1er jour
Aujourd’hui est le premier jour depuis que je me suis converti à la religion catholique. J’ai supplié le prêtre de me garder ici, dans le monastère, pour échapper à la justice. Il a accepté sans m’interroger sur ce que j’avais fait. Je lui ai simplement demandé, avant de me convertir, si je pouvais garder avec moi une vieille machine à écrire. Je ne me voyais franchement pas en train d’écrire mon journal à la plume et à l’encre. Il a accepté mais à la condition que personne ne la voie. Pour cela il m’a indiqué une petite pièce isolée et m’a donné la seule clé permettant de l’ouvrir. C’est donc dans cette pièce que je commence à écrire mon journal.
2ème jour
Chaque jour il faut prier. C’est ennuyeux mais je n’ai pas vraiment le choix. Le prêtre dit qu’il veut bien nous accueillir dans le monastère à condition de prier comme tous les autres religieux. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour échapper à la justice !
3ème jour
Aujourd’hui, j’ai fait connaissance avec les «autres», mais beaucoup n’ont pas voulu me dire leur nom. Ils étaient tous dans le même cas que moi : harcelés par la justice. Nous nous appelons par notre surnom. Ainsi dans ce monastère, j’ai rencontré Marcel, un chauffeur de camion qui a écrasé une vieille dame ; Bibi, qui est nain, a ruiné une émission de télé (il m’a dit qu’il en avait assez de servir de porte-clé dans un fort au milieu de la mer) ; Jaco, qui bégaie, a raté un casse à cause de son handicap ; Thor, qui ne se sépare jamais de son marteau porte-bonheur, a tué son frère (il en avait assez de ses bêtises). Gulliver, qui est obligé de se baisser pour passer une porte, a écrasé un enfant sans le vouloir. Demain, j’irai visiter le monastère car, aujourd’hui, je n’ai pas fait attention aux salles que j’ai traversé.
6ème jour
Les premiers jours, je me suis demandé comment les moines pouvaient savoir exactement l’heure qu’il était. Il était interdit de porter une montre dans le monastère. Même si certains de mes camarades ne respectaient pas cette règle, tous les moines obéissaient. Quand j’ai posé la question à l'un d'eux, il m’a répondu : « Tu regardes sans voir, observes attentivement autour de toi». Je fis ce qu’il me dit et j’aperçus sur un mur une grande horloge qu’il était impossible de rater. « Quel imbécile je suis ! » Je manqua de mourir de honte d'être passé à coté de quelque chose d’aussi visible.
7ème jour
L’incident d’hier avec l’horloge s’est répété. Alors que je m'apprêtais à écrire après avoir enfin quitté la messe, j’entendis mon estomac gargouiller de faim. Je m'apprêtais à sortir de ma salle regarder l’heure sur la grande horloge quand je vis une autre horloge, placée au-dessus de ma porte, plus petite mais identique à l’autre. Celle-ci n’était pas là auparavant, j’en étais sûr. Personne n’avait pu l’accrocher là pendant que je me promenais ailleurs : le prêtre avait bien dit qu’il m’avait donné la seule clé existante, on m’avait aussi dit que cet homme n’avait jamais menti. « Personne n’a pu me prendre ma clé discrètement : je la garde toujours sur moi. Et à quoi bon rentrer dans cette pièce illégalement pour juste y placer une horloge ? » J’ai imaginé des dizaines de possibilités sans en trouver une seule qui puisse être plausible.
8ème jour
Aujourd’hui, J’ai regardé l’horloge de près. C’est une horloge classique avec des chiffres romains allant de un à douze qui a cependant une particularité : une spirale part du bord du cadran et s’arrête au centre sous les aiguilles. J’ai tenté de décrocher l’horloge mais elle est restée collée au mur comme si elle en faisait partie.
16ème jour
En regardant de nouveau l’horloge, j’ai remarqué que la spirale ne partait plus du bord du cadran, un petit espace était apparu entre le bord et la spirale. J’étais pourtant persuadé que la spirale partait exactement du bord. Je me suis dit que je devenais fou. Il n’y a que les fous qui s’attardent sur des détails. J’ai peut-être tout simplement mal regardé l’horloge, la première fois.
31ème jour
Cela fait un mois à peu près que je suis ici. Aujourd’hui Bibi est venu me voir en courant. Il m’a dit qu’un ancien commissaire de police venait se recueillir ici. Beaucoup de mes camarades pensent qu’en réalité il est là pour nous coffrer. Mais ce n’est pas ce que je pense car il a demandé à être complètement seul, personne ne doit le croiser. S’il voulait nous emmener, il n’aurait pas fait ce choix.
