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Pendant la mort

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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


Pendant la mort

Pour la première fois de ma vie, j’étais heureux.
Si vous saviez… J’avais l’impression d’être né une seconde fois. Quelqu’un… Dieu peut-être ? m’avait fusillé d’une balle de morphine droit dans ma tête. Et j’étais heureux, que dois-je dire d’autre ?
La seule chose nette dont je me souvenais, c’était le son de cette balle. Quelqu’un m’avait tiré dessus, et j’en étais mort.
On dit que pendant la fraction de seconde juste avant de mourir, toute notre vie défile devant nos yeux. Hé bien, après la mort, j’avais plutôt l’impression qu’on l’oubliait vite fait. Tant mieux, remarquez. Je ne me souvenais pas très bien de la vie que je menais auparavant, mais j’avais cette sensation étrange, presque un instinct, que ce n’étais pas très agréable. Pas du tout même.
Mais je préférais l’oublier, cette vie, et me concentrer sur ce que j’avais alors autour de moi. Des hommes heureux, des femmes heureuses, des enfants heureux, tout le monde souriait et se plaisait à le faire. Et moi, je souriais avec eux. Auparavant, ça m’aurait sûrement tapé sur les nerfs. Peut-être à cause de la jalousie. Mais à présent, je n’avais plus raison de l’être, n’est-ce pas ?
Et, alors que je souriais comme un crétin, des souvenirs moins heureux commencèrent à affluer dans ma mémoire. Des souvenirs que j’avais oublié, et que j’aurais préféré oublier…

- Ho, bouffon ! s’exclama quelqu’un d’une voix rude.
Je me retournai, sachant toutefois le vision qui m’attendait.
Et malheureusement, je ne m’étais pas trompé. Doris et sa bande d’acolytes délinquants. Mon cœur se mit alors à battre sauvagement et la sensation très désagréable de la peur envahit mon corps. Un goût métallique envahit ma bouche.
Je sais que certaines personnes se sentent vivantes grâce à la peur. Moi, elle me rendait plutôt rigide, paralysé, et mon visage perdait de sa couleur. Un vrai cadavre se tenant debout.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demandais-je d’une petite voix craintive.
Ils rirent tous ensemble.
- A ton avis crétin ? répondit le chef de bande. Comme on savait pas quoi faire, on a décidé de venir te voir. Ça te pose un problème, p’tit Geignard ?
Et ça recommençait. Encore. Les petits coups, les insultes. L’Insulte : p’tit Geignard. Je haïssais ce surnom que l’on m’avait donné. On m’appelait de cette façon parce que je poussais des gémissements lorsque ce groupe de vautours repartait. Ils venaient quand ils avaient faim de souffrances, me bouffaient de l’intérieur, dévorant chaque parcelle de mon âme de leurs coups d’insultes acérés, et ne repartaient que lorsqu’ils étaient sûr que plus rien de moi ne subsistait.
Jusqu’au jour suivant.
L’un des garçons me poussa violemment et je me retrouvai par terre. Allongé sur le sol, protégeant mon corps de mes bras frêles, je jetai des coups d’œil vers les surveillants, les profs… Jamais de signes. Ils ne voyaient rien du tout, ou faisaient semblant de ne rien apercevoir. Ils me dégoûtaient d’une certaine façon, sans que je ne leur en veuille. Moi-même, je ne faisais rien fait pour remédier à ces situations.

