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Amour d'eau

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Bon ben voilà : en postant l'image du nu pour le travail d'écriture, il m'est venu une idée d'histoire.


Il était une fois deux frères, Peter et Nicolas. Peter était l'aîné ; de nature rieuse, toujours en compagnie des autres enfants du village, il avait un brin de caractère. A l'inverse, Nicolas était plutôt calme et solitaire ; il aimait la mer, jouer à ses côtés. Un beau jour d'été, alors qu'il accompagnait son père à la pêche, Nicolas se leva brusquement et scruta les vagues qui claquaient doucement entre les rochers.
«Papa ! Regarde ! Là ! Dit-il les yeux écarquillés et souriants perdus parmi les taches de son visage. Son regard roux allait et venait entre l'eau et son père, comme pour établir un lien entre l'étendue et l'homme.
Le père se mit à rire de bon coeur.
- Doucement Nicolas ! Prévint-il. Tu vas faire chavirer notre bateau si tu te lèves précipitamment. Q'as-tu donc de si extraordinaire à me montrer ?
Il se leva et s'approcha de son fils. Il posa sa main en visière sur son front abîmé, sec et salé, et regarda attentivement le coin d'océan.
Par cette belle journée d'été calme, le soleil faisait naître ça et là de légers miroirs argentés sur le bleu sombre de la mer. Le vent soufflait à peine et le bateau de bois tanguait nonchalamment tel un oiseau au gré des vagues. Mais ce n'était pas les reflets qui avaient attiré l'oeil du jeune garçon.
- Tu ne l'as pas vue ? Demanda Nicolas l'air déçu.
Le père secoua la tête en guise de non. Il posa sa main sur l'épaule de son fils, comme pour s'en excuser.
Nicolas attendit quelques secondes avant d'avouer dans un murmure :
- J'ai aperçu sa queue écaillée de poisson...la sirène...entre les rochers...
Le père fronça les sourcils et retourna s'asseoir sans un mot. Il se racla la gorge.
Nicolas s'attrista et s'étonna de voir son père mécontent.
- Mmmh, marmonna ce dernier. Les sirènes ne sont pas de bon augure, Nicolas. Si elles sont si proches de la surface, c'est qu'elles sont à la recherche d'hommes. Ce sont des dévoreuses ! Et ne t'approche jamais d'elles mon garçon... d'un chant, elles t'emprisonneraient et t'emmèneraient dans les fonds marins ! Tu finirais par y être mangé ! Crois-moi !
- Mais papa, pourquoi feraient-elles ça ?
- Ecoute ce que je te dis, rétorqua simplement le père. Il en est ainsi depuis la nuit des temps.
Il se dressa, gonfla la voile du bateau de bois, et lentement, ils rentrèrent au port.
Quelques jours plus tard, en fin d'après-midi, des hommes du village vinrent frapper à la porte de la maison de Peter et Nicolas. Ce dernier était assis auprès de sa mère et l'aidait à filer. La mère se leva dignement, et les interrogea du regard. La terrible nouvelle se lisait sur les visages assombris. Elle tomba comme un couperet : le père était mort en mer.
- Il est tombé par dessus bord et a coulé à pic sans que nous puissions l'attraper, expliqua un des pêcheurs.
- C'était une sirène ! S'exclama un autre. Je l'ai vu de mes propres yeux ! J'ai vu son corps onduler dans le bleu et l'appeler vers les fonds !
Un silence mêlé de crainte parcouru l'assemblée des hommes.
Soudain dans un coin de la maison, une voix se fit entendre.
Les hommes se tournèrent dans un même mouvement et observèrent le garçon. Tout en lui sentait la force de la terre : ses cheveux bruns, ses yeux bruns, exprimaient son sang, chaud.
- Maudites sirènes, grinça Peter.
Le lendemain lors des funérailles, la nouvelle s'était vite répandue dans le village. Les sirènes étaient venues prendre l'un des leurs. Les cloches sonnaient au-dessus de la mer. La haine emplissait les coeurs des hommes, impuissants face au destin.
Ce jour-là, Peter prit sa mère dans ses bras et lui fit une promesse :
- Ne te fais pas de soucis maman... il ne t'arrivera rien. Je suis en âge de travailler maintenant...je m'occuperai de toi et de Nicolas...désormais je vous protègerai.
Il en fut ainsi. Peter s'engagea comme gardien de moutons et put nourrir sa famille. Il rencontra une jolie fille et en fit sa femme, qu'il installa dans la maison familiale.
Mais quelques années plus tard, la mère mourut à son tour.
Nicolas, qui était devenu un homme, décida d'être pêcheur. Il montra rapidement un don, une aisance à conduire les bateaux parmi les courants et à trouver les bancs de poisson.

