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Ihmel

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Ihmel
De Sabriel



Les habitants sortirent de chez eux. La foule se pressa vers la voie blanche. Le long de la route des centaines de femmes, d’enfants, de vieillards, de riches commerçants, de puissants politiciens se bousculaient pour les voir. Quand ils arrivèrent, il y eut quelques acclamations de la part des riches personnes, mais les autres retenaient leurs larmes. C’était un fils, un mari, un frère que tous les pauvres gens voyaient partir. Ce n’étaient pas les premiers, ils ne seraient pas les derniers.
Ihmel était flûtiste mais il faisait partie de ces soldats. Il n’aurait jamais fait de mal à une mouche, toujours prêt à aider. Il n’aimait pas la guerre, c’était une chose qui le répugnait. Il n’aimait pas se battre, bien que, comme tous les jeunes de sa race, il sache manier une épée et un arc. Mais il était prêt à défendre son peuple qu’il admirait, bien que cette guerre le dégoûtât.
Il aperçut sa vieille mère écrasée au milieu de la foule dense se faire aider par un ami pour ne pas qu’elle tombe. Il avait envie de lui dire de prendre garde. Voilà depuis plus deux ans que la pauvre femme ne sentait plus ses vieilles ailes. Il ne le fit pas, il n’avait pas le droit.
Son père était parti avant lui, pour la même cause, il y a quinze ans de ça. Elle allait à présent se retrouver seule. Il savait qu’elle allait mourir de tristesse comme à peu près toutes les femmes qui ont été dans son cas, cette pensée lui crevait le cœur. Mais il ne pouvait rien y faire, il fallait qu’il parte, à cette guerre sans but. Il y était forcé, il ne pouvait désobéir. Et c’est face à cette impuissante qu’il aperçut pour la dernière fois sa mère écrasée au milieu de la foule dense tomber malgré l’aide inutile d’un ami.

Ils avaient marché près d’une journée sans s’arrêter à travers la grande forêt d’Urim. Ihmel n’aimait pas marcher, ça lui était très inconfortable mais le ciel était apparemment trop dangereux. Ses compagnons de marche n’étaient pas dans un meilleur état. L’un d’eux aurait fait une chute qui aurait pu lui être mortelle si Ihmel ne l’avait pas rattrapé à temps. La petite armée s’arrêta alors que le soleil venait de s’éteindre. Le flûtiste installa sa paillasse à un endroit à peu près sec et s’assit. Il regarda autour de lui : personne, bien que tous soient fatigués, ne parviendrait à dormir cette nuit là. C’était avec la peur du proche combat au ventre qu’ils s’étaient arrêtés. Personne ne parlait, un silence terrible régnait. Ihmel n’aimait pas le silence, il trouvait cela presque aussi terrible que la guerre car le silence ne règne en véritable roi qu’après un terrible combat, c’est du moins ce que lui avait toujours dit sa mère. Pour lui, le silence était le seul son qui pouvait représenter la mort. Il saisit sa longue flûte d’ivoire, qui était accrochée à sa taille, sur son flanc gauche à coté de sa fine épée, la porta à sa mince bouche et glissa ses longs et fins doigts pâles le long de l’instrument. Le son doux qui en sortit était lugubre tels ses sentiments sur cette guerre, sur ce combat sans fin. Surpris, les autres soldats le regardèrent, mais quand le capitaine arriva pour voir quelle était la source de ce bruit, tous détournèrent les yeux.
« Eh ! Toi là-bas ! l’interpella son supérieur, arrête ça tout de suite ! »
Ihmel, bon soldat, obéit. Pourtant il n’aimait pas s’arrêter de jouer ainsi. Il regarda le capitaine accourir vers lui, poussant d’horribles jurons.
« Tu es fou ou quoi ? La région est infestée d’éclaireurs, s’ils t’ont entendu nous sommes morts. Tu comprends ça, hein ? »
Ihmel baissa la tête.
« Tu sais ce que je devrais faire ? Hein, tu le sais ? Je devrais te tuer sur-le-champ. Mais je ne le ferais pas, car ta vie dépend de ce que tu vaux. Et donne-moi ça. »
Sans résister, Ihmel lui tendit sa flûte que le capitaine arracha avec un grand plaisir de ses mains.
« -Comment tu t’appelles ? Le flûtiste ?
- Mon nom est Ihmel.
