C'était 4 jours suisses, c'est pour ça =D
Mais bon oui je l'ai fini entre temps. Merci de vos lectures, je posterai la fin ces prochains jours.
2.
GHOST OF A CHANCE
Les phares nimbaient les sapins d’une lueur maladive, incapables de les troubler dans leur dignité innée. J’avais toujours soutenu qu’il s’en dégageait un calme et une noblesse palpables, impression que mes expériences dans la zone intermédiaire avaient confirmée. Ne vous fiez pas à ce qu’on raconte ; les forêts vivent, conversent, murmurent, se confient. Ce soir-là, le bois de Bouleyres se lamentait. Il pleurait plus souvent qu’il ne riait, ces derniers temps. Quand un arbre meurt, tous sont bouleversés. Un chœur de hurlements sylvestres l’accompagne pendant son passage, le guide vers ce qui vient après. Il y a une sincérité transcendante dans ces déchirements, une passion enthousiaste, loin de cette contrition aseptisée qu’il m’avait fallu supporter lorsque j’avais assisté à mon propre enterrement. Retourner à la terre, tu parles… Retourner à la nature, voilà de quoi motiver les défunts. La terre est sèche, méfiante ; givrée pour peu que vous ayez péri en hiver, comme moi. Pourquoi imposer cet environnement hostile à un corps déjà rigidifié ? Comment quelqu’un pourrait-il supposer qu’en agissant ainsi, il me comblait et se conformait à mes dernières volontés ? Rien ne justifie cette sottise. Il me semble bien plus cohérent de supposer que, égoïstes tels qu’à leur habitude, les ombres n’ont étudié que leurs intérêts – éliminer l’entêtant parfum des chairs pourrissantes – et ont concocté par la suite ce joli petit conte qu’on appelle le respect des reliques, pour se donner bonne conscience. Beaucoup plus humaine, cette version, hein ?
Mais je ne m’étais pas aventuré en ces lieux pour vous entretenir de banalités, non : ma situation le requérait. Au milieu de ces espions aveugles, Voreniel pouvait apparaître sans danger. Il s’agit d’un autre de ces aspects incohérents qui entachent notre réalité, d’ailleurs ; que les anges courent le risque d’être entrevus du coin de l’œil par les vivants, alors qu’ils ne nous remarqueront en aucune manière, quoi que nous fassions. J’ai conduit diverses expériences. S’il me prend l’envie de décapiter une ombre et que je mets ce projet à exécution, elle ne mourra pas, ne s’en inquiétera même pas. Elle continuera à vaquer à ses prétendues occupations, en route vers ses prétendus objectifs. A l’époque où j’avais constaté ce phénomène, j’en avais déduit que nos deux univers, parallèles, n’entraient pas en concurrence. Si bien que ce que je modifiais ici n’avait pas de valeur dans celui des ombres ; dans la mesure où je n’existais pas pour elles, comment mes actes pourraient-ils influer ? Seule ma réalité s’en trouvait changée, et dans la réalité des morts, le critère de décès s’étant bien sûr effacé, plus rien ne s’oppose à ce qu’un cavalier sans tête terrorise Sleepy Hollow. Voreniel, par un discours barbant de physicien, avait accrédité mon hypothèse.
Poussant un long soupir, j’envoyai ma cigarette valdinguer dans le décor et regagnai l’habitacle de la voiture. J’allumai la radio et la réglai sur 66.6. La fréquence, on s’en fichait : seul le signal attirait l’attention de l’ange.
La voix ne se fit pas attendre. Elle résonnait comme dans un espace confiné, très facilement reconnaissable. Ample et rauque.
- Très amusant, fit-elle.
- Je savais que ça te plairait.
L’ange avait revêtu une longue toge blanche qui projetait sous tous les angles un halo iridescent. Ses cheveux blonds semblaient or, sa peau dorée bronze. Ses ailes peignées avec attention jaillissaient de son dos comme deux avalanches resplendissantes. Pas très discret, et pas très nécessaire. Mais il aimait soigner ses entrées, et quitte à être surpris par un intrus, autant lui infliger la totale, de sorte que personne ne croie à son témoignage même s’il lui prenait l’envie de se confier.
