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Varjojen Virta

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jackkincaid



'bq, en plus vieux

Bon, j'avais entamé ce texte y a deux ans. Je crois que j'étais encore sur Aeriesguard à l'époque, pour tout dire, si ça se trouve je vous avais même posté le début, j'ai pas vérifié. Ptêt un peu prétentieux de ma part de commencer à le poster alors qu'il n'est toujours pas fini. Enfin, j'ai confiance en ma capacité d'écrire deux paragraphes en 4 jours. J'ai surement tort, mais je vais m'y atteler Smile

J'aurais un peu de mal à vous résumer le sujet sans raconter l'ensemble de l'histoire. C'est un texte qui traite principalement d'abandon et de souvenir ; un petit peu de mort, mais, pas vraiment. Un petit peu d'amour, aussi ; mais pas vraiment non plus.

Aucun des personnages n'existe, bien sûr, même si l'environnement est plus ou moins réel. Le personnage de Sophia est la propriété d'une personne qui s'appelait Contre-Nuit à ce moment-là. Elle a sûrement changé de pseudo depuis, j'irai lui demander. Quoiqu'il en soit, elle a accepté de me la prêter, et je lui en suis reconnaissant.

Je traite dans ce texte de certains thèmes que je connais, et de beaucoup d'autres que je ne connais pas. Normalement, ça tient plus ou moins la route. Il ne me reste plus qu'à m'effacer, à prier pour avoir bien compris le fonctionnement du postage de topics, et à remercier les lecteurs, ou les autres sourire3


  1. FROM WHENCE WE CAME

Il était 15h49 et un calme mortel régnait dans la station, alors qu’au dehors la pluie engageait un duel acharné contre le goudron. Elle allait perdre, comme toujours, mais à ce stade du combat ça ne semblait pas encore complètement évident. Les bruits de la gare parvenaient jusqu’à moi comme à travers une brume lointaine, étouffés par le silence quasi total des alentours. Seule perturbation, une musique profondément commerciale en arrière-fond, diffusée à un volume si bas que seules les oreilles les plus subtiles parviendraient à l’entendre.

Dans la mesure où le monde est réellement gouverné par des principes de logique, ce dont on peut quelquefois se permettre de douter, il est grand temps qu’il s’interroge sur le cas de la ligne des TPF entre Fribourg et Bulle. Outre de coûter quatorze francs quarante pour un trajet de trente minutes, elle s’octroie le luxe de mettre les voiles à 02. Selon que vous soyez puissant ou misérable, le véhicule suivant vous ouvre ses portes une heure ou une demi-heure plus tard. Ce qui a une conséquence simple : si vous avez le malheur d’avoir des horaires fixes, comme une bonne majorité de la population mondiale, et que vous ne travaillez pas à moins de deux minutes de la gare, comme une bonne majorité de la population fribourgeoise, préparez-vous à abandonner au bas mot deux heures par semaine. L’université de Sainte-Miséricorde, située à une rue de là, ne se trouve pas dans le périmètre en question. Croyez-moi. Je le saurais.

Long story short, cela faisait quarante-six minutes que j’attendais, avec la patience de l’habitude, qu’on daignât bien me reconduire à Bulle. En général, je profitais de l’attente forcée pour faire un tour à la Fnac, située à une rue de là par un de ces fameux hasards qui riment avec commerce, mais ce jour-là je restai sur place. Sans raison particulière, pour autant que je m’en souvienne. Certainement pas la météo, au contraire en fait – j’ai toujours adoré les orages. Peut-être la lassitude, tout bêtement.

Je me souviens que Fribourg m’intriguait avant l’explosion. Depuis, à force de contempler les mêmes bâtiments, les mêmes rues, les mêmes visages marqués par les mêmes vies, tout intérêt m’avait quitté. Trop classique. Mais quoi de plus normal, pour une ville qui se veut étudiante plutôt qu’étudiée ? Un jour, j’allais me résoudre à partir. Mais je ne pouvais atteindre par moi-même l’unique destination à laquelle j’aspirais encore.

Les ombres commençaient à affluer vers le quai, leur impatience étouffée sous un masque de circonstance. Après tout, ils étaient à l’abri, vous savez, alors ce n’était pas si grave, ils n’avaient rien de si urgent à faire, un délai de quinze minutes ne les dérangeait guère… Leur attitude composée m’agaçait. Tout m’agace dans les ombres. Regardez-les.

