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Dragoris
Cerbère des Portes de la Fiction
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il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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Dragoris
Cerbère des Portes de la Fiction
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Posté
il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Dragoris
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Nouvelle de Dragoris :
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… Puis elle plongea dans un taxi et disparut dans la nuit.
.
Ce qui se passait juste avant dans cette vision d’avenir, il n’arrivait jamais à s’en souvenir. Ni même qui « elle » était.
Pourtant, il était très important de le savoir, il le
sentait
. D’une importance vitale, même. Chaque fois, il avait cette impression que la connaissance était là, à portée de main. Qu’il n’avait plus qu’à tendre la main, à l’effleurer du doigt, et que tout lui viendrait. Ou lui reviendrait. Mais sa vision s’estompait alors, comme l’on se réveille d’un rêve dont il ne reste plus aucun souvenir, avec juste cette impression qu’il a laissé.
Ce n’était pas la première fois que Kaelig avait des visions d’avenir. Elles s’accomplissaient toutes, parfois quelques jours, parfois quelques secondes plus tard. Des choses banales, quelqu’un laissait tomber une assiette, une voiture pilait pour s’arrêter au feu rouge. Comme si, depuis maintenant un an, on l’habituait à la fiabilité de ce qu’il voyait.
Mais là, il tenait quelque chose de véritablement important. Non seulement l’impression qui flottait à ce moment-là le lui laissait entendre, mais cela faisait des mois qu’il voyait la même chose. Son don de prophète le lui signalait en repassant toujours la même chose : cette inconnue le plantait là et disparaissait dans la nuit dans un taxi.
Or, toute la tragédie résidait dans le fait qu’elle ne devait
surtout pas partir
. C’en était absurde tellement la chose était évidente : il le savait, elle le savait, mais elle finissait tout de même par s’en aller. Les ténèbres les dévoraient, elle et son maudit taxi.
.
Les jours passaient…
Et finirent par apporter d’autres visions. Mais elles étaient très étranges : tantôt elles montraient des scènes banales dont certains détails sautaient aux yeux, tantôt elles montraient les mêmes scènes mais avec ces mêmes détails changés. Ici, la petite fille qui commandait une glace devant la camionnette était tout habillée de rose fluo. Là, même chose, la petite fille prononçait exactement les mêmes mots, les mêmes passants avançaient de la même façon, mais la couleur jaune de ses vêtements dominait.
Quelque chose laissait à Kaelig une impression amère dans la bouche. Visiblement, il s’agissait de la même journée qui se déroulait, mais avec chaque fois quelque chose de changeant. Comme si le futur n’était pas stable, qu’il se mouvait et se cherchait dans ces détails qui semblaient avoir une telle importance !
Car dans ces visions, l’impression qui dominait était celle qu’il fallait scruter. Les couleurs roses et jaunes n’étaient pas les bonnes.
Le futur fluctue furieusement.
Telle est la phrase qui trottait dans sa tête en ce moment. Aussitôt suivie d’une autre.
Le Diable se cache dans les détails.
Et c’était cela ! Il fallait chercher la vision lorsque la petite fille s’habillait de vert !
C’en était si évident que Kaelig mit plusieurs secondes avant de se rendre compte que ce n’était pas
si
évident. Pourquoi fallait-il que cette petite fille soit en vert ? Que se passait-il, dès ce moment-là ?
C’en finissait par être déroutant. Et pour le rendre davantage nerveux, les visions se rapprochaient de plus en plus. Comme si le moment approchait.
.
Les jours passaient…
Et les visions se firent plus pressantes. « Elle » plongeait toujours dans son taxi de malheur. Et ce même jour, la petite fille était habillée en jaune, en rose ou en vert. Mais pas seulement ! Autre part, à un autre moment de la journée, il faisait très chaud dans le parc. Deux fois, la vieille dame s’était assise à sa gauche, sur le banc où il se trouvait. La troisième fois, elle était à droite.
Le futur fluctue furieusement.
Les probabilités étaient contre lui, mais il
fallait
que la vieille dame soit à droite. De la même façon que lorsqu’il regardera sa montre, à 14h59 face au feu rouge du carrefour, ce devait être une voiture hybride métallisée qui devait s’arrêter, et non une voiture rouge diesel qui faisait grand bruit. Surtout pas cette voiture rouge. Mais
pourquoi
? Toujours ces questions qui le taraudaient et ne le laissaient jamais tranquille, le crispaient chaque jour un peu plus.