32ème jour
Aujourd’hui, j’ai vu le prêtre donner un trousseau de clés au nouveau venu. Il avait, pour lui seul, trois pièces situées au nord. On a aménagé une trappe pour faire passer la nourriture jusqu’à lui. Entre moi et mes amis, nous l’avons nommé Jim. C’est Thor qui a trouvé ce nom. Il dit que si sa mission consiste à nous coffrer, il doit avoir un bon plan car c’est pratiquement impossible. C’est pour cela qu’il le surnomme Jim. Je n’ai pas compris son raisonnement mais peu importe, désormais ce nom a été adopté par tous.
40ème jour
Il se passe encore des choses étranges. Ce matin, alors que je traversais une à une les salles du monastère en compagnie de Thor, j’ai vu la grande horloge indiquer 12h30. J’ai dit : «Tiens, c’est l’heure du déjeuner.
- Comment le sais-tu, m’a répondu Thor, tu n’as pas de montre ?
- Je n’en ai pas besoin, j’ai regardé l’horloge.
- Quelle horloge ?
- La grande horloge qui est sur le mur, là...
Je lui ai montré l’horloge du doigt.
- Je ne vois rien. »
J’avais beau lui dire qu’il y avait une horloge, il ne la voyait pas. J’ai essayé de la montrer à Bibi mais lui non plus ne la voyait pas. Personne ne la voyait sauf moi. Les autres m’ont dit que je devais avoir des hallucinations. Pourtant je la voyais cette horloge, les aiguilles, les chiffres, la spirale… Mais quand j’y pense…
41ème jour
Hier j’ai interrompu mon écriture car je voulais vérifier quelque chose. La spirale de l’horloge avait encore rétréci. Qu’est-ce que cela signifie ? Que se passera-t-il quand la spirale disparaîtra ?
42ème jour
La spirale est peut-être un compte à rebours ! Cela répondrait à l'une de mes questions. Mais que se passerait-t-il à la fin ? Aujourd’hui je suis resté enfermé toute la journée dans ma salle en tentant de trouver une réponse.
45ème jour
En passant devant une des portes menant aux pièces de Jim, j’ai trouvé un cahier de la main de ce dernier. Mon regard avait été attiré par l’ouvrage comme si une main invisible m'avait tourné ma tête. J’ai préféré garder le cahier et le lire. Son écriture est malheuresement illisible. Je le laisse donc pour l’instant et je dors.
46ème jour
Ce matin je vais tenter de déchiffrer le contenu du cahier. Je n’ai curieusement aucun mal à comprendre ce qu’il y est écrit, alors qu'hier, cette écriture était pour moi du charabia. Je la comprends maintenant parfaitement, comme si je l’avais écrite. Je vais lire son journal et recopier les textes qu’il contient :
Journal d’enquête
Enquête n° 34
1er jour
Cette fois il s’agit de ma femme. Elle fut tuée dans sa chambre par une balle de fusil en pleine tête. Ma pauvre Eglantine ! Je ne l’aimais pas beaucoup mais méritait-elle une telle mort ? Quoi qu’il en soit, je jura de retrouver le meurtrier. Je me rendis donc dans la chambre pour trouver des indices. En examinant la position du corps et de la balle sur le front, je conclus que la balle avait été tirée d’un immeuble derrière l’une des trois fenêtres. Pourtant il n’y avait aucun impact de balle dans aucune des fenêtres et elles n’étaient pas ouvertes. Le meurtrier avait pu tirer alors qu’elles étaient ouvertes et les fermer ensuite, mais, s’il avait escaladé les douze étages de l’immeuble, il y aurait eu toutes sortes de traces. Pourtant il n’y avait rien, sauf la balle de fusil. J’avais affaire à un professionnel. L’indice fut apporté au labo. Les résultats des analyses furent brefs et peu instructifs. La balle provenait d’un fusil de sniper. Je pensais avoir vu pire mais c’était le contraire. J’ai tout de même une piste : le meurtrier est un homme capable de tuer quelqu’un avec un fusil sniper sans laisser aucune trace. Lio drefa hiue fezi pzru pzlz mpae aiiz ozezoueù izaeiuez mirhoazirh zurhazozar iazurzrioazr zarohzrr zrzpokpjzklr ozparj.
Cela recommence comme hier. Je ne parviens plus à lire le journal. Peut-être ai-je faim ? La faim m’empêche toujours de faire quelque chose correctement. L’horloge indique 14 heures. D’habitude, je déjeune beaucoup plus tôt.
47ème jour
Ce matin, j’ai jeté un coup d’œil sur le journal et mes notes. Je ne pouvais plus les lire. Il n’y avait qu’un passage du journal qui était lisible. Cela racontait l’histoire du commissaire qui avait payé la mafia pour retrouver son meurtrier. Malheureusement pour lui, son coup avait raté. Mais je n’ai aucune autre information. Quand j’y pense... Le passage du journal que j’ai lu et recopié hier mais que je ne peux plus lire maintenant, je ne me souviens plus de ce qu’il y était dit.
