Le but du jeu n'est pas forcément d'avoir le plus grand territoire, comme dans Europa Universalis, même si fatalement vous allez en arriver là pour parvenir à votre but. Votre objectif est de faire gagner en prestige le nom de votre lignée. Sauf que pour gagner en prestige, il faut posséder des territoires. Et plus vous en aurez, plus votre lignée sera prestigieuse.
Le jeu commence en 1066. Dès le début, William (Guillaume en Anglais) le bâtard, futur Guillaume le Conquérant, possède une grande quantité de troupes et les amasse en vue d'envahir l'Angleterre afin de revendiquer le trône. S'ensuit une ou des batailles sur le sol d'Albion, et l'issue définit si c'est bien William qui deviendra le nouveau Roi d'Angleterre, ou bien le Roi de l'époque qui restera sur son trône. En soi, cela n'a pas un impact énorme sur le jeu si vous jouez un autre dirigeant que ces deux ennemis. Mais au début de chaque partie ils s'affrontent à chaque fois.
Les cartes dans les cartes
Lorsque l'on commence le jeu, il faut bien avoir compris que l'on doit faire abstraction des cartes que l'on a habituellement. En effet, il est facile de se laisser prendre par la première carte, celle des nations, que l'on retrouve dans tous les jeux de stratégie.
Car en réalité, les nations ne constituent pas un ensemble homogène. Chacune est divisée en une multitude de duchés, de comptés, de baronnies.
Le dessous des cartes. Ici vous voyez les duchés.
Chaque royaume possédera plusieurs duchés, eux-mêmes constitués de plusieurs comtés (qui sont en fait des provinces), et chaque comté possèdera ses baronnies, ses évêchés, ses cités. C'est dû au système politique de l'époque qu'est le féodalisme, et qui consiste en le fait que le Roi possède ses principaux vassaux, les ducs, qui eux-mêmes possèdent leurs propres vassaux, les comtes, qui eux-mêmes ont des barons, des évêques ou des bourgmestres juste sous eux.
Cette division a une énorme importance, car dans le jeu les principaux ennemis ne seront pas forcément les autres nations, ce seront vos sujets, qui vous apprécieront ou non, et qui en fonction se rebelleront de diverses manières, honorables ou non. Tout le monde essaie de tirer la couverture à soi, et évidemment à ce jeu-là, le but est évidemment d'être le plus fort, mais aussi de faire en sorte que les autres n'aient pas forcément envie de vous chercher noise.
Mais du coup, alors que vous vous moquerez de ce que pense de vous le petit baron perdu au fin fond de la cambrousse, vous prendre bien soin à ne pas froisser vos ducs. Car si ceux-ci se rebellent, vous devrez vous battre contre un pan entier du royaume.
Titres de fait et
de Jure
Il faut également distinguer les territoires de fait, et les territoires
de Jure
. C'est un peu compliqué, accrochez-vous.
Les territoires de fait sont ceux qui sont visible : tel comté ou telle baronnie paie ses impôts à la France, et ses sujets sont français. Bon, jusque là facile. Mais les territoires
de Jure
sont au contraire les territoires historiques, et tout le long du jeu ils ne bougent jamais.
Par exemple, le duché
de Jure
de Bourgogne est historiquement composés des provinces de truc, muche et machin. Truc et muche appartiennent de fait à la France (ils sont dans son territoire et paient des impôts à la France), mais la province machin appartient au Saint Empire. Le duc de Bourgogne est Français. Et comme justement il est français, le Roi de France a le droit de déclarer la guerre au Saint Empire, dans le but que son duc récupère machin, qui appartient
de Jure
au duché de Bourgogne.
Et d'ailleurs, il est possible de s'accaparer des titres. Par exemple, si le Saint Empire, au cours d'une guerre quelconque, récupère la province muche, il peut
usurper
le titre de duc de Bourgogne (dès que l'on possède 50% des territoires
de Jure
). Ainsi, l'Empereur devient duc de Bourgogne (titre qu'il distribuera ou non à quelqu'un d'autre, ou se le gardera), et l'ancien duc de Bourgogne français n'est plus que comte.
