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Puisque c'est le gros sujet du moment, la fuite de quelques 250 000 télégrammes diplomatiques américaines orchestrée par WikiLeaks, et que je viens de voir sur La Chaîne Parlementaire un débat animé autour de la légitimité de cette organisation avec son éminent fondateur, Julian Assange, j'ai souhaité revenir sur quelques points intéressants de cette affaire.
WikiLeaks prétend redonner du pouvoir au peuple en divulguant des informations confidentielles ou secrètes. Pour autant, les informations brutes livrées par WikiLeaks ne sont pas directement exploitables par le plus grand nombre. Il faut qu'elles soient interprétées et recoupées par des gens ayant les connaissances, les compétences ou le réseau nécessaire, comme des journalistes ou des "citoyens éclairés".
Ces intermédiaires ont bien sûr la possibilité d'imprimer leur "patte idéologique" quand aux données qu'ils diffuseront à leur tour. Ainsi des journalistes de sensibilité de gauche ont pu voir dans les "War Logs", ces rapports d'incidents rédigés par les soldats américains en Irak, une justification de leur dénonciation de la guerre en Irak. De leur côté, des journalistes de droite ont pu voir dans ces même documents le démenti d'une étude controversée du journal médical The Lancet rapportant que l'invasion de l'Irak aurait fait un total de 650 000 victimes civiles irakiennes. Ils auraient également pu y trouver la trace d'armes de destruction massive dont l'existence discutable était pourtant la raison officielle de l'engagement américain en Irak.
Et WikiLeaks dans tout ça ? Rien, aucune position officielle. De fait, ils ont ranimé le débat mondial autour de la guerre en Irak en apportant de nouveaux éléments, sans jamais prendre d'autre parti que celui de la transparence. Finalement, leur rôle n'a été que de diffuser des informations qu'on leur a fait parvenir, et à ce titre ils ont animé le débat démocratique en fournissant un matériel neutre à tous le monde.
Maintenant, on peut s'interroger si WikiLeaks, en diffusant des informations confidentielles ou secrètes, même en n'ayant pas été à l'origine de leur fuite, ne commet pas un délit de recel au lieu d'un délit d'espionnage pur et simple. Dans tous les cas, la position de WikiLeaks est difficile à tenir. Pour révéler les éventuels mensonges des Etats, est-il nécessaire d'en arriver au recel ? Il sera toujours possible de faire référence à des figures comme Robin des Bois qui commettait des vols pour le bien commun, mais dans la vie réelle cette comparaison ne tient pas, surtout face à un juge. Pour autant, le site WikiLeaks ne fait actuellement l'objet d'aucune poursuite pour recel, seules quelques figures républicaines américaines exigent la poursuite de Julian Assange, le fondateur et la figure publique de WikiLeaks, pour des chefs d'espionnage.
Aucun des trois ! Suivant une ligne de conduite juridiquement difficile à tenir mais terriblement séduisante pour les partisans de la transparence en matière de démocratie, Julian Assange n'est ni tout blanc ni tout noir. Pour le statut de martyr après une éventuelle condamnation par les Etats-Unis, rien n'est moins sûr. Actuellement il n'est poursuivi que pour un "crime sexuel" selon une règle obscure de la loi suédoise. On est donc loin du viol présumé impliqué par le terme de "crime sexuel". Il s'est d'ailleurs récemment rendu à la police anglaise après une cavale rocambolesque, Julian Assange changeant régulièrement de domicile et de téléphone portable.
Qu'adviendra-t-il de lui maintenant qu'il est sous surveillance policière ? Une extradition aux Etats-Unis assortie d'une lourde condamnation l'érigerait en martyr de l'information libre et ne ferait que renforcer la sympathie pour le site WikiLeaks, dont le presque millier de collaborateurs bénévoles anonymes peuvent sans doute se passer d'une figure publique comme Julian Assange pour poursuivre leur travail. Je ne pense pas que les dirigeants américains qui veulent sa tête, après avoir encouragé les entreprises privées fournissant des services au site WikiLeaks à rompre tout lien avec cette organisation, feront cette erreur. Et ce malgré les déclarations grandiloquentes de certaines figures politiques américaines qui réclament une peine exemplaire. Plusieurs voix se sont même élevées pour demander l'assassinat pur et simple de Julian Assange, au motif qu'il met en danger des vies, notamment des informateurs afghans.