48ème jour
Ce midi, Gulliver, qui a pourtant un appétit plus grand que le mien, n’est pas venu manger avec nous. Je suis donc allé le chercher. J’ai regardé dans la seule pièce où il aime déambuler (dans cette pièce il y a des portes hautes) et j’ai vu un corps, étalé sur le sol, en train de brûler. Le feu était rouge sang. J’ai appelé de l’aide et j’ai, pour la première fois, vraiment prié Dieu pour que le corps ne soit pas celui de Gulliver. Mes prières ont été vaines. Nous avons tous pleuré la mort de notre ami.
49ème jour
Hier, le choc de la mort de Gulliver a été si fort que je ne pus raisonner sur ces événements. Maintenant je réalise plusieurs choses : d’abord les flammes n’ont brûlé rien d’autre que le corps. Le parquet en bois aurait dû être brûlé lui aussi, or il n’en est rien. Ensuite, pourquoi Gulliver se serait-il tué ? Peut-être avait-il un secret qui l’a poussé à se suicider. Mais comment ? Il n’y a pas de torche dans le monastère : c’est la lune qui nous éclaire la nuit. Peut-être possédait-il un briquet. J’ai vu beaucoup de mes camarades enfreindre certaines règles du monastère. Le prêtre a insisté sur le fait qu’il ne fallait avoir aucun objet que les «lois divines» interdisent. Les montres, briquets, lampes et toutes ces sortes d’objets sont interdits dans le monastère. Gulliver portait une montre. Il aurait pu avoir un briquet. Mais pourquoi s’est-il suicidé ?
50ème jour
Aujourd’hui Gulliver doit être enterré dans le cimetière du monastère. Ce matin j’ai demandé aux autres si quelqu’un avait remarqué des choses sur Gulliver qui l’aurait poussé à se suicider, mais rien n’avait été remarqué. Personne ne pensait que Gulliver ait pu le faire.
52ème jour
Aujourd’hui, j’ai tenté de déchiffrer une autre partie du journal de Jim. Une seule page était lisible. Il y était écrit : «LE DIABLE HABITE CE LIVRE». J’ai refermé le journal tout de suite après avoir lu à voix haute ces mots. J’ai eu un frisson à ce moment. Le Diable... suis-je face à lui ?
53ème jour
J’ai encore oublié ce qui était écrit sur le journal de Jim et les notes sur mon journal sont aussi illisibles. Je ne me souviens que d’un mot : Diable. Ce mot était écrit sur le journal. Pendant que j’y pense... Les autres fois où j’ai lu le journal de Jim et où j’ai tout oublié le lendemain… je réalise qu’à chaque fois, il y a un mot que je n’oublie pas. Je me souviens des mots : ouvre, porte et Diable. Que signifient ces mots ?54ème jour
Je me souviens encore des mots, il m’ait impossible de les oublier. Mais que signifient-ils ? Peut-être est-ce un message ? Porte, ouvre, Diable. Le Diable ouvre la porte... Au moment où j’ai prononcé ces mots, j’ai frissonné, exactement comme avant hier. J'ai regardé l’horloge. La spirale rouge avait encore rétréci. Et si... Il y a tant de choses illogiques qui se sont passées. La logique ne doit pas être la réponse. La spirale de l’horloge doit être un compte à rebours. Si le message dit : « le Diable ouvre la porte », cela veut dire qu’elle n’est pas encore ouverte. Peut-être que la porte sera ouverte quand la spirale sur l’horloge aura disparu ? Le message pourrait vouloir dire autre chose, mais je ne peux pas imaginer une autre phrase, comme si une force m’en empêche. Je ne sais pas si j’ai bien fait de garder le journal de Jim. Peut-être que si je ne l’avais pas lu, rien ne se serait passé. Pourtant, la spirale sur l’horloge... Elle était là avant l’arrivée de Jim.
55ème jour
Aujourd’hui, Thor est mort. Il est mort de la même manière que Gulliver : son corps a été brûlé par une flamme plus rouge que le sang. Cette fois le choc a été moins grand pour moi, mais je ne sais pas pourquoi. Thor était un de mes meilleurs amis dans ce monastère. Quelque chose m’empêchait de pleurer pour mon ami. Cela m’a permis de remarquer que Thor était mort dans la même salle, au même endroit et dans la même position que Gulliver. Ils sont tous les deux morts devant un vitrail représentant L’ENFER.