- Heureusement, parce que le flûtiste sans sa flûte, ça ferait bizarre. »
Il posa la flûte sur le sol puis abattit son épée dessus. Mais la flûte resta intacte. On ne casse pas aussi facilement une flûte taillée, sans aucun doute grâce à la magie, dans l’os de la mâchoire inférieure d’un dragon. Furieux, le supérieur attrapa le formidable instrument et le lança le plus loin possible. L’objet blanc atterrit dans une sombre touffe de fougères, à plusieurs pas de l’endroit où son propriétaire était assis. Ihmel regarda sa perle rare le quitter pour toujours d’un regard impuissant. Il ne broncha pas, il n’avait jamais bronché.
« Maintenant, lui dit son supérieur qui avait une très méchante lueur de contentement dans les yeux, ne t’avise pas d’essayer de la récupérer. Je vais te surveiller petit, et je ne te lâcherai pas tant qu’on aura pas quitté cet endroit, t’as compris ? »
Ihmel baissa de nouveau la tête.
« - T’as compris ? répéta le capitaine dont la voix hurlait.
-Oui, murmura Ihmel.
-Plus fort !
-Oui. »
Il regarda son supérieur dans les yeux, une lueur rouge y brillait. Ce dernier lui dit :
« On est en guerre petit, il ne faut pas l’oublier. »
Ihmel n’était pas prêt de l’oublier.
Il n’essaya pas de reprendre sa flûte. De toute façon, c’était peine perdue. Comme il l’avait promis, l’homme aux yeux maléfiques ne le lâcha pas une seconde.
Comme personne n’arrivait à dormir, la troupe repartit quelques heures plus tard. Dans la reprise de son interminable marche, Ihmel jeta un coup d’œil en arrière. L’endroit où son instrument reposait était bien loin maintenant mais une lueur semblait s’en être emparé. Quand il ne put plus rien voir, il détourna la tête et posa son regard sur la route encore longue qu’ils avaient à parcourir.

Ils étaient là pour défendre leur peuple, remettre à juste titre leur honneur qui avait été bafoué. Son honneur, Ihmel s’en moquait, mais la tranquillité du peuple lui importait. C’était la raison pour laquelle il voyait une justification à se battre, la seule.
Ils descendirent vers le sud puis, quand ils atteignirent la lisière de la forêt, ils la longèrent vers l’est, s’éloignant des montagnes et s’enfonçant dans la plaine. Après deux autres jours de marche séparés seulement d’une courte pause, ils atteignirent une espèce de campement où se tenaie le gros des troupes du peuple d’Ihmel. Le camp était juste à trois milles de la citadelle ennemie d’Azum. Abrités par la forêt, des milliers de soldats attendaient. Des renforts arrivaient de partout, de toutes les citadelles. Ihmel n’avait jamais vu autant de soldats. Il se sentit un peu rassuré, il ne pensait pas qu’ils allaient être si nombreux. Il s’installa dans un endroit de la forêt destinée à sa troupe. Il s’assit sur sa paillasse, rêveur. Qu’est-ce qu’il aurait aimé avoir sa flûte à ce moment précis pour montrer son soulagement ! Il prit son épée et pianota un air qui lui venait à l’esprit. Bien sûr aucun son ne sortit de son épée mais dans sa tête la musique chantait et dansait, c’était si agréable.
Pendant qu’il rêvassait un bruit lui parvient. Les généraux avaient vu haut. Comme cette armée n’avait jamais été aussi grande, ils décidèrent d’attaquer en force. Apparemment, il y avait peu de soldats dans la citadelle, la victoire était donc pratiquement assurée. Si la citadelle tombait cela annoncerait la fin rapide de cette guerre. Ihmel ne put s’empêcher de sourire, si cette guerre prenait vraiment fin, ce serait merveilleux. Mais son sourire s’estompa rapidement, son capitaine approchait. Les gens de son espèce étaient vraiment admirables, il savait qu’il se battait pour une juste cause, mais cet homme-là ne méritait pas son rang, il était juste digne des monstres les plus terribles. Quand il vit ses yeux brillants se tourner vers lui et son visage s’orner d’un sourire narquois, il sut que sa fin était proche, quoi qu’il fasse.
En effet, l’autre se rapprocha et lui cria :
« Et toi ! Le flûtiste ! Les généraux n’ont pas apprécié du tout ce qui s’est passé dans la forêt, il y a trois jours. Tu te souviens ? »
Ihmel baissa, comme à son habitude, la tête.
« Arrête de baisser la tête d’un air niais ! Regarde-moi dans les yeux quand je te parle et réponds-moi franchement ! »
Ihmel planta ses yeux dans les flammes rouges de son supérieur.