Un midi, alors qu'ils étaient à table, Peter s'empressa de demander à son frère :
- Dis-nous frérot : c'est une fille que tu vas voir ?
Depuis quelques temps, Nicolas partait seul et ne revenait que plusieurs heures plus tard, ce qui avait attisé la curiosité de Peter.
Il sembla gêné et ne répondit pas.
- Allez ! Dis-nous ! fit Peter.
Nicolas hésita et finalement lui répondit :
- Oh c'est rien...je vais étudier les vents...j'observe les courants et les marées...
- Tu ne changes pas, coupa Peter en ricanant. Alors que, venu un certain âge, tout homme cherche une femme... mon frère, lui, passe son temps à observer la mer !
- Laisse-le un peu Peter, lui dit sa femme, tandis que Nicolas se levait.
Peter accepta d'un signe de la main.
Nicolas enfila ses bottes, prit une veste, puis sortit de la maison. La porte en bois craqua et se referma sur un silence.
Au dehors le calme était apaisant, à peine rompu par un vent qui venait de la mer, montait le long des falaises et allait se perdre parmi les rocs de la lande. Il respira longuement l'air marin. Des goëlands traversèrent le ciel en criant. La terre acide et noire, parfumée par les fleurs jaunes des arbustes, exhalait les premières chaleurs du littoral.
« La mer sent le soleil doux du printemps » se dit-il tout en frémissant de plaisir.
Il se mit en marche et sortit du village. Il sillonna à travers la lande, le long de la falaise. Après une heure de marche il descendit un chemin sablonneux, passa à travers les rochers léchés par la mer et s'arrêta à l'entrée d'une grotte creusée au fil des siècles par l'eau. L'ouverture n'était pas grande et il dut s'y glisser de profil. A l'intérieur, au loin, on entendait le mouvement de l'eau qui résonnait entre les parois rocheuses. Il marcha quelques mètres, à peine éclairé. Là il parvint enfin à une résurgence de la mer qui tentait de s'infiltrer plus en avant vers la terre. Au-dessus, un trou permettait à la lumière du jour de descendre éclairer intimement l'eau bleue. Il fouilla dans la roche et sortit un gros coquillage brun-orangé dont le corps en spirale finissait en forme de chapeau pointu. Nicolas le caressa, afin d'enlever les grains de sable qui s'y étaient collés. Il s'assit près de la mer, porta le coquillage à sa bouche, tâtonna une première fois, ensuite y plaça ses lèvres et souffla. Le son s'élança ailes battantes à travers la grotte, appelant, grave, imitant celui de la corne de brume. Puis il tournoya entre les parois, et finit avec puissance en plongeon dans la mer.
C'est alors qu'au bout de quelques minutes, du fond de l'eau, un chant monta, mélodieux, féminin, filant à travers l'étendue. Il s'approcha, s'élança brusquement hors de l'eau, retomba dans le bleu et disparut serpentant sous la surface. La femme de mer sortit sa tête de l'eau et secoua sa chevelure. Des vaguelettes arrivèrent aux pieds de Nicolas. Elle lui sourit et fit onduler sa queue écailleuse. Aussitôt, Nicolas sentit son coeur porté par ce sourire qui l'apaisait tant, qui emplissait ses veines de vie. Ils restèrent ainsi plusieurs heures, échangeant un peu d'eux-mêmes, traversant le temps sans parole, partageant le merveilleux d'être ensemble malgré tout ce qui les séparait.
