Avant la République : la monarchie
Rome est traditionnellement fondée en 753 av. J.-C par Romulus et dans le sang. Descendants d'Énée qui avait fuit Troie en flammes, les frères jumeaux Romulus et Rémus (que l'on disait fils de Mars) furent autorisés par leur père, parce qu'ils l'avaient aidé à récupérer son trône contre leur oncle usurpateur, à fonder une ville. Deux frères pour une seule ville, ils s'en remirent donc aux Dieux pour savoir lequel pourrait être le fondateur, la ville portant ainsi le nom du futur désigné. C'est Romulus qui fut choisi, et celui-ci creusa donc sur le sol le
poemerium
, le tracé sacré (sacré, et donc extrêmement important en ces temps de fort mysticisme où les dieux décident de tout) qui délimite les frontières de la future ville. Rémus, par dérision, l'enjamba pour se moquer. Romulus vit soudain rouge et tua son frère dans l'instant.
Voilà pour la légende. Sa réelle fondation date sûrement de bien avant, par des communautés tribales indo-européennes, et donc profondément patriarcales. Tout tourne autour des patriarches dans les futures institutions romaines. Les premières familles romaines sont appelées
gentes
, et étaient en réalité constituées de multiples familles regroupées derrière le chef de la
gens
, le
pater
("père" en anglais). Les
paters
de l'époque se regroupaient en une assemblée qui constituera plus tard le Sénat.
La population de Rome est ainsi divisée en deux depuis les premiers temps (en fait depuis la sécession de 494) : les
gentes
qui possèdent le pouvoir, et la plèbe, qui constitue une masse d'hommes indistincte, relativement pauvre. Il est difficile d'expliquer cette séparation originelle. Peut-être les
gentes
étaient-ils les envahisseurs indo-européens, qui avaient donc conquis le territoire des autochtones de l'époque, s'appropriant ainsi leurs richesses et le pouvoir. Difficile de le savoir. En tout cas, ce clivage va constituer le cœur des péripéties de la République romaine. Tout tournera autour de cette séparation et des relations entre les deux pôles : plèbe et patriciens.
Les chefs de famille de ces
gentes
se réunissaient dans les premiers temps de l'histoire en une assemblée de doyens, celle qui deviendra avec le temps le Sénat. À l'origine, celui-ci désignait les rois, le premier d'entre eux étant évidemment Romulus. Lorsqu'un roi meurt, les
patres
en désignaient un nouveau, avec l'approbation des auspices. La religion est un élément central à cette époque, pendant la monarchie comme pendant la République, car elle décide d'énormément de choses. Si les auspices ne sont pas favorables, des rois peuvent ne pas être couronnés. Les Dieux décident, avant les mortels.
Le territoire de la monarchie romaine (image tirée de Wikipedia)
Il faut savoir que les débuts de Rome et les péripéties de sa monarchie sont sujets à caution. Autour plane le brouillard de la légende, celle qui attribue le beau rôle à Rome. Cette légende parle de sept rois, qui sont en fait pour la plupart sûrement inventés pour meubler le vide historique. Cependant quelques éléments sont certains aujourd'hui.
Notamment le cinquième roi présente l'originalité d'être un Étrusque (dans une ville composée de Latins !), qui se fait élire grâce à son grand sens de la politique, de la rhétorique, et sans doute grâce à sa grande richesse. Les rois étrusques vont considérablement modifier la ville. Sous leur règne, de grandes constructions sont réalisées (les égouts, le Forum, le Grand Cirque...), tandis que les citoyens romains seront classés en plusieurs catégories, selon leur richesse principalement (et donc le montant des impôts à payer, leur équipement cher qu'ils doivent eux-même payer, etc.), puis leur âge. Les Étrusques étaient en ce temps-là à leur apogée et influençaient un bon tiers de la péninsule italienne.
Les peuples de l'Italie pendant l'âge de fer. Les Étrusques influencèrent largement la ville de Rome (image tirée de Wikipedia)
Enfin, le traditionnel septième et dernier roi, Tarquin le Superbe, est dépeint comme cruel, violent, sur-ambitieux, c'est un tyran. En 509, Junius Brutus est considéré dans la légende comme celui qui le boutera hors de Rome (avec l'aide du peuple) et deviendra le fondateur de la République. Historiquement, il faut plutôt y voir un recul de la puissance des Étrusques au sud, et la chute de nombre de rois de ce peuple, remplacés comme à Rome par les aristocrates (patriciens).
509 - 264 : Rome jusqu'à la première guerre punique
La conquête de l'Italie centrale
À la naissance de la République, Rome doit tenir contre de nombreux ennemis alentours. Elle est néanmoins suffisamment puissante pour rejoindre la ligue latine, composée des peuples latins.
Elle finit par prendre la ville de Véies en 396, au nord de Rome et appartenant aux Étrusques, qui ont décidé de laisser faire puisqu'ils n'aimaient pas le dirigeant d'alors, et parce que leurs frontières au nord étaient menacées par les Gaulois.
La prise de Véies est un tournant historique pour Rome à l'époque. Le siège a nécessité plusieurs années de guerre, pendant lesquelles les soldats-paysans n'ont pu retourner chez eux pour labourer les champs, même en hiver. Pour la première fois, ils recevaient donc une paie en compensation et les citoyens restés à Rome ont dû verser un impôt en conséquence. Cela ouvre la voie à un corps quasi-professionnel du métier de soldat. De plus, Rome double quasiment son territoire et prend un ascendant sur les autres membres de la ligue latine. Aucun de ceux-ci n'est désormais suffisamment puissant pour prendre Rome.
L'Italie vers 400 (image tirée de Wikipedia)
En 390 cependant survient l'un des plus grands traumatismes des Romains. Les Gaulois arrivent par le nord, Brennus à leur tête, et saccagent Rome. Les quelques survivants se barricadent dans le capitole et voient sous leurs yeux leur ville être incendiée. S'ensuit alors un siège de sept mois, pénible, avant que les Romains n'obtiennent leur libération en échange d'une forte rançon, en fonction du poids. Trichant et alourdissant la charge artificiellement, Brennus jette alors le fameux
Vae Victis
("Malheur au vaincu" aux Romains qui protestent.
