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Dragoris



Cerbère des Portes de la Fiction


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Une plaine s’étend à l’infini. L’immense étendue de pelouse est d’un vert rayonnant. Puis elle commence à se flétrir rapidement, d’un jaune mourrant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que de la rocaille noire et stérile. Des gravats ont remplacé l’herbe basse pour ne devenir que terre maudite, brûlée et meurtrie. Des nuages d’un gris profond s’assemblent dans le ciel et rendent la scène plus lugubre qu’elle ne l’était déjà. Les Ténèbres sont omniprésents et oppressants.
Puis, après quelques secondes, les rochers noirs deviennent rouges, comme s’ils saignent, avant qu’une pluie diluvienne ne tombe. Une immense quantité d’eau s’abat sur la plaine, abreuvant la terre et la faisant passer du rouge au marron fertile. Puis les nuages s’écartent alors et laissent passer des rayons de lumière faisant pousser une herbe fraîche sur le sol.

- Alors magicien, que vois-tu ?
Les yeux de Layos étaient emplis de curiosité et d’espoir. Des cinq Chevaliers, il était celui que les arts de la magie passionnait au plus haut point. Contrairement à Kivar qui, lui, préférait plutôt s’occuper du danger qui les menaçaient tous en ce moment :
- Nous saurons plus tard ce qu’il a vu. Pour le moment, contentez-vous comme les autres de TENIR !
La porte massive en bois que les quatre Chevaliers soutenaient de leur poids et de leurs muscles reçu un nouveau coup de l’extérieur, aussi violent que les précédents. Le cinquième chevalier se mit aussitôt en place pour aider ses compagnons. Le magicien, sortant de sa torpeur, pointa son bâton vers la porte et murmura quelques mots dans une langue inconnue des Chevaliers, avant que le bois ne se transforme en une pierre plus dure que l’acier.
- Nous serons tranquilles pendant plusieurs heures, dit-il d’un ton presque monocorde, comme s’il lui eut été égal, avant d’enflammer une torche sur le mur et d’illuminer les ténèbres de la nuit autour d’eux.
Les cinq frères d’armes, étonnés, s’apaisèrent lorsque le nouveau coup porté par les orques sur la porte fut étouffé par la résistance de la pierre.
- Pourquoi sont-ils aussi tenaces ? demanda Kivar. D’habitude, ils lâchent vite l’affaire.
- Peut-être ont-ils très faim ? proposa Arcanas.
- Ne sois pas stupide ! Je suis sûr que ça a un lien avec l’enfant !
Le magicien, silencieux depuis qu’ils étaient entrés dans la maison fortifiée, prit soin de choisir ses mots, comme il le faisait d’habitude :
- Cet enfant n’est pas normal.
- Je le savais bien que c’était de la folie ! s’exclama Dorandir. Les orques tenaient cet enfant bizarrement, comme s’ils ne comptaient pas le manger.
- Ne dis pas de choses stupides, dis calmement Kivar. Les orques se sont jurés d’exterminer tous les humains, ce qu’ils font très bien.
- C’est peut-être ça, dit à son tour Arcanas négligemment. Ils veulent peut-être faire de l’élevage…
- N’attachez pas d’importance aux orques, dit le magicien d’un ton agacé. Tout tourne autour de l’enfant !
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Cémer, ouvrant la bouche pour la première fois.
Le magicien resta silencieux, ne sachant pas s’il fallait dire toute la vérité.
- Vous savez que je vois… certaines choses lorsque je touche des objets ou des gens.
- Nous le savons déjà, dit Kivar agacé, c’est d’ailleurs là le seul pouvoir impressionnant que tu aies.
- Laisse-le continuer, intervint Arcanas.
Le magicien s’éclaircit la voix avant de reprendre.
- D’habitude, les images que j’aperçois sont claires et net. J’y vois le plus important : une action héroïque, la façon dont va mourir cette personne, des conversations intéressantes… Mais en touchant cet enfant…
- Tu as vu quoi ? demanda Layos.