« -Maintenant, tu te souviens de ce qui s’est passé il y a trois jours ?
-Oui.
-Et qu’est-ce que je t’avais dit ?
-Que je méritais la mort pour ce que j’avais fait.
-Et qu’est-ce que j’ai dit d’autre ?
-Que ma vie dépendrait de ce que je vaux.
-C’est bien, se moqua le capitaine, bon élève, il a bien retenu sa leçon. »
Les autres soldats rirent doucement, malgré cela Ihmel laissa ses yeux plantés dans ceux de son véritable ennemi, sans ciller.
« A présent, les généraux veulent voir ce que tu vaux, pour savoir si tu mérites de rester en vie. Suis-moi. »
Sans résistance, Ihmel se leva et le suivit.
Les généraux vivaient sous la seule tente qui se situait au centre du camp. C’était là qu’ils établissaient leur stratégie à l’abri des oreilles indiscrètes. Aucun soldat n’avait le droit de pénétrer sous cette tente sans autorisation. A la suite de son capitaine, Ihmel pénétra sous les amas de toiles sales. L’air y était lourd et empestait. Trois chaises et une table ronde où était posée une carte étaient les seuls meubles. L’armée était dirigée par trois généraux, chacun venait des trois plus grandes cités, Bèrim, Ìrû et Garmin. Ils ne portaient pas leur vrai nom mais le nom de la cité qu’ils représentaient. Les trois grands étaient debout, penchés sur la carte d’un air pensif. L’arrivée d’Ihmel mettait fin à leurs réflexions. Trois paires d’yeux sombres fixèrent le jeune soldat.
« Alors c’est lui, murmura le plus grand. »
Le plus petit, qui avait des cheveux bruns comme Ihmel, s’avança vers lui et lui dit :
« Merci, valeureux soldat de vous porter volontaire. Sachez que vous représentez la sagesse de notre peuple, vous pouvez en être fier. »
Ihmel ne semblait pas comprendre. Le général l’avait bien remarqué mais fit comme si de rien n’était. Il lui tendit un drapeau bleu poussiéreux. Ce fut à ce moment qu’il comprit, il était comme déjà mort.
« Puis-je compter sur vous pour cette délicate mission ? »
Il lui tendit le chiffon. Ihmel le regarda dans les yeux. Les yeux bleus de Bèrim étaient neutres, ils n’exprimaient aucune pitié. Après un court instant, sachant qu’il n’avait de toute façon pas le choix, le jeune soldat saisit le chiffon.
« Oui, répondit-il clairement. »
Le général fut surpris de sa réaction, qu’il admira un court instant. Le soldat ne tremblait pas, il avait une totale conscience de ses actes.
« Vous partirez demain matin, au lever du soleil. Bonne chance ! »
Puis il lui tourna le dos. Le capitaine saisit le soldat par l’épaule et lui dit dans un murmure à peine audible :
« Allez, viens pauvre fou. »

Jamais une nuit lui avait paru aussi longue. Il aurait préféré mourir sans douleur, dans son lit. Peut-être que sa mort ne sera pas douloureuse mais il savait qu’elle s’avançait à grands pas et la peur qui le rongeait le faisait horriblement souffrir.
Son capitaine avait chargé deux soldats de veiller sur lui, pour qu’il ne devienne pas déserteur. Mais il ne connaissait pas Ihmel. Ihmel n’était pas ainsi, il aimait trop son peuple pour fuir devant une mission si importante.
Le chiffon bleu toujours serré dans sa main crispée, seule sa main droite tapotant sur son genou l’empêchait de trop penser et lui permettait de garder son calme. De toute façon, il n’avait rien à perdre. Cette guerre lui avait emporté un à un les membres de sa petite famille, il fallait bien qu’elle finisse par l’emporter.
« Vivement que le soleil se lève, se dit-il, que tout ça soit fini et qu’Adis m’emporte d’un battement d’aile dans le Monde Blanc. »
Il remarqua combien il était important dans un moment comme celui-ci de croire en une quelconque divinité.

Puis le soleil finit par se lever, avec une terrifiante couleur pourpre. Ihmel partit. Il savait ce qu’il avait à faire, les généraux n’avaient rien à lui ordonner de nouveau. D’ailleurs, personne ne lui parla, personne ne le regarda.