.
Les jours passaient…
Et cette maudite femme était à nouveau engloutie dans les ténèbres. Oui, maudite ! Car Kaelig ne dormait presque plus. Les visions le tourmentaient. Il lui apparaissait évident que le futur devait se dérouler comme les visions le lui laissaient entendre : certaines choses devaient se produire au lieu d’autres. Ou la fin était inéluctable.
Jamais il n’avait eu autant de visions en une seule journée. Sept, huit, parfois dix ! Elles avaient tendance à se rapprocher, et leur durée variait de plus en plus : d’une seule seconde à trois minutes. Il lui arrivait d’avoir sous ses yeux comme une photo d’un moment du futur. C’était perturbant. Comment s’accrocher à la réalité et au présent lorsque le futur pouvait apparaître subitement, sans crier gare ?
Pourtant, il fallait rester concentré, lucide. Au fil des jours, il avait tant pensé à cela, aux évènements, qu’il sentait la fièvre monter. Le soir, il se sentait brulant. Mais il fallait qu’il sache, coûte que coûte, ce que lui réservait l’avenir et ce qu’il devait faire pour l’empêcher. Aucune idée de pourquoi, mais c’était bien le message que ses visions voulaient à tout prix faire passer. Bientôt, il n’en pourrait plus, il se demandait s’il n’allait pas finir par mourir d’épuisement.
.
Une journée passa.
Et c’était la veille du grand jour. Pour la première fois, il sut que le moment arrivait. Ce sentiment était chaque fois plus prenant après ses visions. Mais ce qui le lui confirma, c’était cette date qui s’affichait en bas d’un écran d’ordinateur. Dont le fond d’écran ne devait pas rester le même. C’était demain !
Il ne se sentait pas du tout prêt à affronter la situation. Il y avait quelque chose à faire, mais quoi ? Les visions s’enchainaient dans la journée, et il ne pouvait rien faire d’autre que de les subir sans broncher. Toutes les heures ou toutes les demi-heures, une photographie s’affichait dans son esprit, ou une vidéo se jouait sous ses yeux. C’était lui, c’était demain. Des scènes importantes, qu’il ne fallait pas rater, parfois ce sentiment de soulagement que la chose se passait comme prévu. C’était ce qu’il ressentait, mais demain. Mais comment une chose qu’il ne maîtrisait pas pouvait-elle se dérouler comme prévu ?
.
Alors il sut.
Le futur fluctue furieusement.
Si la petite fille devait être habillée en vert, c’est parce qu’il fallait l’empêcher de garder les vêtements que son père avait choisi pour lui. Tâcher les précédents pour qu’il les change. Il fallait demander l’heure au conducteur de la voiture rouge. Il devait s’asseoir un peu plus à gauche pour que la vieille dame ne puisse plus se placer qu’à droite. Et ainsi de suite.
Si tous les éléments se déroulaient selon un certain plan, si toutes les pièces du puzzle, séparées, finissaient par se placer dans le bon ordre les uns après les autres, cela entraînera un effet domino sur cette « elle » qui ne prendrait alors jamais le taxi, et ne serait plus jamais engloutie dans les ténèbres.
Le futur fluctue furieusement.
Kaelig se redressa tôt ce matin sur son lit, tout en sueur. Il n’avait pas dormi. Sa tête pesait lourdement. Mais il fallait être prêt. Le futur n’attend pas.
Le premier domino devait tomber.
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il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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Il pleuvait,
De grosses gouttes tapaient bruyamment sur le chapeau de l'homme.
Il attendait ce bus, à côté de l'arrêt, étrangement.
Il leva la tête, lentement, le temps de laisser tomber quelques gouttes sur ses cernes, fracassant sa fatigue.
Le temps d'une illusion d'optique, il était plus jeune, à nouveau.
Il sourit.
Le bus arriva,
Il regarda avec intérêt l'engin ralentir avant de se stopper juste devant lui.
Les portes s'ouvrirent, laisse échapper de vives discussions.
Un groupe de jeunes sortit, il sourit à nouveau.
La dernière fille du groupe était plutôt mignonne,
Elle tourna la tête, et il la vit, derrière.
Elle descendit,
Perdue.
Puis le vit, sourit, et couru dans ses bras.
Il la serra, fort,
Ils se regardèrent dans les yeux,
Puis s'embrassèrent.
