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Double Jeu

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Ivaldir



Véritable divinité


Double Jeu

Les trois formes humaines qui fuyaient en direction du nord, dans les sous-bois de la forêt interdite éclairés par la lune, s'espaçaient sur près de cinq cents mètres. Les ombres se déplaçaient prestement, silencieusement. Parmi elles, on parvenait à distinguer le bruit d'un souffle qui faiblissait. Bientôt l'une des formes qui s'était vue distancée fut contrainte à l'arrêt.
La tête au niveau des genoux, tremblante, le coeur battant la chamade, l'ombre finit par se redresser, montrant un visage qui trahissait une vive transpiration. L'homme jeta un regard devant lui et s'élança à nouveau. Droit, rectiligne, précis dans sa foulée, il contournait les arbres, dans la torpeur provoquée par l'obscurité du lieu. Il gagna malgré tout en vitesse, ignorant le danger, flirtant avec les rochers dévoilés par la lune et sautant les creux. Il finit après quelques minutes par retrouver les autres formes humaines, qui s'étaient arrêtées, stoppées par un grillage qui montait très haut par dessus des arbres.
L'homme ne rejoignit pas tout de suite ses compagnons, il les observa d'abord pendant quelques minutes, caché derrière un tronc. Ses habits sombres le dissimulaient complètement, des pieds à la tête. Il scrutait de ses yeux les deux formes qui arrêtées, observaient silencieusement l'obstacle, jetant un regard de temps à autre dans sa direction. Le grillage était ce qu'ils cherchaient à atteindre, le passer signifiait pour eux être libre. Mais ils étaient pour le moment encore du mauvais côté.
Il fallait désormais se dépecher, s'il voulait que son plan se déroule comme prévu. Il s'accroupit, souleva son vêtement au niveau de la jambe. Une arme de poing laser avait été enlacée au niveau de son tibia. Agrippant son arme, il la cacha dans son vêtement dans une poche proche de sa main. Puis il rejoint les deux hommes.
La première voix qui l'accosta avait un air fatigué. Le jeune homme frêle que tout le monde avait adopté sous le nom de Sam n'arrivait même plus à dissimuler sa peur.
-Josh, c'est toi ? Nous pensions qu' « ils » t'avaient rattrapé !
Tout va bien, lui répondit le nouvel arrivant qui se rapprocha de lui doucement, lui glissant un mot réconfortant.
Il faut grimper maintenant ou nous ne quitterons jamais ce foutu Centre ! lança la deuxième forme qui observait depuis un moment la clôture. Tancred, grand et trapu avait le teint sombre, un regard d'acier.
-Espèrons qu'ils n'ont pas encore réactivé les sécurités, je n'ai pas envie de finir comme dans un barbecue ! Josh toisa du regard l'homme trapu, qui ne sembla pas apprécier sa petite phrase d'humour.
-Peut-être veux-tu passer devant pour vérifier ?
-Non, je te fais confiance, Tancred.
-Passé cet enclos, nous serons de nouveau libres. Sam semblait désormais jubiler.
-Moi, je me méfie lanca Tancred. Cela me paraît trop facile.
-L'heure n'est plus à la réflexion mais à l'action. Le temps nous est compté. Peut-être souhaitez-vous rejoindre nos camarades ? Josh avait un regard dur. Et cynique.
-Nous sommes joués comme des marionnettes depuis le début. Mais je ne me ferais pas avoir si prêt du but.
Sur ces mots, Tancred agrippa avec force les fines grilles bleues qui resplendissaient sous l'éclairage de la troisième lune. Rien ne se produisit. Rassuré, l'homme chercha des prises pour commencer son ascension. D'une constitution robuste, il n'eut aucun mal à se hisser jusqu'à plusieurs mètres de haut, puis il disparut aux yeux de ses compagnons.
-Josh ? Sam s'était tu. Cette fois, sa voix ne voilait plus son émotion, il ne cherchait plus à dissimuler quoi que ce soit.
-Nous devons le suivre, ou nous resterons pris au piège des Machines.
-Mais le bouclier ? S'ils le réactivent pendant que nous montons ?
-Samuel, si tu veux rester ici, c'est ton problème ! Je n'ai pas demandé à t'avoir pour compagnon.
Et sans attendre de réponse, Josh, pourtant moins trapu que son prédécesseur s'engagea à son tour dans son escalade. Poussant un soupir, le jeune home finit par le suivre tant bien que mal. ***