Il y a le préadolescent en surpoids, cheveux noirs bouclés, qui fusille les autres du regard après avoir augmenté le volume de son I-Pod suffisamment pour s’assurer que tout un chacun se retourne vers lui. La goth contemplative, affalée sur le banc métallique ; elle balance ses jambes en avant, parce que, non, elle n’est pas seule par manque d’amis, elle est seule parce qu’elle apprécie la solitude et qu’elle en a décidé ainsi en tant que personne responsable. Le jeune blond qui revient du service militaire pour le week-end, en uniforme complet, fusil en bandoulière ; Il est content de rentrer et malheureux de devoir repartir le lundi suivant. En même temps. Du coup, son expression oscille de l'un à l'autre de manière plutôt comique. Le couple heureux ; la fille racontant sa vie, le mec en mode écoute active. Si on avait voulu mettre des sous-titres à la conversation, chacun de ses « oui » et « bien sûr » aurait pu être retranscrits par un équivoque « Au fait, on baise ? ». A rester à leur côté cinq minutes, on connaît leurs noms, le nom de leurs camarades de classe (ils fréquentent l’université en économie, tous les deux, ils se sont rencontrés là-bas, la vie n’est-elle pas formidable ?), le nom de certains professeurs, l’âge de la tante de la fille (si, sérieusement), pourquoi un certain Jérémy aurait mieux fait de taire ce qu’il a confessé… Entre autres. Vous étiez là ce jour-là, et ne vous êtes pas reconnus dans le tableau ? Ne vous réjouissez pas : vous m’apparûtes encore plus transparents qu’eux, au point que j’en ai omis de vous mentionner.

Par quelque fantaisie suisse, le bus arriva à l’heure. Il s’engagea le long du quai comme une baleine s’échoue sur le sable et, toutes proportions gardées, c’était aussi l’impression que donnait le chauffeur tandis qu’il traînait son imposante bedaine vers le devant de l’engin, effectuant un ou deux réglages coutumiers. Indifférentes, les ombres se mirent en rang, sortirent bien sagement leurs abonnements, prêtes à s’engouffrer l’une après l’autre dans le véhicule.

Je bousculai les gêneurs de la file et me faufilai dans le bus, sans qu’ils ne réagissent. Je pris ma place habituelle, sur la droite, à proximité de la porte coulissante. Premier à rentrer, premier à sortir. Blanche comme son squelette, la gothique s’assit dans l’autre rangée, quelques sièges derrière moi. J’eus l’impression qu’elle m’observait, un moment. Je chassai l’idée de ma tête et me concentrai sur plus important : pourquoi ne démarrions-nous pas ?

La réponse avait un chignon, quatre-vingt ans, et elle agitait un billet de vingt francs de sa main frêle. Et oui, la machine à billets ne rend pas la monnaie, c’est ballot hein ? Si vous n’avez pas exactement quatorze francs quarante sur vous, blâmez votre imprévoyance.

Un autre problème m’accapara juste avant que je ne me mette à insulter le chauffeur : le couple parfait comptait apparemment s’installer à la place que j’occupais. J’eus juste le temps de m’éclipser avant qu’ils ne s’asseyent, la fille n’interrompant pas un instant le récit de son existence dérisoire.

Et me voilà debout, comme souvent. Il ne restait aucune banquette libre, et je rechignais à partager celle d’une ombre.

- Bon, tu t’actives, la vieille ? lançai-je vers l’avant du bus.

Après trois bonnes minutes et l’apparition providentielle de quarante centimes, tout était rentré dans l’ordre. J’enfonçais mes écouteurs dans mes oreilles et me mis à fredonner en suédois pour couvrir le débit de la fille. En vain.

Je m’adossai à la barre verticale, soupirai et, résolu à m’en désintéresser, laissai mes yeux dériver sur l’arrière du véhicule. Sur la gothique. Une fois encore, son regard fusait droit dans ma direction, deux points noirs hypnotiques au milieu de ce visage neigeux. Je frissonnai. Et il se passa un truc incroyable : elle me parla.

- T’entends ce que je dis ?

Rupture dans la rivière d’ombres. Une personne ! Je savais ce qu’il me restait à faire mais, pris au dépourvu, je mis longtemps à réagir. Parce qu’on pouvait attribuer cet intervalle de réflexion à une surprise légitime, je me résolus à feindre l’innocence et la naïveté, à l’instar de Sandi. Après tout, quand une technique fonctionne à merveille, pourquoi ne pas la remployer ?

- Tu peux me voir ?

- Pas qu’un peu, fit-elle remarquer avec un sourire.

Je réalisai qu’elle avait dû assister à l’intégralité de ma représentation.

- Oui, bon, ça va, hein. J’ai pris l’habitude qu’on ne m’écoute pas.

- Pas de problème, assura-t-elle. C’était marrant, de toute façon.

Je m’installai sur le siège libre à côté d’elle, sans qu’elle fasse un geste pour me repousser. Bon début. Elle arborait de longs cheveux noirs, ce qui, combiné à cette pâleur de peau troublante, m’avait conduit à la ranger un peu vite dans le clan des gothiques, mais ses vêtements colorés cadraient mal avec l’hypothèse. Constatant qu’elle me détaillait avec la même curiosité, je me demandai quels adjectifs elle m’attribuait. Ordinaire, sans aucun doute. Geek, si elle avait fréquenté les sphères adéquates. Nous n’échangeâmes aucunes paroles durant cet examen, mais le silence ne dérangeait pas. Il nous accompagnait depuis trop longtemps pour paraître hostile. Finalement, comme elle ne semblait pas disposée à se jeter à l’eau, je posai la question cruciale :

- Alors, tu es morte toi aussi ?

Quand j’y repense, sans doute n’était-ce pas là l’introduction la plus inspirée. Evoquer le moment déclencheur de sa non-vie avec tant de désinvolture aurait très bien pu la froisser. Elle passa outre.

