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« Alors qu’est ce qu’un sac d’os fait par ici ? m’apostrophe l’apparition la plus à droite.
- Qui êtes-vous ? demandé-je.
- Ben des fantômes ça se voit non ? On dirait que ta cervelle a disparu avec le reste de ta chair, ricane le plus grand des spectres.
- Je ne vous permets pas de me tutoyer ainsi si c’est pour m’insulter, on n’a pas gardé les cochons ensemble ! répliqué-je, avant de me dire à part moi qu’en fait c’est tout à fait possible.
- Mais c’est qu’il mordrait, ce sac d’os ! se moque alors le troisième fantôme.
- Euh, excusez-moi de m’être emporté. Avez-vous vu d’autres squelettes dans les parages dernièrement ? m’excusé-je.
- Non, pas d’excuses, sac d’os. Maintenant tu peux te brosser pour qu’on te dise ce que tu faisais avant de devenir un sac d’os.
- Quoi ! Vous savez qui j’étais avant de mourir ? m’exclamé–je, au comble de l’excitation à l’idée de retrouver un bout de mon passé.
- Minute, papillon, t’énerve pas comme ça ! Si tu veux qu’on te dise quelque chose, il faut faire quelque chose pour nous, me déclare le plus gros spectre, qui semble être le meneur et que les autres approuvent.
- Quoi donc ?
- Embrasse mes fesses, sac d’os ! »
Comprenant qu’ils se paient ma tête, ou plutôt mon crâne, je n’y tiens plus et je leur fonce dessus en hurlant dans l’intention de leur casser ce qui leur sert de mâchoire. Evidemment, je passe au travers et m’emplafonne dans le chêne derrière les mauvais plaisants.
« Ah ah ! Vous avez vu ça les gars ! Il est encore plus crétin que les zombis qu’on voit d’habitude. » Et les deux autres de s’esclaffer bruyamment.

Blessé dans mon orgueil pour m’être ainsi ridiculisé, et en ayant assez de ces trois grotesques personnages qui se moquent de moi, je m’en vais sans un regard en arrière. Je peux entendre un des spectres m’inviter à rester : « T’en vas pas, sac d’os, fais-nous rire encore ! » ainsi que les gloussements de ses compères. Heureusement, ils ne font pas mine de me suivre. Peut-être ne sont-ils pas libres de leurs mouvements.
Quoi qu’il en soit, je suis de nouveau seul depuis que mon compagnon quadrupède s’est enfui. Je continue donc mon chemin, suivant le mystérieux appel en espérant qu’il m’amène vers mon destin, car je n’ai aucune idée de ce que peut être mon avenir, alors que je n’ai pas de passé. Je me demande également comment les spectres de tout à l’heure ont pu savoir que j’avais perdu la mémoire. Peut-être ont-ils déjà eu affaire à d’autres squelettes. Ou peut-être ont-ils dit ça par hasard.
Perdu dans mes pensées, je ne remarque même pas qu’il a commencé à pleuvoir, une de ces pluies si fines qu’elle donne l’impression, non de tomber du ciel, mais de monter du sol. Le genre de bruine qui s’infiltre sous vos vêtements et vous trempe jusqu’aux os. Ce qui est rapidement mon cas, bien sûr. Lorsque enfin je me rends compte qu’il pleut, je ne peux que constater que je suis insensible au froid et à l’humidité. Finalement ma nouvelle condition n’a pas que des inconvénients, et je commence à mieux contrôler ce nouveau corps.
Je poursuis ma route à travers la forêt ainsi pendant encore deux nuits et deux jours sans incident notable, à part un seigneur local parti à la chasse au sanglier et qui a bien failli me piétiner avec son cheval le deuxième jour. Dès que j’ai entendu du bruit, je me suis allongé par terre sans bouger, et aucun des participants à la chasse n’a daigné m’accorder plus de quelques secondes d’attention. Pour une fois, j’étais plutôt content du peu de considération que les humains ont pour leurs semblables, aucun n’ayant fait mine de s’arrêter pour me donner une sépulture décente.