Au moment de se quitter ils se promirent, comme à chaque fois, de se revoir le plus vite possible.
Mais un jour, n'y tenant plus, Peter décida de savoir ce que faisait son jeune frère et le suivit dans la grotte. Dès qu'il vit Nicolas auprès de la sirène, son sang ne fit qu'un tour et son coeur s'enflamma.
- Toi mon frère...toi avec cette femme de la mer...Traître ! Se dit-il en serrant les poings.
Sur le chemin du retour, il s'arrêta au village et réunit quelques hommes.
- L'heure de la vengeance est arrivée ! s'exclama-t-il fièrement. Demain suivez-moi ! Je sais comment appâter une sirène ! A notre tour nous prendrons la vie d'une femme poisson !
Les hommes acquiescèrent à l'unisson.
Le lendemain, au petit matin, alors que la nuit rosissait à peine, Nicolas partit à la pêche.
Lorsqu'il rentra en fin d'après-midi, Peter l'attendait sur le seuil de la maison.
Peter leva la tête vers son frère et lui annonça, le regard noir :
- Frère...aujourd'hui des hommes et moi avons capturé une femme poisson...
Le coeur de Nicolas se serra, comme on presserait ce qu'il contient de bonheur, jusqu'à l'assécher. Ce qui resta s'écoula lorsque Peter balança :
- Les hommes ont eu ce qu'ils désiraient.
- Où est-elle ? Qu'avez-vous fait ?! Demanda Nicolas d'une voix tremblante. Où est-elle ? Répéta-t-il, éperdu.
- A l'entrée de la grotte, acheva Peter.
A ces mots, Nicolas se précipita hors du village. Il traversa la lande qui le séparait de sa bien-aimée, courant face au vent, face à la terre, face à ce monde où il se sentait étranger, à la recherche de son amour.
Lorsqu'il arriva devant la grotte, il la trouva gisante sur les rochers. Il s'agenouilla et la prit dans ses bras.
- Qu'ont-ils fait ? Dit-il dans un murmure, les yeux pleins de larmes amères. A cause de moi tu es venue t'échouer au coeur des hommes...
Nicolas serra tendrement sa sirène. C'est alors qu'une voix qui semblait venir des fonds marins gronda et dit :
- Humain ! Rends-moi ma fille !
Entendant cela, Nicolas se tourna vers la mer et cria :
- Dis-moi ce que je peux faire pour la sauver ?!
- Rends-moi ma fille et je lui redonnerai vie !
- Dis-moi ce que je peux faire ! Je veux vivre avec elle ! Répondit Nicolas.
- Rends-moi ma fille et je lui redonnerai vie ! La mer continua, rugissante : les hommes qui l'ont tourmentée seront punis ! Quant à toi tu la retrouveras lorsque tu auras franchi ce monde ! Rends-toi au royaume des glaces ! Là-bas tu trouveras l'oeuf qui te permettra de devenir sirin et de rejoindre les eaux !
Nicolas prit une dernière fois sa bien-aimée dans ses bras, lui fit ses adieux, et la déposa dans la mer

