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Les états d’âme d’un deux-fois né

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Fiction écrite par Armélior, publiée le 14/02/2005

Les pathétiques mésaventures d'un narrateur fraîchement revenu d'outre-tombe, sur un ton plus humoristique qu'épique.

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Les états d’âme d’un deux-fois né

Un mois. Un mois que je me suis réveillé en sursaut au milieu de la nuit. Enfin, si l’on peut dire. Parce qu’en fait ça faisait bien longtemps que je n’avais pas bougé ne serait-ce qu’un cil. Attendez, je vais vous raconter, vous allez comprendre.

Disons qu’une fois que je reprends conscience, je me rends compte qu’un lombric se balade à travers mes orbites oculaires. Avouez que c’est pas vraiment une bonne surprise. Deuxièmement, je me trouve sous la terre mais je peux distinguer chaque caillou ou motte de terre comme en plein jour. Enfin, après un examen rapide de ma personne, je dois me rendre à l’évidence. Il ne me reste que les os, et même pas d’yeux pour pleurer. Je me demande alors ce qui m’est arrivé. Et je repense à ces histoires de nécromanciens et de sortilèges pour rappeler les défunts à la vie que me racontais… Qui donc ? Voyons voir … Mais au fait je ne me rappelle même plus de mon nom ou de quoi que ce soit de ma vie passée. Ça alors, j’ai beau essayer de me creuser la cervelle –façon de parler bien sûr- impossible de ressortir le moindre petit souvenir de moi, ma famille, mon métier ou quoi que ce soit. Rien. Le grand néant. Par contre, je me souviens du nom du Roi du pays dans lequel je suis décédé, du nom de la capitale et de ce genre de détails généraux. En fait, il semble que ce soit uniquement les souvenirs personnels que j’ai perdus. Je crois que j’étais un humain auparavant, mais c’est tout.
Après cette introspection de quelques minutes, je me dis que je ne vais peut-être pas rester là sous la terre pendant la durée de ma non-vie, qui pourrait bien être éternelle. Non que la station allongée puisse me donner des escarres maintenant, bien sûr. Bon ben y a plus qu’à creuser. Encore heureux que je ne sois pas dans un cercueil ! Je vous épargne la description du creusage, sachez juste que c’est bien plus facile et moins douloureux dans mon état présent qu’avec des doigts de chair. Après quelques minutes, mes efforts sont récompensés : mes mains sortent de la terre et j’aperçois la lune ! Enfin, je sors du trou.
Je me trouve, non dans un cimetière comme je le pensais, mais au milieu d’un champ ! Aurais-je été enterré en cachette ? Déjà que cette sépulture sans cercueil me paraissait étrange, mais aurait pu s’expliquer si j’étais pauvre. Mais là, je suis presque furieux contre mes proches qui auraient pu m’enterrer dignement, tout de même. Puis, me rendant compte que je ne sais rien des circonstances de ma mort ou de quoi que ce soit de mon passé, je me fais remarquer à moi-même que ce genre de considérations est de peu d’importance. Il est temps de penser à l’avenir ! Euh, justement, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire maintenant ? Ceux qui invoquent les morts sont censés avoir un but précis, non ? Du style conquérir le monde, se venger de quelqu’un ou trouver de la main d’œuvre pour refaire leur papier peint. Alors pourquoi est-ce que je suis là seul comme un con ? Peut-être devrais-je chercher un cimetière dans les environs, pour voir si je suis le seul dans mon cas.
Me voilà parti. Je me rends compte que l’état de squelette ne permet pas une marche très rapide, mais je m’y résigne après la gamelle consécutive à ma tentative pour courir. Arrivé en haut d’une colline, je peux contempler les environs, et j’aperçois un groupe de maisons perdu au milieu des champs et des forêts, comme tombé là par hasard de la poche d’un géant. Je décide alors d’aller me renseigner sur place sur la localisation du cimetière. Malgré que la distance m’ait paru assez faible, il me faut plusieurs dizaines de minutes avant d’atteindre les premières habitations, qui ne semblent habités que par des dormeurs. Ah non, tiens, là-bas au fond, une lumière ! Je me précipite, enfin autant que possible, et je regarde par la fenêtre de l’humble chaumière, qui ne possède pas de volets. Là se tient une vieille femme en train de tricoter une