56ème jour
Le vitrail de l’Enfer... Ce doit être cela la porte que le Diable tente d’ouvrir. Mais pourquoi ? Veut-il envahir notre monde ? Le messager voulait peut-être me prévenir ? Mais que dois-je faire ? Dois-je détruire le vitrail ? Comment puis-je savoir ce que je dois faire ? Le messager... Il m’enverra sûrement un autre message. Je verrai demain.
57ème jour
Cette nuit je n’arrivais pas à dormir, alors je me suis promené dans le monastère et j’ai vu Marcel se diriger vers la pièce où Gulliver et Thor sont morts. Je l’ai suivi sans qu’il me voie. Il s’est avancé vers le vitrail de l’Enfer. Il avait une façon étrange de marcher, comme si quelque chose le contrôlait. Il a pris son élan. Le vitrail a commencé à briller et la lumière de la lune est devenue rouge. Marcel s’est élancé vers le vitrail et a sauté. Un éclair rouge m’a aveuglé pendant quelques secondes. Quand j’ai ouvert les yeux, le corps de Marcel brûlait sur le sol. Le feu était rouge.
58ème jour
L’heure est bientôt venue. La spirale de l’horloge est minuscule. Avant hier, pendant la nuit, Marcel était possédé, j’en suis certain. Quelque chose ou quelqu’un nous tue un par un. Qui est le seul qui n’a pas commis de crime dans sa vie ? Jim ! Je me souviens qu’il a dit au prêtre qu’il avait raté une enquête. Il a peut-être menti. Si c’est le cas, il faut que j’en sois sûr. Cette nuit, j’irai voir Jim. Personne ne doit me voir.
59ème jour
Cette nuit, je suis allé voir Jim pour le questionner. Je n’ai pas écouté les réponses qu’il me donnait. Je regardais ses yeux. Ils étaient rouges, rouges comme les flammes qui ont brûlé mes amis. J’ai fini par lui montrer le cahier que j’avais trouvé près de sa porte. Il l’a regardé, l’a ouvert et a lu certaines pages. Puis il m’a regardé d’un regard noir. Tout s’est passé trop vite pour que je puisse me souvenir en détail. Jim a soudain sauté sur moi et a tenté de m’étrangler. J’avais autrefois pris des cours de judo. J’ai lancé Jim au-dessus de ma tête et il est passé à travers un vitrail. Son corps est allé s’écraser au sol après une chute de deux étages. Ce matin, le corps était inanimé. Il n’a pas survécu. J’ai récupéré le cahier sans que personne ne me voie. J’ai pris une page au hasard et j’ai lu ce qui était écrit : «VENGEANCE». Jim vient de mourir. C’est lui qui va se venger. Jim avait les yeux rouges comme le feu de l’Enfer. Peut-être était-il lui aussi possédé ? L’horloge... La spirale a presque disparu. Il est 11h50. Dans quelques minutes, il sera minuit. Ce sera peut-être la fin pour moi. Si seulement je savais ce qu’il faut que je fasse. La spirale a disparu, l’horloge brille... «Le Diable ouvre la porte»... Comment l’en empêcher ? Le journal, je dois le lire... Quelque chose d’important est inscrit à l’intérieur. Je ne me rappelle pas ce que c’est. 11h55. Je dois me souvenir... Je dois me souvenir ! Le Diable... habite.... Je ne me rappelle pas. Le Diable habite... ce... Ce quoi ? Qu’est-ce que cela peut- être ? 11H58. Je ne vois plus rien... tout devient rouge. Le Diable habite ce monastère ?... cette horloge ?... ce livre ! Oui c’est ça : «Le Diable habite ce livre». 11h59. Je dois m’en débarrasser. J’ai une minute pour le faire. Je prie pour m’en sortir vivant.
?ème jour
Ce matin, je me suis réveillé devant un livre qui brûlait. Que faisais-je là ? Je ne me souviens plus de rien. Les autres pages de mon journal sont devenues illisibles. J’ai l’impression d’avoir échappé à un grand danger. En me levant, j’ai vu que j’étais dans la pièce où se trouvait le vitrail représentant l’Enfer. Sur une colonne, j’ai remarqué la présence de l’empreinte d’une énorme main. J’ai mis ma main dans l’empreinte : elle était brûlante. Je me suis retourné vers le vitrail : j’ai cru y apercevoir deux grands yeux rouges qui m’observaient. J’ai été pris d’une panique incontrôlable, je ne sais ce qui m’a pris : malgré les flammes, j’ai saisi le journal qui brûlait devant moi et je l’ai lancé dans le vitrail. Il y a eu un grand éclair rouge qui m’a aveuglé. Quand j’ai pu rouvrir les yeux, le vitrail était brisé en morceaux. Quelques instants plus tard, le prêtre est arrivé dans la salle et a prononcé des mots que je n’oublierai jamais mais dont la signification m’a échappé : «Ca lui apprendra à jouer avec le feu».