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suite du texte :

Il sent que le jour se retire. Nicolas s'arrête et se pose contre un roc face à la mer. Les vents de la journée semblent faiblir. Un voile gris et mince efface peu à peu le rougeoiment du soleil. Il glisse sur le dôme et l'instant d'après la nuit arrive. Elle s'étend et enveloppe la terre et la mer de son silence. L'air se charge en eau et colle finement au corps de Nicolas. Le visage de la terre devient noir et informe. La mer se tait ; on entend juste ses vagues qui roulent étouffées sur les galets. Le regard de Nicolas se tourne vers le village qui est un peu plus loin, installé entre deux falaises. Il écoute. Les hommes sont dans leur maison et partagent le repas du soir en famille. L'aboiement d'un chien traverse le village et vient jusqu'à lui. Devant le village les bateaux dorment, et n'attendent que leurs maîtres pour s'éveiller à nouveau, hisser leur voile de toile et partir sur l'océan.
Nicolas a le coeur qui bat. Sans maison, sans sa sirène à ses côtés, il est seul. Mais au fond de lui il entend son appel. Plus que jamais, elle est vivante. Il a l'impression d'entendre battre son coeur de poisson. Enfin son désir prend corps.
Il pense : « les marins qui partent savent qu'ils oublient, que dans l'eau il n’y a plus de temps, qu'ils disparaîtront dans le vide bleu ; c'est le prix ». Il essaie de sceller ses souvenirs, de les garder en lui. Il ferme les yeux et sa vie apparaît. Il voit les sourires qui flottent autour de lui. Il leur court après, il les attrape comme il le ferait avec la main. Puis les images surgissent et s'engouffrent une dernière fois. Lorsqu'il rouvre les yeux la lune et les étoiles se sont levées. Il les regarde se fondre dans l’immensité. Elles donnent à l'océan une fine pellicule émaillée. Alors Nicolas se met en marche et rejoint le sentier qui descend à travers la falaise vers le port. Il atteint rapidement le village, et ensuite longe les murets en pierre qui séparent les premières habitations de la mer.
Elle est maintenant sous ses pieds : entre les pieux en bois du ponton, elle passe tout en faisant de légers clapotis. Il saute dans une barque en bois. Il ne reste plus qu'à détacher ce qu'il reste de lien, et défait la corde qui la retient.
La barque glisse enfin sur l’océan à travers les bateaux du village. Il parvient à son petit bateau de pêche. Une fois la barque solidement attachée, Nicolas saute à bord. Une force merveilleuse l’envahit : le bruit de ses pas qui résonnent sur le bois lui redonnent de l’espoir. Il n’avait jamais craint la mer. La liberté qu’elle lui procurait suffisait à lui faire accepter qu’elle puisse prendre sa vie. Sur la mer il se sentait un peu plus lui-même.
Dans la foulée, il lève l’ancre, met les voiles et prend fièrement la direction du large. Petit à petit il s’enfonce dans l’étendue. La côte s’éloigne et finit par ne devenir qu’un vague mirage marin.
C’est alors que brusquement les flots se font immenses ; les eaux s’ouvrent tout autour de lui et le bateau secoué sombre dans un grand abîme noir puis disparaît englouti par la mer.