Or donc après ces trois jours de voyage en forêt, j’aperçois enfin un congénère sous la pâle clarté d’un croissant de lune. Enfin, je dis ça c’est juste pour broder, étant donné que je suis désormais nyctalope. Ce squelette est immobile, armé d’une lance rouillée et d’un bouclier de bois qui a connu des jours meilleurs. Il semble être là en sentinelle. Je m’approche de lui et lance :
« Bonjour, collègue ! » Aucune réaction. Serait-il sourd ? Deuxième tentative :
« Vous m’entendez ?
-Qu’est ce que tu veux ? demande t-il enfin au bout de plusieurs secondes.
-Parler à celui qui m’a appelé.
-Celui qui t’a appelé ? Ah, tu veux dire le Maître ! Va dans la clairière derrière moi, c’est le seul qui soit à cheval. » m’informe t-il d’un ton neutre.
Après l’avoir remercié, je me dirige donc vers la clairière, seulement éclairée de quelques torches et j’y découvre un spectacle impressionnant : un rassemblement de mes semblables, au moins deux cent, tous armés d’armes, boucliers et armures usagés. Par contre, je suis étonné de l’apathie de cette foule, on n’entend que quelques bruits de métal quand quelqu’un rajuste son armure ou ses armes. Pas de conversations, presque pas de mouvements. Cela m’étonne, mais tout à la joie de trouver des congénères je me dis que je vais enfin savoir pourquoi je suis venu ici. Je vais directement voir la silhouette humaine qui domine la scène du haut de son cheval noir, en grande conversation avec un autre humain plus jeune monté sur une mule.
Les deux cavaliers semblent être des mages, vêtus de longues robes sombres et tenant chacun un bourdon de bois d’une main et les rênes de l’autre. Le plus âgé semble être un vieillard, au vu de sa peau desséchée et ridée, que ce soit celle de son visage ou celle de ses mains. Le deuxième, au contraire est encore un jouvenceau, mais il y a dans son apparence un je ne sais quoi qui me fait penser que l’innocence de la jeunesse n’est pas le trait dominant de son caractère.
« Vous n’avez pas invoqué assez de troupes ! Vous avez intérêt à ne pas me décevoir pour la suite des … admoneste l’aîné.
- Excusez-moi de vous interrompre, mais j’aimerais savoir pourquoi j’ai été guidé jusqu’ici, interviens-je.
- Ah, un autre squelette. Va chercher des armes et attends avec les autres, m’ordonne l’aîné qui semble être le chef.
- Mais j’aimerais avoir des réponses avant de m’engager...
- Apprenti, qu’est ce que c’est que ce gus que vous nous avez invoqué, qui arrive bien après les autres et qui pose des questions ? demande le vieillard, visiblement peu satisfait de son élève.
- Euh, je ne sais pas, Maître. Peut-être y a t-il eu un artefact dans la reprogrammation de la psyché de ce sujet…
- Foin de termes techniques, vous êtes un incapable ! Je n’ai jamais encore vu d’artefacts aussi étranges sur ce sortilège.
- J’aimerais que vous arrêtiez de parler de moi alors que je suis là ! m’exclamé-je. Que voulez-vous de moi ?
- Bon, je vais t’expliquer, me réponds le maître, en lançant au jeune homme un regard qui ferait passer celui de la méduse pour une œillade coquine. Ce jeune homme que tu vois là a raté son sort et il semble que tu sois un squelette anormal. Tu as été invoqué avec tes collègues pour attaquer le village proche.
- Attaquer le village ? Mais pourquoi ?
- Parce que c’est comme ça qu’on fait, c’est tout ! Si tu n’es pas d’accord, va-t’en avant que je te renvoie dans les limbes ! » m’intime t-il d’un ton qui me convainc de mettre un terme à la conversation.
Je décide donc de quitter précipitamment les deux nécromants avant d’être foudroyé sur place et tente d’interroger mes collègues. Mais ceux-ci ont à peu près autant de conversation qu’une huître, et surtout autant de personnalité. Impossible donc de leur demander s’ils ont eux aussi perdu la mémoire, pour peu qu’ils en aient été pourvus auparavant, ce dont je doute en les voyant maintenant. Quelques minutes plus tard, les squelettes se rassemblent en une formation compacte, comme mus par un ordre silencieux. Je n’ai pour ma part pas entendu cet ordre, mais je comprends que je ferais mieux de m’éloigner un peu car l’attaque ne va sans doute pas tarder.
L’armée des morts se met ensuite en branle, précédée des deux cavaliers. Je les suis à distance et quelques minutes plus tard nous quittons la forêt pour arriver sur un pré qui surplombe une petite bourgade. C’est donc cela l’objectif des deux sorciers ! Pourtant je ne vois pas l’intérêt de donner l’assaut à une aussi insignifiante agglomération. Cependant les habitants sont bientôt prévenus du péril qui les menace par un homme du guet qui a aperçu la troupe des deux-fois-nés. Cependant celle-ci ne lance pas l’assaut. Je ne comprends pas pourquoi les deux mages ne profitent pas de la panique pour commencer le massacre, mais ils semblent attendre que la milice locale s’organise. Ces deux adeptes de la magie noire voudraient-ils offrir un combat loyal aux humains ? Ils n’ont pourtant pas la réputation d’être trop à cheval sur l’honneur…