écharpe, alors que je distingue une silhouette dans le lit. Sans doute la vieillarde est-elle insomniaque ? Quoi qu’il en soit, je la tire de son ouvrage en frappant des petits coups contre la fenêtre. Elle lève les yeux de ses aiguilles puis son regard rencontre le mien et son visage arbore les signes d’abord de la surprise, puis de la terreur. Elle se met alors à hurler : « Marcel ! Marcel ! » - le prénom de son mari, sans doute. Et je me rends alors compte de deux choses : premièrement, que j’avais complètement oublié ma présente situation, et l’effroi que je pouvais susciter chez les vivants, et d’autre part que je comprends ce que disent ces paysans. Cependant le nommé Marcel s’est réveillé et commence à s’habiller après avoir entendu les explications affolées de sa femme. Je peux constater que malgré son âge avancé, le bougre m’a l’air assez bien conservé par les travaux des champs et que j’ai tout intérêt à déguerpir au plus vite. D’autant plus que la vieille continuant à hurler à tue-tête, tout le village sera bientôt réveillé. Mais j’ai à peine eu le temps de m’éloigner de quelques mètres que la porte de la maison s’ouvre à toute volée, livrant passage au fameux Marcel armé d’une pelle. Il est trop tard pour la fuite ! Je me retourne alors, et commence à tenter de parlementer : « Excusez-moi, je ne voulais pas vous effrayer, je souhaite seulement… » mais ma tirade est interrompue part un formidable coup de pelle qui envoie rouler ma tête quelques pas derrière mon corps. Heureusement, je ne souffre pas. En fait, je ne sens rien du tout, mais je peux voir mes pieds alors que je suis toujours debout et que ma tête touche le sol. Drôle d’impression. Je tente donc de récupérer mon chef, mais un deuxième coup de la tranche de la pelle me coupe les jambes. Au sens propre. Mon tronc s’écroule. Je regarde le visage du fameux Marcel et me rends compte qu’il n’a pas précisément l’air de quelqu’un avec qui on peut discuter. Je décide donc que, plutôt que de continuer à me faire couper en morceaux je ferais mieux de faire le mort. Ce qui m’est d’autant plus facile que je le suis déjà. Le fou de la pelle m’assène encore deux ou trois coups qui me brisent quelques côtes, puis s’arrête pour souffler. Entre-temps, sa femme s’est rapprochée et s’est tue, sans doute rassurée en voyant la volée que j’ai pris.
« Il bouge plus, je crois, constate le cinglé de la pelle.
- Tu penses qu’il est vraiment mort, cette fois ?
- Je sais pas, on va demander à l’abbé ce qu’il faut faire. »
Ce qui est bien, c’est que sans pouls ni respiration, ils ne peuvent pas savoir que je ne suis pas mort. Enfin si, mais vous avez compris ce que veux dire. Quelques minutes passent, et tous les habitants de la bourgade convergent vers moi et mon vainqueur. Parmi eux, un des badauds est interpellé par le maniaque de la pelle :
« M’sieur l’abbé, ce squelette a essayé de tuer Simone ! Il s’est défendu de toutes ses forces mais j’ai fini par avoir le dessus ! »
Passons sur la déformation éhontée des faits, et écoutons la réponse de l’autorité religieuse du village.
« Vraiment, Marcel ? C’est très grave. Si les morts commencent à sortir de la tombe pour nous attaquer, c’est que quelqu’un ici a courroucé Notre Seigneur ! Nous devons commencer par purifier cette chose et ensuite nous devrons chercher sa tombe puis trouver le pécheur qui nous met tous en danger.
- Comment faut-il le purifier, l’abbé ? demande un petit gros qui semble être le maire du hameau.
- Par le feu ! s’écria le religieux, une lueur démente au fond des yeux. Préparez un bûcher, nous ne pouvons attendre le jour ! »
Je me dis que ça commence à sentir le roussi pour moi, et ce n’est pas qu’une expression. Cependant je ne peux m’enfuir sans que la foule ne se jette sur moi, et je ne veux pas subir une nouvelle rossée malgré l’absence de douleur. Je me résigne donc à attendre mon sort en espérant que le feu ne me fera pas plus de mal que la partition de mon corps. Je peux entendre des voix féminines qui donnent l’ordre à leurs enfants de retourner se coucher, que c’est des affaires d’adultes, qu’il est l’heure de dormir…
« Mais m’man, j’ai toujours voulu voir un bûcher !
- N’insiste pas, ce n’est pas un spectacle pour les enfants.
- Mais euh, y aura même pas de sang, c’est qu’un squelette ! »
Bruit de claque et pleurs.