- Oui, acquiesça-t-elle dans un murmure.

Voilà qui se classait assez haut dans la catégorie « points communs exploitables pour lancer une conversation. »

- T’as souffert ?

- Pas vraiment, non. J’avais mis une belle musique et j’avais tout préparé. Ça a pas été pire que de vivre, en tout cas.

Il n’y avait rien à ajouter. Voreniel m’avait prévenu qu’une bonne part de mes nouvelles rencontres allaient avoir connu cette fin, ce que j’aurais par ailleurs pu déduire tout seul. De mon côté, à chaque fois que j’avais envisagé cette solution, le courage m’avait fait défaut.

- « Crever magnifiquement », hein ? J’ai jamais osé. Trop peur l’inconnu… Je peux pas dire que j’avais tort, du reste.

- Alors comment tu t’es retrouvé ici ? s’enquit-elle.

- A cause de l’explosion.

Il me fallut quelques secondes pour me souvenir que cet événement méritait une plus ample spécification pour qui n'y avait pas assisté.

- Je veux dire, mon moteur a explosé, enfin… Un accident de voiture, quoi.

D’ailleurs j’aimerais bien consulter les résultats de l’enquête, un de ces jours, histoire de déterminer quelle erreur j’avais commise.

- Oh. Désolée pour toi.

- Ça va. Je m’y suis fait, depuis le temps.

- Vraiment ? Tu es ici depuis quand ?

- Quelques mois, maintenant…

Deux-cent quarante-trois jours. Pas la peine d'épiloguer là-dessus.

- On m’a enterrée il y a deux semaines, et je n’ai croisé personne avant toi. Tu sais s’il y en a d’autres ?

Second test d’envergure ; le premier mensonge.

- Non… Jusqu’à aujourd’hui, je supposais qu’on avait tous notre petite dimension personnelle, sans contacts entre les âmes…

Mes yeux ne cillèrent pas un centième de seconde, le ton de ma voix n’évolua pas d’un pouce. Je pris même une moue curieuse pour laisser entendre que j’envisageais une relecture de mes conclusions. « Poker face ». Les mots étaient étudiés, eux aussi : si je me trouvais réellement dans cette situation, je n’aurais pas manqué de développer une telle théorie, et le contraire aurait paru suspect. Au même titre qu’une œuvre d’art, une mystification réussie devrait survivre à son auteur, indépendamment de ses motifs ou de ses conséquences. Pour la beauté du geste.

- Au vu de la population humaine, on aurait déjà dû en croiser si tous échouaient au même endroit. Soit nous nous retrouvons ensemble par hasard, soit quelque chose de particulier nous a rapproché.

Finement raisonné. Elle avait vu juste, un point commun bien précis nous liait à ce lieu. Toutefois, je ne pouvais lui avouer lequel sans dévoiler ma source d’informations et, du même coup, certaines choses que je devais garder pour moi.

- Je ne sais pas… Tu as sans doute raison, fis-je avec lenteur, comme si j’analysais au fur et à mesure.

Alors que je m’attendais à ce qu’elle se mette en quête dudit rapport, elle enchaîna sur un sujet plus trivial :

- Comment tu t’appelles ?

- Esa Järki.

- Esa, répéta-t-elle en me regardant. Joli.

- Non, finnois, corrigeai-je par habitude.

- Moi c’est Sophia. Sophia Piptei.

Quand elle parlait, il lui arrivait de pencher la tête devant elle, vers le dossier des sièges inoccupés. Cette attitude, bien que dictée par la timidité, lui conférait un air tout à fait charmant, voire même aguicheur.

- Sophia… ça m’effraye de voir quelqu’un si pâle, statuai-je de crainte que la communication ne s’épuise. Tu bronzais jamais ?

- Très drôle… Non, je suis exsangue, tu vas chercher trop loin.

Elle me présenta ses poignets, chacun pudiquement recouvert d’une large bandelette de gaze. Elle se vidait de son sang pour l’éternité. Bravo, belle inspiration, me félicitai-je. L’embarras se lisait sur mon visage, au point qu’elle crut nécessaire d’ajouter :

- Oublie ça. Tu pouvais pas savoir…

Sauf que j’aurais dû m’en douter. Les séquelles de la mort ne nous ménageaient pas sous prétexte que nous ne respirions plus, ça non, elles continuaient à nous harceler ; de jour comme de nuit, l’explosion me poursuivait, m’assaillait de sa combinaison caractéristique de chaleur diffuse et de douleur sourde. Il s’agissait plus de ma nouvelle condition de base que d’une altération continuelle, aussi avais-je fini par m’y accommoder. Je présumai que Sophia ne souffrait pas trop de ses plaies, elle non plus.

- Comment ça se fait que t’as pas de brûlures, au fait ? m’interrogea-t-elle.

- J’en ai, la détrompai-je. Sous deux ou trois tonnes de maquillage, environ.