En tous cas, en quelques minutes les hommes du village ont fini par s’armer, et semblent résolus à défendre leurs familles jusqu’à la mort. Cette rapidité d’organisation me laisse à penser qu’ils sont coutumiers des attaques nocturnes, d’autant que certains portent même des côtes de mailles et des épées en bien meilleur état que celles des assaillants. Je contemple ce spectacle du haut de la colline, pas très loin des deux nécromanciens qui eux aussi observent la scène avec un vif intérêt.
Enfin, le signal de l’attaque est donné par le vieux maître. Au même moment les hommes se lancent contre la colonne des morts-vivants avant que ceux-ci n’approchent des maisons. Le choc est rude lorsque les premiers défenseurs arrivent au contact, les crânes et les os volent de toutes parts. En effet, malgré que les vivants soient nettement défavorisés au niveau numérique, les squelettes semblent des guerriers fort médiocres, et le combat semble assez équilibré au début. Cependant les humains se trouvent assez rapidement submergés par le nombre, d’autant plus que les membres amputés des morts continuent de tenter d’occire leurs adversaires, mus par une volonté inébranlable bien qu’absurde.
Un coup d’œil aux autres observateurs me montre que le maître semble relativement satisfait des performances des créations de son élève, mais curieusement il semble moins absorbé par la bataille qu’en attente de quelque chose. En effet, quelques minutes à peine après le début de l’affrontement, il pousse une exclamation lorsque apparaissent des silhouettes encapuchonnées.
« Les moines ! C’est maintenant que vous allez vraiment devoir faire vos preuves, apprenti. »
Pendant ce temps, la bataille se poursuit, et la fatigue commence à faire son effet dans les rangs des villageois, qui voient certains des leurs succomber sous l’attaque de dizaines de mains décharnées qui tentent de les étrangler. L’arrivée des moines leur donne cependant un regain d’énergie, qui leur permet de contenir l’avancée des morts, fournissant ainsi le temps nécessaire aux moines pour préparer une contre-attaque. Ceux-ci, une dizaine, commencent alors à incanter sous la direction de leur Père Supérieur un genre de chant grégorien dont je sens que l’intérêt premier n’est pas forcément esthétique. En tant que mort-vivant, je ne suis plus sujet à la peur, mais pourtant l’inquiétude que je ressens en entendant cette mélopée étrange est ce qui pourrait y ressembler le plus. Ces notes sacrées créent une lumière bleutée qui enveloppe la chorale, semblant s’intensifier d’une seconde à l’autre, à mesure que la litanie monte crescendo.
Pendant ce temps l’apprenti nécromancien n’est pas resté inactif, et a commencé à lancer sa propre parade. Lorsqu’il termine son sort, une sorte de bouclier transparent rouge vif semble s’être formé autour de la mêlée imprescriptible que forment les combattants.
Soudain, quand le chant des religieux se termine, le halo lumineux qui les entoure se concentre brutalement et forme un rayon qui fonce à l’allure d’un carreau d’arbalète sur la masse grouillante des os des non-morts. Toutefois avant qu’elle les frappe de plein fouet, le bouclier l’arrête momentanément. Enfin, ce n’est pas aussi simple. En fait, ce que je vois ressemble plutôt à une partie de bras de fer entre deux bras formés d’énergie magique, l’un bleu et l’autre rouge. Désolé pour cette comparaison, mais je ne vois pas comment mieux décrire ce que j’ai sous les yeux. Au bout de quelques secondes, la foi semble avoir l’avantage sur la magie profane, et le bouclier rouge s’évanouit en un fin brouillard aussi vite qu’il était apparu.
A ce moment, je sais que je ferais mieux de me carapater vu que je suis moi-même un squelette, mais je reste quelques secondes de plus, le temps d’apercevoir l’effet du rayon sur mes collègues. A chaque fois qu’il touche un squelette, il est diffusé dans plusieurs directions en d’autres rayons moins puissants, et il atteint ainsi de proche en proche tous les combattants présents en quelques secondes. Heureusement, je suis assez éloigné de la bataille pour être épargné. Le rayon ne semble pas tuer les squelettes directement, mais il leur enlève leur invulnérabilité. Les corps sans têtes s’effondrent, les membres cessent de combattre et les squelettes intacts sont rapidement neutralisés par les défenseurs survivants. Pendant ce temps, les deux mages noirs se préparent à partir au moyen d’un sort de téléportation, alors que certains villageois commencent à se rapprocher d’eux, avec circonspection certes, mais tout de même décidés à avoir une franche explication. Je m’enfuis donc moi aussi, le plus vite que je peux, mais j’ai encore le temps d’entendre cette déclaration du vieux nécromant :