Devenir quelqu'un, c'est fun
Avant de commencer la partie donc, vous devrez choisir qui vous serez. Et vous pourrez jouer n'importe qui, du moment que vous êtes au moins comte, et donc propriétaire d'une province (car souvenez-vous, une province c'est un comté, et chacune possède au moins deux ou trois fiefs que sont les baronnies, les évêchés et les cités).
Le plus difficile est sans doute de jouer un grand dirigeant, par exemple roi de France, car vous aurez de nombreux ducs à gérer (sept ou huit). Comme je vous l'ai dit, vos plus grands ennemis sont ceux de l'intérieur, et donc il est moins dur de jouer une petite nation, comme la Castille (un seul duc) en pleine Reconquista, ou l'Écosse.
Vous incarnez donc quelqu'un de particulier, admettons le Roi de Castille. Vous avez un âge, des traits de caractères, des compétences. Vos vassaux ont une opinion sur vous pour tout un tas de raison et selon les caractères de chacun, par exemple les courageux n'aimeront pas trop les lâches et inversement, les cupides n'apprécieront pas les avares, etc. Il y a vraiment un côté jeu de rôle dans cette façon de jouer. Vous aurez une femme, et si ce n'est pas le cas alors vous aurez la possibilité de vous marier avec quelqu'un, avec qui vous espérez faire des héritiers. Votre héritier principal sera le personnage que vous jouerez alors lorsque votre personnage actuel mourra. Et votre ancien personnage sera alors votre père, enfin si tout se passe bien. Si vous n'avez pas d'héritier mâle, en fonction des lois qui régissent votre royaume et si elles laissent la possibilité aux femmes de gouverner par exemple, alors votre héritier sera une femme ou un cousin plus ou moins lointain. Mais attention : le but du jeu étant de perpétuer votre lignée et de l'amener vers la gloire et le prestige, si votre héritier n'est pas un membre de votre famille, alors la partie sera finie et perdue. Et ce même si d'autres bambins se baladent et de votre lignée. L'héritier doit à chaque fois être de votre famille.
Les autres sont usant par contre
L'intrigue est le principal moteur de Crusader Kings II, car tout le monde le fait. Vous devrez donc garder un œil sur les plus puissants qui ont une opinion négative sur vous, et les chouchouter, par exemple en leur confiant l'éducation de l'un de vos enfants, en leur accordant un titre honorifique, en les faisant devenir ministre, en leur offrant des cadeaux, voire en leur donnant parfois des terres qui vous appartiennent personnellement, et non à l'un de vos vassaux.
Néanmoins, si vous avez plusieurs leviers pour vous, ceux-ci ne sont pas infinis, et donc fatalement vous devrez choisir qui chouchouter et qui délaisser. Vos vassaux ne seront pas en reste, et ils auront plusieurs leviers aussi pour agir contre vous et vos intérêts. Tout d'abord et c'est le plus répandu, ils peuvent ouvertement créer une faction. C'est quelque chose d'officiel et connu de tout le monde, il faut voir cela comme une idée partagé ou non par d'autres : untel souhaiterait que l'on baisse les impôts, et ceux qui ne vous apprécieront pas particulièrement seront d'accord et se joindront à cette faction. Vous aurez la possibilité de voir qui fait partie de cette faction et le pourcentage de troupes dans le royaume que cela représente. Oui, parce que la faction qui regroupe 5% de vos armées, vous vous en fichez. Mais si un ou plusieurs ducs s'en mêlent et qu'ils regroupent à eux tous dans cette faction la moitié ou plus des effectifs de vos armées, là vous allez faire beaucoup plus attention à ce qui s'y manigance. Il y aura toujours plusieurs factions dans un royaume, et vous les garderez à l’œil, afin que s'ils deviennent importants vous en soudoierez certains membres les plus imposants.
Lorsqu'une faction réunit un nombre suffisant de partisans et de force armée, son leader vous enverra une lettre d'ultimatum. Soit nous acceptons, soit ce sera la guerre. Alors évidemment, baisser les impôts ce n'est pas trop grave en général, vous pourrez vous y faire, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Mais en général, la requête de la faction est plutôt "vous n'êtes pas l'héritier légitime de la couronne, c'est plutôt machin, donc soit vous abdiquez, soit ce sera la guerre". Dans ces cas-là, vous n'allez pas devenir simple comte juste parce qu'ils le demandent, n'est-ce pas ?