La popularité du site WikiLeaks, qui diffusait depuis longtemps des documents fuités dans un cercle restreint de connaisseurs (ils avaient notamment publié des listes de sites bloqués par les systèmes de filtrage Internet finlandais et australiens) a connu sa première heure de gloire quand ils ont publié en Avril 2010 la vidéo "Collateral Murder" . Cette vidéo prise depuis un hélicoptère américain à Bagdad montre des civils touchés par des tirs de mitrailleuse lourde, dont deux photographe de l'agence Reuters.
A partir de là, tout s'est accéléré, WikiLeaks a révélé en Juillet puis en Octobre de la même année plus de 460 000 "War Logs" , ces rapports d'incidents rédigés par les soldats américains en Irak et en Afghanistan. Enfin, en Novembre dernier, WikiLeaks a lancé le "CableGate" , la diffusion de plus de 250 000 câbles diplomatiques américains.
Chaque affaire ayant fait plus de bruit que la précédente, on est en droit de s'inquiéter, d'une nouvelle diffusion d'informations secrètes. Le Cablegate aura sans aucun doute des répercussions diplomatiques immédiates et qui mettront un certain temps à se résorber. D'aucuns craignent que des vies soient mises en danger par les révélations de WikiLeaks, qui se borne à vérifier l'authenticité des informations qu'elle reçoit, pas leurs éventuelles conséquences, là encore sous couvert de transparence. Toute censure en amont apparaîtrait en totale contradiction avec les objectifs avoués du site.
Si quelque chose de grave devait arriver à cause d'informations diffusées par WikiLeaks, un simple "Oups !" ne suffira pas. On pourrait être tenté d'invoquer le principe de précaution pour faire cesser les activités de WikiLeaks. Mais le simple fait que WikiLeaks existe montre bien qu'il y a une très forte demande dans le domaine de la diffusion d'informations secrètes, pas forcément du côté du public, mais du côté des "whistleblowers", ceux par qui les fuites adviennent. Comme pour les plantes à rhizome, couper une tige qui sort de terre ne supprimera pas le rhizome, et une ou plusieurs autres initiatives verront le jour, surtout si Julian Assange devient un martyr public.
Alors que souhaiter pour que l'activité de WikiLeaks soit, sinon acceptée, au moins tolérée ? S'il y a un risque de mettre à mal les grandes démocraties occidentales, Etats-Unis en tête, on pourrait espérer de nouvelles fuites concernent d'autres états moins démocratiques, comme la Chine ou l'Iran par exemple, histoire de rétablir la balance. Car pour l'instant on peut avoir légitimement l'impression que WikiLeaks a une cible désignée. Pourtant, l'activité de WikiLeaks n'est pas nouvelle, et si WikiLeaks semble s'acharner sur les Etats-Unis, c'est plutôt par un effet de trompe-l'oeil médiatique, car cela concerne le pays le plus médiatisé du monde. Ça se voit donc plus, rejetant dans l'ombre (et dans les limbes d'Internet, les documents plus anciens qu'Avril 2010 ne sont plus accessibles) le reste de leurs publications.
Toutefois, la force de WikiLeaks reposant sur la confiance que les indiscrets ont de la protection de leur anonymat, l'arrestation de Bradley Manning, suspect présumé des fuites du CableGate pourrait entacher cette confiance. D'autre part, une affaire trop médiatisée comme le Cablegate pourrait refroidir les éventuels mouchards et diminuer la probabilité de nouvelles fuites spectaculaires et/ou potentiellement dangereuses.