Elle parla,
Elle souriait, était joyeuse, tout à coup,
Le temps était comme ralenti,
Comme s'ils avaient attendu cet instant toute leur vie
L'homme ferma les yeux, l'écarta
Et parla,
Ses yeux se décomposèrent,
Elle se mis à genoux,
Se leva, marcha lentement loin de lui,
Puis elle plongea dans un taxi et disparut dans la nuit.
Il souriait à nouveau, et quelques mots s'enfuirent de ses lèvres,
" ... quand nous seront tous les deux des chats "
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il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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Laissant les problèmes à résoudre pour demain, je quitte mon boulot vers les 17 heures comme à l’habitude, direction la gare de RER.
Il paraît que le mot d’ordre politique à la mode est “travailler plus pour gagner plus” cependant dans la réalité de mon entreprise ce serait plutôt “venir tard et partir encore plus tard”. Pour ma part mon motto est “venir plus tôt pour partir plus tôt” parce j’ai horreur des trains bondés du coup en décalant mes horaires ainsi j'arrive à peu près à éviter la foule.
Comme à l’habitude il ne se passe rien dans le train : à l’aller les gens sont encore à demi dans les bras de Morphée tandis qu’au retour c’est le début du repos du guerrier. Enfin si l’on veut parce que rentrer chez soit en RER n’a rien de reposant en particulier lorsque des changements de trains sont nécessaires !
Pour ma part, ce voyage en train quotidien était l’occasion de passer un joli coup de pinceau blanc sur tout ce qui était arrivé aujourd’hui au travail et planifier ce que j’allais faire de ma maigre soirée. Qu’est-ce que j’allais me faire à manger ?
Est-ce que le dernier épisode d’Accel World est sorti ?
Est-ce que je ne devrais pas m’occuper de ces factures qui traînent sur ma table de salon ?
Est-ce que je vais arriver à me retenir de tuer cette nana avec son téléphone talkie-walkie ?
Me voici arrivé à l‘une de mes correspondances. Le timing des trains est tellement bien fait que deux fois sur trois je dois attendre dix bonnes minutes avant d’avoir le bon. Aujourd’hui, sans surprise, me voila à attendre sur le quai à ciel ouvert.
Si c’était plaisant en été ça l’était beaucoup moins en hiver comme c’est le cas actuellement.
De là je surplombe la rue longeant la voie ce qui me permet d’observer le va-et-viens des gens sans qu’eux-mêmes ne s’en rendent compte.
Néanmoins il ne se passe généralement jamais rien de suffisamment excitant pour me faire passer le temps. Surtout que la pénombre des courtes journées d’hiver tombe déjà, bien avant que l’éclairage public ne prenne le relais pour nous permettre de voir.
Pourtant un bleu ciel singulier attire mon regard en contrebas, près de la porte d’entrée de la gare. Après avoir refait la mise au point de mes yeux qui s’étaient déjà mis en mode veille, je pus discerner une robe de soirée bleue ciel appartenant à quelqu’un que je ne pouvais pas reconnaître à une pareille distance.
Et là boum, par la magie de la mémoire associative me voila revenu au collège, plus exactement en sport où je pouvais admirer ce survêtement bleu ciel ainsi que la fille qui le portait et pour qui j’avais secrètement le béguin. Cette couleur devait être sa favorite parce que j’en voyais souvent des touches sur ses vêtements ou ses affaires mais seul son survêtement pour le sport arborait cette couleur de bout en bout.
De retour quinze ans plus tard, mon esprit ne semble plus vouloir se détacher de l’idée qu’il s’agissait de la même personne. Une coïncidence pareille ? Non ça ne se pouvait pas. Et pourtant si ça l’était, qu’est-ce que j’allais faire ? La héler depuis le quai, sûrement pas, bonjour la honte. Faire comme dans la pub et changer de tickets pour Venise i.e. descendre et louper mon train à l’approche ? Et même si je faisais ça, qu’est-ce que j’allais faire après ? Engager la conversation, parler du bon vieux temps, peut-être enfin flirter avec quelqu’un ? Et si une fois approchée ce n’est pas elle finalement, peut-être que j’ai une attirance pour le bleu ciel. Et si. Et si.
Elle plongea dans un taxi et disparut dans la nuit.
Presque aussi vite que cette réminiscence était arrivée, mes pensées vers cette inconnue à la robe bleue ciel repartait dans les brumes de ma mémoire alors que je montais dans le train arrivé à quai pour me ramener chez moi.