Au loin Nicolas entend des murmures.
- Hi hi hi il est plutôt pas mal , semblent dire des voix jeunes et féminines.
Elles se mettent toutes à rire aussitôt, en faisant attention à ne pas faire de bruit.
- Chut ! Je crois qu'il est en train de s'éveiller, annonce doucement une voix plus grave.
Nicolas reprend connaissance et ouvre les yeux. Il jette un coup d'oeil encore brouillé afin de voir l'endroit où il repose : il est couché à terre sur un lit de branchages et d'herbes séchées qui embaument. Un léger courant d'air glacé lui saisit le corps et il frissonne malgré les peaux qui recouvrent son corps. Un feu crépite chaleureusement sous la tente en toile qu'il occupe. Autour de lui plusieurs femmes l'observent avec amusement et curiosité. La femme qui est assise à côté de lui est la plus âgée et donne l'impression de posséder une certaine autorité sur le reste du groupe. La femme, aux cheveux gris, se penche au-dessus de lui.
- Bonjour...comment vous sentez-vous ? Demande-t-elle avec un sourire bienveillant. Ne faites pas attention à elles, prévient-elle. Nous ne sommes pas habituées à voir des hommes parmi nous à cette époque, vous êtes le centre d'intérêt depuis que l'on vous a trouvé près de la grotte des glaces.
Il regarde la femme d'un air interrogateur. Elle ressent son trouble et tente de l'apaiser :
- Vous devez être encore épuisé...nous allons vous laissez. Si vous avez besoin de quelque chose, appelez ; c'est Emie qui s'occupera de vous. C'est elle qui vous a amené ici, dit-elle tout en désignant la jeune femme, qui sourit à Nicolas.
La femme se lève et demande aux autres de la suivre, puis Nicolas ferme les yeux et sombre à nouveau.
Lorsqu'il se réveille, il sent que son corps a recouvré sa vigueur. Sans attendre, il s'étire et s'assoit sur sa couche. Les vêtements qu'il porte lui donnent de la chaleur. Aussitôt il aperçoit l'entrée de la tente qui bouge légèrement et une jeune femme se trouve devant lui. Elle referme avec précaution l'épaisse toile de tente. Elle a des prunelles ambrées qui brillent et donnent à son visage une lumière animale. Son corps est recouvert d'une épaisse fourrure de bête. Elle s'approche près de Nicolas.
- Bonjour, fait-elle avec gaieté. Elle lui tend des bottes de cuir fourrées et lui dit : Je vous les ai cousues pendant que vous dormiez...
Nicolas reconnaît enfin la femme qu'on lui avait désignée auparavant.
- Bonjour, répond-il d'un ton qui apporte avec lui la question. Il se tait quelques secondes avant de demander :
- Combien de temps ai-je dormi ?
Emie prit l'air étonné.
- Je ne sais pas, répond-elle. Elle reprend, passant à un autre sujet :
- Notre mère est partie à la chasse... Elle et les autres femmes ne devraient pas tarder...En attendant je peux vous montrer le camp et vous proposer le repas, dit-elle, ses yeux d'or plissant sous l'effet d'un large sourire.
Nicolas écoute le vent qui souffle lourdement sur les pents de la tente et entend son appel. Il a envie de découvrir ce qu'il y a au-dehors, ce qu'il raconte, la couleur du ciel et de la terre du pays. Il regarde Emie qui sort à pas de velours de la tente. Il se dit qu'elle lui plaît, qu'ils pourraient s'entendre. Il la remercie, enfile ses bottes, et la suit.
Le camp n'est pas grand et compte une quinzaine de tentes blotties au sein d'une colline. Tout autour, une neige recouvre entièrement le sol. Au-dessus d'eux, le ciel s'anime par vague, et des ondulations se dessinent dans le bleu profond. Par endroits, quelques blocs de glace légèrement bleutés se dressent de la terre. Ce sont eux qui semblent rayonner, donner de la lumière à la neige et créer le jour.
En cet instant ils serpentent entre les habitations de toile. Emie lui apprend que les repas se font en commun. Puis ils pénètrent à l'intérieur d'une grande tente, à l'ambiance tout aussi rustique que celle où il s'est éveillé. Elle l'invite à s'assoir sur une couche et lui tend, ce qui, alors que Nicolas goûte, paraît être des espèces de fruits. Il s'en étonne et lui demande :
- Je ne vois ni arbres ni arbustes...et avec cette neige...d'où viennent ces fruits ?
- Ha ce sont les hommes qui nous les apportent en présent lorsqu'ils passent. Ils se conservent très bien d'une saison à l'autre...
- Il y a des saisons ? Coupe Nicolas. Emie se met à sourire, lorsque la toile de l'entrée se soulève. La femme aux cheveux gris apparaît, entourée des autres femmes du groupe.