- Ce n’était pas net. On aurait dit que… mes visions étaient devenu des symboles. C’est la première fois que je vois ça.
- Tu penses que ça a un lien avec la manière dont se sont comportés les Orques ? demanda Cémer, voulant paraître perspicace.
Le magicien regarda l’enfant d’un œil critique.
- Peut-être, répondit-il d’un ton empli de mystère. Je crois que seuls les Dieux pourraient modifier à ce point mes visions…
- Les Dieux ! s’exclama Dorandir, parlant pour la seconde fois.
Il s’approcha du magicien, prit le bébé dans ses bras très doucement. Puis il enleva lentement le tissu autour de l’enfant jusqu’à ce que celui-ci soit complètement nu. C’est là qu’il aperçut, en même temps que les autres, la grande tache sur le dos. Une tache de naissance, d’une couleur rouge comme le sang, était imprimée sur la peau du jeune garçon. Elle avait la forme d’une spirale dont l’extrémité périphérique, après avoir effectué trois tours autour du centre, se divisait en deux chemins : l’un rejoignait un cercle, l’autre un rond.
Le magicien ne put s’empêcher de pousser un cri de surprise. Tout le monde le regarda, s’interrogeant sur la nature de cette exclamation.
- Ce n’est pas possible ! s’exclama-t-il.
Il leva la marque, et l’enfant, au niveau de ses yeux et la scruta longuement, avant de reprendre :
- C’est la marque d’un Dieu ! Il n’y a pas de doute possible, il a été envoyé ici bas pour une raison précise !
- Ce serait l’élu annoncé par la prophétie ? demanda Layos d’une voix emplie de respect. Celui qui libérera les humains de l’oppression des Démons ?
- Ne sois pas stupide, dit Kivar. Cet élu n’est pas attendu avant deux générations, septième après le Roi Réminorien.
- Kivar a raison, intervint le magicien. Mais surtout, il ne s’agit pas de la marque d’un des Dieux principaux, je la reconnaîtrais sinon. Je ne me souviens pas de quel Dieu elle provient, mais si cet enfant est envoyé par le camp du Mal, il n’aidera certainement pas les humains.
- Mais il ne s’agit pas d’un Démon, sans quoi cela se verrait, non ? demanda Arcanas.
- Ne sois pas stupide, dit Kivar. Les Démons ne se différencient pas des humains avant l’âge de treize ans.
Dorandir fronça les sourcils, se tournant vers le magicien.
- Que devrions-nous faire s’il s’agit d’un enfant mauvais ? Devrions-nous le tuer, même si ce sont les Dieux eux-mêmes qui l’ont créé.
- Les Dieux ne nous empêchent pas de tuer les élus. Mais ça n’arrive pour ainsi dire jamais car ceux-ci accomplissent toujours l’action à laquelle ils sont destinés. Cependant, il est possible de les assassiner, du moment que l’on s’y prend très tôt, avant qu’ils soient assez fort pour utiliser leurs pouvoirs exceptionnels et se défendre.
- Comme maintenant ?
- Oui. Si nous voudrions le tuer, nous pourrions. Mais il faut être sûr qu’il n’appartient pas à notre camp.
- Et vous êtes certain de ne pas savoir de quel Dieu provient cette marque ? demanda Cémer à son tour.
- Mon maître me l’avait dit il y a longtemps, répondit le magicien, mais je ne m’en souviens plus.
Soudain, un long et grand cri rauque, inhumain, s’éleva dans l’obscurité. Sans aucun doute, il s’agissait du chef orque, celui qui commandait la patrouille encerclant la maison fortifiée. Dans leur langage, il exprimait son mécontentement et sa colère. Personne n’arrivait à déterminer s’il parlait à ses guerriers ou aux Chevaliers. Lorsqu’il eut presque fini, sa voix emplit les ténèbres de la nuit d’une haine féroce :
- Karak deyim ounass Reminock ! dit-il à la porte de pierre.
