Le soleil se lève sur la plaine. A perte de vue se dégage l'horizon, les montagnes s'élèvent si haut que seul les oiseaux sont capable de les voir. Un œil humain ne pourrait en déceler les aspérités qui pourtant donnent à ces pics cette beauté du détail que tout peintre voudrait pouvoir approcher. Les dessins de celles-ci ne pourront pourtant jamais capturer l'ambiance de calme et de force qu'elles peuvent dégager. Pourtant, c'est bien ce que Marie essayait de faire. Elle était là, assises sur un roc aussi sec que la terre autours d'elle. Seuls quelques brindilles portées par le vent lui rappelle que partout la vie trouve son chemin, entre chaque faille que la nature lui permet.
Elle trempe dans son pot de peinture noire le pinceau qui, en prolongement de son être, va lui permettre de représenter la magie qui l'entoure. Malgré cela le calme est partout, sauf dans son esprit. Il ne lui reste qu'une journée pour terminer son tableau, et pourtant, elle vient, encore une fois, de le recommencer. Ce contrat n'a pas de sens. On lui demande de dépeindre ces montagnes alors que, chaque jour, elles n'en sont que différentes. Ici, rien n'est stable, tout est toujours en perpétuelle mutation. Elle le sait, et c'est ce qui la bloque. Elle veut pouvoir livrer à son client, si énigmatique soit-il, une représentation fidèle de ce paysage mystique, et pourtant, elle a conscience de la difficulté, voir de l'impossibilité de cette perfection. Son tableau ne pourra qu'être un arrêt sur image, un point sur une ligne du temps qui, même si il traverse les années, ne sera que le reflet d'un moment, de ce moment, le sien. Elle redouble pourtant chaque jour d'effort, passant toujours de longues minutes avant d'aller se coucher à tenter de distinguer dans ses essais précédents les éléments d'une continuité. Mais le présent ne dure qu'un instant, et c'est alors non sans peine qu'elle s'endort en repensant au temps qu'elle pense avoir à nouveau perdu.
Dylan s'approche d'elle. Lentement, elle voit son 4x4 remuer la poussière sur sa gauche. Le vent, heureusement, ne vient par vers elle, et elle peut s'abstenir de protéger ses toiles. Elle lui avait pourtant demandé de rester à l'écart, au moins pour cette dernière journée. Goûter seule au calme du désert une dernière fois avant son retour dans la ville, sa ville, sa vie. Elle repense à elle, à ses hautes tours et aux souvenirs qu'elle y a partagé. Elle se rappelle cette nuit où, égarée dans les rues, elle s'est jurée qu'elle ne partirait plus avant d'avoir mentalement cartographié chaque recoin de chaque ruelle... elle ne veut plus se perdre, plus jamais. Mais déjà la voiture s'est rangée et une voix la sort de son souvenir.
- Alors ça avance ? Je suis venu t'apporter quelques bricoles que tu ne meurs pas de faim...
Il est gentil, mais ça ne suffit pas à l'excuser. Je pense qu'il ne comprend pas que j'ai besoin d'être en tête à tête avec le silence pour en faire sortir quelque chose.
Mais non, ça n'avance pas vraiment... ça n'arrête pas de bouger, je n'arrive pas à faire le point... J'ai juste envie qu'il s'en aille... Et il en rajoute...
- Je ne veux pas te déranger trop longtemps, je peux faire quelque chose de plus pour toi ?
- Non ça ira, ne te tracasse pas. Tu peux me laisser maintenant ?
Le regard déçu, Dylan ne peut que répondre qu'il est déjà en route. Mais elle sait qu'il est venu jusqu'ici pour qu'ils passent ensemble cette dernière journée. Marie s'en veut un peu, mais qu'importe, elle sait ce dont elle a besoin, et ce n'est ni de sa compagnie, ni de ces quelques « bricoles » qu'il a pu avoir, elle doit le reconnaître, la gentillesse de lui amener.
Dylan monte dans son 4x4, mais prend le temps de se rouler une cigarette. Si elle pense que je vais me soumettre à ses désirs. J'en ai moi aussi. Lorsque sa cigarette a fini d'être consumée, il prend son courage a deux mains et ressort, sûr de lui. Il se dirige vers Marie qui n'est qu'à quelques mètre de lui. Absorbée par son chevalet, on dirait qu'elle ne s'est même pas rendu compte qu'il n'avait jamais démarré.
Marie, il faut que je te parle, lui envois-t-il de son ton le plus décidé. Elle sursaute, lui demande bien de quoi. Son regard n'est pas noire, mais n'en est pas loin. L'estomac du jeune homme tiens à exprimer sa crainte. Il sent vibrer en lui les peurs qui l'accompagnent depuis toujours dans ces moments qu'il juge important. Alors poussé par une force qu'il a peine à définir, il se lance.
- Je ne veux pas que tu partes...
- Quoi ? Pourquoi me dis-tu ça ? Tu savais que ça ne durerai pas.
- Je sais, mais je ne peux pas m'y résigner.
A leur rencontre, elle l'avait prévenu qu'elle n'était ici que pour quelques mois, et qu'à la fin du temps qu'elle s'était imparti, elle rentrerait, quoiqu'il se serait passé, avec lui, ou avec le désert.