MARE NOSTRUM
Créer un jeu, comme toute autre création intellectuelle, ressemble à un accouchement. Certaines fois ça va passer comme une lettre à la poste mais il arrive qu'on ait droit à des heures de souffrance dans le sang et les matières fécales pour finir au forceps. Evidemment, on rêve tous de la première solution mais, il arrive parfois que ces épreuves si difficiles donnent naissance aux plus beaux bébés.
Opus major
Bon d'accord, j'exagère un peu (surtout le passage sur le sang et les matières fécales) mais vous aurez compris l'idée. Tous les bébés sont beaux pour leur parent, bien sur, mais certains vont rester leur chouchou, leur préféré, l'oeuvre de leur vie. Et bien, Mare Nostrum (MN) c'est le bébé chéri de son auteur , Serge Laget. Un fou qui a voulu condenser la subtentifique moelle du jeu de civilisation en deux pages de règles. Je ne sais pas si vous imaginez, juste deux pages pour simuler un empire, son commerce, ses armées, ses relations extérieures et ses merveilles culturelles. Le pari était audacieux mais M. Laget l'a fait. Il lui a fallu dix ans mais il l'a fait.
Toge, glaive et Amphore, Mare Nostrum pose le décor.
Ah la méditerranée ! Carrefour de trois continents et berceau de glorieuses civilisations. Le jeu nous propose justement de prendre la tête d'une des grandes nations méditerrannéennes qui a marqué l'époque antique (Rome, Carthage, Grèce, Egypte ou Babylone). Chacune avec les spécificités offertes par son leader.. Pour César des forteresses et des légions bon marché. Pour Hannibal, des légions d'élites. Périclès, lui, pourra compter sur ses trirèmes grecques à la fois puissantes et bon marché tandis que Cléopâtre bénéficiera d'un avantage économique. Enfin, le Babylonien Nabuchodonosor tirera, quant à lui, parti de son influence politique.
La criée des marchands, les chuchotements des diplomates et les cris de guerre des légionnaires.
Un tour se divise en trois phases complétementaires : commerce, politique (construction) et militaire. Lors de la phase commerce, les joueurs vont pouvoir s'échanger des cartes qui vont servir à construire bâtiments, armées, monuments ou héros au cours de la phase politique et enfin la phase militaire qui est consacré aux déplacements des troupes et à la confrontation.
Celui, qui dans son empire, a le plus de possessions relatives à une phase en devient le maître. Un statut qui lui accorde un privilège comme celui de choisir l'ordre du tour.
Exprimé ainsi, le jeu peut paraître basique mais ce qu'il faut comprendre c'est que chaque phase possède ses règles spécifiques à la fois sobres et retorses.
Il ressort de ces mécanismes l'un des points forts de Mare Nostrum, l'équilibre entre les différentes phases. Commerce, ''politique'' et militaire s'entremêlent et même s'il est possible dans privilégier une, il sera simplement impossible de se passer des deux autres sans se laisser rapidement distancer. A ce titre, MN est un digne représentant des jeux de civilisation qui, à la différence des jeux de conquête, ne laisse pas le combat prédominer sur la partie.
Sobriété et élégance
Comme souvent dans les jeux longuement travaillés, la simplicité et l'élégance des règles sont impressionnantes. Après seulement quelques tours, on est pris dans l'évidente mécanique du jeu. Les phases s'écoulent avec une fluidité déconcertante et, peu à peu, l'angoisse grandit. Faut-il faire confiance au pacifisme proclamé de notre voisin grec ou au contraire assurer en fortifiant ses positions quitte à laisser son ascendant commercial si durement acquis à la perfide Cléopâtre ?
Une partie de Mare Nostrum donne naissance à cette tension qui sont l'apanage des bons jeux de stratégie laissant au joueur suffisamment de ''bons choix'' pour faire naître le dilemme sans pour autant que le jeu ne devienne illisible.
Tout colosse a ses failles.
En effet, certains seront peut-être gênés par la faiblesse récurrente du joueur grec sans doute dû au contexte réaliste (
je vous renvoie sur le fameux article d'Ertaï sur le sujet
) mais ce défaut ne retire pas au jeu son plaisir. A ce problème d'ailleurs, des solutions plus ou moins complexes et élégantes existent sur le net. La plus simple étant encore de laisser cette place aux joueurs qui comme moi sont habitués aux défaites systématiques.
D'autres ne seront pas forcément emballés par la parte ''antique'' et la sobriété des illustrations que je trouve pourtant parfaitement dans le ton du jeu. D'autant que le reste du matériel, les dès et les pions en bois, est plutôt agréable.
Enfin, les plus tatillons regretteront une fin qui arrive un peu comme un cheveux sur la soupe. Se payer une quatrième et dernière carte monuments ou héros, on a déjà vu plus glamour comme victoire mais après tout, comme dans l'Odyssée d'Homère, le plus passionant dans l'histoire ce n'est pas l'arrivée mais bien le voyage.
EDIT
J'ais oublié une chose. Le jeu a eu droit à une extension. Elle rajoute un sixième joueur (les atlantes) et le bout de plateau qui va avec (''l'Espagne'' et le ''Maroc''. Elle inclue également au jeu une nouvelle phase, religieuse, qui permet de prendre le contrôle de créatures mythologiques (tiens ça me rappelle
quelque chose
...).
Vous l'aurez peut-être remarqué, je parle de cette extension au présent et pour cause. Si Mare Nostrum est épuisé depuis pas mal de temps déjà, l'extension est encore en vente chez Asmodée.
Personne n'a encore marqué son appréciation pour cet article. Soyez le premier !