Sources :
S'il faut se méfier de Wikileaks, ce n'est sûrement pas parce qu'ils seraient affiliés aux néo-conservateurs. Car les informations révélées n'ont aucun sens politique, ils révèlent des informations qu'on leur communique sous le sceau de l'anonymat, point barre. Et s'ils ne révèlent pas les informations que tu voudrais qu'ils révèlent, ça peut être pour deux raisons :
Dans ce dernier cas, il est toujours plus facile d'admettre que les informations sont cachées par ceux à qui elles pourraient nuire plutôt qu'elles n'existent tout simplement pas.
superdjidane il y a plus de 13 ans
Il faut se méfier de Wikileaks, car la plus part des révélation se font dans le sens des néo-conservateur. Etrangement, rien n'est révélé à propos du dessous des attentats du 11 septembre ou à propos de la guerre au Liban de 2006.
http://www.noslibertes.org/dotclear/index.php?post/2011/01/11/554
Ertaï il y a plus de 13 ans , modifié il y a plus de 13 ans
Trois articles traitant du sujet de manière radicalement différente :
par Fabrice Epelboin, rédacteur français du site ReadWriteWeb et défenseur des libertés numériques. Son article revient sur le "concept Wikileaks" qui est amené à perdurer et se développer malgré les pressions subies actuellement. Il aborde notamment le principe des conspirations selon Assange, considérées comme des réseaux de pouvoir basés sur le secret. Ces "conspirations" incluent donc certains gouvernements démocratiques. Enfin, l'article dessine les perspectives du monde après-Wikileaks, ou plutôt avec-WikiLeaks, car rien ne sera apparemment plus comme avant dans le domaine de la communication numérique. Intéressant bien que fortement partisan pro-Wikileaks.
par Paul Carr, publié sur TechCrunch, un site d'information sur les nouvelles technologies. Pour lui, les réactions des partisans de Wikileaks d'attaquer physiquement les sites web des entreprises ayant coupés les ponts avec WikiLeaks (EveryDNS pour le nom de domaine, Amazon pour l'hébergement, Paypal pour la boîte à dons) sont stupides car motivées par l'effet de groupe. Plus encore, la révélation des télégrammes diplomatiques américains, loin de favoriser la transparence, pourrait lui nuire, en restreignant l'accessibilité de données auparavant peu protégées. Il critique également les méthodes de Wikileaks jugées peu transparentes au regard de l'idéal prôné. Malheureusement, cet article est par ailleurs assez mal écrit, mêlant attaques personnelles (notamment sur la coiffure de Julian Assange) et amalgames (les fameux "hackers pédophiles", à lire avec des pincettes.
par Benjamin Bayard, fondateur du French Data Network, un fournisseur d'accès association loi 1901. Il s'exprime régulièrement sur la neutralité des réseaux, et cet article ne déroge pas à la règle. Loin de prendre parti pour l'action de Wikileaks, il explique que FDN a décidé d'héberger un miroir de Wikileaks en réaction aux pressions exercées par les gouvernements pour cesser tout hébergement de Wikileaks, notamment en France avec la demande d'Eric Besson de refuser l'hébergement de Wikileaks par OVH. L'article insiste sur le fait que les fermetures d'accès (aux Etats-Unis notamment) ont été faites sans passer par la justice, ce qui contrevient aux principes de neutralité du réseau. L'ouverture d'un site miroir est donc un moyen de lutter contre ces atteintes à cette neutralité. Un exposé clair et prolixe sur les tenants et les aboutissants d'un effet de bord de l'affaire Wikileaks.
Sbirematqui il y a plus de 13 ans
WikiLeaks n'use pas dans le sens de la démocratie. L'ablation de certaines parties des informations est normale, voire nécessaire dans certains cas. La plupart des documents révélés par WikiLeaks n'avait pas un niveau de sécurité effarants, et une partie était déjà publique, révélée au compte goutte dans les médias et sur l'internet. Le fait est surtout que WikiLeaks centralise et met en avant ces documents dilués, de façon concise et parfois avec des copies des documents officiels.
Le fait est que WikiLeaks est une sorte de réseau de renseignement amateur, d'un certain côté, il nous permet de nous prendre pour des gentils défenseurs du peuple martyrisé, mais il mâche le travail à tout ce qui pourrait être contre la démocratie et qui veut la mettre en danger.
Mais on s'en fout, WikiLeaks nous mettra au courant lorque le gouvernement sera infiltré de talibans.
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Ertaï il y a plus de 13 ans