Le sac de Rome est un coup dur pour la ville, qui mettra près de cinquante ans à se relever. Puis viendra ensuite une longue succession de guerre, qui parviendra de succès en succès à hisser Rome jusqu'à la domination de la péninsule italienne.
L'armée change
L'armée romaine est d'abord réorganisée. Jusqu'à présent, les Romains se battaient en phalange, une formation issue du monde grec et qui a maintes fois fait ses preuves. Il s'agit d'une infanterie lourde très compacte, bien protégée par les armures, dont les hommes sont armés d'une longue lance (sarisse). Devant, c'est un mur de piques qui accueille l'assaillant, et il est très difficile de se mettre à portée d'épée sans se faire embrocher. Mais la phalange a aussi ses inconvénients : du fait que les hommes sont très serrés, épaule contre épaule, elle est difficile à utiliser dans les régions montagneuses du centre de l'Italie (le moindre relief et la phalange devient déséquilibrée), elle se déplace avec lenteur et est très peu maniable.
Une phalange. Les soldats qui la composent sont en formation très serrée, et brandissent chacun une sarisse bien droite afin de former un mur de piques
Après le sac de Rome, l'armée s'organise autour du manipule. Il s'agit d'une unité de cent hommes environ, très mobile et souple, capable aussi bien de harceler que de tenir au corps à corps. Ils restent relativement bien équipés, sont protégés par de grands boucliers et utilisent deux pila (un pilum, des pila, sont des sortes de javelots) et un glaive. Les effectifs grandissent, et les soldats obtiennent une solde. Les citoyens de plus en plus pauvres peuvent rejoindre l'armée, même s'ils sont ainsi très peu équipés.
Cette division entre gens pauvres et riches façonne cette nouvelle armée, en plus de l'expérience. Devant les légions se trouvent les vélites, une unité très légère et mobile, formée par de jeunes recrues et dont le but est de lancer toutes sortes de projectiles (puisque l'armement n'est pas uniforme) sur l'ennemi pour le harceler. Un équipement relativement peu cher est nécessaire. Puis en première ligne, les
hastati
forment un corps plutôt efficace et discipliné, constitué de personnes plus expérimentées. En deuxième ligne, les combattants confirmés
principes
sont présents pour prendre la relève si la première ligne venait à faiblir. Enfin, la troisième et dernière ligne est formée des vétérans
triarii
, formation plus compacte et vestige de l'ancienne phalange.
Si la première ligne venait à faiblir, elle reculait en bon ordre derrière les
triarii
afin de se reposer, pendant que les
principes
engageaient à leur tour le combat. Puis, si c'était leur tour de montrer des signes de grande fatigue, ils reculaient également et les
triarii
prenaient la relève.
Enfin, la cavalerie était constituée de l'élite romaine, des combattants ayant pu s'acheter un lourd équipement, mais surtout un cheval.
Les Consuls romains étant élu chaque année, ils n'avaient que peu d'expérience à la tête d'une armée, ce qui fait qu'une bataille pouvait être gagnée sans intervention du général, grâce à la très grande discipline des soldats et leur entraînement.
La reprise de la guerre
Après quelques accrochages avec les divers voisins, c'est en 343 que Rome décide à nouveau d'entrer dans une guerre longue. L'alliée Capoue est menacée par les Samnites, et décide donc de totalement se soumettre à Rome pour survivre. Les Samnites sont écrasés en 341, mais la ligue latine menace désormais Rome, qui se voit contrainte de faire revenir son armée sans profiter de sa victoire sur les Samnites. Cette ligue sera balayée rapidement (en un an) mais, grande nouveauté, les villes nouvellement arrivées dans le giron de Rome obtiendront la nationalité romaine. Ce fait nouveau permettra d'agrandir encore les effectifs de l'armée et intégrera davantage les anciens ennemis dans cette nouvelle puissance.
Rome est désormais la seule puissance restante des Latins, et acquière ainsi un grand territoire. Par la suite, c'est une succession de victoires qui va davantage agrandir les frontières de la République, jusqu'au contrôle de l'Italie centrale à la fin des guerres samnites, en 290.
La conquête du sud de l'Italie
La puissance de Rome au centre de l'Italie inquiète ses voisins au plus haut point, et surtout les Cités grecques, au sud de la péninsule (appelée la Grande Grèce). Pour freiner son expansion, l'un d'entre elles, Tarente, fait appel au roi d'Épire, Pyrrhus Ier. Celui-ci, grand admirateur d'Alexandre le Grand, se voyant lui-même en nouveau conquérant, se lance dans l'aventure. Il débarque en Italie à la tête d'une puissante armée, 25 000 hommes, et surtout 20 éléphants de guerre, que les Romains vont apprendre à redouter. De l'issue de cette guerre dépend la liberté de tout le sud de l'Italie.
Débarquement de Pyrrhus depuis l'Épire (image tirée de Wikipedia)
Après une première bataille à Héraclée, Pyrrhus ressort vainqueur contre la République. Les Romains, terrifiés par les éléphants qu'ils ne connaissaient pas, ont fui en laissant tout l'équipement sur place. Après cette victoire, le roi d'Épire rallie avec lui les peuples soumis depuis trop peu de temps par Rome : quelques populations indépendantes ainsi que les Samnites. Puis il décide de marcher sur Capoue. Mais une fois sur place, il constate qu'il ne peut la prendre, faute de matériel suffisant. Pyrrhus avance alors vers Rome pour faire pression et la menacer.