Le destin avait voulu que je meure asphyxié avant que ma voiture ne se consume de fond en comble ; j’avais ainsi échappé aux lésions les plus importantes, celles qu’on peinerait à dissimuler si naïvement. L’incendie avait en outre plus ou moins épargné mon visage, facilitant l’artifice. Les premières fois que je m’étais employé à cette tâche, je ne cherchais qu’à séduire Sandi, mais le rituel m’était entre temps devenu vital – si je puis dire. Comme si je triomphais de la mort en niant ses effets physiques. « Il y a une sorte de désespoir hystérique dans votre fond de teint », aurait claironné Tyler… Qu’à cela ne tienne, résultat bluffant.

- Pourquoi ? Ou plutôt, à quoi ça t’avance ? De toute manière, personne ne peut te voir…

- Si, moi, rectifiai-je. Tu devrais essayer. On s’accepte beaucoup mieux, après.

- J’y réfléchirai, capitula-t-elle.

Il en fallait plus pour la convaincre. Son scepticisme m’encourageait à la relancer sur le sujet, mais plus tard, quand l’opportunité se présenterait. Insister maintenant ne réussirait qu’à l’ennuyer. La ville de Bulle se profila à l’horizon, aisément reconnaissable aux nombreux chantiers qui la parsemaient ; dans quelque direction que l’on portât son regard, une grue métallique de couleur jaune nous accueillait, sans effusions excessives. Je sautai sur cette transition opportune :

- Qu’est-ce que tu viens faire à Bulle ?

- Rien. En ce moment je voyage au hasard. Tu habites là toi ?

- Dieu merci, non. Je…

Je vais invoquer un certain Voreniel, ange de son état, et ce soir je pourrai enfin lui dire que j’ai trouvé ma victime ! Sympa comme programme, non ?

- Je vais en boîte. Un groupe que j’appréciais de mon vivant donne un concert à Ebullition ce soir. Tu veux venir ?

- Nan, merci, pas trop mon truc, déclina-t-elle à mon grand soulagement.

- Il faudrait qu’on se retrouve demain, alors.

- Oui… Y a-t-il un moyen de te joindre ?

- En deux secondes, lui assurai-je, je vais arranger ça.

Me relevant, je rejoignis mes deux camarades économistes et les délestai amicalement de leurs téléphones. J’en glissai un dans ma poche avant de lancer le second à Sophia, qui le saisit au vol. Le bus freina devant l’arrêt du centre commercial et s’immobilisa.

- Le bus continue jusqu’à la gare, mais moi je te laisse ici, annonçai-je, puis je désignai les portables : il se prénomme Damien, elle Marine. Je t’appelle demain matin ?

- Les ondes peuvent te tuer, m’avertit-elle.

- Ouais, mais pas aujourd’hui, répondis-je sur le même ton ironique, tout en descendant du véhicule. A demain, j’espère.

Nous nous sourîmes à travers la vitre. Je compris dans l’instant que la compagnie de cette fille ne me contrariait pas du tout. Dommage que les circonstances nous forçaient à nous confronter.


Ertaï



Ersatz de régnant.

Bon, j'ai tout lu, on reconnaît bien ton style qui rebondit régulièrement sur des détails, parfois un peu difficile à suivre, mais qui laisse une agréable impression de maîtrise de l'écriture.

Et, évidemment, on se demande quel est le dessein de ce jeune (homme ? Je n'ai pas trouvé d'infirmation ni de confirmation), le texte laissant déjà entrevoir une histoire bien plus large que ce petit début.

A propos de tes fictions passées, tu avais posté celles-là sur AG v6 :

Mais pas de Varjojen Vitra.

D'ailleurs, voudrais-tu voir tout ou partie de ces fictions ramenées sur le site actuel ?

jackkincaid



'bq, en plus vieux

Je pensais pas vous avoir autant floodé que çaDoubleAccentCirconflexe

La seule qui vaudrait vraiment le coup selon moi maintenant c'est Undefined (dont j'ai une version un peu corrigée depuis le temps, d'ailleurs). Les autres "conséquentes" (15 pages c'est conséquent !), j'ai prévu de toutes pas mal les retravailler.

Après, pour celles qui font 3 pages et qui sont pas trop mauvaises, comme Behave in Society, je doute de les retoucher un jour. Mais est-ce que ça vaut le coup de les déterrer pour autant ? J'en suis pas certain...

Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction

Comme Ertaï, je dirais que l'on reconnaît bien ton style. Je dois dire que j'aime bien la façon humoristique avec laquelle tu t'attaches aux détails et tu les commentes.

J'attends la suite, mais au moment où le narrateur a dit qu'il avait ses secrets, je me suis douté qu'il allait faire de la fille une victime.

Voilà pourquoi il n'y a pas tant de morts que cela de visible ? sourire3

À quand la suite d'ailleurs ? Tu pourras d'ailleurs enlever ta confiance en toi en ce qui concerne l'écriture de deux paragraphes en 4 jours sourire3

jackkincaid



'bq, en plus vieux

C'était 4 jours suisses, c'est pour ça =D

Mais bon oui je l'ai fini entre temps. Merci de vos lectures, je posterai la fin ces prochains jours.