Alors qu'elle avance vers lui, Nicolas se lève et retrouve le visage qu'il avait confusément entrevu lors de son éveil. Il se dit qu'il a gardé toute la beauté, la force et la grâce de sa jeunesse passée. Emmitoufflé dans son habit de bête, le visage de la femme renvoit la grandeur et la sagesse de son âge. Emie et les autres femmes se retirent et Nicolas se retrouve seul avec elle. Il pense qu'il a beaucoup de questions à lui poser : comment s'appelle-t-il ? Pourquoi est-il ici ? Quel est ce pays ? Pourtant, étrangement, une voix intérieure lui répond que c'est sa vie, son histoire, qu'il doit se laisser porter, la vivre ; et il l'accepte. Il se ressaisit et salue la femme. C'est elle qui rompt le silence :
- Bonjour Nicolas, fait-elle avec un sourire.
En entendant cela Nicolas sent le trouble qui monte en lui. « Est-ce bien mon nom ? » songe-t-il. Cette consonance...cela résonne en lui et lui apparaît si proche et si lointain à la fois. Il essaie de remonter le courant de sa mémoire. Il a soudainement envie de crier, de ressortir ce qu'il a au plus profond de lui-même. La femme le devine et le précède :
- J'ai pu le lire en vous, c'est inscrit, dit-elle le plus naturellement du monde.
Nicolas se rassoit sur le lit de branches et d'herbes. Les images se bousculent dans sa tête. Il ne sait pas à quoi se rattacher. Il a peur de ce qu'elle pourrait trouver en lui. La femme le rejoint et se pose à ses côtés. Son attention semble partir vers le lointain. Elle raconte :
- Cela fait bien longtemps, alors que j'étais une jeune femme...
A ces mots, elle se tourne vers Nicolas. Ses yeux sont brillants de vie, de vérité :
- Un homme s'était échoué comme vous devant la grotte des glaces, et c'est moi qui l'ai transporté jusqu'à notre camp. J'ai été attirée comme Emie l'est par vous. Je n'ai pas refusé et j'ai écouté ce qui me guidait. C'est pour ça que je peux savoir qui vous êtes : je lis en vous comme j'ai pu lire en lui...
A la prochaine saison, vous repartirez avec les hommes. Jusqu'ici vous partagerez notre vie. Une des tentes sera libérée par les femmes afin que vous puissiez vous y installer.
- Quand est la prochaine saison ? Tente Nicolas.
- Lorsque les hommes viendront. Pendant la saison la glace disparaîtra, les arbres et les fleurs pousseront, puis les hommes partiront et la glace se reformera.
Elle s'arrête de parler. Nicolas comprend qu'elle ne lui en dira pas plus, alors il n'insiste pas. Il laisse ses inquiétudes au destin et répond au sourire qui s'esquisse sur le visage de la femme.
C'est ainsi que Nicolas commence à vivre au rythme du camp. Entre Emie et lui une tendre complicité naît, si bien qu'un jour Emie lui propose de les accompagner à la chasse. Lorsque qu'elle vient le chercher, Nicolas s'étonne de la tenue légère qu'elle porte.
- Tu verras, dit-elle en lui donnant la même fourrure légère. Ça te tiendra chaud et tes mouvements seront plus libres et plus agiles qu'avec...
Elle désigne l'habit épais qui enveloppe Nicolas et rit.
Nicolas aime son rire joyeux et spontané. Il lui fait du bien. Il lui dit qu'il l'aime, qu'il aime l'entendre. Elle rit encore et il l'accompagne tandis qu'il se prépare. Puis ils rejoignent les autres femmes et le groupe se met en marche. La femme aux cheveux gris est à la tête de la file ; les autres femmes avancent l'une dernière l'autre.
Nicolas est derrière Emie. Il suit ses traces, il la voit. Tout son être se métamorphose. Elle se retourne ; l'ambre de son regard luit intensément. Il sent l'énergie, le cri qui s'exprime en elle, tout entier en lui. Ses sens s'aiguisent, il est à l'affût. Ils marchent à pas feutrés dans la neige aérienne. Soudain ils s'arrêtent. Au loin des bêtes ont été repérées. La tension est perceptible. Nicolas écoute. Sous les fourrures des femmes, il perçoit les muscles des corps, de son corps, qui palpitent. Ils se tendent, ils retiennent toute l'animalité qui va jaillir dans le mouvement. Emie fait signe à Nicolas de se tenir prêt. Il sent la chaleur qui commence à l'envahir ; le feu l'anime. Il s'approche. Il s'élance dans la neige. Il s'arrête à nouveau. La mère tourne autour du troupeau et choisit une des bêtes, qui semble plus faible. Des femmes l'accompagnent et lui prêtent main forte. Il reste en retrait avec Emie. Elles encerclent la proie et l'assaillent. La bête se rend. La bête est tuée. Les souffles se calment. Enfin, ils rentrent en silence au camp.
Ce jour-là, quelque chose se forme en Nicolas. Il entend son chant, son rire doux. Il sent sous ses mains les courbes animales de son corps. Il ressent qu' Emi l'appelle. Une pensée claire, comme une promesse venue du fond, remonte jusqu'à lui et il se dit alors : « c'est la saison qui commence ».