Les cinq chevaliers se regardèrent entre eux avant de demander au magicien s’il comprenait leur langue.
- Il nous demande de leur donner l’enfant, sans quoi ils feront appel à un Démon.
- Il a vraiment dit tout cela ? demanda Arcanas.
- Disons que c’est la version littéraire de ses paroles…
Il y eut un court silence, jusqu’à ce que Cémer demanda :
- Alors que fait-on ?
- Si cet enfant atterrit aux mains des Orques, répondit le magicien, on peut être sûr que son destin suivra les intérêts des Démons.
- Ce qui nous ramène à la même question : que fait-on ?
Un nouveau silence se fit dans la pièce où se tenait les six compagnons et le bébé.
Ce fut au tour de Layos de le rompre. Layos, le passioné de magie.
- Si vous vous concentrez, dit-il au magicien d’un ton excité, est-ce que vous pourriez avoir une nouvelle vision concernant l’enfant ?
- Je peux toujours essayer, répondit le magicien. Mais étant donné ses origines, je doute que cela nous avance beaucoup.
- Essayez tout de même, s’avança Dorandir. Il n’y a pas grand chose à faire ici, autant se concentrer sur l’enfant…
Le magicien regarda attentivement l’enfant entre ses bras. Il ferma les yeux, concentrant son pouvoir, invoquant une magie puissante afin d’entrevoir un futur, le futur de ce garçon…

Une immense plaine noire, rocailleuse, semble s’étendre à l’infini. Les nuages sont noirs, hauts au-dessus du ciel, menaçant d’arroser d’une pluie acide les deux armées face-à-face.
D’un côté, le Mal. Des orques grognent, menaçants, tenant chacun une grosse massue assortie de clous, leur arme favorite, ainsi qu’un bouclier primitif, de bois, entouré d’une mince bande de fer. Ces répugnantes créatures sont menées par une bande de Démons, les ennemis principaux des humains. De forme humaine, sur leur corps sont néanmoins tatouées des formes maléfiques, venant naturellement à l’âge de treize ans. Certains possèdent sur leur peau bronzée des cônes, des cercle, des traits parallèles ou des inscriptions en langue inconnue. Leurs yeux sont ceux des serpents, une pupille verticale entourée d’un jaune brillant dans la pénombre. Leurs ongles sont devenus avec le temps des griffes acérées, leurs dents des crocs pointus, leurs muscles se sont développés…
Un Démon se démarque des autres. Assis sur un trône d’or décoré de crânes d’homme, porté par des esclaves humains devant nuit et jour le maintenir au-dessus du sol, il semble physiquement différent des autres. Sa peau est rouge comme le sang. Ses tatouages, jaunes au lieu d’être noirs, emplit presque tout l’espace de son torse nu. Une cape de peau de bête traîne derrière lui, lui donnant un aspect royal. Il a l’air terriblement puissant. Sans aucun doute, c’est le chef de toutes les créatures infernales sur le champ de bataille.
De l’autre côté de l’armée maléfique, se dresse les Hommes. Munis de lances, leurs vrais armes résident dans la férocité que montre leur regard. Ils se montrent hargneux, déterminés. Ils savent que cette bataille décidera du sort de l’espèce humaine. C’est leur dernière chance de vivre, sans quoi il n’existera plus que des esclaves au service des Démons.
Un seul homme se démarque des autres. Devant l’armée dont il est incontestablement le chef, il brandit vers les Démons son épée tranchante et son bouclier en acier dans un geste de défi.

Le magicien sortit brutalement de sa vision. Sa respiration devint irrégulière, il semblait presque paniqué. C’était la première fois qu’il voyait autant de monde dans l’une de ses prémonitions. Car tout comme il pouvait voir, il ressentait des émotions. La peur, la colère, l’excitation, la satisfaction, le plaisir… Autant de sentiments l’avaient traversé presque en même temps. Et puis la douleur… Beaucoup de douleur, presque insoutenable.