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il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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Ce fut une belle journée, la première depuis l'hiver, et cette journée ensoleillée touchait à sa fin. Je sentais que la lumière baissait, une légère brise se levait, ce n'était pas pour me déplaire. L'hiver avait été long, ce fut comme un long sommeil, le printemps n'a que trop tardé. J'attends maintenant mes veilleurs, ils me soignent. Ils tardent, l'obscurité commence à m'envelopper, les restes de ma torpeur hivernale reviennent dans mon corps. Où sont ils ? Pourquoi mes veilleurs ne sont pas là ? Mes membres âgés réclament leurs soins, pourquoi ne sont-ils pas venu ? L'air est en train de se charger d'humidité, un vent nouveau, un vent de printemps.
Ma main plongea au fond du sachet, remua les écorces, à la recherche d'une rescapée. Merde, j'en trouve pas, il va falloir que je me lève pour en prendre un autre. Attends, il y en a une encore intacte. Oui ! Damnée cacahuète, elle se cachait, elle nourrissait un espoir d'échapper à mon emprise, mais un espoir vain, car je finis toujours mes paquets de cacahuète. Quelqu'un passa devant l'hôpital, il passa furtivement sur mes écrans. Il va y avoir de l'orage ce soir, j'espère que mon match va pas être annulé, ce serait dramatique. J'allumais ma petite télévision, installée entre les écran des caméra 1 et 2, invisible à des yeux de directeurs. Les joueurs étaient sur le terrain, ils entamaient leurs chants patriotiques, des nuages menaçant planaient au dessus du stade. Seigneur, faites qu'il ne pleuve pas, ça gâcherait ma soirée. Un éclair zébra le ciel, tonitruant, je sursautais. Par réflexe, mon regard passa sur les écrans de surveillance, et... oh, qui voilà, la petite du troisième dans sa blouse blanche serrée, mignonne comme tout, magnifique. Elle prit l'ascenseur, mon regard passa sur l'écran d'à côté, elle est toute seule, elle ne sait pas que je l'observe. Elle se baissa pour vérifier quelque chose dans sa valise, puis elle défit quelques plis de sa blouse et se regarda un instant dans le miroir. Oh ! Quel honneur, mademoiselle descend me voir au rez-de-chaussé ! Mon regard quitta mes écrans pour la suivre des yeux, elle avait l'air pressée. Elle me tournait le dos, bon dieu, cette démarche, bon dieu, une femme magnifique. Elle passa la porte de l’hôpital, je regardais encore un instant cette créature divine, en répétant ma résolution de l'inviter à dîner. Je rêvais encore un instant, puis elle plongea dans un taxi et disparut dans la nuit.
Ma cliente plongea sur la banquette arrière et débita d'un ton sec une adresse quelconque. Impasse Baudran, connais pas, je démarrais mon taxi en tapotant sur mon nouveau GPS. Je jetais un œil sur ma cliente pour voir à qui j'avais à faire. Une jolie infirmière, à cette heure dans mon taxi, c'est pas commun. Elle doit être de garde ou dans le genre, on dirait une valise de médecin sur ses genoux. Allez, je me lance, je l'interpelle pour lui demander pourquoi elle avait pris mon taxi, une petite curiosité pour entamer la discussion. Pas très loquace, elle a répondu d'un ton sec qu'ils n'avaient plus de véhicules de services et que je devrais aller plus vite, une urgence. Je répondis à ma petite dame que non, c'était pas possible. Je sortis une petite boutade pour détendre l’atmosphère... en vain. Elle avait l'air tendue ma petite dame. J'aime pas ce genre de clients qui me mettent un malaise, pas un brin de discussion. Ce devait être vraiment urgent, elle a plus dit un mot, que du silence, y'avait que le bruit du torrent de pluie qui s'abattait sur les vitres de mon taxi. La nuit allait être longue avec cette pluie, j'essayais de raccourcir le trajet, ce serait dommage de retarder l'arrivée de ma petite dame.