Ha, finalement, j’arrivais à me souvenir de certaines choses. Pas des plus plaisantes, cependant, mais je doutais de toute façon avoir pu vivre un quelconque moment agréable.
Je ne sais pas combien de temps j’avais enduré cette souffrance. Quel âge avais-je alors lorsque cette balle avait frappé mon crâne ? La majorité, déjà ? Hé bien, peut-être bien que ça avait duré… cinq ou six ans. Probablement même que ça avait atteint la dizaine d’années. Je ne savais plus, je ne me souvenais plus de grand chose en fait. Simplement quelques moments par-ci par-là. Je préférais ne pas me rappeler ces choses.
Mais au fait, qui m’avait tiré dessus ?
A mes derniers instants de vie, je me voyais simplement debout. Quelqu’un était juste devant moi, presque collé à mon corps. Il me fixait droit dans les yeux avec un air déterminé qui me donnait un peu peur. Puis il avait tiré…
Bah ! Mieux valait s’occuper de la situation présente. Pourquoi se tracasser du passé ? Le bonheur était partout autour de moi. Il était en moi. Quel était ce lieu ? Le Paradis, sûrement. Les religions l’avaient vraiment bien décrites ! Car j’étais heureux, comme il était écrit dans les livres. Dans Le Livre, surtout, il fallait bien avouer que je ne connaissais pas les autres religions.
Je pouvais voir des gens que je ne connaissais que très peu. Mes grands-parents par exemple, morts pendant la deuxième guerre. Quelques parents éloignés et même Richard, le cousin de quatre ans, mort écrasé par une voiture. Ma mère m’avait raconté cette histoire.
Ma mère… De là où j’étais, je la voyais en bas qui pleurait. Des chaudes larmes coulaient sur ses joues et les maigres réconforts de mon père n’y changeaient rien. On m’a dit que la plus terrible des choses pour des parents, c’est de survivre à leurs enfants. C’était sans doute vrai.
Ma mère… Des souvenirs d’elle me revenaient en mémoire. Au fait, que devenait-elle à présent sans moi ? Et mon père ?

Et voilà, ils se disputaient encore… Classique. Après des années de mariage, on pouvait sentir qu’ils se connaissaient par cœur. Bon, ça ne voulait pas dire qu’ils allaient obligatoirement divorcer, n’est-ce pas ? Mes parents se portaient très bien ensemble et ça n’avait jamais changé, pas même lorsqu’ils se disputaient sévèrement, poussant des cris dans tous les sens (ce qui arrivait tout de même plusieurs fois au cours de la semaine).
Et moi, comme d’habitude, je pris le PC. Merveilleux outil que celui-ci. Avec Internet, il permettait d’oublier cette vie. C’était là un autre monde, un autre univers différent du réel, où il existait des êtres plus intelligents que soi, stupides aussi, mais en aucun cas ils ne pouvaient te taper dessus. Ils pouvaient t’insulter, c’était rare mais pas impossible. Mais bon, lorsque cela arrivait, il suffisait de ne plus parler avec eux, point barre. Pas d’expression cruelle, pas de poursuite dans la rue, pas d’humiliation.
Je regrettais presque de ne pas pouvoir vivre de ça. Qu’aurais-je donné pour une vie scotchée devant mon PC, discutant avec des amis d’Internet ! Dialoguer avec eux par l’intermédiaire d’un clavier et même, pourquoi ne pas se rencontrer dans la vie réelle ? Mais c’était impossible, évidemment. Comme à l’accoutumée, ce monde s’acharnait à me démontrer ô combien il n’était pas fait pour moi.
C’est ce moment que choisit ma mère pour interrompre le petit rêve éveillé que je vivais devant mon écran. Elle s’assit sur une chaise à côté du mien.
- Chéri, qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle. Tu es toujours fourré dans l’ordinateur. Tu dois faire tes devoirs !
- Pas le peine maman, répondis-je sans quitter les yeux de l’écran. J’ai pas de devoirs aujourd’hui.
- Même si tu n’as pas de devoirs, il y a toujours quelque chose à faire, dit-elle alors d’une voix sévère. Tu dois réviser les cours, faire des fiches de synthèse, et encore beaucoup de choses ! Arrête de passer ton temps devant l’ordinateur, c’est une véritable drogue.
- Mais maman…
- Il n’y a pas de mais ! Tu as vu tes résultats ? Tu dois davantage travailler ! Il faut que tu étudies pour avoir une excellente situation plus tard.
Je soupirai. Lentement, je me levai de mon siège sous le regard pesant de ma mère, je montai les escaliers et m’enfermai dans la chambre. Et là, au lieu de travailler, je me mis à lire. Et à dessiner aussi. C’était cent fois mieux. Etait-ce mal ? Si ça l’était, je ne me sentais coupable en aucune façon.