- Est-ce que tout va bien ? demanda Layos.
Le magicien mit du temps à répondre. Il avait besoin de reprendre son souffle tant le choc avait été rude. A présent, il commençait à comprendre pourquoi ses pouvoirs ne fonctionnaient que partiellement. Les Dieux voulaient donner une protection sûre à cet enfant afin d’être sûrs qu’il accomplisse sa destinée. Et quel grand destin ! Il allait être l’ultime rempart contre la menace des Démons !
- Je vais mieux, dit-il pour ne pas les inquiéter. Je crois… Je crois que j’ai compris la raison pour laquelle les orques se comportaient bizarrement devant cet enfant…
- Ha ? dit Kivar. Et peut-on la connaître ?
- Cet enfant est celui qui mènera les hommes lors de l’Ultime Bataille ! Il affrontera le chef des Démons !
La déclaration fit sensation autour de la pièce. Eux qui n’avaient connu que la violence et les combats, savoir qu’un jour viendrait où les orques et les Démons disparaîtraient était un espoir si grand que beaucoup doutaient que cela n’arrive un jour.
- L’Ultime Bataille ? s’écria Cémer. Celle décrite par la Prophétie comme étant le dernier affrontement entre humains et Démons ? Celle qui déterminera laquelle des deux espèces disparaîtra ?
- Ne viendrait-il pas un peu plus tôt que prévu, cet élu ? demanda Arcanas.
- Les prophéties et les chiffres sont parfois inexacts, répondit le magicien. Voir l’avenir d’une personne, c’est difficile, mais percevoir la destinée d’un peuple entier, c’est presque impossible. Seuls quelques puissants mages y arrivent. Mais il y a toujours quelques imprécisions. De plus, les Dieux ont peut-être dû accélérer leurs plans en voyant à quelle vitesse les humains s’éteignent…
Cémer s’approcha de l’enfant et le prit dans ses bras.
- Ainsi, je tiens entre mes mains le futur meneur des Hommes…
- Étrange sensation, n’est-ce pas ? fit Layos.
- Oui, tout cela est très intéressant, intervint Kivar, mais que faisons-nous à présent ? Nous ne pouvons pas rester ici bien longtemps. Les orques finiront bien par trouver un moyen de détruire la porte, et au pire, feront appel à un Démon.
- Mais le temps est aussi avec nous, suggéra Dorandir. Un camp -humain- de survivants Réminoriens n’est pas très loin d’ici, et certaines de leurs patrouilles passent par ici. Si nous attendons un peu, l’une d’elle repérera les orques et nous sauvera.
- De toute façon, continua Arcanas, les orques sont trop nombreux pour nous. Nous ne pouvons pas partir d’ici, alors quelle autre solution avons-nous que celle d’attendre ?
Il y eut un court silence, pendant lequel tous réfléchirent sur cette dernière phrase. Tous sentaient sur leur cœur un poids qui semblait plus grand que celui de la planète. Puis à nouveau, la voix rauque du chef orque se fit entendre.
- Karak deyim ounassi Reminock !
- Doum Shadock orgrarim Nakrash ! cria le magicien vers l’extérieur.
A nouveau, un silence se fit puis la même voix grave emplit la bâtisse.
- Eminir Ina-karok Nobraser Sadikrah !
Le magicien expliqua devant le regard interrogateur des cinq Chevaliers :
- Je lui ai demandé quelle garantie nous avions de partir sain et sauf si nous leur donnions l’enfant. Il m’a répondu qu’aucune, et que de toute façon nous n’avions pas le choix.
- De toute façon, dit Cémer qui berçait l’enfant déjà endormi, nous ne pouvons pas laisser l’élu entre leurs mains. Qui sait alors s’il n’aidera pas les Démons et non les humains ?
- Alors tu proposes d’attendre ? demanda Kivar.

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