2. GHOST OF A CHANCE

Les phares nimbaient les sapins d’une lueur maladive, incapables de les troubler dans leur dignité innée. J’avais toujours soutenu qu’il s’en dégageait un calme et une noblesse palpables, impression que mes expériences dans la zone intermédiaire avaient confirmée. Ne vous fiez pas à ce qu’on raconte ; les forêts vivent, conversent, murmurent, se confient. Ce soir-là, le bois de Bouleyres se lamentait. Il pleurait plus souvent qu’il ne riait, ces derniers temps. Quand un arbre meurt, tous sont bouleversés. Un chœur de hurlements sylvestres l’accompagne pendant son passage, le guide vers ce qui vient après. Il y a une sincérité transcendante dans ces déchirements, une passion enthousiaste, loin de cette contrition aseptisée qu’il m’avait fallu supporter lorsque j’avais assisté à mon propre enterrement. Retourner à la terre, tu parles… Retourner à la nature, voilà de quoi motiver les défunts. La terre est sèche, méfiante ; givrée pour peu que vous ayez péri en hiver, comme moi. Pourquoi imposer cet environnement hostile à un corps déjà rigidifié ? Comment quelqu’un pourrait-il supposer qu’en agissant ainsi, il me comblait et se conformait à mes dernières volontés ? Rien ne justifie cette sottise. Il me semble bien plus cohérent de supposer que, égoïstes tels qu’à leur habitude, les ombres n’ont étudié que leurs intérêts – éliminer l’entêtant parfum des chairs pourrissantes – et ont concocté par la suite ce joli petit conte qu’on appelle le respect des reliques, pour se donner bonne conscience. Beaucoup plus humaine, cette version, hein ?

Mais je ne m’étais pas aventuré en ces lieux pour vous entretenir de banalités, non : ma situation le requérait. Au milieu de ces espions aveugles, Voreniel pouvait apparaître sans danger. Il s’agit d’un autre de ces aspects incohérents qui entachent notre réalité, d’ailleurs ; que les anges courent le risque d’être entrevus du coin de l’œil par les vivants, alors qu’ils ne nous remarqueront en aucune manière, quoi que nous fassions. J’ai conduit diverses expériences. S’il me prend l’envie de décapiter une ombre et que je mets ce projet à exécution, elle ne mourra pas, ne s’en inquiétera même pas. Elle continuera à vaquer à ses prétendues occupations, en route vers ses prétendus objectifs. A l’époque où j’avais constaté ce phénomène, j’en avais déduit que nos deux univers, parallèles, n’entraient pas en concurrence. Si bien que ce que je modifiais ici n’avait pas de valeur dans celui des ombres ; dans la mesure où je n’existais pas pour elles, comment mes actes pourraient-ils influer ? Seule ma réalité s’en trouvait changée, et dans la réalité des morts, le critère de décès s’étant bien sûr effacé, plus rien ne s’oppose à ce qu’un cavalier sans tête terrorise Sleepy Hollow. Voreniel, par un discours barbant de physicien, avait accrédité mon hypothèse.

Poussant un long soupir, j’envoyai ma cigarette valdinguer dans le décor et regagnai l’habitacle de la voiture. J’allumai la radio et la réglai sur 66.6. La fréquence, on s’en fichait : seul le signal attirait l’attention de l’ange.

La voix ne se fit pas attendre. Elle résonnait comme dans un espace confiné, très facilement reconnaissable. Ample et rauque.

- Très amusant, fit-elle.

- Je savais que ça te plairait.

L’ange avait revêtu une longue toge blanche qui projetait sous tous les angles un halo iridescent. Ses cheveux blonds semblaient or, sa peau dorée bronze. Ses ailes peignées avec attention jaillissaient de son dos comme deux avalanches resplendissantes. Pas très discret, et pas très nécessaire. Mais il aimait soigner ses entrées, et quitte à être surpris par un intrus, autant lui infliger la totale, de sorte que personne ne croie à son témoignage même s’il lui prenait l’envie de se confier.

- Tu aurais fait quoi si ça avait vraiment invoqué un damné ?

- J’aurais eu très, très peur.

- Tu devrais, répliqua Voreniel. Tu me crois peut-être pas, mais il y a des au-delàs pire que celui-ci.

- Condamné à ne rien faire pour l’éternité. Qu’est-ce qu’il pourrait bien y avoir de pire ?

- Tu ne fais rien… et on ne te fait rien, suggéra-t-il énigmatiquement.

Il avait sans doute raison. Mais cette conversation ne m’intéressait pas, et je l’écartai d’un geste.

- Quand bien même, enchaînai-je : je t’ai pas invoqué pour parler de ça.

Une étincelle apparut fugacement dans son regard bleu pâle.

- Ça y est ?

J’acquiesçai.

- Tu as rencontré quelqu’un ?

- Une fille. Environ seize ans. Suicide.

- Comment ça se passe ? Tu vas la revoir ?

Il y avait une vraie excitation dans sa voix. Sans doute était-il pressé d’en avoir enfin terminé avec moi. J’admets que mon attitude négative ne facilitait pas sa tâche, loin de là en fait.

- On est censés se donner rendez-vous demain.

- Parfait, parfait…

Sa satisfaction, de « palpable », lorgnait vers « vexante ».