- Tu aurais fait quoi si ça avait vraiment invoqué un damné ?
- J’aurais eu très, très peur.
- Tu devrais, répliqua Voreniel. Tu me crois peut-être pas, mais il y a des au-delàs pire que celui-ci.
- Condamné à ne rien faire pour l’éternité. Qu’est-ce qu’il pourrait bien y avoir de pire ?
- Tu ne fais rien… et on ne te fait rien, suggéra-t-il énigmatiquement.
Il avait sans doute raison. Mais cette conversation ne m’intéressait pas, et je l’écartai d’un geste.
- Quand bien même, enchaînai-je : je t’ai pas invoqué pour parler de ça.
Une étincelle apparut fugacement dans son regard bleu pâle.
- Ça y est ?
J’acquiesçai.
- Tu as rencontré quelqu’un ?
- Une fille. Environ seize ans. Suicide.
- Comment ça se passe ? Tu vas la revoir ?
Il y avait une vraie excitation dans sa voix. Sans doute était-il pressé d’en avoir enfin terminé avec moi. J’admets que mon attitude négative ne facilitait pas sa tâche, loin de là en fait.
- On est censés se donner rendez-vous demain.
- Parfait, parfait…
Sa satisfaction, de « palpable », lorgnait vers « vexante ».
- Alors, comment tu vas t’y prendre ? Explique-moi ton plan en détails.
- Comment ça, mon plan ?
- Comment tu as prévu de la séduire, bien sûr.
- Oh… Je n’y ai pas vraiment réfléchi… Je pense que je vais être moi-même, tout bêtement.
- Mauvaise réponse.
Je lus de la désapprobation dans l’expression de l’ange.
- Mauvaise réponse ? répétai-je. N’importe qui sur terre te répondrait ça. En amour l’authenticité compte au maximum.
- Sauf que tu es ici, Esa.
- Et ça change quoi ?
- Ça change que si tu pouvais te faire apprécier sans altérer ta personnalité, ta mort aurait compté pour quelqu’un. Et donc, tu n’aurais pas atterri ici. Un errant ne peut pas espérer l’amour de sa conquête ; il doit faire en sorte de l’insuffler lui-même. Sans qu’elle ne le remarque.
Un à zéro pour lui. Je m’appuyai contre la vitre avant, pour mieux encaisser le choc de cette brutale révélation.
- Tu essaies de me dire que j’ai un rôle à jouer, récapitulai-je.
- Exactement.
- Je dois prétendre être un type estimable, suffisamment estimable pour occuper une place dans son cœur.
- C’est plus difficile que ça n’y paraît au premier abord, tu sais.
- Je sais, acquiesçai-je, alors que je ne savais rien du tout.
Pendant une demi-heure, nous débattîmes stratégie. Le temps passa très lentement. A mesure que l’on avançait, je décelai dans les formules et les tromperies que l’ange me conseillait nombre d’astuces qui m’évoquaient bien trop directement Sandi. J’imaginai la jeune fille en pleine discussion avec l’ange, pesant quelles phrases m’appâteraient le mieux, ce qu’elle pouvait se permettre d’insinuer sans éveiller ma méfiance, à quelle vitesse elle simulerait de tomber sous mon charme. Pour la première fois, j’eus une vraie empathie envers Sophia, pour avoir subi le même sort, succombé sous les mêmes feintes. Allais-je vraiment lui infliger la douleur que j’avais eu tant de peine à endurer ?
Je m’éloignai de quelques pas, dégourdis mes muscles, tentai en vain d’éclaircir mes idées.
- Tu as un problème ? demanda Voreniel, lorsqu’il vit à quel point mon visage s’était assombri.
- Bien sûr que j’ai un problème ! éclatai-je. Elle craint, ta technique. Tu pouvais pas simplement unir les gens, au lieu de les piéger l’un après l’autre ?
- Bien sûr que non. Je peux pas forcer un humain à aimer son prochain. Je suis même pas sûr que le Créateur le pourrait ; c’est contre nature.
Pour une raison que j’ignore, Voreniel se refusait toujours à l’appeler Dieu.
Je revins vers la voiture. Ma silhouette se découpait dans la lueur des phares, qui m’aveuglaient. Je posai les deux mains à plat sur le capot.
