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Jour d'Orage ou les mémoires d'un dieu

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Je vous invite à redécouvrir ce texte rafraîchi et rallongé. J'espère être en mesure de le finir.

Je me rappelle très bien de ma seconde naissance. C'était un jour d'orage aussi noir que la nuit. Quelqu'un que je croyais être un homme est venu mourir à ma porte et comme cadeau d'adieu il a fait de moi son fils, son successeur. Alors ses pairs, embarrassés par cette naissance imprévue, m'ont accepté bon gré mal gré et baptisé Jour d'Orage. L'imagination ne les a jamais étouffé. C'est ainsi, bêtement, par hasard, que je suis devenu un dieu.

En réalité, même si ce n'est qu'un détail, nous nous nommons Uneï, ce qui veut dire « les premiers ». Le premier peuple. C'est d'une prétention plutôt légitime pour des êtres que les autres espèces vénèrent.

Durant mes dix premiers siècles d'existence en tant qu'Uneï, j'ai fait ce que l'on pourrait assimiler à du tourisme. Sans prendre vraiment contact avec mes « frères », ce qui les arrangeait, il faut bien le dire, j'ai visité des centaines de mondes. J'ai joué tous les rôles, du simple soldat au cynique politicien. J'ai participé à de grandes batailles, vu des empires se bâtir et s'écrouler, vu des races s'éteindre ou s'éveiller à la conscience. J'ai longtemps suivi de grands Hommes, des penseurs, des peintres, des musiciens. D'abord fasciné j'ai fini par me rendre compte que tous se ressemblaient à la longue. Je ne sais pas si c'est notre existence interminable ou quelque chose dans la nature même de notre race, mais j'en étais arrivé par voir à travers eux comme s'ils étaient en verre. Alors, d'observateur béat, je suis discrètement passé au statut d'inspirateur, distillant des idées nouvelles, inconnues, promptes à soulever des montagnes et à renverser des royaumes.

C'est à peu près à partir de ce moment-là que je me suis fait rappeler à l'ordre. Jouer au tyran une petite trentaine d'années dans un univers qui ne vous appartient pas, ça ne dérange personne. Des tyrans, les peuples de tout monde en connaissent ou en connaîtront forcement mais faire entrer un contenu subversif et novateur dans ces chères petites têtes mortelles, cela devenait plus dangereux. Mes confrères devaient penser que j'étais sur une pente savonneuse. Ils avaient peut-être raison. Il faut dire que l'un d'entre eux, avant moi, avait déjà joué à l'apprenti sorcier. Il avait, en brisant des millénaires d'interdits, permit à tout un peuple d'acquérir des pouvoirs réservés au divin, c'est-à-dire à nous. L'horreur ultime. Ce peuple doté d'un joli nom, Leaellins, était devenu notre concurrent direct et avec un certain succès, qui plus est. En effet, surtout au début, ils en ont tué des dieux, principalement pour prendre leur place. Il faut dire qu'ils avaient plusieurs avantages sur nous. Ils n'étaient pas isolés, égoïstes, l'oeil sur leur petit monde sans tenir compte des autres et n'étaient pas enfermés dans un carcan de traditions rigides. Ils avaient l'ambition des jeunes loups, bien décidés à s'attaquer au chef de meute vieillissant. Je dis ''avaient'' parce que bien rapidement, ils se sont mis à faire comme nous. Il faut dire que le siège de dieu, vénéré par des millions de fidèles, est très confortable.

Bref, une autre catastrophe de ce genre, les Uneïs n'en voulaient pas et, je pense qu'à l'époque, j'avais déjà une tête à catastrophe. Ils ont été cléments, ils n'ont pas voulu ma mort tout de suite. Je crois surtout que leur morale (qui n'est finalement elle aussi qu'un ramassis de coutumes) les titillait quand il s'agissait de tuer un dieu. Ils avaient pourtant déjà commis le déicide avec le père de la race maudite. Ils étaient même allés jusqu'à faire disparaître son nom et avaient provoqué la déliquescence du monde qu'il avait conçu. C'est ce monde que je choisis comme retraite lorsqu'ils me firent comprendre que j'étais devenu indésirable.

Le monde en lui-même n'avait pas un attrait exceptionnel. Plus une âme qui vive, juste de grandes tours, dernières traces du peuple industrialisé qui vivait là et cette poussière grise épaisse comme de la neige qui tombait sans discontinuer. Dernière marque des dieux pour recouvrir ce monde et enfin l'oublier. Au départ je ne pensais pas y trouver quelque chose d'intéressant, j'avais pris cette décision surtout pour le pied-de-nez offert à mes frères. Pourtant ma curiosité me poussa à visiter ce qui restait du monde originel du peuple devenu dieux, histoire de voir un peu à qui j'avais à faire. Je fus déçu de découvrir une race finalement très commune et pas étonné de comprendre dans leur architecture, leurs icônes et leurs arts, l'attachement qu'ils portaient à leur dieu créateur. Je poursuivis mes petites investigations sans grand intérêt lorsque je tombai sur un bâtiment qui risquait de rendre bien plus instructif mon petit exil. Une bibliothèque. Je jubilai à l'idée que j'allais peut-être dénicher le document le plus hérétique que les Uneï n'aient jamais mis à l'index.

