Déambulant les marches deux à deux, manquant de justesse d’écraser le chat qui se trouvait sur une marche paire, j’atteignis ma cible.
La porte grande ouverte sur l’extérieur me laissait apercevoir le flux incessant de cristaux blanc signe prometteur d’un paysage nouveau aux couleurs neutre et inhabituelles. Et, devant moi, se tenait un livre, se tortillant de froid, faisant claquer ses pages pour se réchauffer, il voletait là, attendant avec le plus de patience dont il pouvait faire preuve que je l’invite à rentrer.
Tout excité que j’étais, je lui présentas vivement l’intérieur de la maison et je n’eus pas à attendre longtemps avant de le voir s’avancer, d’abord doucement, puis de plus en plus vite comme s’il prenait confiance en lui. Dès qu’il eut passé la porte, celle-ci se referma avec telle violence que le livre en fit une pirouette de surprise et s’arrêta net.
Ah, il était là, enfin, ce livre que j’attendais temps. Plus qu’un livre, un rêve, une ouverture pour mon avenir, un supplice d’attente et de doute précédait son arrivée si bien que je ne supportai plus les règles de politesse et le saisis par la couverture pour le feuilleter.
Chaque page respirait la froideur glaciale du dehors et frémissait, manquant de se casser tel un miroir, sous l’effet de mes doigts fiévreux d’apprendre la nouvelle.
Avais-je été reçu à l’IHC ? La réponse se trouvait dans ces pages ! Mais où ? A croire qu’ils le faisaient exprès, la liste des nominés se trouvait chaque année dans un endroit différent en plein milieu de nul part entre une découverte scientifique et un dossier de colonisation d’une nouvelle planète ou bien encore un fait divers ! Il n’y avait pas de règle et mes sentiments de crainte montaient en moi si bien qu’au détour d’une page, traitant du fermage sur la planète Igador, une déchirure se fit entendre, suivit d’un claquement sec du livre qui se referma sous la douleur et se mit à gesticuler dans tout les sens !
J’étais partagé entre un sentiment de pitié pour ce pauvre livre que j’avais mutilé et une excitation encore plus forte de continuer ma lecture ! J’approcha mes mains pour le saisir de nouveau mais il fit un écart, je m’approcha encore et il se mit à reculer. Décidément le sort s’acharnait sur moi ! Pris d’une envie irrésistible de savoir je m’élançai sur ce livre et bien mal m’en pris, il m’évita de côté et voilà que je m’écrasai la tête la première dans un lit de doux cristaux, entendant la porte se refermer derrière moi d’une allure dédaigneuse. Au moins elle avait eu la décence de m’éviter...
Malgré le froid, j’étais toujours aussi énervé et je me remis debout de vive allure dans l’espoir de m’emparer de ce précieux livre qui me faisait bondir ! Mes soucis n’en étaient pourtant pas fini...La porte capricieuse, comme à son habitude, jugea que je m’étais comporté indignement envers le livre et refusa catégoriquement de m’ouvrir.
Je respirai donc un grand coup, allai m’asseoir sur le banc (glacé) de l’autre côté de la route et tout en regardant la porte de ma maison, et fis le point.
Il était environ huit heures du soir, nous étions le 24, des cristaux blancs et doux tombaient en quantité, j’étais là, plein de haine contre ces objets maudits qui n’en font qu’à leur tête, en train de chercher un moyen d’obtenir mes résultats d’admission dans l’institut de mes rêves.
Je devais capturer ce livre, cette idée s’imprégnait en moi telle une évidence. Il avait fait un si long voyage depuis la planète mère de l’institut, sûrement avait-il pris un transport stellaire et longé la ceinture d’Origa pour arriver jusqu’ici. D’après l’état où il était, il n’avait pas du prendre de busard, sans doute par manque d’argent...
Mais comment pouvais-je mettre la main dessus ?! La porte refusait de me laisser entrer, les fenêtres étaient renforcées, la cheminée condamnée, non décidément, je ne voyais pas de solution. Alors je restai là, sur ce banc, contemplant le devant de ma maison. Les heures passaient, mais le paysage était toujours plongé dans l’obscurité, rien de bien passionnant. Soudain, j’identifiai une voix venant de l’intérieur de la maison.
Ne tenant plus sur place, je me levai et, après être grimpé sur un arbre longeant la demeure, je pus voir à l’intérieur. Le spectacle était surprenant ! Au milieu du salon, étaient assis les différents objets en cercle autour d’un livre dont les pages tournaient périodiquement et qui semblait leur raconter une histoire. Devant ce comportement pour le moins étrange pour des outils conditionné à leur tâche je vins à en perdre l’équilibre et dégringolai de l’arbre.
On avait dû m’entendre à l’intérieur parce qu’une fois remonté, les rideaux étaient fermés !
Mais j’avais eu le temps de voir ce livre... Je commençais à le connaître, toujours le même, celui que je voulais attraper ! Il avait l’air de s’être bien remis de sa déchirure et organisait une véritable partie pendant que moi j’étais dehors, dans le froid et en attente de mes résultats.