« Ce n’était pas si mal, finalement. Mais il faudra tout de même faire mieux sur votre sort anti-bigot si vous souhaitez passer en dernière année. Vous devrez tenter votre chance une nouvelle fois lors de la prochaine session… »

Une fois arrivé quelques lieues plus loin au cœur de la forêt que je venais de traverser, j’estime être hors de danger et m’arrête pour faire le point. La dernière phrase que j’ai entendue me stupéfie : tout ça, ma résurrection, cette armée de squelettes, cette bataille, ces sorts et contre-sorts, c’était seulement l’examen de passage d’un élève en nécromancie ! Comment peuvent-ils ainsi m’utiliser pour une raison aussi triviale ? Si je tenais ces deux lascars, je crois bien que je les… Euh, à la réflexion, non. Ils sont sûrement capables de me tuer à nouveau, puisqu’il semble que seule la magie puisse détruire définitivement les squelettes. Enfin au moins, je suis toujours là, et je tiens encore à ma peau –enfin ma peau, je me comprends.
N’ayant plus d’illusions sur mon destin ou seulement sur mon utilité dans ce bas-monde, je me mets à errer sans but dans la forêt, avant de repérer, deux jours plus tard, une bâtisse au milieu des bois, d’où proviennent des bruits de conversation. Je décide d’entrer. Vous connaissez le reste…

« Ma foi, cette histoire vaut bien que je vous offre un verre, l’ami ! lança l’aubergiste au squelette assis au comptoir. Je peux vous appeler Roger, au fait ?
- Comme vous voulez. Dites-moi, vous n’avez pas beaucoup de clients, par ici ? demanda ce dernier.
- Seulement des gens comme vous, qui n’aiment pas les lieus trop fréquentés.
- Ce n’est pas vraiment la peine de me servir, vous savez, l’alcool ne m’apportera pas beaucoup de réconfort dans mon état.
- Ça ce n’est pas un problème, Roger, objecta l’aubergiste. Ici tout le monde est … »

L’aubergiste zombi s’interrompit alors pour ramasser sa mâchoire tombée par terre en grommelant, puis tendit un verre vide au dénommé Roger qui l’accepta avant de faire semblant de le vider d’un seul trait et de le reposer avec fracas sur le zinc.

Prologue

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