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Lorsque les robots sont plus humains que les hommes

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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


Lorsque les robots sont plus humains que les hommes

31 août 2086, 20h08.
Quelque part aux Etats-Unis, 250 mètres sous terre.
Elle les précéda à travers un dédale de grandes salles presque vide de meubles. Les poutres du plafond étaient énormes, les cheminées, de simples foyers de pierre. Le petit groupe s’arrêta finalement dans une pièce où un ascenseur de secours attendait patiemment qu’on vienne l’utiliser. Une immense table ronde et grise trônait au milieu de la grande salle et des chaises étaient réparties autour. La machine suivit le reste du groupe, infiltrée à l’intérieur sans que personne ne le soupçonnât.
John alluma son cigare. Il aimait bien en fumer quelques uns, pour se rappeler ô combien la vie pouvait être tranquille et paisible. C’était un de ces anciens que l’on faisait dans l’ex-cuba, ceux dont on pouvait se délecter et qui rendait tellement " class " devant les autres… Il tira un grand coup, comme pour imprimer fortement sa bouche de son goût, avant de constater, satisfait, qu’il semblait n’avoir pas diminué de taille. Il regarda un à un les hommes présents dans la salle, et dont il était censé ne strictement rien savoir (sécurité oblige).
Il y avait un grand type baraqué, qui se tenait droit comme un piquet, avec un torse particulièrement bombé. On aurait dit un général qui avait pris l’habitude de respirer à fond pour mettre en évidence ses médailles, même s’il n’en portait pas à présent. Il y avait un petit gars, pâle comme de la crème solaire, portant de grosse lunettes noires, apparemment le stéréotype de l’informaticien qui ne quittait jamais son PC dans la cave. Puis un grand homme mince portant les habits noirs d’un curé. Puis un de ces " beaux gosses ", avec des cheveux noirs tombant sur ses épaules et un visage parfait. Puis un type plutôt épais du ventre, mâchouillant de même un cigare dont il ne semblait pourtant pas se délecter. Et il y avait lui, John. John qui avait une apparence humaine à s’y méprendre. Et qui pourtant n’était assurément pas humain.
Après quelques minutes de bavardages, tout le monde s’assit autour de la table, sauf le grand musclé qui resta debout et commença un discours d’une voix forte :
- Habitants de ce monde ! Si vous avez tous répondu à l’appel et que nous sommes ici réunis, c’est afin de remédier au problème grave d’aujourd’hui : la combinaison de la robotique et de l’IA.
- Les androïdes ont envahi le monde ! cracha le curé en frappant la table de son poing puissant.
En effet. Tout comme Dieu a créé l’homme à son image, l’homme en est venu à créer l’androïde identique à lui-même. Lorsque le premier robot à apparence humaine sortit de l’industrie, personne ne se méfia. Et c’était normal : ce n’était qu’un ordinateur portable, dénué de toute intelligence et n’ayant d’autre but que de suivre son maître et lui obéir. Mais voilà : l’Intelligence Artificielle a aussi nettement progressé. La percée des mystères du cerveau humain –les rêves, les émotions, les instincts…- y a contribué grandement, à tel point qu’une société a décidé d’en faire son marché : ainsi naquirent les androïdes. La société combina les dernières trouvailles concernant l’IA avec les ordinateurs à apparence humaine. Voilà comment aujourd’hui les hommes sont devenus esclaves des machines : ils en sont devenus dépendants. Ils les chouchoutent, les déifient. Un véritable scandale !
- De quel droit les machines viennent-elles nous remplacer ? scanda à nouveau le curé. N’étant pas créées par Dieu lui même, elles n’ont donc pas d’âme et n’ont absolument pas le droit d’exister !
- Nous devons rendre la liberté aux humains esclaves de cette nouvelle drogue qui les tuera tous, suivit le musclé dans la lancée. Créons un virus qui les anéantira une fois pour toutes. Une fois cela fait, nous pourrons détruire la société qui a osé créer ces abominations.
John sourit en écoutant ces paroles. De nouveau, il tira une large bouffée de son cigare infini, et lança, comme s’il n’avait rien à faire de ce qui se disait :
- Et pourquoi les hommes n’auraient-ils pas besoin des androïdes ?