Alors c'est la guerre, et vos vassaux se rebellent en devenant indépendant le temps de cette guerre. Ils peuvent dès lors faire appel à tous les alliés qu'ils ont, y compris les puissances étrangères.
Si vous réussissez à mater la révolte, vos vassaux vous apprécieront d'autant plus : c'est que nous avons de la poigne et avons su gérer avec brio (en tout cas, le résultat et là). Les perdants de la guerre, et donc les anciens membres de la faction, eux, seront tous emprisonnés, attendant leur sort : l'exécution (très mal vu par tous vos sujets...), la libération (et tous vos sujets apprécieront votre clémence... Mais ça ne veut pas dire que la menace a pu être écartée, quiconque est emprisonné le vie très mal pendant des années), ou le paiement d'une rançon (fonction du statut social du prisonnier, un duc fait gagner plus qu'un simple baron), mais là le seul bénéfice sera l'argent, parce que pour le reste ça ne s'appelle pas de la clémence.
L'art de la guerre
Dans Crusader Kings II, la guerre est un outil diplomatique comme un autre, on peut affaiblir un adversaire ainsi, récupérer son territoire bien sûr, grappiller un peu sur son voisin...
Mais dans le jeu, il n'existe aucune armée permanente, vous avez un stock, qui se régénère petit à petit jusqu'à son maximum, et lorsque la guerre arrive, vous levez votre ost instantanément. Toutes les provinces fournissent alors leur stock de troupes, il y aura les armées de vos domaines personnels (vous paierez alors leur entretien), et celles de vos vassaux (qui paient l'entretien... Mais du coup, plus le temps passe, et plus ils finissent par détester ça ; sauf quand vous êtes le défenseur et non l'attaquant). Comme tous vos hommes sont éparpillés, vous faites comme vous pouvez : soit vous les réunissez pour constituer une grande armée, soit vous les envoyez déjà intercepter des armées plus petites ou faire le siège des provinces.
Les batailles se déroulent comme pour
Europe Universalis III
, pour ceux qui connaissent : les armées s'affrontent lorsqu'elles se trouvent dans la même province. À une différence prêt, c'est que les batailles sont un poil plus détaillées puisqu'elles se déroulent en plusieurs temps et qu'on peut décider les généraux qui mèneront le centre et les flancs (ça n'est pas compliqué, vous prenez les trois généraux ayant les meilleurs stats dans en compétences martiales, et ce sera bon). D'abord a lieue une phase de harcèlement, dans laquelle la cavalerie légère et les archers ont une place prépondérante ; puis vient le corps à corps, dans laquelle l'infanterie est dominante ; puis la phase de retraite/poursuite (selon que l'on gagne ou non).
Pour contrôler les provinces, il faut en faire le siège. Chaque province possédant toujours une réserve d'hommes (défenseurs de base + éventuels troupes encore en stock), il faut avoir une armée supérieure en nombre pour pouvoir en faire le siège. Et un siège, c'est long : cela peut durer des mois entiers, pendant lesquels vos troupes vous coûteront cher et seront immobiles. C'est en général un temps précieux pour le défenseur, qui l'utilise pour réapprovisionner les troupes perdues et éventuellement pencher la balance en leur faveur.
Il faut donc attendre, pour réussir le siège, que le moral des défenseurs se désagrège. Parfois, de petites fenêtres intempestives vous feront savoir que le moral ou le nombre varie, car des rumeurs sur un traître circule, ou qu'une sortie réussit ou non, ou lorsque des pillards attaquent le camp...
Lorsque le moral est au minimum, la province est prise... Enfin en partie. Car vous avez récupéré la capitale du comté, et il vous reste à prendre le reste : des baronnies, des cités, des églises fortifiées... En moyenne il y a trois ou quatre places à prendre avant d'occuper la totalité d'une province.
Chaque fois que vous remportez une bataille ou que vous contrôlez une province ennemie, vous gagnez quelques pour-cents dans le score de guerre, qui sera négatif si vous perdez, et positif si vous gagnez. Plus le score est élevé, plus la balance penche en la faveur de l'un des camps. Remportez une grande bataille, et le pourcentage bondira... Une petite escarmouche ne le fera en revanche pas beaucoup bouger.