- Alors, comment tu vas t’y prendre ? Explique-moi ton plan en détails.

- Comment ça, mon plan ?

- Comment tu as prévu de la séduire, bien sûr.

- Oh… Je n’y ai pas vraiment réfléchi… Je pense que je vais être moi-même, tout bêtement.

- Mauvaise réponse.

Je lus de la désapprobation dans l’expression de l’ange.

- Mauvaise réponse ? répétai-je. N’importe qui sur terre te répondrait ça. En amour l’authenticité compte au maximum.

- Sauf que tu es ici, Esa.

- Et ça change quoi ?

- Ça change que si tu pouvais te faire apprécier sans altérer ta personnalité, ta mort aurait compté pour quelqu’un. Et donc, tu n’aurais pas atterri ici. Un errant ne peut pas espérer l’amour de sa conquête ; il doit faire en sorte de l’insuffler lui-même. Sans qu’elle ne le remarque.

Un à zéro pour lui. Je m’appuyai contre la vitre avant, pour mieux encaisser le choc de cette brutale révélation.

- Tu essaies de me dire que j’ai un rôle à jouer, récapitulai-je.

- Exactement.

- Je dois prétendre être un type estimable, suffisamment estimable pour occuper une place dans son cœur.

- C’est plus difficile que ça n’y paraît au premier abord, tu sais.

- Je sais, acquiesçai-je, alors que je ne savais rien du tout.

Pendant une demi-heure, nous débattîmes stratégie. Le temps passa très lentement. A mesure que l’on avançait, je décelai dans les formules et les tromperies que l’ange me conseillait nombre d’astuces qui m’évoquaient bien trop directement Sandi. J’imaginai la jeune fille en pleine discussion avec l’ange, pesant quelles phrases m’appâteraient le mieux, ce qu’elle pouvait se permettre d’insinuer sans éveiller ma méfiance, à quelle vitesse elle simulerait de tomber sous mon charme. Pour la première fois, j’eus une vraie empathie envers Sophia, pour avoir subi le même sort, succombé sous les mêmes feintes. Allais-je vraiment lui infliger la douleur que j’avais eu tant de peine à endurer ?

Je m’éloignai de quelques pas, dégourdis mes muscles, tentai en vain d’éclaircir mes idées.

- Tu as un problème ? demanda Voreniel, lorsqu’il vit à quel point mon visage s’était assombri.

- Bien sûr que j’ai un problème ! éclatai-je. Elle craint, ta technique. Tu pouvais pas simplement unir les gens, au lieu de les piéger l’un après l’autre ?

- Bien sûr que non. Je peux pas forcer un humain à aimer son prochain. Je suis même pas sûr que le Créateur le pourrait ; c’est contre nature.

Pour une raison que j’ignore, Voreniel se refusait toujours à l’appeler Dieu.

Je revins vers la voiture. Ma silhouette se découpait dans la lueur des phares, qui m’aveuglaient. Je posai les deux mains à plat sur le capot.

- Je pense pas que je pourrai, Voreniel, soupirai-je. Tu connais mon envie de quitter ce monde de fantoches, mon désir de rejoindre le paradis. Mais à ce prix-là… Je dois la manipuler, comme j’ai été manipulé avant elle. Je vais m’identifier à elle, forcément.

L’ange s’approcha de moi. Je levai les yeux vers son visage et y reconnus un sourire triste.

- Tu parles toujours de logique, commença-t-il, alors fais toi-même le raisonnement… Tu sais comment fonctionne l’univers. Tu ne peux pas gagner sans que quelqu’un perde.

- Ce n’est pas juste, murmurai-je.

- Pas au sens où tu l’entends. Cela dit, ça n’a jamais été conçu pour.

Je continuai à débattre pour la forme, alors que je voyais déjà le moment de m’avouer vaincu se profiler à l’horizon. D’ailleurs, n’essayez pas de contredire un ange. S’il campe sur une position, il ne vous lâchera pas tant que vous n’aurez pas reconnu la pertinence de son argumentation. Une conséquence du manichéisme et de la foi unique qui marque leur histoire millénaire, j’imagine.

Quand je fus enfin résigné à concéder le dernier mot, nous retournâmes à l’élaboration du lendemain. J’avais l’impression de me lancer dans une campagne présidentielle. Pour la première fois, la contradiction me frappa : alors que l’amour se basait en théorie sur une ouverture totale à l’autre, la séduction se résumait à une tentative permanente et désespérée de dissimuler ce que nous recelons réellement à l’intérieur. Sans doute touchais-je là à la source d’un des fameux mystères de l’humanité, l’insolubilité de l’éternelle équation du bonheur. L’explication tiendrait la route – s’il s’avère que la logique régit effectivement le monde, bien sûr, ce que je n’affirmerais pas. Mais j’ai déjà abordé la question. Pardonnez mes redondances ; ce sujet trotte souvent dans ma tête, ces temps-ci.

