi de l'Ombre. Il s'éloignaient maintenant. Le vieil homme qui avait observé pensivement la scène se rapprochait de lui, il montrait son visage pour la première fois.
« Tu me surprends de plus en plus, Bruce. Pourquoi n'a tu pas averti ton homologue, pourquoi ne l'a tu pas mis au courant ? »
« Si je l'avais fait, je n'existerais plus en ce moment, plus sous cette forme tout du moins. J'ai compris beaucoup de choses aujourd'hui, sur la vie, la mort, et votre rôle dans toute cette mascarade. »
« Je me doutais que tu comprendrais, mais le risque était minime finalement. Sais-tu ce que ce paradoxe aurait provoqué ? Je vais te l'expliquer puisque nous avons le temps désormais.
Cette faille temporelle a toujours existé, nous n'avons fait avec la cathédrale qu'un amplificateur pour tenter de comprendre le fonctionnement du temps, et pouvoir apporter des réponses à cet avenir que nous ne voyons pas. Quoi qu'il en soit, nous ne maitrisons rien au phénomène et si nous savons que le phénomène déplace les individus dans le temps, nous ne savons pas dans quelles proportions, nous avons en revanche compris que toute incidence ne modifie pas le temps présent, tu t'en ait rendu compte à tes dépends.
Il est dit que lorsque le « passager du temps » voyage dans le passé, il voit en cet instant le futur. Et le fait que tu sois la aujourd'hui signifie que le futur existe, puisque tu l'a vu, même si tes souvenirs ont été entachés par cette expérience.
Et c'est pourquoi notre Ordre a besoin de toi. Ton expérience fait de toi un cas unique, un prophète et un guide. La religion a toujours eu pour but de controler pour réfrener, juguler le flot de haine qui est en chacun de nous, et qui nous transforme en machine de guerre, un gachis. Ne vois plus notre Ordre comme cet omnipotent tyrannique que nous ne sommes pas. Nous sommes la seule clef pour le futur... »
« Vous perdez votre temps. Je ne suis pas un jouet. Je vous l'avait dit il me semble lors de notre première rencontre. Je ne vous aiderais pas parce que je pense que l'humanité n'a plus besoin de vous. Nous franchirons les étapes affranchis de vos doctrines et sermonts, vous pensez que l'homme est mauvais par nature, moi je le crois bon, et je crois à un monde meilleur sans ordre.
Le temps de vos prophéties est révolu, le Millenium annonce une ère nouvelle... »
« Et qu'allez-vous faire maintenant ? »

Mais Bruce ne répondit pas, il commencait à s'éloigner, souriant, mais concient de la tache qui lui restait à accomplir.






EPILOGUE
Communication de l'Ordre, 1002 an.
De nouveaux troubles ont éclatés ce jour à Jerbah, portés contre l'Ordre et en particulier contre l'édifice temporel situé dans la catédrale. Le sujet Bruce a pris la tête d'un mouvement très suivi parmi la population citadine. De nombreux gardes ont été portés manquants, et l'activité de nos clercs a été serieusement réduite.
Comme prévu, nous encadrons et encourageons la rebellion fomentée par le sujet Bruce, de nombreux agents se sont glissés au plus près de son entourage et sont très influents auprès de lui.

Comme nous l'avions conclu lors de notre assemblée de l'an 988, de graves troubles portant atteinte à la sécurité de l'humanité étaient à craindre lors du Millenium, portés notament contre nos prédictions apocalyptiques qui se sont révelées éronnées. L'Ordre avait décidé à l'unanimité de provoquer l'émergence d'un nouveau courant que nous aurions investi pour reprendre notre rôle de Gardien des interets de l'Humanité.
Notre choix s'est porté sur une personne plutot enclinte à ne pas croire nos préceptes, personne qui s'est trouvé guidée au moment du Millenium par votre serviteur, et qui aura comme nous l'avions prévu fait le choix de partir en croisade contre nous.

Nous travaillons d'ors et déjà à l'interprétation de ses actes, et nous constatons que l'effet de cette rebellion est très favorable à l'emergence d'une nouvelle culture constructive et la perspective d'un chaos généralisé s'éloigne peu à peu.
Nos agents devraient prendre le relais très prochainement.

Zangd'In, pour l'Ordre.