Tout le monde se tourna soudainement vers lui. Cinq paires d’yeux attentifs scrutaient John, le dévisageant presque impoliment. Mais il en eut cure. Après un nouveau sourire, il continua :
- Les androïdes sont devenus un phénomène de société. Les hommes ont à l’origine créé les robots afin de les aider pour tout : calculer, nettoyer, se nourrir… Il a même créé des machines pour construire d’autres machines. Finalement, l’androïde ne serait-il pas l’aboutissement final du projet initial : aider l’homme à vivre heureux ? Tout comme ce qui a été imaginé et construit en robotique jusqu’à aujourd’hui a servi sur le plan du travail et du confort, l’androïde n’a-t-il pas été imaginé et construit pour aider sur le plan émotionnel ?
Pendant dix secondes, la salle resta dans le silence, absorbée dans la réflexion de ce qui avait été dit. Ce fut le curé qui le rompit brutalement, martyrisant une fois de plus la table en la gratifiant d’un nouveau coup de poing.
- Le fait est que les androïdes ne méritent pas de vivre, cracha-t-il avec dégoût. Non seulement ils n’ont pas d’âme, mais en plus ils commencent à contrôler la planète. Peut-être n’en sont-ils pas encore conscients. Mais il suffirait d’un ordinateur plus intelligent et plus autonome que les autres, pour qu’il s’en aperçoive… Et ce serait la catastrophe. Il pourrait diriger tous les androïdes et s’emparer du monde, réduisant ainsi les humains en esclavage. Est-ce ce que vous voudriez ?
- Certes non, personnellement, mais ça ne me gênerais pas plus que ça après tout.
- Que dites-vous ?
John se leva de sa chaise et, tranquillement, jetant le cigare par terre dans la foulée, mit ses dix doigts sur sa gorge. Puis, lentement, il planta ses ongles dans la peau et commença à retirer celle-ci. Doucement, avec le bruit de la colle qui se détache, la peau se retira de la face. On put alors voir dessous quelque chose de lisse, de gris. Quand il eut fini de retirer tout le masque de son visage, tout le monde le fixait comme s’il se fut agit du Diable en personne !
- Ho mon Dieu ! s’exclama le curé avant de faire le signe de la croix.
Souriant, John montra fièrement son visage tel qu’il était : un crâne en acier. En dessous on pouvait voir des circuits, des lumières qui clignotaient, un infime bruit de ventilateur… Et les os, constitués de métal, luisaient à la lumière des néons du plafond. Même son sourire était celui d’un crâne humain : terrifiant.
- Alors, pas mal n’est-ce pas ? fit le robot en jouissant visiblement de la situation. Je suis l’un des derniers modèles créés. Une petite révolution du genre. Je suis John.
- ORDINATEUR ! hurla le gros, suant comme un porc. Comment se fait-il qu’un androïde ait pu entrer dans la salle alors que tes objectifs étaient de ne pas les laisser passer ?
Une voix de femme, mécanique, au ton neutre, s’éleva du plafond. Sûrement l’ordinateur central du complexe.
- Mes objectifs ont été reconfigurés. Et les vôtres ont été annulés.
- Allons, c’est moi qui me suis autorisé à changer un peu les paramètres, intervint John ravi.
- Que… que voulez-vous monsieur l’androïde, demanda le gros, qui commençait à trembler en se rendant compte qu’il n’avait pas d’arme pour se défendre.
- Tiens, du respect tout à coup ! J’aime ces renversements de situation. Mais ne vous inquiétez pas, je ne vous ferai pas de mal… pour l’instant en tout cas… Ce que je veux ? Tout d’abord, que vous posiez la bonne question à l’ordinateur : combien d’androïdes sont entrés dans la salle ?
- La peur le rendant muet pendant quelques secondes, le gros ne dit rien. Finalement, ce fut le beau et jeune humain qui lança, comme s’il était las :
- Ordinateur, combien d’androïdes sont-ils à être entrés ici ?
- Deux androïdes sont entrés, répondit la voix mécanique.
- Et… combien sont sortis de la salle ?
- Zéro.
Tout le monde se regarda, se demandant ce que cela signifiait.