Le soleil dans le dos, Ihmel voyait son ombre fuir sur le sol, un peu plus bas. Le soldat allait vite, bientôt il put voir la grande tour d’Azum sortir du sol comme une flèche sanglante. Le relief ne jouant pas en sa faveur sur le niveau défensif, la ville d’Azum, qui était située au beau milieu d’une des grandes plaines du Nord, était entourée de trois épaisses et hautes murailles. Si bien que seule la plus haute tour de la citadelle était visible par une personne venant de l’extérieur.
Quand il vit la cité, le soldat prit le grand chiffon bleu, qui prenait des allures orangées aux premières lueurs du soleil. Il tendit ses bras, un bout du long tissu dans chacune de ses mains. Le drapeau bleu était si large qu’il cachait tout le corps d’Ihmel à part la tête, si bien que les soldats de la citadelle ne voyaient qu’un point bleu dans le ciel rouge.
Le soldat avança doucement, il savait à présent que chaque battement le rapprocherait de la mort. Les Enges étaient des êtres sans pitié, prêts à tout pour humilier leur ennemi. Ils savaient qu’ils allaient gagner la bataille, ils connaissaient aussi l’orgueil des Arys. Ces derniers avaient un dernier choix, le plus terrible de tous : se rendre et vivre tranquilles sous la domination de leur ennemi de toujours ou refuser et se faire massacrer. Voilà quel était le rôle d’Ihmel. Bien sûr les généraux devinaient bien leur réponse, mais l’humiliation elle-même était déjà un début de victoire. Son sacrifice pour la honte d’un peuple. Non, il ne fallait pas qu’il pense ainsi, son peuple était bon et juste, il voulait éviter un massacre qui lui semblait inutile, voilà après près de cent ans de guerre, il voulait juste éviter un massacre qui lui semblait inutile.
Soudain Ihmel s’arrêta. A présent, il était à portée de tir. Puis, après une longue inspiration, il repartit. La grande tour fut vite rejointe par une douzaine d’autres, de tailles très variées, mais il ne voyait toujours pas la ville. Bizarrement, le soleil levant gardait sa couleur pourpre. Peut-être que le soldat avançait rapidement. Quand il fut proche des grandes portes en ébène de la ville, il atterrit. Le sol était recouvert de touffes d’herbe sauvage brunies par le temps, le climat et le passage. Il marcha quelques pas vers l’entrée et dit d’une voix forte :
« Je suis un messager des Enges. »
Sa vie se jouait à partir de cet instant. On le fit attendre. Puis, pour seule réponse, les deux gigantesques pans de la lourde porte s’ouvrirent dans un terrible grincement, brisant ainsi horriblement le pénible silence qui régnait sur la plaine. Lentement, il s’avança, prêt à recevoir une flèche à tout instant. Il se mit à penser à sa flûte, puis à la musique qu’il produisait avec. Bien qu’il ne sache pas vraiment pourquoi, cette musique lui permettait de condenser sa peur, de ne plus penser à la mort et de stopper ses tremblements. Les rues de la ville bien organisée étaient désertes, toutes les maisons avaient portes et volets clos. Le soldat avait l’impression que la mort elle-même allait passer ici. Il parcourut une longue avenue. Les cités des Arys étaient toutes construites de la même façon : Toutes les routes menaient au centre de la ville, à la citadelle. La citadelle, c’est là qu’il fallait qu’il se rende s’il voulait voir le roi ou, du moins, donner son message à quelqu’un de haut placé. Il ne marchait pas très vite, sentant que chacun de ses pas était observé comme si, au moindre écart, au moindre mouvement qui aurait pu leur déplaire, la mort le frapperait de plein fouet, si bien que ce ne fut qu’une vingtaine de minutes plus tard qu’il vit les pieds de la citadelle. Quand il fut à la grande porte d’ébène de la citadelle, il remarqua à l’ouest, posé sur le rebord d’une fenêtre, un vase contenant des violettes desséchées, le seul bouquet qu’il vit.
Soudain, le tirant de sa contemplation, les portes s’ouvrirent, silencieusement, d’un silence le plus total, qu’aucun bruit n’oserait troubler. Même ses pas franchissant la porte ne le froissèrent pas. C’était comme si le temps venait de s’arrêter. Une bourrasque d’air lui passa au-dessus de la tête, quelque chose, un oiseau peut-être, venait d’entrer. Puis, toujours à la même musique, les portes se refermèrent derrière lui, le plongeant ainsi dans une totale obscurité. Brutalement, une éclatante lueur lui fit mal aux yeux, qu’il protégea de ses mains. Lorsqu’il les écarta, il put voir, éclairé par une cinquantaine de torches, le seigneur de la ville d’Azum dont il ne connaissait pas le nom. La salle dans laquelle Ihmel se trouvait était grande et très haute car malgré la luminosité il ne pouvait pas voir le plafond. Le seigneur siégeait sur un trône doré sans dossier lui permettant de déployer ses immenses ailes couleur argent. Il portait des vêtements rouges et son regard perçant plongeait dans l’obscurité pour fixer le messager dont il sentait la présence.