L'attaque de Pyrrhus. Les victoires de Pyrrhus l'amènent jusqu'aux portes de Rome (image tirée de Wikipedia)
Pyrrhus souhaite des conditions de paix très dure que les Romains n'acceptent pas. N'ayant pas reçu un ralliement local comme il l'escomptait, le roi décide alors de faire demi-tour. S'ensuit une deuxième bataille décisive près d'Ausculum en 279. Cette fois, les Romains se sont préparés aux éléphants, utilisant notamment des projectiles enflammés pour effrayer les bêtes. La bataille se soldera toutefois par une nouvelle défaite des Romains mais ce fut une telle boucherie que, malgré la victoire des Épirotes, il ne restera plus grand chose non plus de leur armée, ce qui a donné l'expression « victoire à la Pyrrhus ». Celui-ci aurait même déclaré « Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, nous sommes perdus. »
Peu après, les cités siciliennes demandent son aide contre les Carthaginois qui commencent à s'emparer de l'île. Aussitôt le général d'Épire descend vers le sud et débarque à son tour en Sicile. Les Carthaginois et les Romains s'allient contre Pyrrhus mais celui-ci vole de victoire en victoire, et finit par retourner en Italie en ne laissant que Syracuse aux Carthaginois, une ville à l'extrême ouest de l'île.
En 275, Pyrrhus est enfin défait à Maleventum malgré tout. Il quitte alors la péninsule pour rejoindre l'Épire, tout en laissant une forte garnison à Tarente, la Cité qui avait initialement demandé de l'aide contre Rome et par qui tout avait commencé. La garnison ne suffira pas car en 272, les Romains s'emparent de la ville, et se faisant deviennent alors maîtres de tout le sud de l'Italie. Forte de toutes ces expériences, l'armée romaine peaufine sa tactique militaire et s'assouplit davantage.
Rome stabilise ses territoires
Quasiment tous les peuples d'Italie sont réunis sous une seule coupe : celle de Rome. Pendant les décennies qui suivent, les derniers récalcitrants sont incorporés de force et la péninsule connaîtra une économie florissante. Le commerce se développe. Les Romains ont su amener de la stabilité et affirmer leur mainmise culturelle et militaire sur la région, les liens se resserrent. Les institutions dans la capitale se consolident.
Néanmoins le territoire romain n'est pas homogène. Chaque Cité, chaque territoire possède une relation différente avec Rome, les traités qui les lient, les avantages et inconvénients sont fonction de qui était allié de la première heure, qui est arrivé plus tard, qui était ennemi, etc. Capoue est sans doute la ville la plus proche de Rome, elle fut absorbée dès le début et bénéficie des avantages en conséquence.
264 - 241 : Première guerre punique
La première guerre punique opposera Rome à Carthage.
Carthage est la capitale d'un Empire qui a pris possession de nombreuses côtes de la méditerranée occidentale. Issu des marchands phéniciens, peuple qui habitait au nord de l'actuel Israël, il s'agit avant tout d'une puissance commerciale, et dont l'armée est surtout composée de mercenaires. La culture et la religion carthaginoises (dont le culte de Baal par exemple), orientales, ont tendance à effrayer les Romains.
Les forces en présence à la veille de la première guerre punique. Carthage, peuple commerçant avant tout, est très riche et possède une très bonne flotte (image tirée de Wikipedia)
Mais c'est avant tout sa puissance qui inquiète. Son territoire, surtout composé de comptoirs commerciaux et de colonies, grandit chaque année davantage, jusqu'à la prise de Messine. Cette ville sicilienne, qui contrôle le détroit entre la Sicile et l'Italie, avait trop d'influence sur le commerce pour que les Romains ne la laissent passer.
En 264, ils décident d'attaquer par surprise Messine, qui est prise rapidement. Devant l'agression, Carthage réagit en débarquant des troupes au sud de la Sicile, mais plusieurs de leurs villes sont prises par les Romains après des sièges de plusieurs mois. Les éléphants sont moins décisifs depuis l'expérience acquise contre Pyrrhus.
Les Carthaginois décident alors de changer de tactique. Du fait de leurs meilleurs compétences en siège et en fortification, ils passent à une stratégie de guérilla et de raids et affaiblissent grandement la République. Mais celle-ci tient bon et, après une victoire navale en 241, Rome finit vainqueur après 23 ans de guerre. Entretemps, elle aura essuyé de sévères défaites, notamment la destruction d'une grande partie de sa flotte, qu'elle a dû reconstruire rapidement, une trésorerie vide, un épuisement de ses ressources.
Le tribut est lourd pour Carthage : une très forte somme est demandée, et elle doit abandonner la Sicile, la Sardaigne et la Corse. Ruinée, elle ne pourra payer les mercenaires qui réclamaient leur dû, ce qui déclencha une rébellion de son armée, appelée Guerre des mercenaires. L'épuisement de Carthage est total, mais la paix est signée... Avant que Rome ne déclare à nouveau la guerre 22 ans plus tard.
219 - 201 : Deuxième guerre punique
Les nouvelles conquêtes
Fort de la victoire contre son grand ennemi méditerranéen, Rome se tourne, tel un ogre vorace, vers le nord et ses ennemis continentaux. Elle soumet notamment les Ligures et les Gaulois et s'accapare Mediolanum (Milan). La Gaule Cisalpine (au sud des Alpes) devient une province romaine. Une portion de l'Illyrie (au nord de l'Épire, dans l'actuelle Albanie) est dans le même temps incorporée à la République.
De son côté, Carthage, après avoir traversé une période critique suite à la première guerre punique, parvient tout de même à acquérir de nouveaux territoires en Ibérie (Espagne), ce qui lui rapporte une richesse colossale. Presque la moitié de la péninsule tombe ainsi aux mains des Carthaginois, ce qui ne manque pas d'éveiller l'inquiétude des Romains. À tel point qu'ils décident, finalement, de lui déclarer la guerre rapidement, en 219.
Les Carthaginois eux-mêmes ne sont pas étrangers à cette décision d'entrer en guerre, un fort ressentiment envers les Romains prédomine depuis la première guerre punique, et tous attendaient cette occasion de revanche.
Les deux puissances à la veille de la guerre. Carthage a pu reconstituer une partie de sa richesse en envahissant une large territoire en Ibérie (image tirée de Wikipedia)
Les victoires d'Hannibal
Lorsque les deux puissances méditerranéennes s'engagent dans le conflit, Rome possède la suprématie des mers. Cela lui permettra d'avoir un net avantage sur son opposant, car c'est l'Italie qui contrôlera les renforts, les ravitaillements, les déplacements rapides.