Comme lors de n’importe quel autre supplice digne du nom, le temps s’étira à l’infini pendant que Voreniel et moi préparions mes perfidies. Mon esprit résonnait de questions creuses, de doutes inutiles. Que je me haïsse après coup ou non, j’allais devoir me conformer à son système. Quelle alternative me proposait-on ? Rester planté là, dans les ténèbres de mon ancien monde, sans poids, sans influence, jusqu’à la fin hypothétique de l’univers ? Même en compagnie de Sophia, jamais je n’accepterais telle destinée. Jamais.

Après le départ de l’ange, je passai la nuit sur place, sur la banquette arrière de ma voiture. Le sommeil me trouva maugréant, tourmenté par de noires berceuses. Il ne m’apporta aucun repos. Avec l’entrain des lendemains de nuits blanches, j’attendis que ma montre indique dix heures pour prendre le téléphone portable de Damien dans une main, mon courage dans l’autre, et composer le numéro de Marine.

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On a pris le premier train et on est allé quelque part. Une cité grise, pleine de bâtiments, avec plein d’ombres qui se déplaçaient dans plein de directions. Il y avait de la fumée, des voitures, du bruit, de l’indifférence. Je m’aperçois en vous narrant cet épisode qu’encore aujourd’hui, j’ignore de quelle ville il s’agissait. Au premier regard, Sophia l’avait baptisée Anywhere, parce que cela retranscrivait à la perfection les nuances dont elle se parait ; la terminologie perdura.

J’avais volé des habits décents pour l’occasion : un des t-shirt d’Alcest pour la promo de Souvenirs d’un Autre Monde, un jeans de marque avec ceinture assortie, de nouvelles baskets aux pieds au lieu des vieilles déchirées qui me plaisaient tant. Crime parmi les crimes, je portais même une veste neuve, dont la fermeture éclair glissait sans accroc. Non content de trahir Sophia, j’avais l’impression de trahir ce qui me définissait ; mais il faut ce qu’il faut pour en imposer, n’est-ce pas ?

D’autant que si ma nouvelle amie faisait effectivement pâle figure au sens littéral, elle n’avait rien à m’envier, au contraire même, en ce qui concernait sa prestance. Ses cheveux formaient un motif compliqué derrière sa tête, retenus par une barrette en forme de papillon. Elle portait un ample pantalon de tissu noir, dont les extrémités cisaillées en divers endroits exposaient ses jambes à chaque mouvement, et un haut bleu foncé, à manches longues bien sûr, pour garder ses cicatrices invisibles. Pas vraiment moulant, mais suffisamment pour que je discerne en relief deux raisons valables de se souvenir d’elle.

- Alors, de quoi j’ai l’air ? avait-elle demandé, sur le quai de gare, en tournoyant sur elle-même tandis que des ombres la dépassaient pour embarquer.

- D’une toupie, lui avais-je répondu en souriant.

Mais cela lui allait bien. J’avais pris sa main, l’avait galamment entraînée dans le wagon et au final nous avions atterri là, dans cette gare identique à celle que nous avions quittée. Trop identique. Une simple copie sans intérêt. Comme tout le reste.

- J’ai un cadeau pour toi… commençai-je.

- Vraiment ?

Je sortis la boîte de ma poche. J’avais brièvement envisagé un emballage pour préserver la surprise, mais j’avais laissé tomber. Vu la nature de l’offrande, je risquais d’engendrer un vent si je faisais trop de mise en scène.

- Du maquillage, fit-elle avec l’expression sarcastique à laquelle je m’attendais. C’est plus un cadeau pour toi que pour moi, ça, je me trompe ?

- Hey, me défendis-je, on ne se connaît que depuis hier, j’ai fait ce que j’ai pu… Surtout que je suivais des cours ce matin.

- Pourquoi tu vas toujours à l’université, au fait ?

- Parce que je ne sais rien faire d’autre.

Elle hocha la tête. Nous savions tous deux pourquoi la raison suffisait.

- Alors, repris-je après quelques instants de silence. Y a quelque part où tu voudrais aller en particulier ?

- Oui. Près du fleuve.

- Il y a un fleuve ici ? Tu connais la ville, donc.

- Non, j’en sais rien, répondit-elle avec un peu de distance, de mystère. Mais s’il y en a un, j’aimerais bien remonter la rive.

S’il se trouve que ce fleuve existait, nous n’avons pas croisé son court. Nous avons parcouru la ville, de long en large, d’abord à la recherche de ponts, puis sans vraiment de but. Nos conversations dérivèrent, délaissant bien vite la ville et ses eaux hypothétiques. Nous discourûmes de vie et de mort – surtout de mort –, de gloires ou de poussière, de cendre, d’infini et d’illusions. Je me laissai porter par les mots, attentif à ses paroles, précis dans mes réponses. L’écoute, un des facteurs vitaux. Toujours écouter avant de parler, de façon à la mettre à l’aise.