« -Toi, soldat de nos ennemis, lui demanda t-il d’une voix forte, Que viens-tu faire dans un lieu si dangereux pour une personne de ton espèce ?
-Je suis un envoyé des généraux Bèrim, Ìrû et Garmin, répondit Ihmel d’une voix douce et tranquille, Je suis porteur d’un message pour le seigneur de cette cité. »
A ces mots, plusieurs torches s’allumèrent, éclairant ainsi entièrement la gigantesque salle. Deux rangées de colonnes, une de chaque coté d’Ihmel, soutenaient le toit. Des soldats armés jusqu’aux dents attendaient derrière les limites qu’elles formaient. Maintenant qu’il pouvait le voir, le seigneur l’observa et il finit par constater que ce soldat n’avait pas été drogué.
« -Donne-moi donc ce message ! , finit-il par dire.
-C’est un message oral.
-Je t’écoute mais attention à ce que tu vas dire, tu risques de le regretter amèrement. »
Ihmel sentit sa gorge se nouer, il avait peur de se retourner, ses ennemis le regardaient avec une méchanceté sans limites. Ils n’avaient aucune pitié, ils n’en auront aucune.
Après avoir à plusieurs reprises avalé sa salive, il prononça distinctement :
« - Notre généreux peuple vous annonce par ma parole, O peuple d’Arys et habitants de la magnifique cité d’Azum, qu’il n’est pas trop tard. Notre victoire est imminente mais notre juste peuple veut éviter un massacre inutile. Rendez-vous et vous vivrez en paix.
-Mais esclaves! rugit le seigneur qui avait les yeux remplis de colère face à l’humiliation de son peuple par le peuple des Enges. Soldats, saisissez-le ! »
Une nuée d’Arys se jetèrent sur Ihmel. Ce dernier essaya de s’envoler mais il fut vite ramené vers le sol. Des centaines de mains l’agrippèrent, mais les épées étaient restées dans leur foureau.
« -Sache, messager des Enges que nous refusons votre… proposition. »
Le seigneur fit une grimace sur ce dernier mot puis il se retourna en claquant des doigts. Une épée fut sortie. Ihmel sentit son cœur battre dans sa poitrine. Il ne ferma pas les yeux, il voulait voir la mort, et la regarder dans le blanc des yeux. Il hurla :
« - Vous pouvez me tuer ! Mon peuple me vengera ! Vous pouvez toujours espérer ! Mon peuple vous tuera !
Vous pouvez être tranquilles ! Je serai patient ! Jusqu’à votre mort, chacun, je vous attendrai ! »
Le seigneur le regarda et dit d’un sourire sournois :
« -Pourquoi dis-tu cela ? Si la mort ne veut pas de toi, tu mourras sûrement bien après nous ! »
A ce moment, Ihmel eut vraiment peur, son visage devint très pâle.
Mais il n’eut pas le temps de plus réfléchir, une lame lui morcela brutalement le dos. Il ne put réprimer un cri d’horrible douleur. Des ruisseaux de sang jaillissaient de son dos et baignaient tout son corps. Et sous les rires perçants de ses ennemis, il tourna de l’œil.

Quand il se réveilla, il voyait trouble. Quelque chose lui tirait au cœur et sans qu’il s’en rende compte il vomit. A présent il était recouvert de sa saleté. L’odeur nauséabonde qu’il dégageait, celle du sang et du vomi le firent s’évanouir une deuxième fois.
A nouveau réveillé, il allait un peu mieux. Sa vue s’était éclaircie, il se trouvait à présent devant la porte de la gigantesque cité. Une ou deux nuits peut-être étaient passées depuis sa sortie de la ville. Il était vivant, mais il aurait préféré mourir. Cependant, il était messager et il avait une tâche à accomplir. A sa droite, il remarqua un paquet, enveloppé de tissu bleu, qui faisait à peu près sa taille. Il ne l’ouvrit pas, il savait ce que c’était.
