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Le mystère Gardel

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Le Bashar



Source de sable intarissable


Le mystère Gardel

Elle les précéda à travers un dédale de grandes salles presque vide de meuble. Les poutres du plafond étaient énormes, les cheminées, de simples foyers de pierre. La guide s’immobilisa enfin devant un grand porche et annonça d’une voix forte :
- La visite est terminée, nous venons de traverser les toutes premières salles du château, qui furent construites au 13ème siècle, vous pouvez voir qu’à cette époque le seul moyen de se chauffer était très rudimentaire et peu efficace. Ces salles ont pu traverser le temps dans ce parfait état de conservation grâce à la protection de leur Gardel, bien que nous ignorons tous ce qui rend ce lieu important au point qu’un tel gardien s’en occupe. Pour la sortie veuillez emprunter les passages souterrains s’il vous plaît.
La petite troupe de visiteurs s’égaya petit à petit en se dirigeant vers le souterrain d’évacuation, l’évocation du Gardel était sur toutes les langues et avait pris proportionnellement plus d’importance dans l’esprit des visiteurs que l’objet de la visite lui-même.
« Tu te rends compte ?! dire qu’un Gardel s’est peut-être déplacé ici même où je me trouve »
« Un Gardel ? vraiment ? vous y croyez vous à ces superstitions ? je n’en ai jamais vu et je ne crois pas que ça se produira jamais... Un Gardel, vraiment !... »
« Ne parlez pas si fort, si un Gardel protège ce lieu, il est peut-être ici en ce moment même »
La guide n’écoutait que d’une oreille les discussions feutrées, une seule année à ce poste lui avait déjà suffit à se blaser de l’effet du dernier commentaire de la visite. Elle n’avait jamais vu de Gardel, bien sûr, elle savait ce que c’était mais qui pouvait l’ignorer ? Nul ne pouvait plus dire exactement en quelle année on se trouvait. Le 13ème siècle était dans un lointain passé, c’était une certitude, mais combien de temps s’était écoulé depuis, nul ne le savait. A moins que les Gardels, eux, le savent ? Elle suivit les derniers retardataires et effectua machinalement les gestes de fermetures du chemin de l’exposition. Penser aux Gardels ne menait jamais bien loin. Elle se souvenait la première fois qu’elle en avait entendu parler, c’était peu après qu’elle était entrée dans sa première école.
Les Gardels protègent l’humanité de ses vicissitudes. Grâce à eux nous sommes protégés du véritable Mal. Ils ne s’occupent pas de tous les maux, mais sans eux l’humanité ne serait plus.
Evidemment ce n’était pas en ces termes exacts que l’enseignante s’était adressée à des enfants de 5 ans, mais la teneur du message pouvait se résumer ainsi. Elle se souvenait aussi de l’illustration qu’il y avait au tableau : une forme de lumière de grande taille se trouvait au milieu d’une tempête tropicale, et tout autour d’elle le calme régnait, protégeant les quelques misérables maisons qui se trouvaient là. Cette image avait frappé son esprit, elle s’était demandé à l’époque pourquoi une telle créature avait protégé une village aussi insignifiant. C’était tout le mystère des Gardels, nul ne pouvait jamais savoir où l’un d’entre eux interviendrait, ni pourquoi ils ne se montraient pas dans certaines situations catastrophiques. Le mystère des Gardels.