Toujours des souvenirs assez pénibles. Mes parents semblaient aussi aveugles que les profs à ce qui m’arrivait. J’étais vraiment malheureux. Non, ce n’était même pas le mot. J’étais plus que déprimé. J’avais l’impression que ma vue avait tellement baissé qu’elle ne voyait plus que des dégradés de noirs. Le monde était noir, obscur, c’était les ténèbres. N’était-ce pas là la description que l’on fait de l’enfer ? Même les démons étaient présent pour me torturer.
Mais c’était avant. A présent, le monde était multicolore. Les gens étaient heureux. Des anges tournaient autour de moi, virevoltant dans un monde où l’apesanteur n’existait pas, et je volais moi aussi. Où était Dieu dans tout ça ? Je voulais absolument le rencontrer pour le féliciter de son paradis. Et lui demander pourquoi, tout en bas, les êtres souffraient.
Je voulais aussi savoir : qui m’avait libéré de la vie ? Qui était donc cette ombre floue devant moi, qui me fixait droit dans les yeux sans ciller ? Qui avait cette mine farouche et déterminée lorsqu’il avait appuyé sur la détente ? Plus je tentais de m’en souvenir, et moins mes pensées devenaient confuses, plus elles devenaient nettes.
Je ne savais pas pourquoi, cette histoire de connaître le meurtrier m’obsédait. Il fallait que je sache, même si je ne le voulais pas. Une pulsion en moi faisait tout pour connaître la vérité, et je n’arrivais pas, malgré mes efforts, à la contenir. Elle dirigeait mes pensées et mes souvenirs vers ce point précis…

Il m’observait. Droit dans les yeux.
C’était toujours le cas. Je le fixais et il me fixait. Je pouvais tout voir de ses yeux, son iris bleu, quelques fragments de vert par-ci par-là. Son air déterminé me donnait un peu peur. Mais je me résolus à mourir de cette façon.
Et pourquoi pas ? Après tout, qu’est-ce que cela pouvait faire ?
Se résigner à mourir devant son propre meurtrier.
Fermer les yeux en attendant la détonation.
Le bruit très fort et pourtant lointain de l’arme à feu.
La douleur très courte mais intense, tel un ultime soupir de la vie qui avait voulu, dans les derniers instants où elle me tenait encore entre ses griffes, me redonner un dernier « au revoir » afin que je ne regrette rien en quittant ce monde.
La balle ne venait pas encore. Je rouvris les yeux afin de revoir une dernière fois mon visage. Le miroir face à moi ne me montrait qu’un visage farouche, presque hostile. J’appuyai sur la détente.



C’est alors que je m’étais réveillé en sueur. Mes draps étaient presque trempés. Ce n’était qu’un rêve, un misérable rêve. Je pensais être mort mais heureux, et tout n’était que mensonge.
Mais peut-être était-ce une prémonition ?
A présent, je me regarde dans la glace. Mon visage est farouche, déterminé. Les yeux bleus face à moi me font un peu peur mais pas tellement. Le canon de l’arme est pointé sur ma tempe. Je pense à ce que seront mes derniers instants.
Je me résignerai à mourir.
Je fermerai les yeux en attendant la détonation.
Le bruit très fort et lointain de l’arme à feu.
La douleur très courte mais intense, tel un ultime soupir de la vie.
On dit que pendant la dernière fraction de seconde avant notre mort, on voit sa vie défiler devant nos yeux. J’espère que ça sera le cas pour moi, afin ne pas oublier pourquoi je m’apprête à faire cela.
J’espère aussi que mon rêve sera vrai. Que je pourrai voler parmi les anges, les morts, et qu’un monde multicolore ne m’offrira que du bonheur. J’espère que mon rêve était réel.
Et si ça ne l’est pas, tant pis.
Mais d’abord, je commence par la première étape : je me résigne à mourir.
Je ferme les yeux en attendant la détonation…

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