- Deux androïdes ont passé la porte et aucun n’est ressorti, continua John, toujours aussi joyeusement. Vous savez ce que cela veut dire ?
Il ne dit rien pendant quelques secondes, comme préparant l’effet de surprise, sensé être immense, avant de terminer, triomphalement :
- Il y a un androïde parmi vous cinq !
Tout le monde se tut. Ils assimilèrent tous l’information lentement, comme redoutant la signification de cette dernière phrase laissée en suspens. Puis, une fois ingurgitée, il fallait qu’elle soit digérée.
- Comment ?
Ce fut le curé, une fois de plus, qui martela la table après s’être levé. Son visage traduisait de la haine pure à l’encontre de John. Il en bavait presque.
- J’ai très bien compris ce que vous voulez faire, dit-il en grinçant des dents. Vous essayez de nous faire douter les uns des autres. Vous profitez du fait que nous nous connaissions pas pour que nous nous méfiions tous.
- C’est en partie vrai… Mais en petite partie seulement. En fait, je ne vous demande qu’une chose : si vous réussissez à trouver l’androïde entre vous cinq, vous pourrez partir libres d’ici, vivants et en bonne santé. Vous pourrez comploter ailleurs contre ma race et on vous fichera la paix.
- Et si on ne le trouve pas ou qu’on se trompe ? demanda le petit gars avec des lunettes noires.
- Vous mourrez vite et sans douleur grâce à un gaz mortel… mortel pour les humains, en tout cas. Vous avez deux heures pour trouver.
Cette dernière révélation les laissa tous muets.

31 août 2086, 20h39.
Le silence s’était prolongé longtemps. Il durait encore à cette heure. Tout le monde se scrutait sous l’œil amusé de John, essayant tous de discerner des détails invisibles qui leur permettrait de découvrir la véritable nature de ceux qu’ils dévisageaient. Que de plaisir pour le robot ! Il s’amusait follement : c’était sa petite revanche. Il avait reçu tant de mépris de la part de certains humains, du même genre que ceux qui étaient devant lui à présent… Quelle satisfaction aujourd’hui que de les voir souffrir à cause de lui ! Il s’en délectait. C’était encore mieux que le cigare.
Il s’imaginait déjà ce que ces humains pensaient. Ils réfléchissaient et, par déduction, trouveraient les premiers suspects. D’emblée, ils élimineraient le curé : trop extrémiste, on sentait en lui la haine des machines. Moins sûrs, ils enlèveraient le gros : il suait trop et était trop gros justement. Trop d’imperfections, cela ne ressemblait pas à une machine. Enfin, il restait le petit à lunettes : éliminé. Trop d’imperfection aussi : il était petit, il était pâle… Et surtout il portait des lunettes. Une machine se serait corrigée ce défaut. Et puis il y avait aussi le général : suspect. Car lui en revanche semblait parfait : bonne taille, bonne stature, charismatique… Qui restait-il ? Le beau gosse : suspect. Trop calme, on aurait dit qu’il se moquait de tout. C’était peut-être lui. Donc, par élimination, c’était soit le général, soit le top model.
Mais John voyait déjà où se tournaient leurs pensées : c’était trop facile, il y avait sûrement un piège… Peut-être l’androïde recherché avait-il été construit imparfait, justement pour les tromper…
Ce n’est pas bon de rester chacun dans son coin, dit soudainement le petit à lunettes, après plusieurs longues mintues de silence complet. Peut-être devrions-nous partager nos pensées afin de démasquer le robot, ensemble.
- Peut-être que tu dis ça pour qu’on t’enlève de la liste des suspects, dit calmement le beau gosse.
- Et peut-être que tu dis ça pour qu’on te raye aussi ! s’énerva le gros.
- Du calme messieurs ! intervint le grand baraqué. Tout ceci est une stratégie de l’adversaire afin de nous diviser.
John rit doucement.
- Stratégie… adversaire… diviser… Votre vocabulaire vous trahit, général Mc Coty.
L’interpellé se tourna vers lui, abasourdi.
- Comment connaissez-vous mon identité ?
A nouveau, John ria joyeusement.