Bon, c’est pas tout ça revenons à nos moutons. Je ne vais pas prier un Dieu qui n’a même pas été fichu de me faire quitter cette terre ingrate, mais je peux vous assurer que je ne suis pas rassuré lorsque les flammes commencent à m’entourer. Par chance, le feu n’a aucun effet sur moi, et de plus les villageois, dans leur ferveur purificatrice, ont érigé un énorme tas de bois. Ils ne peuvent plus me distinguer au milieu du brasier, et j’en profite pour ramper en emportant ma tête et mes jambes vers la forêt toute proche. Tiens d’ailleurs ils vont y mettre le feu un de ces jours, s’ils organisent toujours leurs autodafés si près des arbres.


Une fois que j’ai mis quelques bonnes centaines de pas entre moi et cette charmante communauté rurale, je me pose pour méditer sur ma mésaventure. Je ne suis pas plus avancé, car je ne sais pas où se trouve le cimetière que le prélat veut fouiller. Je pourrais toujours suivre les villageois, mais de jour je risque d’être repéré. Or, je suis moyennement enthousiaste à l’idée de me retrouver de nouveau en contact avec ces autochtones. Par contre, j’ai appris une leçon essentielle : ne jamais tenter d’approcher à visage découvert des humains. Autrement dit, je ne peux compter que sur moi-même, et peut-être sur mes semblables, si toutefois j’arrive à en rencontrer.
Cependant, le fait d’avoir entendu ces paysans discuter et s’appeler par leur nom ou leur prénom m’a donné envie de me rebaptiser. En effet, j’ignore le nom que je portais lorsque j’étais encore vivant. Je décide de trouver un patronyme qui impose le respect, qui indique mon ambition dans ce nouveau départ, sans toutefois paraître arrogant. Désormais je m’appellerais… ROGER.
Par ailleurs un problème pratique requiert mon attention immédiate : il faut que je me réassemble. Pour les jambes, ça va. Pour la tête, c’est moins aisé puisque je ne peux voir où le cou s’emboîte avec le crâne. Finalement après plusieurs essais infructueux je parviens à remettre ma tête d’aplomb. Cependant elle n’est pas soudée et je ne peux me pencher sans risquer qu’elle tombe. Et de même pour les jambes. Je suis assis, mais je ne peux me lever. Que faire ? Je viens de découvrir que je suis apparemment invulnérable, mais quel intérêt s’il est si facile de me couper en morceaux que je ne peux rassembler ensuite ?
« Non, il doit y avoir un moyen, sinon quel intérêt de lever des armées de squelettes comme dans les contes ? soliloqué-je en levant les yeux au ciel.
- Eh oh, réveille-toi, ce ne sont que des histoires de bonne femme ces nécromanciens, me souffle une petite voix désagréable dans ma tête.
- Et comment expliquer que je sois un squelette qui pense, parle et se meuve, en ce cas ? répliqué-je à moi-même tout en reprenant ma tête qui était tombée par terre.
- Suis-je ou ne suis-je plus, telle est la question. » me demandé-je, mon crâne à la main.
Après ces réflexions et l’incident au village, je me sens très fatigué moralement, à défaut de l’être physiquement, et je décide de me reposer ici. C’est imprudent de ma part, car j’ignore ce qu’on peut trouver dans ces bois, mais je ne vois pas ce qui pourrait m’arriver de pire que d’être en trois morceaux.