- Je pense pas que je pourrai, Voreniel, soupirai-je. Tu connais mon envie de quitter ce monde de fantoches, mon désir de rejoindre le paradis. Mais à ce prix-là… Je dois la manipuler, comme j’ai été manipulé avant elle. Je vais m’identifier à elle, forcément.
L’ange s’approcha de moi. Je levai les yeux vers son visage et y reconnus un sourire triste.
- Tu parles toujours de logique, commença-t-il, alors fais toi-même le raisonnement… Tu sais comment fonctionne l’univers. Tu ne peux pas gagner sans que quelqu’un perde.
- Ce n’est pas juste, murmurai-je.
- Pas au sens où tu l’entends. Cela dit, ça n’a jamais été conçu pour.
Je continuai à débattre pour la forme, alors que je voyais déjà le moment de m’avouer vaincu se profiler à l’horizon. D’ailleurs, n’essayez pas de contredire un ange. S’il campe sur une position, il ne vous lâchera pas tant que vous n’aurez pas reconnu la pertinence de son argumentation. Une conséquence du manichéisme et de la foi unique qui marque leur histoire millénaire, j’imagine.
Quand je fus enfin résigné à concéder le dernier mot, nous retournâmes à l’élaboration du lendemain. J’avais l’impression de me lancer dans une campagne présidentielle. Pour la première fois, la contradiction me frappa : alors que l’amour se basait en théorie sur une ouverture totale à l’autre, la séduction se résumait à une tentative permanente et désespérée de dissimuler ce que nous recelons réellement à l’intérieur. Sans doute touchais-je là à la source d’un des fameux mystères de l’humanité, l’insolubilité de l’éternelle équation du bonheur. L’explication tiendrait la route – s’il s’avère que la logique régit effectivement le monde, bien sûr, ce que je n’affirmerais pas. Mais j’ai déjà abordé la question. Pardonnez mes redondances ; ce sujet trotte souvent dans ma tête, ces temps-ci.
Comme lors de n’importe quel autre supplice digne du nom, le temps s’étira à l’infini pendant que Voreniel et moi préparions mes perfidies. Mon esprit résonnait de questions creuses, de doutes inutiles. Que je me haïsse après coup ou non, j’allais devoir me conformer à son système. Quelle alternative me proposait-on ? Rester planté là, dans les ténèbres de mon ancien monde, sans poids, sans influence, jusqu’à la fin hypothétique de l’univers ? Même en compagnie de Sophia, jamais je n’accepterais telle destinée. Jamais.
Après le départ de l’ange, je passai la nuit sur place, sur la banquette arrière de ma voiture. Le sommeil me trouva maugréant, tourmenté par de noires berceuses. Il ne m’apporta aucun repos. Avec l’entrain des lendemains de nuits blanches, j’attendis que ma montre indique dix heures pour prendre le téléphone portable de Damien dans une main, mon courage dans l’autre, et composer le numéro de Marine.
__
On a pris le premier train et on est allé quelque part. Une cité grise, pleine de bâtiments, avec plein d’ombres qui se déplaçaient dans plein de directions. Il y avait de la fumée, des voitures, du bruit, de l’indifférence. Je m’aperçois en vous narrant cet épisode qu’encore aujourd’hui, j’ignore de quelle ville il s’agissait. Au premier regard, Sophia l’avait baptisée Anywhere, parce que cela retranscrivait à la perfection les nuances dont elle se parait ; la terminologie perdura.
J’avais volé des habits décents pour l’occasion : un des t-shirt d’Alcest pour la promo de Souvenirs d’un Autre Monde, un jeans de marque avec ceinture assortie, de nouvelles baskets aux pieds au lieu des vieilles déchirées qui me plaisaient tant. Crime parmi les crimes, je portais même une veste neuve, dont la fermeture éclair glissait sans accroc. Non content de trahir Sophia, j’avais l’impression de trahir ce qui me définissait ; mais il faut ce qu’il faut pour en imposer, n’est-ce pas ?