Le jeune homme se dirigea vers son bar habituel en sortant de son travail. Ce bar lui était presque plus intime que son propre logement. C’était là qu’il venait discuter de tout et de rien en sortant du boulot, disputer quelques parties de billard avec les habitués, tenter la séduction sur une deux filles de passage, l’essentiel de sa vie se trouvait ici. Ce soir-là il remarqua immédiatement la jeune femme au bar qui était habillée avec une sorte d’uniforme en tailleur. Ce n’était pas un uniforme de police, ni de services de secours, en fait il ne l’avait jamais vu, mais la femme était suffisamment mignonne et seule pour que ce mystère passe en second plan.
- Je peux vous offrir un verre ?
- J’en ai déjà un, merci.
- Oh mais je ne vous impose pas ma présence pour autant. Si vous restez suffisamment pour finir ce verre là, vous n’aurez qu’à un demander un autre à Jack de ma part.
L’homme prit sa commande et se dirigea vers une table au fond du bar où se trouvait quelques personnes attablées.
Brillant début... pensa-t-il. Les gens de nos jours ne savent plus profiter des choses simples de la vie. Ils ne discutent plus, se méfient de tout, et prennent tout beaucoup trop au sérieux. C’est dommage.
Là s’arrêtèrent ses réflexions car il était parvenu à la table de ses amis et il pensa rapidement à autre chose, d’autant plus que la dernière place disponible était dos au bar et il ne vit plus la jolie femme en uniforme, ce qui contribua pour une bonne part à la faire sortir de ses pensées. Un peu plus tard, alors qu’il ne restait plus que lui seul à sa table, une personne le frôla en passant et s’assit en face de lui.
- Merci pour le verre.
C’était la jeune femme à l’uniforme.
- Je vous en prie, ce n’est rien.
Le silence dura quelques instant puis il lui demanda :
- Je peux vous poser une question personnelle ?
- Vous pouvez toujours essayer.
- A quoi pensiez-vous tout à l’heure, lorsque vous étiez accoudée au bar ?
Elle fit un petit sourire énigmatique et porta son verre a ses lèvre avant de répondre :
- Ca va peut-être vous paraître absurde, mais je pensais aux Gardels.
- Vraiment ?
- Oui. Je n’en ai jamais vu, j’ai toujours cru qu’ils étaient beaux mais je l’ignore finalement. Croyiez-vous qu’ils existent vraiment ?
Elle a l’air sérieuse. Les Gardels ? drôle d’idée... Je crois bien que je n’y ai jamais réfléchi.
- Je ne sais pas. Je crois que je les ai toujours vu comme une sorte de « Dieu » d’une religion quelconque. Une présence qui rassure alors qu’elle est diffuse au possible. Je trouve ça étrange qu’on puisse se rassurer avec quelque chose d’aussi abstrait et impalpable.
Pourquoi sourit-elle ainsi ? Elle se moque de moi ?
- Je suis étonnée de trouver un homme capable de se lancer dans une conversation à bâton rompus sur les Gardels dans un tel endroit.
Ha bon, ça me rassure...
- Et pourquoi donc ? Que vous attendiez-vous à trouver dans un petit bar ?
- Je ne sais pas trop... des petites gens ordinaires, avec des soucis ordinaires et des discussions ordinaires. Je ne viens pas souvent dans ce genre d’endroit.
- Ainsi donc je suis un « petit gens ordinaire » ?
Elle sourit à sa remarque mais répondit tout de même :
- Oh non, les hommes ordinaires m’auraient tenu la grappe au bar pendant bien plus longtemps que vous, comme les deux types qui vous ont précédé pour m’offrir un verre ou autre chose.
- Et vous êtes restée quand même ?
- Hé oui, parfois les réactions des gens défient tout logique...
Il prit une nouvelle gorgée qui termina sa boisson. Voilà le genre de soirée que j’aime. Pas de soucis, pas de plans tarabiscotés. Et j’adore sa manière de sourire.
Mais ils n’eurent pas l’occasion de poursuivre plus avant car un grand fracas résonna à l’avant de la pièce. Le temps qu’ils se retournent fut tout juste suffisant pour qu’ils puissent voir le drame en cours. Des terroristes. Trois ou quatre d’entre eux étaient déjà dans le bar, et de nombreux autres étaient visibles dans la rue derrière. L’émeute allait s’étendre très rapidement vers un carnage certain. Ces événements n’étaient pas rares malheureusement, mais leur relative fréquence ne les rendaient pas plus supportables pour autant. Il se produisit toutefois ce soir-là un second événement, plus inhabituel celui-ci. Une peu comme une réponse au premier, mais en forme de fin de non-recevoir. La jeune femme avait été jetée à terre par son compagnon d’un soir pour la protéger derrière la banquette, mais le geste avait été trop lent, et elle ne put retenir son cri en voyant l’un des hommes masqué pointer son arme vers lui et faire feu.
La rafale assourdissante dans ce lieu clos lui fit fermer les paupières instinctivement, et lorsqu’elle les rouvrit, son compagnon était toujours debout, il tourna juste la tête vers les agresseurs et une nouvelle série de tirs se dirigea vers lui. Pourtant cette fois elle put voir ce qui s’était passé : les impacts qui auraient du frapper l’homme de plein fouet ne semblaient faire que de petites étincelles devant lui, le laissant indemne. Les tirs s’arrêtèrent, et les masques des terroristes recouvraient leur visage mais ne cachaient pas leur incrédulité. Un instant de calme irréel planât sur la scène, et lentement céda la place à un nouveau maléfice. Comme emporté par une rage sauvage, l’homme toujours debout enjamba la banquette, il semblait plus grand, et flou. Son apparence semblait hésiter entre le simple homme qui était entré dans le bar quelques heures auparavant et autre chose de complètement différent. L’illusion gagnait en intensité, et peu à peu se révélait au grand jour un visage lisse, sévère, pourvu de deux yeux de lumière aveuglante. Son torse luisait d’un éclat métallique bien que ses formes évoquaient une nature organique, suivant les courbes puissantes d’une impressionnante musculature. Ses jambes et ses bras eux aussi s’estompaient pour céder la place à des membres plus grands et plus forts. Dans un dernier tremblement, l’homme céda définitivement la place à la chose. Elle dominait la pièce de toute sa taille : stature bestiale, expression lisse, lumière aveuglante. Un tout petit cri vient interrompre l’irréel silence :
« Gardel ...!»
« C’est un Gardel !»
« Hourra ! Il va nous secourir ! »
L’acclamation gagnait en volume et les terroristes, déjà ébranlés par l’apparition cauchemardesque reculaient vers la rue. La jeune femme se redressa de derrière la banquette en contemplant la créature.
Les Gardels protègent l’humanité de ses vicissitudes. Grâce à eux nous sommes protégés du véritable Mal. Ils ne s’occupent pas de tous les maux, mais sans eux l’humanité ne serait plus.
Le Gardel tourna la tête vers elle et un instant elle cru y apercevoir dans la lueur aveuglante de ses yeux une présence plus humaine, un regard plus tendre, mais il se détourna rapidement et une clameur puissante sortit de sa gorge alors qu’il se rua vers les agresseurs. Ses mains semblaient munies de griffes, à moins qu’il ne s’agisse d’armes qu’il portait ? Le mystère Gardel restait entier même en cet instant.