Fort de ce constat, Hannibal Barca, général carthaginois de 28 ans basé en Espagne et chargé jusqu'alors de la conquête de la péninsule ibérique, décide alors de mener une expédition terrestre avec l'aval de Carthage. Il réunit près de 100 000 hommes, dont 37 éléphants de guerre, et quitte en 218 la péninsule ibérique. Son but est de finir la guerre rapidement en portant le conflit sur le territoire italien, afin de protéger Carthage d'une invasion.
Ses forces sont entamées avant même de franchir les Pyrénées, il lui faut passer par des territoires hostiles à Carthage. Entre les batailles et les contingents laissés pour stabiliser les nouveaux territoires conquis, sa force est diminuée d'environ 32 000 hommes avant de franchir les montagnes.
Entre les Pyrénées et les Alpes en revanche, de nombreux Gaulois lui sont favorables, ne serais-ce que parce qu'ils se reconnaissent entre ennemis de Rome. Seule la ville de Massilia (Marseille), alliée des Italiens, est menaçante et oblige Hannibal à la contourner. Néanmoins, le général carthaginois parviendra, par la diplomatie, à faire se révolter les tribus gauloises du nord de l'Italie, ce qui obligera les Romains à mobiliser temps et ressources à contenir cette rébellion. Hannibal la mettra à profit.
Vient alors la traversée des Alpes par le général Carthaginois et son armée. Le climat est difficile pour ces Africains-Ibères, entre le froid et la chute des neiges, la montée puis la descente, pénibles, le harcèlement des populations autochtones... C'est un voyage éprouvant pour les troupes, la très grande majorité des éléphants y meurent, de nombreux hommes périssent ou désertent. Finalement, il ne restera plus que 20 000 fantassins et 6 000 cavaliers, une armée peu nombreuse comparée au début, mais expérimentée et loyale.
Une première armée romaine, fraichement arrivée de Marseille et commandée par Publius Cornelius Scipio, se porte à la rencontre des Carthaginois près de Tessin (future Turin) et une bataille éclate, pendant laquelle Hannibal ressort vainqueur. Les nombreux Gaulois de la région prennent alors le parti d'Hannibal.
La très longue route d'Hannibal jusqu'à Tessin (image tirée de Wikipedia)
Fort de cette victoire, le général carthaginois marche vers le sud. Le précédent général romain, Publius Cornelius Scipio, et une armée venant tout juste de Sicile, font jonction afin de réunir leurs forces contre l'envahisseur, avant de se lancer à nouveau à l'assaut le 25 décembre 218 près de Trébie.
La bataille de Trébie
Les deux forces en présence établissent leur campement non loin l'une de l'autre, et entre les deux coule un ruisseau, glacé en cette période hivernale. Hannibal poste une troupe de cavalerie en embuscade dans les broussailles près de la rivière, puis avec une autre envoie harceler l'avant-poste ennemi et les attirer. Aussitôt, l'armée romaine se mobilise et sort de façon désordonnée. Elle suit l’appât à travers la rivière glacée, qui arrive jusqu'aux épaules des soldats, et ressort épuisée et frigorifiée de l'autre côté. Aussitôt le combat commence et si les Romains sont en désavantage du fait de leur condition physique, leur nombre et leur discipline parviennent toutefois à compenser et le combat est équilibré au centre de la bataille.
Sur les côtés, où sont disposées les cavaleries respectives, le combat tourne à l'avantage des Carthaginois, du fait de la grande qualité des cavaliers (les meilleurs durant toute la guerre) ainsi que la présence des éléphants qui font paniquer les chevaux. Finalement, la cavalerie romaine se met à fuir, et les frondeurs des Baléares, dans l'armée d'Hannibal, tirent leurs projectiles sur les flancs de l'infanterie romaine.
Enfin, la cavalerie carthaginoise postée en embuscade se découvre et attaque l'arrière de l'armée romaine, qui finit par s'enfuir, soit en traversant la rivière à nouveau, soit en partant dans les bois.
La défaite des Romains est sévère : plus de 20 000 de leurs soldats périssent ce jour-là, peu de pertes du côté carthaginois, à part les quelques éléphants qui meurent de leurs blessures et du froid. Grâce à cette victoire, de nombreux autres Gaulois rallient l'armée d'Hannibal, et le Sénat romain prend conscience du grand danger que constitue cette force ennemie sur son sol.
Afin de s’attirer les faveurs des populations locales et alliées de Rome, Hannibal se montre très fin politicien : il décide de libérer les prisonniers sans rançon. Son but est de montrer avant-tout qu'il fait la guerre non aux Latins, mais à Rome seule, que les alliances se délitent et qu'il puisse en tirer profit.
Hannibal continue donc sa route vers le sud et pénètre en Étrurie en 217. Une nouvelle armée romaine de quatre légions arrive dans la région afin de stopper net son avancée. Mais rien ne se passe comme prévu : c'est la bataille du lac Trasimène.
La bataille du lac Trasimène
Hannibal, pour faire croire à l'armée ennemie qu'il est plus éloigné que la réalité, fait allumer des feux dans les villes derrière lui.
Confiants en leur force, les Romains longent au petit matin le lac Trasimène en ordre de marche (en une longue colonne), persuadés que le danger est encore loin. Le brouillard et la semi-obscurité qui règne cache leurs ennemis qui sont postés pourtant près d'eux, plus en hauteur et hors du brouillard. En effet, Hannibal dispose ses troupes autour des Romains de façon à ce que ceux-ci soient encerclés sans le savoir.
La bataille du lac Trasimène. Les troupes carthaginoises, postées en hauteur, voient s'avancer peu à peu les Romains dans leur piège (image tirée de wikipedia)
Passé un moment, les Romains se rendent compte du piège qui se referme mais il est trop tard. Les troupes carthaginoises dévalent la colline et attaquent. C'est la débandade quasi-immédiate. Il n'y a presque pas de lutte, chacun tente de sauver sa vie.