D’autant que si ma nouvelle amie faisait effectivement pâle figure au sens littéral, elle n’avait rien à m’envier, au contraire même, en ce qui concernait sa prestance. Ses cheveux formaient un motif compliqué derrière sa tête, retenus par une barrette en forme de papillon. Elle portait un ample pantalon de tissu noir, dont les extrémités cisaillées en divers endroits exposaient ses jambes à chaque mouvement, et un haut bleu foncé, à manches longues bien sûr, pour garder ses cicatrices invisibles. Pas vraiment moulant, mais suffisamment pour que je discerne en relief deux raisons valables de se souvenir d’elle.
- Alors, de quoi j’ai l’air ? avait-elle demandé, sur le quai de gare, en tournoyant sur elle-même tandis que des ombres la dépassaient pour embarquer.
- D’une toupie, lui avais-je répondu en souriant.
Mais cela lui allait bien. J’avais pris sa main, l’avait galamment entraînée dans le wagon et au final nous avions atterri là, dans cette gare identique à celle que nous avions quittée. Trop identique. Une simple copie sans intérêt. Comme tout le reste.
- J’ai un cadeau pour toi… commençai-je.
- Vraiment ?
Je sortis la boîte de ma poche. J’avais brièvement envisagé un emballage pour préserver la surprise, mais j’avais laissé tomber. Vu la nature de l’offrande, je risquais d’engendrer un vent si je faisais trop de mise en scène.
- Du maquillage, fit-elle avec l’expression sarcastique à laquelle je m’attendais. C’est plus un cadeau pour toi que pour moi, ça, je me trompe ?
- Hey, me défendis-je, on ne se connaît que depuis hier, j’ai fait ce que j’ai pu… Surtout que je suivais des cours ce matin.
- Pourquoi tu vas toujours à l’université, au fait ?
- Parce que je ne sais rien faire d’autre.
Elle hocha la tête. Nous savions tous deux pourquoi la raison suffisait.
- Alors, repris-je après quelques instants de silence. Y a quelque part où tu voudrais aller en particulier ?
- Oui. Près du fleuve.
- Il y a un fleuve ici ? Tu connais la ville, donc.
- Non, j’en sais rien, répondit-elle avec un peu de distance, de mystère. Mais s’il y en a un, j’aimerais bien remonter la rive.
S’il se trouve que ce fleuve existait, nous n’avons pas croisé son court. Nous avons parcouru la ville, de long en large, d’abord à la recherche de ponts, puis sans vraiment de but. Nos conversations dérivèrent, délaissant bien vite la ville et ses eaux hypothétiques. Nous discourûmes de vie et de mort – surtout de mort –, de gloires ou de poussière, de cendre, d’infini et d’illusions. Je me laissai porter par les mots, attentif à ses paroles, précis dans mes réponses. L’écoute, un des facteurs vitaux. Toujours écouter avant de parler, de façon à la mettre à l’aise.
Car toute la tactique menait bien sûr à cela, à ce moment où Sophia se sentirait suffisamment bien avec moi pour que je passe à la vitesse supérieure. Dans l’idéal, je suppose que cet enchaînement se produirait naturellement, entre deux âmes sœurs qui élisent de s’unir, mais l’idéal n’était pas vraiment ce qui préoccupait Voreniel. Le passage de l’amitié à l’amour était codifié, régulé pour que le hasard n’y ait qu’un rôle minime. Le cadre avait son importance : mémorable, mais pas de cliché idyllique – un fleuve aurait convenu, d’ailleurs, puisqu’elle aimait ça. Je dus me contenter d’une place d’envergure moyenne, au milieu de laquelle une fontaine scintillait sous les rayons du soleil gris. Mon attitude avait son importance : il m’incombait de diriger l’action, sans paraître la brusquer ou la régir. Pas de recette pour ça, je devais juste me lancer.
A un instant précis, devant cette fontaine, Sophia et moi cessons de dialoguer, d’un accord tacite. Je la prends par le bras, nos yeux se rencontrent, nos têtes se rapprochent… Nos lèvres, pourquoi pas, après tout… On peut presque se souvenir du monde à l’époque où il était beau. Chaque instant semble futile, mais plein d’éternité.
Et elle parle. Pourquoi faut-il qu’elle parle ?