-Tu es flic ?
Les yeux inquisiteurs de la femme s'arrêtèrent sur le visage de Josh, en même temps que tombait l'accusation. Et toutes les autres personnes autour de la table firent de même, surprises par l'accusation de Jonna. La salle dans laquelle ils s'étaient tous réunis était obscure, éclairée par un unique néon qui distillait un film de lumière jaunâtre au milieu de la pièce, au centre de la table. Cinq personnes étaient assises autour d'une table métallique et s'épiaient les uns les autres dans un silence de mort. Douze chaises étaient disposées, mais les rangs du petit groupe s'éclaircissaient à mesure que les jours passaient, accentuant l'angoisse des survivants. Chaque prise de parole faisait maintenant l'objet d'une dispute.
L'une des participantes, Jonna, s'était levée et avait regardé l'assistance, insistant pour déstabiliser chacun des interlocuteurs. Elle soupconnait tout le monde et ne se privait pas de le faire savoir.
Josh n'était pas surpris d'une telle accusation à son égard. Il la regarda dédaigneusement et soupira. Dans son petit pull-over rouge, les manches retroussées, ce petit bout de femme semblait vouloir tenir la terre en otage. Elle n'avait visiblement pas le physique de ses ambitions.
-Ce que j'étais n'a pas d'importance, depuis que j'ai fait ce premier pas dans cette prison, je ne suis qu'un numéro, un pion. Puis en regardant chacun de ses interlocuteurs : Tout comme vous.
Cette réponse eut pour effet de ramener chacun à ses souvenirs et ses angoisses. Ils se rapellaient ce qu'on leur avait dit, ce qui était placardé dans chaque pièce : « Vous êtes seuls, la confiance est une faiblesse, toute faiblesse est un pas vers votre mort. »

Jonna se rassit, effondrée. On pouvait distinguer sous son col roulé un petit appareil métallique qui entourait son cou. Une lueur bleue jetait par intermitence un signal. Chacun avait un collier semblable.
Josh se leva et fit mine de quitter la salle. Comme il atteignait la porte, il fut attrapé par l'un de ses compagnons. C'était celui qui disait s'appeler Tancred.
-Ecoute Josh, tu n'es pas obligé de te sentir blessé par les propos de cette vipère. Dans la situation où nous sommes, nous devons nous entraider, sinon, pas un de nous ne survivra.
-C'était déjà ce que disait Asusa il me semble. Ca ne lui a pas vraiment réussi.
Jonna était assise, les jambes croisées, les coudes posés sur la table. La dame de fer, comme les autres l'avaient surnommée, sembla se moquer du blanc qu'elle venait de causer dans l'assistance, il était tabou d'évoquer les noms de ceux qui n'étaient plus la.
Tout le monde connaissait la signification d'une absence, et personne ne posait de questions à ce sujet. Tous savaient. Toutes les personnes présentes ici venaient d'horizons très différents, mais tous partageaient une angoisse qui se transformait un peu plus en paranoïa à mesure que les heures défilaient. Comme Tancred voulait la mettre au silence, une voix venue d'ailleurs commença à s'exprimer.
-Samuel Vishol, vous êtes convoqués à l'Isoloir.
Le petit Sam ne s'était pas exprimé. Il restait passif depuis le début, quand les autres s'énervaient, il interiorisait. Il était déphasé peut-être, son jeune âge ne l'avait pas préparé à ce type d'expérience...
Le silence se fit et tous les regards convergèrent vers Samuel, qui d'un geste se leva, repoussa sa chaise et se dirigea vers la porte, la refermant timidement derrière lui. Plusieurs secondes passèrent avant que l'assistance ne se réunisse de nouveau autour de la table. En silence. Ce départ fit perdre pied à toute l'assistance qui n'osait plus fixer du regard l'un ou l'autre. Ils regardaient la table. Et les chaises vides. Ils étaient plus nombreux il y a peu de temps. Mais le temps là où ils étaient n'était plus une donnée fiable.
Josh et Tancred s'assirent autour de la table, laissant les regards plonger sur eux. Josh finit par parler :
-Je sais que nous devons tous nous méfier les uns des autres, c'est la première chose que l'on nous a enseigné en arrivant ici, mais nous n'arriverons à rien si nous ne nous unissons pas pour sortir d'ici. « Elles » comptent sur notre paranoïa pour nous atteindre, et nous éliminer, les uns après les autres.
-Tu proposes quoi, toi ? Ronald, le quatrième homme qui était resté en dehors des conversations dévisageait à présent son homologue.
-S'évader.