En trois heures à peine, 15 000 Romains périssent au fil de l'épée ou noyés dans le lac (l'équipement lourd tend à couler), et 10 000 autres sont faits prisonniers. C'est une défaite écrasante pour les Latins.
Si les victoires sur le sol italien sont de bonne augure pour les Carthaginois, ceux-ci commencent à éprouver de sérieuses difficultés en Ibérie. Les Romains, ayant débarqués des expéditions dans la péninsule, parviennent à gagner plusieurs bataille et à gêner grandement l'effort de guerre de leurs ennemis.
À nouveau dans le but de diviser Rome et ses alliés, Hannibal libère les prisonniers, mais obtenir l'effet escompté. Puis il poursuit sa route vers le sud, espérant rallier des villes ou des peuples à lui. Pendant ce temps, Rome nomme un dictateur devant l'ampleur du danger. Celui-ci décide de suivre Hannibal à la trace et d'appliquer une guerre d'usure en évitant l'affrontement direct.
De son côté, Hannibal se dirige toujours plus au sud, contournant Rome, afin de rejoindre le sud de l'Italie où il dispose de davantage d'alliés. Peu à peu, l'usure se fait sentir chez ses troupes qui commencent à manquer de vivres. Mais la fin du mandat dictatorial arrivant, l'un des deux nouveaux Consuls, Varron, souhaite à tout prix engager le combat. Pourquoi ? Car les Consuls étant élus chaque année, la pression des élections se font très vite ressentir. Les électeurs souhaitant une fin de guerre rapide, il ne reste plus alors qu'à engager le combat. La bataille aura lieue près de Cannes, en août 216.
La route d'Hannibal en Italie, de Tessin à Cannes (image tirée de Wikipedia)
La bataille de Cannes
Alors que l'armée des deux Consuls sont forts de près de 80 000 hommes (16 légions), Hannibal, à la tête de "seulement" 55 000 hommes, sait qu'il doit à nouveau compter sur la tactique s'il veut remporter la bataille.
Connaissant parfaitement le mode de fonctionnement de l'armée romaine, qui est composée de trois lignes, avec en premier les plus inexpérimentés et en dernier les vétérans, il décide quant à lui de placer ses fantassins en une seule ligne, mais plus longue que celles des Romains. Puis l'affrontement commence. Au centre, les troupes ibères et gauloises engagent la bataille en premier contre les
hastati
puis reculent peu à peu. De chaque côté de la ligne, les troupes carthaginoises, qui constituent l'élite, s'engagent au contraire un peu plus tard mais avancent en se battant.
Au même moment, les deux cavaleries ennemies s'affrontent et celle carthaginoise, supérieure à celle de Rome, remporte rapidement l'escarmouche avant de foncer sur l'arrière des légions. Ces mêmes légions qui, subissant la pression sur les côtés mais avançant au centre, finira écrasée à l'arrière par la cavalerie ennemie.
La bataille de Cannes en trois temps (lire de haut en bas). Le centre carthaginois recule, les côtés se resserrent comme un étau, puis la cavalerie victorieuse s'abat sur l'arrière (image tirée de Wikipedia)
Le plan fonctionne et le massacre est total. En quelques heures, alors que les Carthaginois accusent environ 6 000 morts (dont 4 500 Celtes), les Romains comptent près de 45 000 tués (dont 80 sénateurs !) et 20 000 prisonniers. Varron parvient à s'enfuir mais le deuxième Consul est tué.
La défaite écrasante de Cannes est un tremblement de terre terrible en Italie, et entraîne la défection de toute l'Italie du sud. Même la jusqu'alors fidèle Capoue, alliée de la première heure, ouvre ses portes à Hannibal en automne. Le général carthaginois décide d'y rester pendant l'hiver, espérant recevoir des renforts alliés. Mais les mers sont occupées par la marine romaine, trop puissante. Et les grandes villes maritimes sont verrouillées par de fortes garnisons romaines. Hannibal ne disposant pas de matériel de siège, il ne peut non plus espérer prendre Rome elle-même.
Au printemps 215, la diplomatie d'Hannibal porte ses fruits et il noue une alliance avec Philippe V de Macédoine. Mais les Romains en ont vent et laissent une importante flotte au sud de l'Adriatique afin de couper court à tout débarquement macédonien. Aucune flotte carthaginoise ne viendra briser cette barrière, et les troupes macédoniennes resteront inactives. Dans le même temps, Rome s'allie avec de récents adversaires de Philippe V afin de l'occuper. Finalement, l'intervention du roi de Macédoine restera vaine pour Carthage.
De nouvelles armées romaines sont levées très rapidement (23 légions !) pour compenser les énormes pertes précédentes. Mais elles restent inexpérimentées, et comprennent même des esclaves volontaires et affranchis pour l'occasion. La confrontation directe est donc évitée, mais des positions romaines sont fortifiées afin d'empêcher Hannibal de menacer Rome.
En Espagne, pendant ce temps, les batailles font rage. Les premières expéditions romaines sont défaites mais causent de sévères dégâts et empêchent de nombreux renforts pour Hannibal. Puis Publius Cornelius Scipion, très jeune général, y est envoyé avec davantage de troupes. Cette fois, le succès est au rendez-vous, et après un an seulement, Carthagène (cf carte), ville côtière stratégique, est prise par les Romains.
Cette victoire entoure de gloire le jeune Scipion, qui est aussitôt envoyé débarquer en Afrique avec deux légions. Bien que les débuts soient laborieux, il finit par rencontrer peu à peu le succès, en affaiblissant les alliés numides de Carthage, et en s'alliant avec d'autres numides. Sentant le vent tourner, Carthage finit par conclure une trêve, le temps de connaître les conditions de la reddition. Pendant ce temps, Hannibal et son armée finissent par quitter l'Italie par la mer, et débarquent au sud de Carthage pendant la cessation des combats. C'est alors que, suite à un incident mineur, les combats reprennent et la bataille finale se décide à la plaine de Zama, en 202. Hannibal, bien qu'étant en supériorité numérique, se fait battre par Scipion (qui retournera la tactique employée à Cannes contre son auteur). Auréolé de gloire, vainqueur du grand ennemi de Rome, Scipion est surnommé "l'Africain" (chez les Romains, ce genre de surnom signifie "qui a vaincu les Africains", tout comme il existera plus tard, par exemple, Germanicus).