De nouveau cet immense bruit, le lumière vacilla un peu, mes poils se hérissèrent sur mon dos. Je hais ces moments de grande pluie, le ciel est noir, il y a ces bruits sourds, puissants, graves, ces bruits qui viennent s'emparer de mes oreilles et m'effrayer. J'ai grande peur, j'interpelle les membres de ma famille, ils doivent pouvoir y faire quelque chose. On m'écoute pas, j'ai même pas un regard, on me prête pas attention, je n'aime pas ça. La porte vers l'extérieur s'ouvre, le bruit devient plus fort, plus intolérable. Je proteste pour qu'on ferme cette porte, une étrangère habillée en blanc entre et vient se placer près de ma famille. La grande pluie continue, personne ne m'a écouté, ils ne comprennent pas que j'ai peur et que j'ai besoin qu'ils arrêtent ça ? Je crie plus fort, je finis par dévier les attentions vers moi. On me prend sous les bras et on me fait quitter de force l'endroit, c'est injuste, je crie encore, je ne veux pas ! Une porte close vient répondre à mes supplications, je me résigne, je cours me cacher sous un tas d'habits, ça me protègera de la grande pluie et du grand bruit.
Je bouge, j'essaye de détendre mes jambe, j'agite mes bras. J'ouvre les yeux, je vois de la lumière, je vois des ombres. Je m'agite, mon monde se rétrécit, il devient plus petit, je manque de place. J'ai soudainement l'impression d'étouffer, j'ai envie d'aller ailleurs, de sortir du monde. Le monde se réduit encore, j'étouffe, je pousse sur mes jambes. J'ouvre ma bouche, elle se remplit, j'étouffe. Je pousse, j'étouffe, on m'expulse du monde. Une sensation désagréable vient saisir ma tête, des choses touchent ma peau, j'étouffe. Je commence à sortir, le monde a une issue, je peux m'enfuir de ce monde où j'étouffe. Je sors, je suis sortis, je vois une lumière, une lumière trop intense, plus intense que toutes les lumières, un frisson me parcours de la tête au pied. Des formes se dessinent, j'étouffe, je crache, je sens qu'on me retourne, quelque chose vient s'appuyer contre moi, une chose entre en moi par ma bouche, je n'étouffe plus. J'éprouve besoin de l'expulser, je crie, je crie de toute mes forces, je respire encore, une deuxième, une troisième fois. Je n'étouffe plus, on me place dans un endroit agréable. Je suis sortis du monde, je suis bien dans ce nouvel endroit très lumineux, peuplé de formes qui bougent. J'émets ma première pensée, où suis-je ?
La pluie ruisselait sur mes membres, une pluie de printemps, une pluie tiède que j'aime. Je me sens revivre, je puise dans le sol cette eau, mon corps entier est bouillonnant d'une nouvelle vie. Bientôt, je grandirais de nouveau, je me dresserait fièrement vers le soleil, je montrerais à mes veilleurs ma nouvelle vitalité. J'ai un âge vénérable, chaque hiver est pour moi un risque de ne plus jamais sentir cette première pluie printanière, j'y ai survécu une fois encore. Demain, mes veilleurs oublieront de nouveau me donner mes soins, je sais qu'ils oublieront de nouveau, mais ce qu'il s'est passé cette nuit les excuse. Ce nouveau printemps de vie a amené avec lui une nouvelle chose chez mes veilleurs, je l'ai sentis dans cette pluie, un petit veilleur est né cette nuit.
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il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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Je l'avais rencontrée un brumeux matin d'octobre. J'étais parti chercher de quoi remplir l'encrier de ma machine à écrire et en sortant de la maison l'avais aperçue, étendue, semble-t-il à moitié endormie dans l'un des parterres du square situé juste en bas de chez moi. Ce n'était pas vraiment grand ni majestueux, mais les arbres disposés ça et là, les bancs rythmant l'allée principale, le clapotis léger du jet d'eau sortant de la fontaine, donnaient à l'ensemble une fraîcheur paisible à tout promeneur qui s'y aventurait. C'est pourquoi malgré un thermomètre qu'on ne pouvait dire très accueillant, la présence de la jeune fille ne m'apparut pas étrange. Une promeneuse ou une jeune yuppie qui s'était arrêté là, voilà tout.
A mon retour, elle n'avait pas bougé. Vraiment pas. Pas d'un cheveu. Pas d'un iota. Je sais que certaines personnes peuvent avoir le sommeil très lourd et rester couchées sur les mêmes quelques centimètres carré de leur lit, mais j'ai toujours eu du mal à le comprendre, moi qui me suis réveillé plus d'une fois la tête à l'envers ou pire encore lors de ma chute. Je m'enquis donc d'aller voir de plus près si tout allait bien. Je n'avais pu que m'imaginer sa beauté lorsque j'étais encore de l'autre côté de le rue, et c'est pourquoi lorsque j'eus fini de contourner son corps allongé pour admirer son visage, ma première réaction fut de m'écarter. Elle avait la beauté qu'ont ces femmes qui ont déjà vécu, pas celle des jeunes filles bien apprêtées qui un jour peut-être gagneront le concours de beauté de leur village. Le genre de charme qui vous raconte une histoire avant même la première question posée. Le léger sourire qu'elle arborait dans son sommeil était saisissant de quiétude. Sans doutes était-elle en train de rêver. Cette conclusion me fit m'interdire de la déranger. J'ai toujours eu un immense respect pour le sommeil d'autrui, et plus encore pour l'imagination fertile qu'ont le don de faire émerger les songes.