Au dehors l’émeute faisait rage, masquant momentanément l’apparition funeste et les trois terroristes projetés au travers de la rue par des jets de lumière. La façade de l’immeuble d’en face se para de trois petites tâches rouges, fausses blessures, vrai sang. Les fumées des incendies se dissipèrent comme soufflées par un grand vent, et le Gardel gagna en taille et sembla se voir pousser des ailes ou quelque chose qui y faisait penser. Il n’eût qu’un geste à faire pour que la violence cesse, balayant littéralement du regard l’émeute, ne laissant qu’une flaque rougie à chaque place ou se trouvait un individu. Hommes, femmes, terroristes, policiers, enfants, animaux, tout fut vaporisé dans un grand vent ardent et bruyant.
Nul pardon, nulle explication.
Le Gardel resta immobile au dessus de ses ruines, et puis sa lumière diminua, et il redevint flou et tenu comme une brume matinale. La jeune guide sortit des ruines du bar avec les autres survivants mais seule elle eût le courage d’aller au devant de la forme allongée sur le sol qui se trouvait là où le Gardel s’était estompé. Craignant ce qu’elle pourrait y trouver, elle parvint finalement auprès de l’homme. Il était allongé et ne bougeait pas mais ne semblait nullement blessé.
- C’est ainsi, lui dit-il calmement, un Gardel veille au dedans de chacun de nous. Une force vitale pure qui peut se réveiller pour empêcher tout ce à quoi on tenait de disparaître dans le néant. Je tenais à ce bar, à ses soirées, à ces rencontres fortuites. Les Gardels ne veillent pas sur l’humanité. Ils ne veillent que sur eux-mêmes. Personne ne vous guide.
Il se figea ensuite dans l’immobilité la plus totale, comme une statue. Il n’avait pas l’allure flasque de la mort, mais elle sut pourtant que la vie telle qu’elle la connaissait l’avait quitté. Seul demeurait son regard brûlé, avec tout au fond de ses yeux un petit écho de ce qu’avait été leur lueur de Gardel.
J’ai toujours su qu’ils étaient beaux. Le mystère Gardel... Ses yeux vitreux d'aveugle sont grands ouverts. Je m'approche et doucement, tendrement, lui ferme les paupières. A jamais dans cette existence-ci.

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