C'est lors d'une discussion animée avec un auteur que nous évoquames ce point tout à fait primordial des histoires que nous cherchons à écrire. Est-il possible de tout faire ? Peut-on terminer ses histoires sur un fond apocalyptique ou doit-on pour ne pas froisser les lecteurs arranger un peu les angles à la fin, sans pour autant faire une "happy end" qui ne trouve plus, de toute facon, de public ?
Pour notre cas, la discussion portait sur le corps du récit et la volonté d'écrire une fiction qui raconte un évenement tragique, et sujet à méditation. L'objet de la fiction est tel que l'on se doit d'être très prudent si l'on veut que le lecteur saisisse le sens que l'on veut réellement donner au récit.
Mais malgré tout, la tentation est grande de faire en sorte que malgré tout ce qui se passe, finalement, tout ne se termine pas si mal. C'est un paradoxe : plus l'on s'évertue à décrire des catastrophes, à la dimension du personnage ou de sa tribu ou même de la planète et de l'univers, et plus on est tenté d'ajouter un contrepoids à l'histoire : tout n'est pas si négatif finalement. Si la catastrophe se déroule à l'echelle humaine, les survivants vont se serrer les coudes. Il y aura toujours un élement qui redonnera au lecteur un peu d'espoir. On trouve très fréquemment ce genre de scènes dans les films catastrophe hollywoodiens, ce qui participe à leur retirer de leur interêt finalement.
D'une autre manière et dans un autre registre, il est difficile de faire un héros qui échoue lamentablement sa quête à la fin. Si vous prennez par exemple les fictions policières télévisées, il est de mise que quoi qu'il se passe, la scène de fin verra s'affronter le regard du représentant de l'ordre qui voit le fautif arrêté et écroué. C'est tellement courant que ce type de scénario devient extrêmement prévisible : en commencant l'histoire, on est pratiquement certain du dénouement de celle-ci. Tout l'interet réside donc à faire un corps de récit qui se tient si l'on veut que l'histoire trouve un public. Dans le même ordre d'idée, vous ne verrez jamais une histoire se terminer sans que le héros ait résolu l'enquête.
Tout est ici histoire de codes. Si le policier attrape le bandit et reste en vie, c'est parce que l'histoire verra d'autres épisodes ensuite, et que l'on a besoin de garder son héros en vie. S'il se montre toujours plus rusé, c'est parce qu'il représente le bien, et que instinctivement le lecteur s'identifiera à lui. C'est d'ailleurs l'un des buts des fictions policières.
D'une manière plus générale, les lecteurs n'aiment pas les histoires qui finissent mal. Ainsi, vous avez des interdits : vous ne pouvez pas vous permettre de tuer l'un de vos personnages charismatiques, parce que le lecteur s'identifie à celui-ci. Un exemple que j'ai en tête me vient du manga Kenshin. Lorsque l'auteur décide de sacrifier l'un de ses personnages féminins les plus appréciés du public, il joue avec leurs nerfs, il en est d'ailleurs conscients puisque son entourage le supplie de ne pas le faire. Mais il représente la scène quand même. Il reçoit alors une multitude de lettres l'accusant, l'insultant même. Il a commis l'irréparrable. Peu de temps après, il décide de la faire revivre par un subterfuge. Ceci montre à quel point il est difficile de faire des histoires qui se finissent mal.
Attention : je ne suis pas en train d'essayer de vous convaincre de transformer vos personnages en perdants, ni non plus de faire mourir ses compagnons dans d'atroces souffrances et que de toute facon, on va tous mourir. Non, surtout pas. Mais les réactions du public témoignent d'une habitude à la "happy end / fin heureuse". Ce sont ces codes bousculés qui choquent, pas vraiment l'acte en lui-même. Ainsi, si il y a vraiment nécessité pour le récit à mettre en scène une mort, pourquoi ne pas le faire ?
