« Cette review n’a aucune incidence sur la cause du Bien »
La Night Watch
« Cette review n’a aucune incidence sur la cause du Mal »
La Day Watch
Nous sommes à Moscou, de nos jours. Il y a l’hiver gelé, la mauvaise vodka, le métro circulaire que nous connaissons (à peu près) tous. A une exception près, cela dit : la présence d’une catégorie d’individus hors du commun, qui se désignent sous le terme général d’Autres, et qui s’affilient suivant les deux catégories habituelles : le Mal et le Bien.
Il y a donc des magiciens, des changeurs de forme, des vampires, des succubes et des incubes, tout un tas d’individus qui se croient originaux, mais que l’on a appris à connaître au cours de nos lectures. Tout cela ne semble guère fascinant. Pourquoi devrions-nous nous soucier de ce monde en particulier ?
Principalement, à cause du Traité.
Je ne pense pas qu’une autre série de l’imaginaire ait déjà défini le Bien et le Mal de la même manière que l’a fait Sergeï Lukyanenko. Tout d’abord, les deux camps ne sont pas aussi éloignés que l’on voudrait bien le croire. Mettons que vous êtes un magicien, et que vous venez de vous apercevoir qu’il y a un autre monde au-delà de celui des humains. Vous devenez un Autre ; très vite, la question de votre affiliation se posera, et vous deviendrez bon ou mauvais. Mais ce qui définira ce choix essentiel et définitif, ce n’est en aucun cas votre nature profonde, une sorte de séparation binaire entre les humains qui ferait que, selon qu’ils soient puissants ou misérables, certains sont voués à faire le bien et d’autres à faire le mal ; non. C’est simplement une question d’humeur. Comment vous vous sentiez ce jour-là ? Heureux, vous veniez d’avoir une conversation avec votre copine, vous vous êtes rassuré sur un sujet quelconque ? Alors, vous serez bons. Un peu tourmenté ? Vous veniez de vous disputer avec un ami ? Vous aviez des problèmes au travail ? Ou bêtement, la cigarette que vous veniez de fumer avait un sale goût ? Il n’en faut parfois pas plus pour choisir le mal. Le Diable est dans les détails, après tout.
Le camp que vous choisirez se joue donc quasiment sur un coup de dés. Il n’y a pas de nobles chevaliers, pas de démons grimaçants. Juste des hommes, et des états d’esprit.
Forcément, dans la mesure où ça se joue à si peu de choses, les deux camps n’ont pas la tendance à s’opposer complètement qu’ils ont généralement en fantastique. C’est là qu’intervient la trêve. Les forces dirigeantes du bien et du mal, comprenant qu’ils n’ont rien à gagner de lutter l’une contre l’autre, organisent une trêve entre les deux camps, qu’ils scellent de manière officielle : par un Traité.
Ce texte établit de nouvelles règles : plus que leur victoire respective, les deux camps ont un but nouveau, et pour autant que je le sache, original : maintenir la balance. Il existe maintenant des limites au mal qu’il est acceptable que les créatures mauvaises fasse. Parallèlement, les limites du bien qu’il est acceptable que les créatures bonnes fasse, sont également débattues. Les gardes sont créées, pour s’assurer que le camp opposé ne dépasse pas les bornes.
We are the others. We establish the Night Watch
,
so that the forces of Light may monitor the forces of Darkness.
We are the Others. We establish the Day Watch, so that the forces of Dark may monitor the forces of Light.
La victoire du bien, ou celle du mal, sera effective lorsque les humains, en devenant des Autres, n’éprouvent plus aucune tentation, et s’orientent tous sans hésitation vers l’un des camps, ou l’autre. D’ici là, la balance doit être maintenue, pour que les humains ne soient pas influencés. Ainsi, la Night Watch va intervenir lorsqu’un vampire tue plus d’humains que ne le permet sa licence, créant plus de ressentiment dans les familles des victimes qu’il n’est censé en créer. Mais pareillement, lorsqu’un Magicien intervient sur la moralité d’un criminel, pour tenter de le faire devenir un honnête homme, la Day Watch interviendra pour l’en empêcher. Aux niveaux les plus bas de la hiérarchie, les compromis sont fréquents ; un agent de la Day Watch ne fait pas de rapport sur un acte bon légèrement illégal, en échange de quoi, dans une situation similaire, un agent de la Night Watch fera un cadeau équivalent au mal. Ce n’est qu’aux niveaux les plus hauts de la hiérarchie qu’il y a une vraie opposition : les deux administrations s’opposent comme sur un jeu d’échecs, et s’il y a bien un Evil Mastermind, il y a aussi quelque chose de moins courant, quelque chose comme un Good Mastermind. Si vous comprenez comment fonctionne ce monde, alors vous verrez bien ce que j’entends par là.
Alors bien sûr, il y a une conception qui va nous sembler très russe à tous, à savoir que l’univers a tendance à rapprocher le bien de la communauté et le mal de l’individualisme. Cela ne m’a pas vraiment choqué, et il n’y pas de prêche communiste ; c’est juste quelque chose que je me sens obligé de signaler puisque c’est présent. En outre, dans la mesure où le mal et le bien sont si similaires l’un à l’autre, on ne peut pas vraiment dire que c’est une critique.
A noter que la société actuelle mène à la victoire du mal, tel qu’il est entendu par l’univers de Lukyanenko. C’est pourquoi les forces dirigeantes du Bien ont intérêt à changer la société. Ainsi, le communisme, le fascisme même, sont à l’origine des créations du Bien. Dur à suivre ? Pas tant que ça, si vous rentrez dedans. Hitler n’avait aucun pouvoir particulier, c’était un être humain comme un autre ; les Autres ont eu leurs monstres, eux aussi, mais l’histoire humaine n’aura pas retenu leurs noms, n’aura même pas remarqué leur existence. La plupart des poètes sont des Autres, aussi. Ce qui est logique ; qui pourra dire qu’il écrit pour une autre raison que pour ses fantômes ?
A ce stade de la review, je crois que je suis censé vous parler de l’histoire, et d’Anton Gorodetsky, magicien assez ordinaire, assez médiocre, mais « héros » et narrateur. Eh bien, je ne vais pas le faire. Je n’aime pas l’idée de vous envoyer sur un scénario déjà connu. Je n’y vois aucun intérêt, et même, j’y vois des désavantages. Au moins, vous saurez dans quel environnement il sera jeté. Ce qui est peut-être déjà trop, d’ailleurs.
Bref, tout ça pour dire un peu platement que ça pwn grave. C’est intelligent, c’est drôle, c’est plein de petits rappels, ça fourmille de détails et de cohérence, et c’est le bouquin fantastique le plus original que j’aie lu depuis un bon moment. Et surtout, je ne crois pas qu’il y ait dedans une seule mauvaise idée, à quelque niveau d’importance pour l’histoire que ce soit. Comme dans les plans des uns et des autres, rien n’a été laissé au hasard dans l’écriture. De toute façon, le hasard n’existe pas. Ça a été prouvé, là où Anton travaille…
Il y a quatre livres à ce jour, Night Watch, Day Watch, Twilight Watch et Last Watch. Je n’ai lu que le premier pour l’instant. Je me réserve le droit de peut-être review la suite, me faut juste le temps de la lire. Si je le fais je réutiliserai ce topic.
Ah et, j’l’ai lu en Anglais. Aucune idée de la valeur de la traduction française ; aucune idée de la valeur de la traduction anglaise non plus, en fait. Apprenez le russe, que diable
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