Ils étaient deux, face à face, dans cette immense salle aux murs d’un blanc éclatant, presque surnaturel. Il y avait deux petites portes et une troisième, un peu plus large. Le sol était fait de marbre et la longueur de la pièce était de cent mètres et sa largeur de cinquante mètres. Le plafond était aussi d’un blanc resplendissant et il était à une hauteur de dix mètres. Une conséquente impression de vide et de majesté se dégageait de ce lieu hors norme. Les deux hommes restaient impassibles et concentrés alors que le silence régnait. Une table, en marbre aussi, séparait ces deux êtres, où Ils jouaient aux échecs.
Un autre homme longeait les mûrs, comme angoissé par ce qui se déroulait au centre de la pièce. Il paraissait avoir soixante dix ans. Il était petit, un peu enveloppé et mal habillé. Sur son visage d’importantes rides s’esquissaient, sa tête était assez large et son nez aquilin. Il avait des cheveux gris, des sourcils prononcés et des yeux marron. Son cœur fatigué battait très fort et rapidement. Il transpirait beaucoup et sa nervosité était visible.
Les deux hommes au milieu de la salle étaient toujours stoïques. Une de ces personnes devait avoir cinquante ou bien soixante ans. Il était tout habillé en noir avec un grand chapeau, noir lui aussi. Son visage était carré, ses cheveux grisonnants et longs, ses yeux bleus et son corps dans les normes. Un petit sourire commençait à se dessiner lentement au coin de sa bouche pendant la partie. Il déplaçait les pièces avec suffisance et désinvolture. La nervosité et l’inquiétude envahissaient progressivement son adversaire suite à ce comportement et à la situation du jeu. Celui-ci, anxieux, était beaucoup plus jeune que son opposant car il semblait être âgé d’une vingtaine d’années. Il était assez grand mais frêle. Son visage était assez fin, son nez petit, ses yeux noisette et ses cheveux châtains et courts. Ses vêtements étaient tous blancs et magnifiques.
La personne âgée faisait des tours de la salle car elle essayait de passer le temps comme elle pouvait. C’était peine perdue en ce lieu et la situation le rendait anxieux avec l’avancée de la partie. L’énervement la gagnait au fur et à mesure. Il commençait à se ronger les doigts, à se gratter le crâne et à faire craquer quelques articulations. Son comportement empirait, on pouvait ainsi lire sur son visage une grande peur. Ses yeux étaient hagards, vides et son visage, totalement figé. Il perdait sa raison et son humanité.
Les deux joueurs au milieu continuaient la partie malgré le comportement du troisième individu. Le jeune homme déplaçait lentement ses pièces avec grâce tandis que son ennemi le faisait avec une rapidité déconcertante. Le vieux joueur savait sa victoire acquise tandis que son ennemi perdait la face, lentement mais sûrement. Son sourire était grand et moqueur. Cela irritait son adversaire qui fronçait un peu les sourcils. Le vieux joueur fixait du regard son jeune rival, tandis que lui regardait avec grande concentration l’échiquier. Chacun déplaçait ses pièces avec son style, le plus âgé avec rapidité, hésitations et légèreté et le plus jeune avec lenteur, réflexion et détermination. Les pièces du jeu étaient en marbre tout comme la table, la moitié blanches et l’autre noires. Elles paraissaient être d’une autre époque, plutôt d’un autre univers. Leurs teints de couleur étaient assez ternes et leurs formes arrondies trahissaient la grande usure et l’usage intensif dont elles avaient été les victimes.
Parfois, le vieux joueur détournait son regard de son jeune compagnon de jeu, pour explorer la salle puis pour dévisager, avec un certain amusement, la troisième personne, habitée par l’angoisse et la peur. Le jeune homme, quant à lui, jetait des coup d’œil furtifs, puis il se replongeait dans le jeu le regard abattu et plein de pitié. Le comportement de son adversaire l’énervait encore, mais il ne pouvait rien faire à cela. Le vieux joueur jubilait de ce type de situation, très commune à ses yeux, il adorait cela et c’était un plaisir presque maléfique et malsain.