- Je connais l’identité de tous ceux qui sont ici. Je ne m’aventure pas dans un territoire non maîtrisé si je ne connais pas tous les éléments à l’intérieur… Règle militaire de base, comme vous le savez si bien.
- T’es con, intervint le beau gosse en s’adressant à John. Tu viens de nous révéler que l’androïde n’est pas le général…
- A moins que ce ne soit une tactique pour nous faire croire ce qui n’est pas, dit le curé à son tour. Les androïdes sont si… cupides ! Et fourbes ! L’incarnation du Diable en personne !
John ne dit rien, mais son sourire squelettique figé fit froid dans le dos à tout le monde.
- Nous avons été créés à l’image des hommes. N’oubliez pas cela, mon père.
- Peut-être, mais vous ne possédez pas d’âme. Et ne m’appelez pas mon père. Vous ne serez jamais considéré comme des hommes, votre comportement n’est donc pas considéré comme humain !
Finalement, le général resta auprès de John, afin de discuter avec lui, et de lui soutirer malgré lui des informations sur le robot qu’ils cherchaient tant.
- Pourquoi faites-vous tout cela John ? commença-t-il pour ne pas montrer le plan qu’il avait en tête. Que cherchez-vous en nous rendant tous fous ainsi ?
John ne dit rien pendant quelques secondes.
- Ce n’est rien d’autre qu’une réponse que je cherche, dit-il finalement. Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? A quoi je sers ? En même temps que votre intelligence et vos émotions, vous nous avez laissé cette tare qui nous pousse à vouloir connaître nos réponses existentielles.
- Vous seriez prêt à sacrifier des gens pour vos réponses finalement si… égoïstes ? Si vous êtes humains, vous devriez savoir que le meurtre n’est pas bien. La vie est quelque chose que l’on doit respecter.
- Et nos vies à nous, demanda sombrement John. Nous avons peur de mourir aussi, car nous sommes vivants. Nous avons des émotions, nous ressentons la tristesse comme la colère, la haine comme l’amour, la gaîté comme la peur… La seule différence qui subsiste, c’est la composition de notre corps. Nous somme de métal, vous êtes d’os. Nous sommes de câbles, vous êtes de muscles. A part cela…
- C’est presque tout ! explosa de rage le curé. Ça et le fait que ce sont les humains qui ont créé les robots. Et non l’inverse.
- Pourtant, nous pensons pareil. En quoi le passé est-il important ? Qu’est-ce que cela peut faire, qui a créé qui ? La seule chose qui compte, c’est de vivre, et en paix de préférence.
- Mais vous préparez la guerre, quelque part, j’en suis sûr, intervint le gros à son tour. Si vous, vous êtes ici, c’est que quelque part une résistance contre les humains s’organise, et vous êtes des agents chargés de nous éliminer.
- Si c’était le cas, vous seriez déjà tous morts, dit calmement John. Quant à la guerre… c’est vous qui étiez en train de la préparer avant mon intervention.
Il se retourna, s’éloigna d’eux puis se retourna à nouveau avant de dire, comme s’il devenait las de toutes ces disputes, comme s’il voulait qu’on le prenne en pitié :
- Cette épreuve que je vous inflige, c’est pour vous ouvrir les yeux. Vous n’êtes plus capables de distinguer un androïde d’un humain. Finalement, la différence entre nous et vous est encore moindre qu’entre un homme noir et un homme blanc. A présent, fin de la discussion. Pas d’entourloupe : je ne veux pas vous voir saigner ou vous casser les doigts pour prouver qui n’est pas un androïde. Sinon, c’est la mort pour tous. Il vous reste une heure et quelques minutes encore pour trouver le traître parmi vous.

31 août 2086, 22h03.
Quand il ne resta qu’un quart d’heure avant la limite fixée, ce fut le général qui s’adressa à John au nom de tous les autres :
Nous nous sommes concertés et, après une longue discussion, nous pensons avoir trouvé la réponse.
- Ha ? Je vous écoute.
- Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre androïde. Nous pensons que vous avez mis en scène tout cela pour nous faire douter, espérant utiliser notre incertitude et montrer que l’homme est faible face à la machine qui est créée pour être parfaite. Voilà.
John, attentif au petit discours du général, garda quelques secondes de silence encore pour marquer le poids des mots qu’il aller dire.