Au dehors les glaces recouvrent encore le pays. Nicolas sent que la douceur à venir du temps est déjà dans l'air. Imperceptiblement, le camp se prépare au débarquement des hommes. Nicolas a passé les derniers jours avec Emie. Ils découvrent, ils marchent ensemble, ils écoutent simplement, les glaces, les vibrations bleues du ciel, ils suivent des empreintes dans la neige, ils s'arrêtent et observent les animaux. Depuis qu'ils chassent ensemble le coeur de Nicolas se fait désir : il a envie de la serrer dans ses bras, de s'y perdre à l'infini, de sentir son corps au creux de lui.
Ce matin-là, Emie vient le chercher dans sa tente. En la voyant il a l'impression d'être au premier jour, guidé par ses prunelles couleur d'ambre.
Aujourd'hui elle est là, devant lui, juste elle et son sourire qui ne demande rien, qui lui offre un présent. Il s'approche de la main ouverte et saisit le collier qu'elle lui tend. Au bout du lien en cuir est attaché un petit coquillage. Tandis qu'il l'accroche à son cou elle lui apprend qu'elle les ramasse sur le sol, pendant la saison, lorsque la glace fond. Elle lui dit que c'est une amulette. Il la regarde. Elle dit ça avec ses yeux qui brillent. Nicolas la remercie, il est heureux. Ils savent que le moment est venu. Il a envie de la terre, du vent, de traverser les espaces libres, et elle sourit, elle le comprend. Ils sortent de la tente, elle est devant, elle court, il la suit, c'est elle qui le porte, il le veut aussi. Il ne sait pas où il va, ils s'étourdissent, ils rient, la neige vole sous leurs pieds, l'air de la course s'engouffre dans leur bouche et ils crient de joie, ils s'enfoncent dans l'immensité blanche. Ils s'approchent de la grotte des glaces.
Soudain ils s'arrêtent. Nicolas la voit : une force merveilleuse l'accompagne. Son coeur se met à battre. Son regard se tourne vers Emie et lui dit son désir brut de la chair, de la terre fraîche. Elle sourit, elle le laisse faire, et il la prend et il plonge dans ses yeux grands ouverts. Ses mouvements se font fluides ; sous les mains de Nicolas s'étend désormais sa force douce et animale, les formes de son corps nu et chaud, qui le poussent hors de lui, dans lui. Peu à peu il sent la vie l'emplir, ses racines qui plissent en son coeur et s'élèvent en arbre vers le ciel, le soleil qui bruisse dans les jeunes branches, le vent qui les colore de vert tendre. Alors, au plus profond de lui même, venue du fond des âges, comme une vague, elle éclate rayonnante, elle coule chantante dans les plis de sa terre, lien liant les fragments de l'homme poisson.


