Petite nouvelle sans prétention qui parle de déception amoureuse avec juste une petite touche de surréalisme à la Boris Vian. Ce texte m'a été inspirée par une lettre que m'avait écrite ma chérie. Elle m'avait tellement émue que j'ai voulu en faire une fiction.

Elle ouvrit les yeux.

Elle s'était encore endormie toute habillée dans le canapé. Depuis quand dormait-elle ? Des heures ? Des jours ? Elle ne se souvenait plus. Tout ce dont elle se rappelait c'était ses pleurs interminables. L'horloge à demi cachée par des tasses de thé indiquait midi et demi. Pourquoi faisait-il si noir alors ? Elle se leva et se dirigea vers la fenêtre ouverte. Le soleil brillait bien mais pas pour elle.

Elle remarqua quelques-uns de ses vêtements en train de sécher. Elle se mit à les ranger, par habitude. Il avait dit qu'il viendrait bientôt les chercher, peut-être serait-ce aujourd'hui ? Elle était aussi impatiente qu'inquiète de se retrouver face à lui. Une fois sa tâche accomplie, elle se dénicha un magazine féminin et s'assit à la table du salon, écartant délicatement les tassés de thé à demi entamée -il aimait tant en boire- pour se faire une petite place. Elle ne réussit pas à lire, trop d'obscurité, trop de choses dans la tête. Ses yeux voulaient pleurer et sa tête n'avait pas assez de force pour les retenir.

Elle savait que c'était sa faute. Il l'avait aimée, du moins le pensait-elle, mais elle l'avait poussé à bout. Elle l'avait éreinté tant et si bien qu'il l'avait abandonnée.

On sonna à la porte, sans doute lui. Elle n'attendait personne d'autre. Elle se leva précipitamment , renversant une tasse de thé au passage, et courut ouvrir la porte. C'était bien lui mais il avait changé.

Son visage était inexpressif et si pâle ! Elle aurait voulu poser ses mains sur ses joues, leur redonner leur rose d'antan mais elle se retint. Il ne voudrait certainement pas. Il portait un grand manteau noir, très long, qui faisait tomber ses épaules, affaissant sa silhouette autrefois si masculine. Et avait un trou béant à la place du coeur.

''Je suis venu reprendre mes affaires'' dit-il d'une voix profonde. Sans attendre il pénétra dans l'appartement, elle le suivait les yeux rivés sur son visage.

''Tu veux boire quelque chose ? J'ai du thé.
- Non, je te remercie, je veux juste mes affaires.''

Il posa un vieux sac de voyage à terre (Il le tenait quant il était entré ? Elle ne l'avait pas vu.) et commença à y ranger consciencieusement ses vêtements.

Rassemblant son courage elle rompit le silence.

''Tu ne veux pas rester ici quelques jours ?''

Il se retourna vers elle, plongeant ses yeux lugubres dans les siens.

''Je t'ai aimée tout de suite, dès notre première discussion. Quand tu as commencé à choisir les personnes avec qui j'avais le droit de parler, je n'ai rien dit. Je t'aimais. Quand tu t'es mise à espionner mes faits et gestes, là encore je n'ai rien dit. Quand tu as commencé à me faire des scènes parce que tu m'avais vu échanger des mots avec une autre femme, je me suis défendu mais c'était trop tard. Je n'ai pas réagi assez tôt et j'ai laissé la situation s'envenimer. C'était trop tard. Tout le mal que tu m'as fait, je ne peux plus te le pardonner.

- Je souffre moi aussi !

- Pas autant que moi.

- Comment peux-tu le savoir ? ''

Il tira lentement un couteau de cuisine de son long manteau. ''Je vais te montrer comment je souffre.'' dit-il de sa voix caverneuse. De peur, elle recula maladroitement. Elle glissa sur une tasse de thé et heurta le canapé derrière et s'effondra dessus sans force. Elle se demanda pourquoi elle avait voulu fuir. N'était-ce pas la punition qu'elle méritait ? Souffrir comme elle l'avait fait souffrir ? Des larmes silencieuses coulèrent de ses joues lorsque l'ombre du couteau s'approcha de sa poitrine.

Elle s'était encore endormie toute habillée dans le canapé. Depuis quand dormait-elle ? Ca n'avait plus d'importance. Elle se leva puis se dirigea vers l'évier de la cuisine. Les tasses de thé formaient tout autour des piles d'une hauteur invraisemblable. Elle commença à les laver. Pour la première fois depuis des semaines ses yeux étaient secs. Elle ne ressentait aucune tristesse. En vérité, elle ne ressentait rien mais n'en avait pas vraiment conscience. Une tasse lui échappa des mains et alla se briser sur le sol. L'un des bris de verre la coupa lorsqu'elle voulut la ramasser. Elle le sentit à peine. Et lorsqu'elle passa devant la glace de la salle de bain pour aller chercher de quoi désinfecter la plaie elle ne vit pas son teint pâle, ni le trou béant à la place de son coeur. Les yeux baissés, elle reprit son labeur.