Un mortel lorsqu'il pense Dieu pense tout de suite à vie éternelle et bien il n'a pas tort. Dans un sens. Nous, Uneï, sommes immortel. Notez bien que je parle d'immortalité et non d'invincibilité. Oui, les Dieux peuvent être tués mais certainement pas par de simples mortels. Ils nous faut plus que ça mais j'y reviendrais. L'immortalité donc est bien la caractéristique première d'un dieu mais ce n'est pas là seule. La connaissance universelle, l'omnipotence, en est une également mais elle connaît des règles. Nous n'ignorons rien de l'évolution des choses que nous avons créées mais de ces choses seulement. En théorie du moins car il arrive qu'en restant dans un lieu abandonné par son créateur trop longtemps l'on crée des liens avec ce monde. On en devient en quelques sorte son propriétaire temporaire, le temps que son créateur reviennes ou que le monde disparaisse. Dans un monde à l'agonie, comme celui dans lequel j'ai élu domicile, le lien ne peut être que ténu mais suffisant pour en décoder le langage d'instinct. Une petite chose pratique lorsque l'on tombe sur une bibliothèque.

C'est ainsi que j'appris son nom. L'Ombre-du-monde. C'est du moins ainsi que le peuple qu'il avait créé le nommait et j'ai l'intuition qu'il ne leur mentait pas. Connaître ce nom alors qu'il avait disparu de la mémoire collective relevait déjà du pire des châtiments. Il était leur divinité créatrice, bonne et aimante mais étonnamment discrète dans ses interventions. La mégalomanie est une tare qu'on attrape vite lorsqu'on n'y prend pas garde et lui, malgré le fait le qu'il ait créé une race à son image, ne semblait pas être de cette catégorie. Plutôt de celle, guère plus admirable, du sentimental.

L'époque de mes premières découvertes sur L'Ombre-du-monde coïncida ''étrangement'' avec l'arrivée dans ma vie d'un pas si désagréable trouble-fête. Disons que pour un geôlier j'aurais pu tomber sur pire. Il se nommait Premier-des-Loups et malgré son apparence sauvage c'était un dieu instruit, ouvert et pondéré. Il semblait compatir à mon statut de paria et à mon exil. Il cherchait à me comprendre, à s'approcher de moi.
Nous eûmes de longues discussions, toutes sur le même sujet. Et pour cause, une seule chose nous reliait. Notre divinité. Je dois bien avouer qu'elles ne manquèrent pas d'intérêt bien qu'il semblait totalement imprégné par le morale commune aux Uneïs. Je le soupçonnais à l'époque d'avoir été mandaté dans le but de parfaire mon éducation et de me faire revenir sur le ''droit chemin''. J'appris, lorsque je le croisai à nouveau bien plus tard, qu'il avait agit de sa propre volonté.
Fort heureusement Premier-des-Loups était intelligent, curieux et patient. Lorsque nous n'étions pas d'accord, ce qui arrivait fréquemment, je sentais en lui une espèce de peine étrange qui m'agaçait prodigieusement. Malgré mon comportement mutin j'étais venu à le respecter et je percevais sa peine comme de la déception. Pour moi, en ce temps là, il semblait se dire que j'aurais pu faire un dieu exceptionnel si ces idées déviantes ne me polluaient pas l'esprit. Une conclusion superficielle qui ne recellait qu'une part du jugement grave et complexe qu'il portait sur moi.

Bien que nous nous cantonnâmes à un seul sujet il était si vaste que nous n'eûmes pas le temps d'en faire le tour avant que d'importants évènements n'abrègent nos débats. Pourtant, si bref qu'ils furent, nos échanges eurent des conséquences que mon interlocuteur n'aurait jamais pu imaginer.

La première chose que nous abordâmes fut l'Ignorance Originelle. Tout dieu que nous sommes nous ne savons pas tout. Nous sommes, nous aussi, les instruments d'une chose plus grande encore. La pensée Uneï voulait que la seule chose qui nous dépasse soit ''tout''. Tout, c'est-à-dire la nature pris dans son sens le plus global : Ce que nous sommes et l'environnement dans lequel nous évoluons. Tout ça est nature. Ce qui est souvent dit, c'est que la nature a ses propres règles et que nous n'avons à les enfreindre. Foutaises, pensais-je à l'époque. Ca ne changea pas ensuite. La nature est assez forte pour nous empêcher de bafouer les règles auxquelles elle tient. Les lois que nous sommes en mesure de contredire ne sont pas naturelles mais morales et vous savez déjà ce que m'inspire cette chose là.
Bref, ce sujet ne m'intéressait pas. Mon avis était arrêté et en débattre tenait pour moi du non-sens. Premier-des-loups, lui, semblait y tenir particulièrement. Débitant thèses naturalistes les unes après les autres. Je ne comprend toujours pas cette fascination pour les choses qui nous dépasses. Débattre d'un sujet sur lequel nous ne pouvons pas avoir de certitude me semble être encore aujourd’hui une monstrueuse perte de temps.

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