Son fardeau sur les épaules, il prit le chemin du retour, lentement, sur ses deux pieds. Le voyage fut beaucoup plus long qu’à l’aller et il ne fut de retour qu’à la nuit tombée. Peu de soldats le remarquèrent même s’il ne chercha pas à se dissimuler. Il alla jusqu’à la tente des généraux et entra. Le garde, en le voyant n’opposa aucune résistance, tant il fut surpris et terrifié. Même les généraux n’en crurent pas leurs yeux. Pour eux, le jeune soldat était déjà mort. Il venait de réapparaître tel un fantôme. Bèrim se ressaisissant dit, avec un sourire inquiet :
« -Par Bèrim ! Te revoilà ! La chance est avec nous ! J’espère que tu nous rapportes de bonnes nouvelles ! »
A cette phrase, Ihmel jeta son paquet qui s’ouvrit. Une longue aile de plumes blanches ensanglantées gisait à présent sur le sol. Les généraux furent horrifiés et leur regard fila vers le dos du messager. Ce dernier déclara clairement :
« - Le seigneur refuse votre proposition. Il m’a même dit, devant l’ensemble de ses sujets, qu’il attend le bon moment pour vous arracher une à une les ailes à chacun d’entre nous. J’en suis la preuve. »
Le visage déformé par l’horreur des généraux devint vite tordu par la colère. Bèrim, essayant de se calmer, dit :
« -Tu es digne de notre peuple, soldat. De l’argent te sera remis pour compenser ta lourde perte. »
Après l’avoir fixé longuement dans les yeux il ajouta :
« -Et je suis sûr que tu comprendras le fait qu’il est impossible que tu restes dans cette armée. Tu as la nuit pour faire tes affaires, tu devras être parti avant le lever du soleil. »
Ihmel reçut un semblant de coup de pied dans le ventre. Il s’approcha du général et lui glissa dans l’oreille :
« -Le vent tourne. »
Puis il se recula, laissant le général dans ses pensées, et sourit. Son joli visage de blond devint sous ce sourire beau, beau et terrifiant. Il hurla dans un rire ironique :
« -Je n’ai pas d’affaires car de toute façon je n’ai plus rien ! Puis retrouvant son calme : Aussi je pars tout de suite ! Mais n’oubliez pas ! Car Ihmel n’oubliera pas ! »
Sur ce il partit, en courant, et sortit du camp. Comme une ombre, dans le mortel silence de la nuit, il s’enfuit, ne sachant où aller, filant dans la grande forêt.
Peu de temps après, Garmin, rompant ainsi le silence gêné qui s’était formé sous la tente, demanda :
« -Sa lourde perte l’a-t-elle rendu fou ?
-Je l’espère, murmura Bèrim. »


La victoire des Enges sur la citée d’Azum fut sans précédant mais la guerre ne fut pas terminée pour autant. Les Enges finirent par devenir victorieux, un siècle plus tard, en détruisant totalement l’espèce d’Arys lors de la bataille de Baclion. Mais les Enges eurent de lourdes pertes et ne furent plus que quelques rares individus. Avec la disparition de toute magie, certaines religions les désignèrent comme les messagers de dieu alors qu’ils sont les facteurs de la plus grande guerre que le monde n’ai jamais portée.
Comme l’avait prédit, Herim, le seigneur de la cité d’Azum, Ihmel mourut bien longtemps après le massacre d’Azum. La vengeance est un plat qui se mange froid dit le proverbe, pourtant, chez Ihmel, la vengeance brûlait à petit feu. En effet, aucun général ou soldat ayant participé à la bataille d’Azum ne vit la fin de cette guerre. Tous, s’ils n’étaient pas déjà morts, avaient été poignardés, dans leur sommeil.
Réduit au commun des mortels, Ihmel fut rapidement surnommé Tyrez, le mot le plus horrible de la langue des elfes qui ne fut porté que par deux personnes. Celui qui ne pouvait pas faire de mal à une mouche devint le meurtrier le plus redouté des Territoires du Soleil. La légende, très proche de la réalité, racontait qu’il avait détruit plusieurs villages à lui seul et qu’il se nourrissait du sang de ses victimes. La légende s’arrête là pour laisser place à l’histoire. Quand le monstre Tyrez devint célèbre, le grand magicien Galfred prononça cette prophétie : « Son tueur sera le seul être portant plus de haine dans son cœur que le tueur lui-même. »
Moins d’un siècle plus tard, trois ans avant la victoire des Enges, la prophétie se réalisa.

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