L'exemple de Kenshin n'est pas en soi un bon exemple parce que la mort d'une héroïne n'est commandée que par l'envie de réveiller le lectorat. A force de combats qui voient tout le temps gagner le héros, contre toute adversité, il naît un sentiment d'invincibilité. On suit les aventures parce qu'elles sont plaisantes, mais tout en sachant que le héros ne mourra pas, et ses compagnons non plus, pourquoi ? Parce qu'ils sont les héros du récit. En instillant la mort parmi ceux-ci, il ne cherche qu'à montrer que les combats auquels se livrent ses héros sont mortellement dangereux, et que ceux-ci n'ont pas cause gagnée parce qu'ils sont du bon coté. La mort d'un des leurs anéantit la lassitude qui aurait pu gagner. Elle n'est donc pas élement de scénario mais subterfuge. Certains abusent même du procédé : qui n'a pas vu un épisode se terminer sur la mort du héros, dans des circonstances troublantes ? Et l'épisode suivant le voir sur pied, pour suivre de nouvelles aventures... La mort n'est pas élement de scénario, mais de suspens, puisque l'on sait que l'auteur ne peut pas décement terminer son histoire comme ceci. C'est un procédé qui perd son impact très rapidement.
L'un des exemples les plus forts concernant les interdits nous vient de Denis Bajram. Quand celui-ci commence sa BD Universal War One, il sait que son histoire fera 6 volumes et connaît déja les élements constitutifs de son histoire, puisqu'il suit le déroulement de l'ancien testament. Mais son quatrième tome se termine d'une manière telle qu'elle laisse le lecteur pantois de stupeur : malgré ses héros qui feront tout leur possible pour déjouer leurs plans, les CIC détruisent la Terre, et les héros dans le même temps. Le livre se termine sur ces images de destruction.
Il y a plusieurs choses qui amènent la stupéfaction : d'abord le fait que les héros échouent alors que le rythme lent de l'histoire ne laissait absolument pas la moindre chance au complot. Ensuite : la Terre. Même si la littérature foisonne d'histoires ou les "méchants" désirent s'en prendre à ce que nous avons de plus sacré, il se trouve toujours quelqu'un pour empêcher les faits de se produire. Inconsciemment, nous souhaitons la "happy end". Nous souhaitons que ce soient les gentils qui gagnent, surtout si les méchants sont ...méchants !
Ici, l'espoir (pour les épisodes suivants) n'est pas amené par l'histoire en elle-même, mais par un procédé bien plus ingénieux : Lorsque vous racontez la fin de l'histoire avant de commencer, vous décuplez le suspens parce que le lecteur ne se demande plus seulement "que va t-il se passer" mais aussi "comment vont-ils en arriver à ce point de l'histoire ?" Et Bajram trame son histoire SF sur l'ancien testament et sur le déluge. Connaissant tous l'analogie, nous pouvons donc malgré tout garder espoir... et attendre le tome suivant avec impatience. Mais Bajram réussira ceci sans édulcorer quoi que ce soit dans son scénario, ce qui est particulièrement ingénieux.
Pourtant, Bajram a longtemps hésité avant de passer à l'acte. Pas tant pour le sacrilège de dessiner l'innomable, mais parce que lorsqu'il dessine ses planches, il voit comme tout le monde les avions du 11 septembre 2001. Lui même est en train de dessiner la fin du monde qui prend sa source à New York, dans le même lieu. Comprenez sa propre stupéfaction !
Malgré tout, il le fera quand même. Les faits du 11 septembre ne sont-ils pas la pour nous rappeler que la réalité ne correspond pas forcément à ce que nous voudrions voir dessiné ? Montrer la barbarie crue d'un tel acte n'est pas en quelque sorte le dénoncer ? Si Bajram avait édulcoré son histoire, elle aurait certes perdu de son intérêt, et de sa force.
Nous en revenons à ce que nous disions au départ. Lorsque nous nous empêchons de conclure nos histoires négatives d'une manière négative parce que les codes font que les histoires doivent se terminer d'une manière positive, nous prennons le risque de travestir le message que nous souhaitons faire passer. Les habitudes hollywoodiennes qui font qu'un héros sauvera forcement le monde s'il en a prit la décision nous conditionnent à penser que l'histoire ne peut que bien se terminer, quoi qu'il arrive. Si nous ne le faisons pas, nous augmentons la force du message mais prennons le risque de froisser le lecteur.
Ivaldir
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