- Esa…
Je la sentis qui s’éloignait de moi, se dégageait de mon étreinte. Incrédule, je jetai un coup d’œil sur mes mains à présent vides et les découvris rouge sang.
- Il faut que je change mes pansements.
La tension retomba alors qu’elle retroussait ses manches. Un simple contact avec ses avant-bras avait suffi à rouvrir les cicatrices sur ses artères, qui expulsaient leur contenu à cœur joie.
- Oh merde… Excuse-moi.
Mes habits neufs, sur la trajectoire des geysers, s’étaient couverts de pourpre et adhéraient à ma peau. Ignorant mon dégoût, j’arrachai la chemise d’une ombre qui passait au mauvais moment, avec l’intention de former un garrot de fortune pour Sophia.
- Ça ne sert à rien, m’arrêta-t-elle. Le sang vient pas de mon bras ; ne me dis pas que tu arrêtes de brûler si tu te baignes dans de l’eau gelée.
Certes. Mais que voulez-vous, je peinais encore et toujours à me départir de certains réflexes humains. J’aurais bien aimé vous y voir, à ma place.
- On a dépassé une pharmacie en haut de la rue.
- Allons-y.
Je lui proposai mon aide, qu’elle déclina, privilégiant un peu d’intimité. Parce que le sang gouttant de mon t-shirt formait une flaque conséquente à mes pieds, je commençai à tourner en rond devant le seuil, incertain et nerveux. Après mon faux pas, j’allais devoir me plier à sa sentence quant à la suite de notre relation. Qu’allait-elle décider ? Oublier, ou m’oublier ? Impossible de deviner, d’où mon angoisse : je jouais tout mon avenir à pile ou face. Je sortis une pièce de mon portefeuille et tirai.
- Qu’est-ce que tu fais ?
La jeune fille me regardait avec curiosité. Je ne l’avais pas vue ressortir.
- Oh… Rien, bafouillai-je, rougissant.
Alors que j’avais l’air de sortir d’un massacre, et pas en vainqueur, Sophia ne conservait aucune séquelle apparente ; seules deux marques foncées sur ses manches en témoignaient encore. Une métaphore parlante, puisque c’était moi le véritable blessé, moi qui avait tout perdu dans l’incident. Elle avait l’initiative, elle tenait les dés. Je ne pouvais que ramasser ma pièce.
- Face, annonçai-je dramatiquement.
- Et qu’est-ce que ça signifie ? m’interrogea Sophia.
- Je l’ignore pour l’instant.
J’appris rapidement que cela signifiait « non ». Nous continuâmes la promenade quelques minutes, parlant par saccades. Je tentais de remonter le temps, de faire abstraction, et je sentais qu’elle ne s’y opposait pas complètement, mais l’entrain n’y était plus. Nos répliques manquaient d’inspiration, de confiance, comme si elles avaient pris conscience d’elles-mêmes qu’une partie de la magie s’était évaporée.
- Retournons à la gare, finit par demander Sophia.
- Je t’y retrouverai, complétai-je, penaud. Il faut que je me change.
Je ne me hâtai pas. Non pas pour choisir un beau t-shirt – je ne me souviens même plus à quoi il ressemblait – mais parce que je perdais le contrôle. Tout glissait autour de moi, à cause d’une seule erreur, stupide, aussi insignifiante qu’irréparable. J’avais tout détruit par inadvertance, et je ne voyais pas comment rebâtir à partir de ces ruines. Il me fallait repartir des fondations les plus basiques de notre édifice pour le redresser. Vous vous en doutez, l’architecture des sentiments n’a jamais été mon fort.
Finalement, mes pas me reconduisirent sur le quai. Je craignais qu’elle ne m’ait pas attendu. Je craignais de me retrouver à nouveau face à moi-même, seul et con, mais Sophia se tenait là, debout devant le train. Je ne la reconnus pas tout de suite, et pour cause : elle avait appliqué une couche de fond de teint pendant mon absence, ce qui la ressuscitait pleinement. Mon regard se perdant au creux de son cou, je m’imaginai presque un pouls en train d’y battre.
- Ça te plaît ?
- Beaucoup, confessai-je.
Elle me sourit doucement. Et soudain, tout allait bien à nouveau.