Au loin Nicolas entendit des murmures.
- Il est en train de s'éveiller, annonça doucement une voix de femme.
Puis des pas et un bruit de porte. L'instant d'après il reprit conscience et ses yeux s'ouvrirent. Il parcourut rapidement la pièce où il était allongé. La femme qui se tenait à ses côtés lui sembla familière. Il ressentit l'épuisement de son corps et referma les yeux.
Lorsqu'il les rouvrit elle était toujours auprès de lui. Il reconnut la femme de Peter. Il s'assit sur le lit, et d'une main chercha sur son cou. Il y sentit un coquillage soigneusement attaché. Il sourit de le trouver. Puis il jeta un coup d'oeil autour de lui et lui demanda inquiet :
- Où sommes-nous ?
La question résonna pendant le silence de la femme. Sur son visage Nicolas y lisait l'hésitation. Puis tout en caressant son ventre rond de femme enceinte elle lui répondit d'une voix rassurante :
- Nous t'avons trouvé il y a quelques jours sur la grève. Tu étais inconscient et les hommes du village t'ont ramené à la maison.
Elle se tut un moment, essayant de cacher son émotion.
- Tu avais disparu depuis plusieurs mois...notre maison a été détruite...c'est pour ça que...
Elle fit un geste de la main qui désignait la maison, et continua : après ta disparition il y a eu une terrible tempête...une lame immense et rugissante est venue de la mer jusqu'au village...nous avons dû reconstruire sur ce qui restait...
- Et Peter ? Demanda calmement Nicolas.
- Peter est vivant. Ton frère, les hommes ont compris...que les sirènes puissent prendre certains d'entre eux. En échange elle les guident vers les bancs de poissons et leur annoncent les mauvais temps...mais on y échappe pas toujours. Il espérait tellement ton retour...Il vit en ce moment chez un ami à l'entrée du village, le temps que...
Elle se leva et alla à la table couper une tranche de pain. Un bouillon mijotait dans une marmite sur le poêle en fonte. Elle en versa une louche dans un bol, y mit le pain et le donna à Nicolas. Il la remercia. Il avait une faim de loup. Les vapeurs du bouillon montaient de ses mains jusqu'à ses narines. Il sentait bon. Il l'avala avec délice.
Nicolas regagna ainsi ses forces. Quelques jours plus tard il se leva et enfila les habits qui étaient posés sur une chaise à côté du lit. La maison était calme, personne ne semblait être là. Il décida de se rendre à la maison que la femme de Peter lui avait indiquée. Il ouvrit la porte et sortit dans le village. Il le traversa sous les regard amicaux et les sourires curieux de quelques habitants, assis sous le soleil de printemps. Pendant qu'il marchait, tous ses souvenirs, les odeurs et le chant du monde, remontèrent jusqu'à lui : le parfum de la mer et du soleil nouveau de la saison, les arbres et les fleurs qui éclosent , la roche qui sent le sel mêlé au sable, le cri des oiseaux volant au gré des courants du vent. Et les hommes ; invités à danser et à chanter sur cette terre.
Il arriva devant la maison et frappa. Derrière la fenêtre qui jouxtait la porte, il vit une ombre passer. Puis la porte s'ouvrit lentement et après un temps hésitant, Peter apparut sur le seuil. Son regard embrassa l'étendue bleue libre et infinie. Alors face à face, les visages des deux frères se transformèrent en un immense sourire.

Fin.

Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction

Jolie histoire, même si je n'y comprends pas grand chose au final.

Je trouve que tu as un véritable don pour décrire les sentiments et l'atmosphère, et je t'en félicite icon_wink . Mais le problème est que parfois tu vas trop loin et trop profondément dans la métaphore, à tel point que l'on ne s'y retrouve plus : kesskisspass, pourquoi on parle de ciel et de mer et de heu... De quoi on parlait déjà ?

Je n'ai rien compris à ce qu'il s'est passé du moment où il s'est fait emporté, cet étrange monde où il y passe un peu de temps, jusqu'à la fin où il revient. Dommage. Et pourquoi les sirènes sont-elles maléfiques et peuvent tomber amoureux des humains à la fois ?

Je pense que lundi je te posterai quelques maladresses.

Edit : Si tu rendais ta fiction un peu plus compréhensible, je pense qu'elle serait publiable. Mais il faudrait peut-être que d'autres donnent leur avis.

Cher Dragoris (est-ce que tu sens toute la formalité et le poids de ce qui va suivre ?),

Blague à part...texte écrit en 2007, ramené en partie par les "administrateurs" de l'ancien forum, première partie que je ne peux modifier...bref...il y a des commentaires sur l'ancien forum.

Dans ton incompréhension, je souhaiterai ton indulgence : la première raison est que c'est écrit comme je le parle dans ma tête. Une histoire orale comme ça, comme on peut la raconter spontanément, ça n'a pas forcément une queue ni une tête... pas travaillée comme de l'écrit de roman. Et puis chez moi il n'y a pas de métaphore -si ça y ressemble c'en est pas. Peut-être quelque amusement de ma part comme la saison des chaleurs (...) chez les louves...Ce qui compte pour moi c'est le dessin final.

Au plaisir de lire ta critique future.

 
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réalisé par Ertaï, designé par Ivaldir, illustré par Izual et Sophie Masure
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