Le spectateur devenait fou, il croyait attendre depuis une éternité. Il tira alors la manche de son manteau afin de voir les aiguilles de sa montre à quartz. Les aguilles étaient fixes, rien ne bougeait. Il frappa sa montre, fou de colère, mais cela ne changea rien. Il regarda l’heure que sa montre affichait, il se rendit compte que ce n’était pas n’importe quelle heure. Elle indiquait quinze heures trente deux minutes et treize secondes. Il devenait blême, c’était l’heure à laquelle il était rentré dans la salle. Il resta immobile, sans aucune expression, pendant un long instant, assis sur le sol glacé en marbre blanc. Il n’osait pas déranger les deux hommes. C’était hors de question et inapproprié car cela pouvait changer beaucoup de choses pour lui. Il n’aimait pas le regard du plus vieux des deux, il jetait quelques coups d’œil dans sa direction avec un regard hautain et machiavélique. Les regards du plus jeune étaient brefs et remplis d’apitoiement.
Il continuait de s’agacer et de s’exciter sur sa montre défectueuse, de la maudire et le bruit était conséquent. Les deux joueurs, à ce moment, se regardèrent puis leurs têtes se tournèrent dans la direction de l’origine de la voix et des sons. Le vieux joueur remua alors ses lèves avec un air suffisant et supérieur pour dire juste une seule phrase : «Dans cette salle, le temps est une notion absurde car il existe autant que ce lieu. ».
Le vieil homme ne bougeait plus. Etait-ce réel ? C’était un rêve ? Mais ce n’était pas possible ! Rien n’était rationnel ! C’était n’importe quoi ! Ce n’était pas la réalité mais un cauchemar. Il se répétait qu’il devait se réveiller. Ce n’était pas grand-chose. Rien qu’un petit monde imaginaire. Tout cela n’était que le fruit de sa pensée. Mais pourquoi il ne se réveillait pas alors ? Pourquoi ? Trop fatigué ? Non. C’était autre chose. Un piège. C’est vide. Rien. Il courait dans toute la pièce, se jetait contre les mûrs en poussant des hurlements terribles. Non ce n’était pas réel. Il ne le voulait pas. Il était pris dans ce traquenard. C’était impossible. Comment quelqu’un avait-il pu imaginer cela ? C’était ignoble et inhumain. Pourquoi lui ? Il s’était pourtant toujours bien comporté. Personne ne pouvait le sauver.
C’est à cet instant, que le vieux joueur, avec un petit rire pernicieux, annonça un échec au roi blanc. Le jeune joueur, à ces mots, devînt amplement plus angoissé et nerveux. Il posa alors son menton sur ses deux mains et fixa l’échiquier. Pendant ce temps, le troisième individu, en pleine démence, gesticulait dans tous les sens en hurlant. Les deux joueurs ignoraient totalement cela et restaient concentrer comme avant. Alors, c’est avec abnégation et regret que le jeune joueur déplaça son roi car il ne lui restait plus beaucoup de solutions. L’adversaire feinta d’être étonner et surpris par ce mouvement et se mit à rire à grand éclat. Il posa ensuite sa main sur la tour noir qui lui restait. Il la déplaça lentement en la frottant sur le plateau de jeu, ce qui provoqua un petit crissement strident et extrêmement désagréable à l’oreille. Sa main, longue et fine, s’arrêta de bouger dès lors. Elle lâcha la pièce à une position critique sur l’échiquier. Le vieux joueur, avec la même attitude hautaine et débordante de mépris pour autrui, clama haut et fort, d’une voix solennelle et lugubre, « échec et mat, mon ange.».
Le vieil homme, aliéné, essayait d’ouvrir la porte la plus large par laquelle il était rentré dans ce lieu. Il la frappait avec tout son désespoir, tirait les poignées de toutes ses forces, et, malgré tous ses efforts, ça restait vain, puisque la porte n’avait pas bougé. Il tapait encore sur la porte qui émettait des bruits métalliques et sourds. Il pleurait. Criait. Il voulait vivre. Sortir de ce cauchemar. Respirer. Etre libre.
Le jeune joueur se leva en même temps que son adversaire, qui se dirigea vers une des portes. Il marcha en direction de la porte principale, par laquelle le vieil homme était rentré.
« La partie est finie. J’ai fait tout mon possible pour vous. J’en suis désolé mais la victoire n’est pas mienne. Je vous pris, avec beaucoup de regret et de compassion, de passer la porte ouverte qui mène aux enfers, comme les règles le stipulent. »