Après une si longue guerre, les conditions de défaite sont extrêmement rudes. Carthage devra payer une somme monstrueuse, céder la quasi-totalité de sa flotte, se retirer d'Espagne et des Baléares, et ne pourra déclarer la guerre sans l'aval de Rome. Les Romains, quant à eux, deviennent d'un seul coup les maîtres de la méditerranée occidentale. Nous sommes en 201.
201 - 133 : la lente montée en puissance des troubles
Situation de Rome après la deuxième guerre punique
Après la seconde guerre punique, contre les Phéniciens de Carthage, Rome est la première puissance de la méditerranée occidentale, et sans doute de la méditerranée entière. Elle doit penser ses plaies, car le traumatisme est grand : Hannibal a réussi à ébranler la confiance des Romains en leur avenir, en les battant aussi bien dans la tactique des batailles qu'en affaiblissant ses alliances. Le saccage du territoire italien est immense. Le traumatisme est presque aussi grand que celui de l'humiliation infligé par Brennos le Gaulois.
Néanmoins, la ville et son empire ont de quoi se remettre sur pied. Rome est riche : une population encore nombreuse, une fortune énorme suite aux conquêtes (en Espagne notamment), un pouvoir devenu stable, équilibré entre les Patriciens aristocrates (le Sénat) et la plèbe (qui a dû se rebeller plusieurs fois afin d'obtenir des droits, par l'intermédiaire des tribuns qui les représentent contre la volonté du Sénat). L'
ager publicus
, c'est-à-dire les territoires anciennement contrôlés par les ennemis et saisi par Rome, est énorme ! Il s'agit en général des terres entourant les cités vaincues ou qui ont fait défection à la domination romaine pendant la guerre et qui, du coup, sont exploitées par leurs nouveaux propriétaires : les Romains, petits et grands exploitants. Il y en a en Espagne, bien sûr, mais surtout en Italie. Ces immenses terrains, ce sont les très riches et puissantes familles qui ont tendance à se les approprier, ce qui donne ainsi naissance aux
latifundia
. Ce sont de grandes terres agricoles exploitées par les riches propriétaires et qui, par nature, exacerbent les tensions au sein de la population. Parce que ces familles sont riches, elles peuvent se payer de très nombreux esclaves qui travaillent pour presque rien dans ces exploitations. Ce qui défavorise les petits exploitants qui n'ont pas d'esclaves, et qui, à cause de la guerre, sont restés pendant de nombreuses années loin de chez eux, laissant leur terre en friche sans personne pour l'exploiter.
Bien que la plèbe possède quelques pouvoirs, les Patriciens n'en sont pas moins les réels dirigeants de Rome. Il s'agit de grandes familles qui sont toutes en concurrence les unes avec les autres afin d'obtenir richesse, prospérité et prestige. Des alliances par mariage, des ennemis héréditaires, c'est un petit monde dont la compétition est féroce. Le principal instrument de pouvoir d'un aristocrate est, outre sa richesse, sa clientèle. C'est un point important : en échange d'un service rendu, un homme peut devenir le client de quelqu'un, c'est-à-dire qu'il a une dette qui ne pourra être dissoute que s'il rend un service à la hauteur de la dette. Les Romains se plient à cette règle car c'est une question d'honneur : quiconque ne tient pas ses engagements est un véritable paria. C'est la base de la société romaine.
Les services pour avoir des clients sont multiples, il peut aller d'une somme d'argent prêtée jusqu'à sauver la vie d'un homme (par exemple, en faisant en sorte qu'un tribunal, qui devait condamner quelqu'un à mort, change d'avis suite à l'intervention d'un patricien). Dans ce dernier cas, il est évident que la dette contractée est à vie car il ne peut y avoir d'équivalent au fait de sauver la vie de quelqu'un.
En politique, il arrivait que la Plèbe fut consultée de façon diverses et variées, pour des choses importantes ou moindres, et si un patricien était en faveur d'une décision, il mobilisait sa clientèle afin que cela penche en sa faveur. Parce que les votes n'étaient pas anonymes, les patriciens pouvaient donc vérifier que leurs clients remplissaient bien leur devoir.
Les aristocrates étaient donc avant tout de puissantes familles riches, possesseurs de grandes étendues de terre, et qui menaient avant tout une carrière politique. Comme ils cherchaient avant tout le prestige, il fallait qu'ils soient fortement distingués aux yeux de la plèbe. Des hommes supérieurs emplis de vertu, de qualités d'orateur, et donc des figures d'hommes capables d'exercer une autorité compétente. De véritables modèles de ce que doit être un parfait Romain : un homme accompli et plein de vertu.
Or, cette compétition aristocratique est un terrain extrêmement propice pour la mise en place de l'Empire. Dès lors que chaque famille cherche à être supérieure aux autres, elle va user de tous les moyens possibles afin d'agrandir son prestige et sa richesse. Il ne peut y avoir qu'une seule fin à cette compétition : le pouvoir détenu par un seul.
Les guerres de Macédoine
La grèce à l'aube de la deuxième guerre de Macédoine. On voit bien que la Macédoine, puissance dominante dans la région, doit composer avec les nombreux royaumes l'entourant (image tirée de Wikipedia).
Rome n'avait plus d'ennemis possibles à l'ouest de la méditerranée. Il ne restait donc plus que l'Orient. Sa conquête s'est faite en plusieurs étapes, à partir d'évènements antérieurs ou contemporains à la deuxième guerre punique.
Comme nous l'avons vu, les Romains ont avec le temps réussi à s'emparer de terres littorales en Illyrie, les côtes ouest de la macédoine. Et cette présence contrariait le roi Macédonien Philippe V, qui s'était allié avec Hannibal. Les Romains usèrent de beaucoup de diplomatie afin d'exacerber à coups d'alliances les tensions internes entre les différents royaumes de macédoine, afin que Philippe V ne renforce pas les armées d'Hannibal.