Pourtant, plutôt que de rentrer directement chez moi, je m'assis sur le banc situé juste à côté. J'eus alors le loisir d'observer longuement le square et plus précisément sa fontaine. Curieusement, alors que j'habitais là depuis déjà plusieurs mois, je n'avais jamais pris le temps de le faire d'ailleurs que de ma fenêtre. La statue d'où le jet provenait représentait une fort grasse carpe. Je l'avais reconnue à ses moustaches, mais surtout grâce à la lecture que j'avais faite, quelques jours plus tôt, d'un catalogue d'estampes japonaises trouvé chez un bouquiniste du centre-ville. Je ne l'avais finalement pas acheté, certain que j'étais qu'une fois ramené chez moi, j'y perdrai tout intérêt et ne l'ouvrirai plus jamais. De nombreux autres livres avaient déjà connu le même sort et j'étais devenu depuis plus prudent dans mes achats.
J'étais perdu dans mes pensées qui suivaient alors le fil des écailles de la bête quand quelqu'un vint s'asseoir à mes côtés. J'eus un léger frémissement, m'attendant à ce que ce soit la jeune fille qui me rejoignait malgré que nous ne nous connaissions pas encore, mais c'était un vieil homme. Je l'avais déjà aperçu de mon balcon qui passait de nombreuses heures dans le square et je me rendis alors compte que j'étais sur le banc qu'il occupait chaque jour. Il me salua et entrepris de me faire la conversation. Il était né dans un village non loin de là mais avait rejoint la ville dès ses 18 ans pour travailler et permettre à lui et sa femme de vivre de façon indépendante. Elle était morte il y a maintenant quelques années, et leurs enfants étaient parti vivre à l'étranger. Il vivait donc seul et venait chaque jour se remémorer l'époque où ils passaient, dans ce square, leur dimanche en famille. Rose aurait préparé le pic-nic, et lui se serait occupé des jeux des enfants. Ils auraient couru dans tout les sens, et grimpé aux arbres avec les autres enfants du quartier. C'était un autre temps m'expliqua-t-il alors, mais pour lui la nature du bonheur sera restée la même tout au long de sa vie. Vivre auprès de ses proches, et les chérir. Je n'eus pas le temps d'être certains que des larmes coulaient d'entre les rides de son visage qu'il était déjà parti, me saluant d'un simple signe de la tête, la penne de son béret à la main.
Je voulu alors me replonger dans l'observation béate du parc mais je n'y sentais plus la même chaleur. L'histoire que je venais d'entendre me tournait dans la tête, et c'est la perspective d'un avenir aussi heureux qu'avait été le passé du vieil homme qui me poussa à me diriger vers la belle inconnue. Je n'eus pas fait trois pas vers elle qu'elle ouvrait les yeux. Des yeux magnifiques. Brillants, mais chaleureux. Je ne sus quoi dire. Elle me sourit, puis me demanda qui j'étais. L'absence de crainte dans sa voix me rassura. N'ayant nulle mauvaise intention, j'avais pris peur que ma présence si proche d'elle eut été mal interprétée. Je lui dis donc comment je m'appelais, et elle fit de même. J’invitais alors Elizabeth à s'asseoir ensemble sur le banc afin de faire connaissance. Elle refusa et m'invita plutôt à m'asseoir dans l'herbe, à ses côtés. Nous avons alors parlé longuement et soudain, alors que je lui proposais que nous dînions ensemble, elle plongea dans un taxi, et disparut dans la nuit.
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il y a plus de 12 ans
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il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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« Appartement 2B à louer, vide depuis six mois » Immobile, Octave fixait l'inscription.
Cinq mois auparavant...