Ça ne pouvait vraiment pas durer ! Je retournai voir la porte mais elle fut impitoyable et ne voulu rien entendre. Alors, énervé sur le moment, je saisi le banc et fonçai vers elle, décidé à en démordre ! Le choc me projeta en arrière tandis que le banc manqua de m’écraser. Me relevant rempli de joie à l’idée d’avoir « ouvert » cette maudite porte, ma vision me rappela justement que celle-ci n’était pas commune. Sortant tout droit des usines de la planète Ustensia, c’était une porte intelligente et très robuste (le prix et le banc en apportaient la certitude) que j’avais gagné lors d’un concours sur l’histoire de la forêt des Eau-Magé. Il fallait seulement débiter devant un jury tous les événements qu’avait connu cette veille forêt aux arbres pour le moins magiques et servant de matière première à la création d’objets intelligents de la vie de tous les jours.
Encore dans une impasse. Et les heures passaient, j’entendais les murmures de la lecture qui se déroulait dans ma maison et qui ne semblait pas avoir de fin. Puis, plus rien. Je regardai ma montre : minuit. Je commençai à me lever pour aller demander l’autorisation de rentrer devant l’heure tardive mais la réponse fut aussi amicale que quelques heures plutôt. La fatigue se faisait ressentir et je n’eus pas le courage de tenter une autre action physique et inutile contre ce bois rancunier. Cependant, étant devant la porte j’entendais des bruits à l’intérieur, il semblait y avoir de l’ambiance ! Des claquements, des coups sourds, des frottements, autant d’indices qui me permettaient d’imaginer (dans un délire dû à la fatigue) qu’après leur lecture les objets étaient en train de danser. Après quelques minutes de somnolence à imaginer ces sottises, je m’aperçus que j’étais complètement appuyé contre la porte qui restait neutre à mes signes de fatigues.
Rester debout ne m’allant guère, je retournai sur mon banc qui me paraissait décidément bien utile puis m’endormis. Enveloppé par ce manteau de cristaux qui n’avait pas cessé de s’accumuler sur moi, un bruit continu me réveilla. Il était assez fort et bien que je voulus jeter un coup d’oeil, mais mes paupières gelées refusaient de s’ouvrir. Le son comme seul moyen de perception, je recréai dans mon esprit ce à quoi cela me faisait penser.
Etais-je gelé jusque dans mon esprit ? Je ne le sais, mais la vision que j’avais c’était celle de ces mêmes objets qui étaient encore ensembles et qui se parlaient maintenant à vive voie autour d’un bon feu dont j’entendais le grésillement. Ils semblaient être contents et emplis de joie de se retrouver ainsi, en groupe pour toute une soirée. Et en effet, je les comprenais, ça ne devait pas être toujours drôle de rester à une place conditionnée par une utilisation précise depuis la naissance. Au fur et à mesure que le temps passait, j’avais presque l’impression de voir l’image de ces objets disparaître pour laisser place à des hommes et des femmes, contents de se retrouver et qui partageaient une chaleur et une joie commune à l’abri du froid, chauffés par ce doux feu de cheminée. Feu de cheminé ! Mais ce n’était pas possible, elle était condamnée ! Cette pensée eu raison de la douleur et mes yeux s’ouvrirent puis se refermèrent directement, la lumière était déjà là ! J’avais décidément dormi plus longtemps que je ne le pensais ! Me relevant doucement, jugeant de mon état, je portai mon regard vers la cheminé qui laissait en effet échapper une fumée épaisse puis je descendis mes yeux jusqu’à la porte.
Collé à celle-ci par le froid, on discernait la page du livre que j’avais déchiré la veille. Me souvenant du même coup que je ne savais toujours pas le résultat de mon admission, je me retrouvai en train de marcher vers la porte cherchant quelques astuces pour rentrer. Mais une fois arrivé, je n’en eu pas besoin, sur la porte se tenait les résultats ! Toute la nuit ils avaient été là ! Au dos de la page du fermage sur la planète Igador, qui avait dû s’envoler au dehors lors de la vive ouverture de la porte pour m’éviter. Et qui avait dû se coller à ma combinaison puis se coller à la porte lors de mon assoupissement contre elle. Mais je n’eus pas trop le temps de penser à ces choses-là, mon regard était fixé sur mon nom ! Oui, j’avais été reçu ! Malgré la froideur de mon visage, un sourire se dessina et je m’évanouis.
« D’abord je tiens à saluer l’arrivée des nouveaux élèves à l’institut d’histoire par compréhension, j’espère que vous passerez de bonnes années d’études parmi nous et que tout ce que vous apprendrez vous sera utile dans vos futures affectations aux sein des plus hautes instances scientifiques de notre monde. »
J’étais à mon premier cours à l’IHC ! La tension était à son comble, je découvrais les locaux de l’institut qui étaient majestueux par leur grandeur et leur géométrie uniforme et j’allais bientôt avoir le droit à mon premier travaux pratique. J’avais entendu des élèves en parler dans les transports il paraissait que l’on nous mettait dans une salle neutre muni d’un siège et d’un casque et qu’on nous envoyait des concepts d’anciennes civilisations oubliées, laissant notre esprit les découvrir comme il le voulait.
La rumeur était fondé, j’étais à présent assis, le casque sur les oreilles et j’attendais le premier concept. Soudain, un flot d’image surgit dans ma tête, des images familières de cristaux, d’homme et de femme rassemblés dans une maison à l’abri du froid, parlant et riant autour d’un feu de cheminé. Des mots qui m’étaient jusqu’alors inconnus apparurent : neige, Noël.
bouboul