Pendant la deuxième guerre punique, les alliances entre Rome et ces divers États d'Orient ont permis de contrecarrer les visées de Philippe V, mais du coup ont entraîné Rome, une fois la guerre finie contre Hannibal, à aider ces nouveaux alliés contre Philippe V. Ceci étant dit, le Sénat ne se fit pas prier pour débarquer des troupes sur les côtes macédoniennes en 200, c'est-à-dire tout juste après la victoire contre Hannibal à Zama. Les armées de Philippe V furent battu quatre années plus tard, en 196, et les Romains, à la tête d'une grande coalition, imposèrent au roi d'abandonner son pouvoir sur les territoires en dehors de la Macédoine.
Rome n'avait pas spécialement de visée territoriale dans ce coin du monde, mais elle était devenue une force avec qui il fallait compter. Cependant, certains alliés de Rome s'estimaient floués par l'alliance. Ils la rompirent en 192 en passant du côté d'un nouvel ennemi : Antiochos III, Roi des Séleucides, qui avait des visées sur la Grèce. La Séleucie : lorsque Alexandre le grand mourut, le partage de son empire se fit en trois nations : l'Égypte, la Macédoine et les cités grecques, et la Séleucie, qui comprend les anciens territoires perses en général.
Antiochos donc, roi des Séleucides, envoyant une petite force en Macédoine, fut battu par les troupes romaines d'abord aux Thermopyles en 191. Il repartit en Asie mineure mais l'armée romaine le poursuivit et il fut défait à nouveau en Magnésie (ville côtière à l'ouest de l'actuelle Turquie) en 189. Il fut chassé alors de toute l'Asie mineure.
En parallèle de ces succès en Asie, une expédition au nord de la Macédoine contre des Galates, les Daces (cousins des Gaulois), fut une réussite et Rome put ainsi soumettre un grand territoire et une large population dans ce secteur.
Du fait de la rapidité des conquêtes, Rome mit beaucoup de temps à stabiliser les régions. Plusieurs rébellions, parfois revêtant l'allure de résistances, montaient les cités ou royaumes d'Orient contre l'occupant. Les opérations militaires furent longues et douloureuses, mais les Romains réussirent à s'imposer par la force et avec le temps. Les représailles contre les royaumes rebelles étaient extrêmement sévères : démembrement de territoires en plusieurs parties, saisie de terres pour les intégrer dans l'
ager publicus
, déportation de milliers d'esclaves...
Une société qui change profondément
Dès lors que Rome était la première puissance militaire, tout l'Orient entrait dans sa sphère d'influence. Les richesses cumulées étaient énormes, les conditions de paix envers les ennemis très dures. Les milliers d'esclaves déportés vers l'Italie furent envoyés travailler dans l'
ager publicus
, ces grands champs exploités pars les riches propriétaires. Les soldats et les généraux étaient les premiers bénéficiaires de ces récentes conquêtes. Autant dire, les citoyens plutôt riches en général.
En Espagne, Rome put affermir sa domination sur les anciennes terres de Carthage. Elle poursuivit même les opérations contre les celtibères.
Ces nouvelles conquêtes transformèrent peu à peu la société romaine. Les premiers bénéficiaires de ces butins étaient l'aristocratie sénatoriale. Les généraux qui menaient les opérations se couvraient de gloire, et surtout de richesses. Leurs soldats obtinrent également des sommes considérables. Il faut savoir que les soldats romains sont des propriétaires terriens avant tout. On considérait que seuls ceux qui avaient des biens à défendre se battaient avec de l'ardeur. En tant que propriétaires, ils avaient donc assez d'argent pour se payer un équipement guerrier. Enfin, les gouverneurs des nouvelles provinces avaient de quoi se remplir les poches, entre les différents impôts des Romains, plus qu'oppressant, les esclaves, plus que nombreux, et les larges ressources (telles que les mines, les champs, etc.). Ils abusaient nettement de leurs fonctions, et malgré les demandes répétées des cités ou États illégalement dépouillés par ces Gouverneurs, Rome fit la sourde oreille. Les jurys qui rendaient justice, composés de Sénateurs, tranchaient en faveur des Gouverneurs.
Ainsi, seule une certaine élite de Rome bénéficiait de la richesse de ces conquêtes. Cette concentration des richesses, qui restait dans la même classe sociale (du fait des alliances entre les familles notamment), accélérait le processus qui conduira à la chute de la République. L'État s'enrichissait, certes, mais pas autant que les patriciens.
C'est d'ailleurs là que se situe le cœur de la future instabilité politique de Rome. Ces énormes terrains sont extrêmement rentables pour les patriciens : il y travaille des esclaves en masse, et peu à peu les petits exploitants, n'ayant pas d'esclaves, finissent par faire faillite et à vendre leur terre à ces mêmes patriciens qui les ont ruinés, avant d'aller tenter leur chance à Rome et de se fondre dans cette masse pauvre que constitue la plèbe.
Or, ces anciens petits exploitants constituaient l'épine dorsale de l'armée romaine. Souvenez-vous, pour pouvoir entrer dans l'armée il faut apporter son propre équipement, ce qui signifie donc d'avoir un tant soit peu de moyens pour ne pas y aller nu, et surtout être propriétaire.
Cette tendance ne va que s'accentuer avec le temps, jusqu'à parvenir à son point de rupture.
Le début des troubles
Les frères Gracques
Au vu de tous ces problèmes, avec le temps s'est posé la question de la réforme agraire. Les riches propriétaires, plutôt que de faire pousser du blé, préféraient l'olive ou le raisin, plus rentables. Le blé, au lieu d'être vendu les petits propriétaires terriens latins qui tendaient à disparaître, était importé en masse de Sicile.
Or, comme les nombreux petits exploitants fondent comme neige au soleil, et que les terres tombent dans les mains des mêmes personnes, il y a de moins en moins de soldats disponibles pour l'armée (puisque seuls les propriétaires peuvent entrer dans l'armée).