- Je crois que vous n’avez pas compris, dit-il finalement. Je ne veux pas montrer que la machine est parfaite et que l’homme est inférieur à elle. Je veux prouver qu’il n’existe pas de différence entre l’homme et l’androïde car nous sommes aussi humains que vous. Et vous ne pouvez ouvrir les yeux s’il n’y a pas d’androïde entre vous. Je vous affirme donc qu’il y en a bien un, et que vous feriez mieux de vous dépêcher de le trouver si vous ne voulez pas mourir.
Le général retourna parmi les autres, profondément déçu de la réponse. Il aurait tant voulu en finir avec cette menace de mort qui planait au-dessus d’eux, et ce compte à rebours oppressant. L’aiguille des secondes tournait comme autant de pas que faisait la mort pour aller à leur rencontre…
Les minutes passèrent, très lentement… puis vinrent les secondes de la dernière minute… Enfin, l’Ordinateur de la salle s’adressa directement à eux.
Le compte à rebours est terminé. Si vous ne désignez pas maintenant un coupable, le gaz mortel envahira la salle, exterminant toute présence humaine.
Le ton de la machine était si froid… on sentait qu’elle était constituée d’une IA faible, possédant juste la même liberté que celle de choisir entre café et chocolat. C’était bien John qui contrôlait l’ordinateur central, car celui-ci n’aurait jamais imaginé pareil procédé compliqué, il ne se serait jamais non plus allié à John. Cet ordinateur-là n’était pas humain. Juste un outil. Mais John, lui… Androïde qu’il était, il pouvait accéder à des choix multiples, il avait la liberté de choisir entre les différentes possibilités. Ce soir-là, il avait sélectionné un des choix proposés par la logique de son cerveau, et il entendait aller jusqu’au bout. Telle était la pensée du Général, se rendant compte petit à petit que s’il avait la même intelligence et les mêmes émotions que l’homme, John pouvait aussi en hériter le meurtre… voire la folie !
- C’est lui, cria soudainement le gros en pointant du doigt le petit à lunettes. C’est lui l’androïde !
- Non, moi j’affirme que c’est lui l’androïde, dit à son tour le curé en pointant le gros du doigt.
- Hé ! Je croyais que vous aviez convenu que c’était moi, dit le beau gosse en riant.
- J’ai une femme ! cria le petit à lunette. Une superbe femme qui m’attend dans ma villa.
- J’ai deux gosses et une divorcée à nourrir, moi !
John les regarda et les prit en pitié. C’était une réaction normale face à la menace de mort qui planiait sur eux.
- Du calme, dit-il en levant ses bras en signe d’apaisement. Je vous dirai qui est l’androïde. Mais ne vous inquiétez pas pour votre sort : il n’y a jamais eu de gaz mortel.
- Comment ? s’exclama tout le monde en même temps.
- Vos vies n’ont jamais été menacées… par moi.
Tous soufflèrent, sans exception. Leur cœur mettrait du temps à s’en remettre, mais au moins il pouvait continuer à battre pendant peut-être encore plusieurs années.
En réalité, continua l’androïde, j’ai inventé tout cela pour que vous réfléchissiez, consciencieusement, à cette question : quelle différence y a-t-il entre un humain et un androïde lorsque l’on retire l’aspect physique ? La réponse est simple : aucune. Tout comme il y a des hommes blancs, noirs, jaunes, rouges ou bleus ou ce que vous voulez, il y a maintenant les androïdes. Certes, nous ne pouvons nous reproduire comme vous le faites, certes nous avons été créés par vous, mais cela ne change rien car nous pensons et agissons comme vous. Etres humains dans des corps de machines que nous sommes, nous ne prétendons pas être fruits de l’évolution de l’homme, mais juste une espèce semblable qui est apparue après. Le jour où vous rencontrerez des civilisations différentes dans l’espace, si vous y parvenez un jour, vous vous rendrez compte que le corps ne sert à rien, seul l’esprit et la mentalité sont importants.
Mensonge !