Octave n'avait jamais aimé l'été. Cette saison où les amoureux s'affichent, prétendent vivre le parfait amour. Tous les matins, il se levait. Il allait travailler. Il rentrait. Il dormait. Il se levait. La routine berçait sa vie depuis bien longtemps. Trop longtemps pour qu'il espère la rompre. Quelques femmes l'avaient brisés, mais à chaque fois, elles repartaient sans un regard. Et la routine reprenait sa place. Octave s'y était fait, et il vivait pour son entourage. Il ne croyait plus en la vie. Ce jour-là, Octave rentrait chez lui. Mais dans les escaliers, il se heurta à quelqu'un, lui faisant renverser toutes ses courses dans l'escalier de son immeuble.
— Excusez-moi... chuchota-t-il en regardant l'inconnue.
Son cœur fit un bond dans sa poitrine en croisant ses yeux, de grands yeux verts. La jeune femme lui sourit et commença à ramasser ses affaires. Octave lui n'arrivait pas à défaire son regard. Puis, il se ressaisit et l'aida.
— Il n'y a personne dans l'escalier d'habitude, balbutia-t-il, je ne faisais pas attention.
— Ce n'est rien, je viens juste d'emménager dans l'immeuble. Au deuxième.
— Au 2B ?
— Oui, dit-elle en se relevant, nous sommes voisins, je crois. Au plaisir de vous revoir !
Et sans qu'il eut le temps de lui répondre, elle monta les marches et disparut. Intrigué, il rentra chez lui. La nouvelle voisine hanta son esprit avant de disparaître de sa tête. Puis il allait se coucher lorsqu'il entendit qu'on sonnait à sa porte. Personne ne venait jamais lui rendre visite. Pourtant il alla tout de même ouvrir.
— Désolée de vous déranger, mais je tenais à me présenter. Je m'appelle Mira. Puis-je entrer ?
La voisine qu'il avait rencontrée se trouvait devant lui, sourire aux lèvres. Mira pénétra dans son appartement et commença à lui parler. Octave l'écoutait, ne pouvant s'empêcher de remarquer à quel point elle était belle. Elle venait du Nord, avait déménagé pour ses études. Une jeune femme brillante. Sans s'en rendre compte, Octave était sous son charme, et il se surprit à rire avec elle. A partir de ce soir-là, Mira et lui commencèrent à se parler, souvent. Octave rentrait chez lui, désormais avec la secrète envie de rendre visite à sa voisine. Mais trop timide, il attendait toujours qu'elle vienne. Et elle venait. Deux mois passèrent, et ils devenaient de plus en plus proche. Il ne parlait à personne de cette étrange relation, et ça lui convenait. Il avait l'impression de revivre quand il était avec elle, elle le faisait rire, et il adorait se balader avec elle. Les passants les regardaient souvent d'un air mauvais : des jaloux, se disait Octave, comme je l'étais avant. Cette fois, il avait l'impression qu'elle était celle qui lui fallait. Qu'elle ne le quitterait pas, et au bout de trois mois Octave osa enfin parler de ses sentiments. Et il commença à être heureux quand elle lui répondit qu'ils étaient partagés. Jamais de sa vie, Octave n'avait vécut des mois aussi merveilleux. "Je suis l'homme le plus chanceux du monde" , se répétait-il quand Mira le rejoignait. L'automne se terminait et comme tous les soirs, Octave attendait que sa dulcinée sonne chez lui. La pluie battait avec violence les carreaux mais il faisait bon à l'intérieur. Comme d'habitude, Mira débarqua. Quand il ouvrit la porte, il remarqua que quelque chose n'allait pas. Que quelque chose était différent. Les lèvres pincées, Mira resta devant la porte, trempée.
— Tu es trempée, tu n'entres pas ?
— Non, Octave. Il pleut dehors.
— J'ai vu, mon amour, tu vas prendre froid. Ça ne va pas ?
Au fond de lui, Octave sentait que non, ça n'allait pas. Mira prit alors une grande inspiration.
— J'ai passé des mois merveilleux avec toi, vraiment. Je dois faire vite, on m'attend. Mais maintenant, tu dois continuer sans moi. Maintenant tu n'auras plus besoin de moi pour t'ouvrir, pour rencontrer d'autres personnes. Profites de ta vie, Octave, tu la mérites, quoique tu puisses penser.
Brisé, Octave resta bouche bée. Son cœur venait d'imploser. Tout comme le jour de leur rencontre, Mira dévala les escaliers sans un mot. La voyant disparaître, Octave se précipita derrière elle. En poussant la porte de l'immeuble il eut le temps de l'apercevoir. Elle plongea dans le taxi et disparut dans la nuit... Sur le trottoir, Octave s'effondra. Il tapa par terre, répétant que c'était impossible. Il ne sut pas combien de temps il resta là, sous la pluie. Des bras le saisirent et le redressèrent.