Les frères Gracques entrent alors en scène. Ils sont membres de l'une des plus riches et des plus influentes familles de Rome. Leur père avait épousé la fille de Scipion l'Africain, le vainqueur de Carthage. Élu Tribun par la plèbe, Tiberius Graccus, ému de voir les paysans libres être remplacés par les esclaves, proposa au Sénat une mesure simple mais qui allait à l'encontre de la mentalité romaine, et surtout de la nobilitas, ces grands propriétaires terriens : limiter la superficie maximale d'un propriétaire à 125 hectares.
La mesure fut extrêmement populaire parmi le bas peuple. La plèbe se réjouissait d'avoir auprès de lui un défenseur de leurs intérêts. Il y eut des tentatives d'avorter ce projet de loi, mais il passa tout de même in extremis.
Tiberius Graccus crée donc un triumvirat agraire afin de pouvoir étudier le problème et départager les possessions, afin que les plus pauvres puissent chacun avoir leur lot de terre. Ils sont trois, de la même famille : Tiberius Graccus, Caius Graccus, son jeune frère, et Appius Claudius, le beau-père. Uniquement des Gracques, donc.
Très rapidement le triumvirat fait face aux difficultés. La nobilitas refuse de se laisser faire sans retarder, protester, laisser trainer les affaires... Tiberius accorde donc un pouvoir judiciaire au triumvirat, et propose d'utiliser comme capital de départ, afin de démarrer l'exploitation convenablement, le trésor du roi de Pergame, mort récemment et ayant laissé, dans son testament, son royaume à la République romaine (à la grande surprise de celle-ci, d'ailleurs).
Toutes ces mesures accroissent le pouvoir de Tiberius Gaccus et sa popularité auprès du peuple, mais lui attirent les foudres de l'aristocratie. Ses détracteurs ne cessent de l'accuser d'aspirer à la tyrannie. Il est finalement massacré par ses adversaires, qui montent une émeute contre lui en 132. 300 de ses partisans meurent avec lui, et son cadavre est violemment jeté dans le Tibre. Une enquête est ouverte peu après afin de poursuivre puis exécuter les partisans de Tiberius.
L'hostilité des patriciens était davantage concentrée sur le pouvoir et la popularité de Tiberius plutôt que sur la réforme elle-même. Les patriciens se rendent ainsi compte que la popularité de la plèbe compte énormément afin d'acquérir du pouvoir auprès des autres Sénateurs.
Le triumvirat agraire poursuivit l'action de la réforme et peu à peu le nombre de citoyens astreints au service militaire augmenta.
En 123, Caius Graccus, le jeune frère de Tiberius, se présente lui aussi au tribunat pour s'y faire élire. Le code de l'aristocratie lui commande de laver la réputation de sa famille, en essayant de donner raison à son frère mort, et en le vengeant.
L'attente de la population est telle que personne ne peut empêcher son élection. Néanmoins, le jeune frère avait plusieurs atouts dans sa manche que n'avaient pas son aîné. À commencer par l'expérience, il savait qu'il lui fallait gagner à sa cause le plus de classes sociales possibles afin de diminuer les résistances à ses réformes. D'autre part, on le dit plus éloquent, plus charismatique et chaleureux que son frère, surpassant même les jeunes gens de sa génération.
Tout d'abord, il fait passer des lois visant à sanctionner deux personnes ayant participées au complot contre son frère. Puis il accroit les pouvoirs de la plèbe grâce à diverses mesures. La plus connue est la loi dite "frumentaire", qui consiste en ce que le blé à Rome doit toujours être vendu à bas prix (puisque de nombreuses personnes étaient clientes d'un patricien parce qu'ils avaient besoin de manger, le bas coût du blé diminuait l'emprise de la
nobilitas
sur la plèbe). Il fonde de nouvelles colonies, construit de nouveaux greniers et routes, augmentent les douanes, et sanctionnent les Sénateurs qui se montrent trop abusifs dans leurs pouvoirs.
Il augmente le pouvoir des Chevaliers, la classe élite de la plèbe, en les nommant par exemple jurys à la place des Sénateurs qui s'étaient montrés trop complaisant face aux gouverneurs qui abusaient de leurs fonctions (et qui donc vidaient davantage de leurs richesses les anciens vaincus).
Les réformes de Caius avaient une cohérence du début à la fin. Ces réformes qui s'inscriraient dans le temps augmenteraient la popularité de sa famille, en même temps qu'elles légitimaient les actions de son frère.
Pourtant, l'une de ses réformes n'aboutit pas, une très importante : l'accès la citoyenneté romaine des alliés latins. En effet, depuis plusieurs années existait le problème de la migration importante vers Rome. Des gens déménageaient ainsi vers la capitale et s'y faisaient recenser comme citoyens romains, en toute illégalité. On en dénombrait plusieurs dizaines de milliers. Cette migration vidait les villes sous la République, et ces mêmes villes continuaient d'être soumis aux mêmes exigences et impôts alors que sa population diminuait. C'était impossible.
Pourtant, la loi visant à accorder la citoyenneté romaine aux alliés latins est refusée en bloc, et une nouvelle expulsion de migrants a lieue à Rome sans que Caius n'ose protester. Cet échec le fragilise grandement. Dans le même temps, l'un de ses adversaires politiques ne rechigne pas à faire de la surenchère à ses propositions, afin de détourner l'attention de la plèbe de Caius, tout en votant des lois en faveur des patriciens. La défaite de Caius est éclatante lorsqu'il ne réussit pas à se faire réélire au tribunat. Ne jouissant plus de son immunité, et à la première incartade violente, il est massacré, comme son frère, par ses détracteurs, avec son fils et ses partisans. Un bain de sang.
Les assassins sont rapidement innocentés, ce qui légitime le massacre.
Il faut y voir les prémices des guerres civiles qui vont bientôt arriver. Les Gracques avaient réussi, chacun en leur temps, à devenir les plus puissants de Rome, à distancer incroyablement leurs opposants grâce à leur popularité, et à leur clientèle, qui dépouillaient les autres membres de l'aristocratie. D'un autre côté, l'assassinat comme moyen de stopper les opposants, en ne condamnant non plus les auteurs, ouvrait la voie à de plus en plus d'effusions de sang.