Car toute la tactique menait bien sûr à cela, à ce moment où Sophia se sentirait suffisamment bien avec moi pour que je passe à la vitesse supérieure. Dans l’idéal, je suppose que cet enchaînement se produirait naturellement, entre deux âmes sœurs qui élisent de s’unir, mais l’idéal n’était pas vraiment ce qui préoccupait Voreniel. Le passage de l’amitié à l’amour était codifié, régulé pour que le hasard n’y ait qu’un rôle minime. Le cadre avait son importance : mémorable, mais pas de cliché idyllique – un fleuve aurait convenu, d’ailleurs, puisqu’elle aimait ça. Je dus me contenter d’une place d’envergure moyenne, au milieu de laquelle une fontaine scintillait sous les rayons du soleil gris. Mon attitude avait son importance : il m’incombait de diriger l’action, sans paraître la brusquer ou la régir. Pas de recette pour ça, je devais juste me lancer.

A un instant précis, devant cette fontaine, Sophia et moi cessons de dialoguer, d’un accord tacite. Je la prends par le bras, nos yeux se rencontrent, nos têtes se rapprochent… Nos lèvres, pourquoi pas, après tout… On peut presque se souvenir du monde à l’époque où il était beau. Chaque instant semble futile, mais plein d’éternité.

Et elle parle. Pourquoi faut-il qu’elle parle ?

- Esa…

Je la sentis qui s’éloignait de moi, se dégageait de mon étreinte. Incrédule, je jetai un coup d’œil sur mes mains à présent vides et les découvris rouge sang.

- Il faut que je change mes pansements.

La tension retomba alors qu’elle retroussait ses manches. Un simple contact avec ses avant-bras avait suffi à rouvrir les cicatrices sur ses artères, qui expulsaient leur contenu à cœur joie.

- Oh merde… Excuse-moi.

Mes habits neufs, sur la trajectoire des geysers, s’étaient couverts de pourpre et adhéraient à ma peau. Ignorant mon dégoût, j’arrachai la chemise d’une ombre qui passait au mauvais moment, avec l’intention de former un garrot de fortune pour Sophia.

- Ça ne sert à rien, m’arrêta-t-elle. Le sang vient pas de mon bras ; ne me dis pas que tu arrêtes de brûler si tu te baignes dans de l’eau gelée.

Certes. Mais que voulez-vous, je peinais encore et toujours à me départir de certains réflexes humains. J’aurais bien aimé vous y voir, à ma place.

- On a dépassé une pharmacie en haut de la rue.

- Allons-y.

Je lui proposai mon aide, qu’elle déclina, privilégiant un peu d’intimité. Parce que le sang gouttant de mon t-shirt formait une flaque conséquente à mes pieds, je commençai à tourner en rond devant le seuil, incertain et nerveux. Après mon faux pas, j’allais devoir me plier à sa sentence quant à la suite de notre relation. Qu’allait-elle décider ? Oublier, ou m’oublier ? Impossible de deviner, d’où mon angoisse : je jouais tout mon avenir à pile ou face. Je sortis une pièce de mon portefeuille et tirai.

- Qu’est-ce que tu fais ?

La jeune fille me regardait avec curiosité. Je ne l’avais pas vue ressortir.

- Oh… Rien, bafouillai-je, rougissant.

Alors que j’avais l’air de sortir d’un massacre, et pas en vainqueur, Sophia ne conservait aucune séquelle apparente ; seules deux marques foncées sur ses manches en témoignaient encore. Une métaphore parlante, puisque c’était moi le véritable blessé, moi qui avait tout perdu dans l’incident. Elle avait l’initiative, elle tenait les dés. Je ne pouvais que ramasser ma pièce.

- Face, annonçai-je dramatiquement.

- Et qu’est-ce que ça signifie ? m’interrogea Sophia.

- Je l’ignore pour l’instant.

J’appris rapidement que cela signifiait « non ». Nous continuâmes la promenade quelques minutes, parlant par saccades. Je tentais de remonter le temps, de faire abstraction, et je sentais qu’elle ne s’y opposait pas complètement, mais l’entrain n’y était plus. Nos répliques manquaient d’inspiration, de confiance, comme si elles avaient pris conscience d’elles-mêmes qu’une partie de la magie s’était évaporée.

- Retournons à la gare, finit par demander Sophia.

- Je t’y retrouverai, complétai-je, penaud. Il faut que je me change.

Je ne me hâtai pas. Non pas pour choisir un beau t-shirt – je ne me souviens même plus à quoi il ressemblait – mais parce que je perdais le contrôle. Tout glissait autour de moi, à cause d’une seule erreur, stupide, aussi insignifiante qu’irréparable. J’avais tout détruit par inadvertance, et je ne voyais pas comment rebâtir à partir de ces ruines. Il me fallait repartir des fondations les plus basiques de notre édifice pour le redresser. Vous vous en doutez, l’architecture des sentiments n’a jamais été mon fort.

Finalement, mes pas me reconduisirent sur le quai. Je craignais qu’elle ne m’ait pas attendu. Je craignais de me retrouver à nouveau face à moi-même, seul et con, mais Sophia se tenait là, debout devant le train. Je ne la reconnus pas tout de suite, et pour cause : elle avait appliqué une couche de fond de teint pendant mon absence, ce qui la ressuscitait pleinement. Mon regard se perdant au creux de son cou, je m’imaginai presque un pouls en train d’y battre.

- Ça te plaît ?

- Beaucoup, confessai-je.

Elle me sourit doucement. Et soudain, tout allait bien à nouveau.

 
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