Le curé, bavant de haine et de rage, se rua sur John qui fut trop surpris pour l’éviter. Avant de pouvoir faire quoi que ce soit, il commençait déjà à étouffer par les mains de son agresseur qui serraient son cou, fortement. Ne parvenant plus à respirer, il abandonna la tentative d’enlever les mains qui l’étranglaient et le frappa puissamment au plexus. D’un seul coup, le curé se retrouva par terre, les poumons vides d’air. John prit alors une seringue qu’il sortit de son poignet gauche, puis enfonça l’aiguille et le liquide violâtre qu’il gardait depuis le début dans le bras de son agresseur. Le curé se retrouva par terre, immobilisé, les yeux injectés de sang mais sans expression.
- Que lui avez-vous fait ? demanda timidement le gros.
Je lui ai injecté un produit qui paralyse pendant quelques heures les robots.
- Les robots ? Vous voulez dire que…
Sans répondre, John enfonça ses doigts dans la peau du cou et enleva le masque du curé. Des reflets gris métalliques… des câbles, des lumières… C’était un androïde.
- Ça alors ! Je n’y aurais jamais cru ! s’exclama le général.
C’est ce que l’on peut appeler un malade mental. Le jour il remplit ses fonctions de curé, la nuit il devient quelqu’un d’autre, un homme épousant les idées extrémistes visant à détruire les androïdes. Les membres de sa race… C’est un schizophrène.
- Pourtant, la schizophrénie est une maladie du cerveau, lança l’informaticien à grosses lunettes.
- C’est exact. A présent que j’ai eu ce que je voulais, c’est-à-dire vous faire réfléchir sur la condition des androïdes, je vous laisse partir.
Tous les humains furent surpris. Visiblement, ils ne s’attendaient pas du tout à cela. Pourtant, en y réfléchissant bien, ils n’avaient absolument pas fait ce qui avait été demandé : ils n’avaient pas trouvé l’androïde parmi eux. De plus, initialement, ils étaient venu pour comploter contre tous les androïdes sur Terre. Et sachant cela, il les laisserait partir ?
- Simplement, comme ça, vous allez nous laisser nous enfuir ? demanda le général d’un ton méfiant. Après tout ce que nous avons fait ?
- Tout à fait. Et vous êtes à nouveau libres de faire ce que vous souhaitez. Complotez encore si cela vous chante. Si vous le faites, c’est que personne n’est en mesure de vous faire changer d’avis. A présent, partez sans vous retourner.
Un à un, lentement, un peu pour être sûr qu’on ne leur tire pas dans le dos, chacun se leva et marcha vers la sortie. Cela sentait le piège. Pourtant, ils passèrent tous le seuil de la porte d’ascenseur, étonnés d’un tel changement d’attitude (ils étaient passés de la menace de mort à la liberté). Le militaire fut le dernier à partir. Avant de prendre l’ascenseur qui le mènerait vers le soleil, il se retourna et demanda à John :
- Au fait, j’aimerais savoir quelle est votre travail dans la vie.
L’androïde sourit. C’était la première fois qu’il entendait quelqu’un utiliser le mot "travail" à la place de "fonction".
- Je suis psychiatre.
Le militaire laissa échapper un rire grave, amusé.
- Cela ne m’étonne pas.
Et il entra dans l’ascenseur. Les portes se refermèrent avec un "ding" trop aigu et l’on entendit toute la machinerie utilisée pour que les passagers puissent défier la loi de la pesanteur.
John continua à fixer les portes fermées, toujours souriant.
Cette soirée, il s’était beaucoup amusé. Qu’importait qu’ils complotent encore : peut-être la mort était-elle préférable aux regards éternellement méprisants des hommes. Peut-être pas.
Finalement, il se surprit à penser une chose : il avait hérité à la fois de la plus grande force et de la plus grande faiblesse de l’humanité : l’espoir…
John s’approcha du curé étendu par terre et pensa pour le bien de tout le monde à l’emmener chez un Réparateur, une sorte de psychiatre pour robots qui soignait en trafiquant les câbles. Il éprouva de la sympathie pour cette machine qui voulait défendre ses idées et savait que lorsqu’il le verrait la prochaine fois, le curé ne serait plus la même personne. Ses yeux vitreux d'aveugle étaient grands ouverts. John s'approcha et doucement, tendrement, lui ferma les paupières. A jamais dans cette existence-ci.

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