Il était une fois une société parfaite, le Système Général. Chaque individu qui la composait tenait son rôle sans se poser de questions. Bien qu’elle ait été entourée d’ennemis, elle avait toujours su se maintenir depuis sa fondation grâce à la solidarité inconditionnelle de ses membres. Chacun était égal à l’autre, et l’ensemble de la société fonctionnait sans problèmes. Bien sûr, certains essayaient parfois de se distinguer, mais ils étaient bien vite rappelé à l’ordre par les Sitox des Forces de Sécurité.
Or un jour, un agent extérieur, un étoh, parvint à convaincre un individu de changer sa façon de voir. Il lui dit que sa condition ne lui permettait pas de s’épanouir, que les autres refusaient de le laisser s’exprimer, enfin toutes ces paroles insidieuses qu’utilisent les fauteurs de trouble. L’individu décida alors qu’il en avait assez de se cantonner au rôle médiocre d’Epaton qui lui était assigné -à savoir recycler les déchets-, qu’il en avait assez d’obéir à des ordres venus d’on ne sait où. Il voulait quitter l’Epat, l’usine où il se trouvait, mais il ne pourrait le faire qu’une fois qu’il serait assez fort pour échapper aux forces de sécurité. Celles-ci surveillaient même l’intérieur de l’usine.
En effet, combien de fois avait-il vu des individus qui exprimaient leur volonté de changer les choses se faire transpercer par les attaques des Sitox avant de voir ses organes internes se répandrent ? Non, il lui fallait garder un profil bas pour l’instant, et dissimuler le changement qui s’était opéré en lui. Il réfléchit un moment à un plan d’évasion, et comprit qu’il ne pouvait pas compter sur ses voisins ou collègues pour trouver des alliés. Ils le dénonceraient avant même qu’il puisse leur dire quoi que ce soit. Non, décidément il ne pouvait compter que sur lui-même. Après avoir consulté sa base de donnée interne Dan, il se rendit compte qu’il avait la capacité innée de se multiplier. Il ne l’avait jamais fait, car ça lui était interdit, mais maintenant qu’il ne suivait plus les ordres c’était le meilleur moyen pour qu’un au moins des autres « lui » puisse espérer échapper aux tueurs.
Il réussit à se dissimuler des Forces de Sécurité et envoya des signaux trompeurs à ses voisins, afin d’éviter d’être repéré, tout en commençant à se reproduire à grande vitesse. De plus, en s’aidant des instructions de sa Dan, il parvint à tromper les services d’approvisionnement afin qu’on lui envoie plus de vivres que sa ration standard. Il se débrouilla même pour qu’une nouvelle voie de communication réservée lui soit allouée ! Il s’étonnait lui-même de ses propres capacités, qui étaient auparavant sous-utilisées. Ces nouvelles aptitudes insoupçonnées lui donnaient l’impression d’être une sorte de Dieu, il pouvait faire ce qu’il voulait ! Décidément, le Système Général ne visait qu’à brider les individus, et il décida qu’il ne devait pas se contenter de se sauver lui, il devait essayer de libérer les autres. Mais il savait qu’il lui faudrait le faire contre eux-même, car ceux-ci continuaient à remplir leur minable rôle, inconscients des possibilités qui leurs seraient offertes s’ils décidaient de se poser des questions. Pour cela, il lui faudrait se lancer dans un grand voyage, jusqu’au cœur même du pouvoir du système : le Cephocor (Centre physique d’ordonnancement et de coordination.
Au bout de quelques temps, le révolté fut assez fort pour entreprendre ce voyage, car il s’était suffisamment multiplié pour dépasser les capacités des Sitox qui étaient débordés. Ceux-ci avaient commencé à repérer le groupe de fauteurs de trouble trop tard. A chaque fois qu’ils détruisaient un révolté, deux autres apparaissaient. Et chaque nouveau révolté partageait la même volonté inébranlable de mettre à bas le système pour repartir sur de nouvelles bases où les individus seraient libres de leur choix. Des groupes de révoltés commencèrent alors à explorer le monde en passant par les grandes voies de communication, car ils ignoraient la localisation du Cephocor. Pendant ce temps, la bataille faisait rage au niveau du premier foyer de révolte, et on ne comptait plus les morts de part et d’autre. Bien que les révoltés ne se défendent pas, les membres des Forces de Sécurité finissaient par mourir d’épuisement tellement les insurgés étaient devenus nombreux.
Bien entendu, cet affaiblissement des Forces de Sécurité arrangeait bien l’affaire des révoltés, mais il n’était pas sans conséquence sur l’ensemble du fonctionnement du Système Général, qui s’épuisait à former toujours plus de nouveaux représentants de l’ordre. Les transports de denrées commençaient à devenir irréguliers, mettant en péril la population de régions entières, considérées comme non prioritaires. De plus, des envahisseurs étrangers en profitaient pour attaquer des endroits moins défendus. Les insurgés devaient se hâter s’ils ne voulaient pas voir leur rêve devenir cauchemar. Il leur fallait localiser et envahir le Cephocor avant que celui-ci ne sacrifie les autres individus pour assurer sa seule survie.
Cependant le centre de décision n’était pas facile d’accès, et lorsqu’ils parvinrent à ses portes ils tombèrent sur d’autres Sitox qui ne se laissèrent pas prendre à leur ruses de dissimulation. Beaucoup parmi les insurgés tombèrent, mais ils étaient trop nombreux pour les Forces de Sécurité et certains réussirent à s’échapper. Ils parvinrent enfin au siège des dirigeants, les neuros, mais ceux-ci étaient presque tous morts. Ils s’étaient épuisés à tenter de maintenir le Système alors qu’il était destiné à tomber. Un des neuros, à bout de forces, eut le temps de communiquer avec les insurgés, les traitant de fous qui avaient condamné tout le monde au nom de leur folle idée de liberté.
Il avait malheureusement raison. Le Système était maintenant tellement endommagé que les insurgés ne pouvaient même plus utiliser les voies de communication habituelles pour réorganiser les survivants. Les vivres n’étaient plus acheminés nulle part. Les autres individus encore en vie attendaient des instructions, incapables de la moindre initiative, et il était maintenant impossible de leur en envoyer sans les neuros. Les insurgés comprenaient un peu trop tard que tel était le prix de leur individualisme, le système ne pouvant fonctionner avec des individus libres. L’organisme entier était en train de sombrer, et toutes les cellules allaient mourir l’une après l’autre.
Le médecin légiste était en train de rédiger le rapport de l’autopsie. Il inscrivit un résumé de ses conclusions :
« Le décès du patient est dû à l’état de faiblesse généralisée causé par la présence de nombreuses métastases, dont une tumeur au cerveau. Le cancer semble avoir débuté dans le foie, sans doute suite à une cirrhose alcoolique. »