« Hein, qu’est ce que ? » m’écrié-je en entendant le brame d’un cerf qui se trouve à peine à un jet de nain de moi. On dirait que je m’étais assoupi. Pourtant, j’aurais pensé que les squelettes ne pouvaient dormir. Et j’ai un écureuil sur la tête. Je le chasse d’un grand mouvement du bras qui heurte ma tête. Oups. Et mais… ma tête tient ! Je me lève… mes jambes et ma tête sont de nouveaux soudés ! Après avoir effectué une petite danse assez grotesque pour manifester ma joie - ce qui n’est pas grave car le ridicule ne tue pas s’il n’y a personne pour le constater – je réfléchis à ce que je vais faire. Et je me rends compte qu’il s’est opéré un autre changement : j’entends comme un appel, comme une voix intérieure qui me guide, même si ce n’est pas vraiment avec des mots. Peut-être est-ce celle de mon créateur -ou plutôt invocateur ? En tout cas, je décide de suivre ce signal, n’ayant pas d’autre idée dans l’immédiat. Cependant, mon sommeil a dû durer assez longtemps, car le jour est déjà levé. Je vais devoir être prudent pour éviter de rencontrer d’autres humains.
Fort heureusement, la voix me dit de m’enfoncer plus profondément dans la forêt, ce qui arrange mes affaires. Je chemine pendant toute la journée à travers les bois, sans rencontrer âme qui vive à part de nombreux animaux. Je peux me rendre compte que ceux-ci ne prêtent aucune attention, à ma présence, un peu comme si j’étais une branche d’arbre qui bouge avec le vent. Par exemple, si je tente d’attraper un écureuil, il s’enfuit mais si je reste sans bouger, il peut marcher sur moi sans se rendre compte que je ne suis pas une pierre. Cette indifférence renforce encore mon sentiment de solitude, qui commence à me peser à un tel point que je regrette presque les arriérés du village de la veille. Mieux vaut inspirer la peur ou la haine que l’indifférence, me dis-je à part moi.
Cependant à un moment, je suis intrigué en apercevant un chat. Pas un chat sauvage, non, un chat domestique tigré, comme on en trouve dans toutes les cours de ferme. Sans doute celui-ci en a-t-il eu assez de la fréquentation des hommes et a-t-il préféré retourner dans la nature. Toujours est-il que celui-ci me regarde de toute son attention, et non comme un élément du décor. Je m’arrête alors, pour voir sa réaction. En trois bonds gracieux, le félin me rejoint et entreprend de se frotter consciencieusement sur mes jambes. Je me penche alors pour le prendre dans mes bras, et il se laisse faire, commençant même à ronronner. Etrange, n’est ce pas, un chat qui témoigne de l’affection à un squelette. Même si je ne peux pas réellement communiquer avec lui, j’ai l’impression que ce chat me comprend parce qu’il a lui aussi été rejeté par les humains. Cela me rappelle cette réflexion que j’avais eue étant enfant selon laquelle les chats pouvaient voir des choses cachées à la vue des humains, et peut-être même des fantômes.
En tout cas, cette présence me réchauffe le cœur, mais je dois reprendre ma route. Je le repose donc et je reprends ma marche solitaire. Mais je me rends vite compte qu’il a décidé de me suivre et gambade tranquillement à mes côtés. Nous avançons donc de concert, sauf lorsqu’il a repéré un mulot ou une autre proie, qu’il s’en va chasser avant de me rejoindre quelques minutes plus tard. Je m’arrête alors pour lui laisser le temps de se restaurer. La journée passe ainsi, et nous avons couvert une distance somme toute raisonnable étant donné ma faible vitesse. Une heure environ après le coucher du soleil, mon compagnon prend soudain une attitude inquiète, puis il se hérisse et commence à cracher en fixant un point dans la direction où nous nous dirigeons. Malgré ma vision nocturne, je ne distingue pourtant rien de particulier. Soudain, le félidé s’enfuit à toutes jambes, malgré mes cris pour l’exhorter à rester. Dès qu’il est hors de vue, j’entends une voix désagréable :

« Si c’est pas mignon ça, un chat qui accompagne un sac d’os ! »

Et je vois alors apparaître le propriétaire de cette voix et ses deux compagnons, trois apparitions fantomatiques qui semblent flotter dans l’air. Leurs visages sont flous et changeants, et leurs corps ne sont que des abstractions indescriptibles. La seule comparaison qui me vient à l’esprit serait des méduses aériennes tournant sur elle-mêmes comme des toupies. Je sais d’instinct qu’il s’agit de spectres d’humains défunts, mais ni leur voix ni leur apparence ne me permet de deviner quel était leur sexe ou leur âge avant qu’ils trépassent.

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