Cependant, la nouveauté réside dans le fait que l'objet de la guerre influence aussi ce score avec le temps. Par exemple, si en tant que Roi de France j'ai déclaré la guerre au Saint Empire pour récupérer le comté de Provence, celui qui contrôle le comté voit son score grandir petit à petit avec le temps. Donc au début de la guerre dans cet exemple, le Saint Empire verra son score monter à 5% au bout de plusieurs mois juste pour posséder le comté. S'il passe sous ma coupe grâce à un siège réussi, ce score revient à 0% (plus ce que je gagne pour contrôler une province ennemie), puis montera peu à peu avec le temps. Cela peut augmenter jusqu'à parfois 25% ou plus au bout de quelques années de guerre, ce qui n'est pas négligeable. Vient alors un moment où l'on approche des 80%-90% de score de guerre, et où le perdant décide en général d'accepter la reddition et les conditions de paix du vainqueur. Ces conditions de paix, au contraire d'Europa Universalis III, ne sont pas personnalisables : on ne gagne que ce pour quoi on a fait la guerre, pas davantage. Si l'on est le défenseur, on gagne une réparation financière et du prestige pour avoir résisté.
Le prestige et la piété
Le prestige, on en gagne pour tout un tas de raison, d'abord par les titres que l'on possède (Roi notamment, duc, etc.), par les guerres que l'on gagne, par des évènements divers... Le but est d'en accumuler le plus possible. Il en va de même avec la piété : faire la guerre à des hérétiques, des païens ou des infidèles, convertir des provinces à sa religion, participer aux croisades, tout cela vous fait gagner en piété. Alors que le prestige vous confère des avantages d'opinion auprès de vos sujets et des autres personnages d'autres nations (et c'est toujours bon à prendre), la piété augmente vos relations avec tous les personnages des églises, que ce soient les évêques ou le pape lui-même. Et il faut toujours veiller à être en bon terme avec le pape, sans quoi le premier qui vous déteste peut lui demander de vous excommunier.
Lorsque votre personnage meurt, l'addition du prestige et de la piété donne un score de partie, dont le but du jeu est qu'il soit le plus haut possible. Vraiment ! C'est-à-dire que tout ce que vous faites est lié à cela : votre but dans Crusader Kings II est d'accumuler le plus de prestige et de piété afin d'avoir un énorme score de partie.
L'intrigue
Enfin, en tant que Roi, vous avez la possibilité d'intriguer contre nombre de personnages dans le jeu. Vous lancez une intrigue en général pour tuer quelqu'un, celui que vous voulez. Pour débloquer une tentative d'assassinat, il faut que le score d'intrigue (encore un !) soit supérieur à 100%, et pour cela, vous devrez faire appel à d'autres personnes. Tout le monde n'augmente pas ce score de la même façon : les petits courtisans n'ont pas beaucoup la possibilité d'atteindre les personnages, tandis que leurs seigneurs ont plus d'impact. Le mieux est d'acquérir à sa cause le maître espion de la personne, car qui est le mieux placé pour réussir un coup que celui chargé de les détecter ?
Mais il n'est pas toujours possible de réunir des personnes pour un complot, car cela change en fonction du caractère (est-il cupide et sans foi ni loi, ou loyal ?), de l'opinion envers nous ou l'autre, etc. Parfois il faut faire des cadeaux ou accorder des titres honorifiques afin de débloquer quelqu'un.
Lorsqu'un complot réussit, c'est toujours gratifiant, surtout quand cela sert nos intérêts, que ce soit pour récupérer des titres dont le seigneur n'a pas d'héritier, ou éliminer un duc gênant.
Conclusion
Crusader Kings II est un jeu réussi qui nous entraîne dans nombre d'heures d'intrigues, de complots et de guerres. Ce qui fait sa grande force fait tout de même un peu sa faiblesse : on doit se disputer constamment avec ses sujets, et presque chaque Roi se ramasse une révolte majeure à un moment ou un autre. C'est parfois fatiguant. Mais c'est aussi très agréable lorsque tout sourit. Et jouer sur une carte magnifique de l'Europe, que l'on modèle comme l'on peut avec les membres de sa lignée, fait que le tout est très réussi.
Il y a plusieurs extensions que je n'ai pas encore pu tester, je sais que l'un de ceux-là étend la période de 860 jusqu'à 1453, ce qui nous fait entrer dans l'ère des invasions vikings. Alléchant.