— Monsieur Octave, vous allez bien ?
C'était le concierge. Les yeux gorgés de larmes Octave lui répondit d'un hoquet de désespoir.
— Mira, elle est partie...
— Vous parlez de Madame Flaviers qui est partie en taxi ?
— Je ne sais pas de qui vous me parlez ! Mais vous, vous, vous devez savoir où est-ce qu'elle est partie ?! Vous êtes le concierge ! cria Octave.
Celui-ci lui jeta un regard apeuré. Conscient qu'il devait paraître pour un fou, Octave essaya de se calmer, motivé par cette bouffée d'espoir. Il se redressa seul et lui redemanda.
— Mira, ma voisine, au deuxième, l'appartement 2B, vous voyez?!
— Monsieur, l'appartement 2B est vide depuis des mois...
Octave écarquilla les yeux. Pendant six mois, il l'avait vue entrer dans cet appartement. Il l'avait embrassée contre la porte. Il avait vu ses affaires.
— Vous dites n'importe quoi ! Elle vient de partir !
La nuit embrassait complètement la ville et Octave rentra dans le hall avec le concierge. Il était décidé à la retrouver.
— Monsieur Octave, si vous ne me croyez pas, regardez donc ce panneau.
Il lui désigna un tableau, à côté des boîtes aux lettres. Octave eut soudain un mauvais pressentiment, et il s'approcha des affiches.
« Appartement 2B à louer, vide depuis six mois. » Immobile, Octave fixa l'inscription... C'était impossible. Il ferma les yeux et se rappela leur première discussion...
«
Désolée de vous déranger, mais je tenais à me présenter. Je m'appelle Mira. Puis-je entrer ?
—
Oui, entrez. Mira ?
—
Mira Ge, enchantée.
—
Quel drôle de nom !
»
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Posté
il y a plus de 12 ans
, modifié
il y a plus de 12 ans
par Ertaï
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"L'avis des autres"
— Elle plongea dans un taxi et disparut dans la nuit. Ou bien: elle se jeta dans la nuit d'un taxi. Ou bien: un taxi nocturne l'engloutit.
— Ah oui, mais la dernière proposition enlève le côté féminin. C'est parce que c'est une femme que c'est intéressant, ça en fait un personnage vulnérable en plus du mystère qui entoure la nuit.
— Pourquoi une femme serait plus vulnérable ? Jeanne prit un air fâché.
— Mais parce que c'est la nuit. Tu te promènes, toi, seule la nuit ? Non. Et tu sais que c'est parce qu'il y a beaucoup plus d'hommes imbéciles qui considèrent qu'une femme est plus faible qu'un homme et qui s'en prendront plus volontiers à une femme qu'à un homme.
— C'est circulaire, comme raisonnement! Les femmes sont vulnérables parce qu'on croit qu'elles sont plus faibles? Et les jeunes hommes sans muscles, on ne se prend pas à eux?
— Si, mais moins qu'aux femmes.
— Et pourquoi ça?
— Ils courent plus vite.
Petite discussion de la misogynie ordinaire entre Jeanne et Céline. Céline : enfin, faut avouer que je parle de celles qui sortent en talon-aiguilles. Jeanne : les femmes sont souvent plus sportives que les hommes. Céline : les agresseurs font partie de la catégorie sportive de la population, ou de la partie armée, qui se fiche de ton entraînement au yoga, et ainsi de suite. Quoi qu'il en soit, Céline n'avançait pas dans son roman et commençait à douter de l'intérêt qu'y portait Jeanne. D'un autre côté, essayer de discuter de la situation de misogynie présente avec une radicale-féministe idéaliste, c'était sans doute aussi intelligent que demander un baisemain à un crocodile. Elle prétexta donc un rendez-vous important avec une autre femme, ce qui lui valut des « Bravo camarade ! » de la part de Jeanne, qui perdait décidément les pédales.
Elle s'en alla donc quérir Hervé, qui n'était absolument pas une femme, Dieu en soit loué, à qui elle demanda donc à nouveau la question fatidique: comment finir le chapitre sur une note à la fois mystérieuse, inquiétante et musicale.
— Des phrases courtes, il faut des phrases courtes.
— Des phrases courtes ? Mais ça donne un style hâché, c'est le contraire de ce que je recherche !
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