***

« Combien de morts, dis-moi Seigneur tout puissant, vais-je devoir porter ? Combien de sang noir de trahison va couler avant que tout ne s'arrête ? Pourquoi, pourquoi... pourquoi moi ? »
Tancred s'était isolé. La solitude, il connaissait. Depuis toutes ses années, lui, l'ex docker de l'espace, en était devenu croyant. Peut-être était-ce son métier dangereux qui l'avait poussé dans cette voix ? Tant dépendait du hasard ! Combien de fois il avait échappé à la mort ? Il l'ignorait, chaque seconde de chaque mission spatiale, il risquait sa vie. Quand une navette arrivait près de ses Sas, il devait sortir. Revêtir sa combinaison, mettre son casque, dépressuriser, et ouvrir la porte. Le vide recelait le danger, et la mort. Mais il était le meilleur, et ne s'était jamais raté. Jamais avant cette fois qui lui arracha son ami, la navette, et son métier en même temps. Mais il était en vie, lui. Peut-être était-ce sa solitude, ou son remord, qui l'avait poussé à se fabriquer cet ami céleste avec qui il pouvait évoquer ses souvenirs de galère. La solitude ronge plus que tout. Il aurait été au bout du monde si quelqu'un lui avait pris la main.
Le bout du monde, peut-être que c'était ça. Peut-être que maintenant qu'il l'avait cherché, qu'il y était, il s'apercevait de sa morbide signification. Il était venu pour se tester, et parce que sa vie lui était devenue fade, molle, depuis cet accident qui lui avait fait rejoindre les déshérités de ce monde. Mais il avait découvert autre chose en ce lieu : l'amour et la compassion. Et l'heure des choix était venue. Lui qui était si fort mentalement, allait-il succomber à la folie, comme les autres ? Etait-ce inéluctable ?
Il était à genoux devant une petite carte qu'il avait posé par terre, devant ses yeux, il ne la quittait pas du regard. Elle lui montrait un visage, qui était barré d'une croix rouge. Il connaissait la signification. « Ils » connaissaient ses sentiments, « ils » voulaient le mettre à l'épreuve une fois de plus. Pourquoi avait-il été choisi, au nom de quelle cause agirait-il ? Devait-il leur laisser jusqu'à sa plus petite once d'humanité ?
L'homme se ressaisit, prit sa respiration et regardant le plafond du couloir, il fit le signe de croix en demandant à son ami celeste de lui pardonner son geste, puis se leva. Lentement, il fit les quelques mètres qui le séparaient d'une porte sombre, qu'il défonça d'un fort coup de pied. Il n'entendit pas les cris, il ne perçut pas la douleur. Il se contenta de faire son devoir.
Lorsqu'il sortit de l'appartement dévasté, on pouvait voir une jeune femme, dont les longs cheveux soyeux baignaient dans un sang qui était le sien, les yeux clos... pour toujours.
Se retournant, l'homme jeta un dernier regard vers la forme humaine.
-Adieu, Asusa, mon aimée.

***

Jonna épiait l'assistance silencieusement. Campée dans le sofa de la pièce commune, elle songeait. Sa longue vie, les épreuves qui lui avaient forgé son mental d'acier, tout cela n'était que si peu de choses actuellement. Ils n'étaient plus que huit, depuis l' « incident » qui avait ôté la vie à Dan, la nuit dernière.
Elle avait vu une forme se diriger dans le noir, alors qu'elle se rendait à la cuisine collective. Elle ne l'avait pas reconnue, mais elle savait que l'un d'eux s'était déplacé au rez de chaussée, feignant certainement une démangeaison passagère. Elle avait tout d'abord entendu des bruits dans l'escalier. Elle avait regardé l'heure : deux heures du matin. Sa curiosité n'en pouvant plus, elle s'était glissée dans une chemise, et était descendue elle aussi. Elle n'avait vu personne et était remontée se coucher.
Ce matin, ils avaient annoncé que Dan était parti. Elégante manière de dire qu'il s'était fait défenestrer dans la nuit, pendant son sommeil, certainement drogué. Pas de compassion à son égard, ni même une seule allusion pendant le repas du matin, chacun était un coupable potentiel, un meurtrier en puissance. Discussions banales sur le temps, et autres choses sans interet. Mais il ne fallait faire confiance à personne, ni à ceux qui la côtoyaient, ni aux autres, qui les observaient dans l'ombre. « Vous êtes seuls, la confiance est une faiblesse, toute faiblesse est un pas vers votre mort. » Et de tous ceux qui étaient présents avec elle, pas plus d'un ne repassera les portes du Centre. Tous le savaient, c'était le jeu. Des règles absurdes, mais ce n'est pas elle qui les avait dicté, et l'enjeu final était suffisament important pour que ce soit elle qui franchisse cette porte.
La pièce dans laquelle elle se trouvait portait encore ce matin les stigmates de la fête qui s'était déroulée le soir d'avant. Ils étaient encore neuf ce soir la, et s'étaient amusés à se déguiser pour les besoins du jeu. La musique dansante, les cocktails qui énivrent, les rires et les chants... Etait-il possible que dans un lieu pareil, chacun puisse réelement donner le change ?
Nous sommes tous des déshérités de ce monde, et l'on batifole en sachant que demain on ne sera peut-être plus la. Le jeune Samuel, ce soir la s'amusait réellement. Il lui avait tendu une coupe d'un alcool doux. Elle avait regardé le verre, puis ses yeux d'un air soupconneux, en ayant l'envie de lui renvoyer son cadeau certainement mortel au visage. Se ravisant, elle lui avait simplement exprimé son refus. C'était peut-être la fête, mais elle n'était pas folle pour autant.
Il n'y a pas de place pour les faibles, ils seront éliminés.
Dan était parti, elle était toujours la, et il lui faudrait encore éviter de nombreux pièges.
Comme elle songeait, elle vit cette jeune femme aux longs cheveux noirs soyeux qui se rapprochait d'elle. Que n'avons nous pas assez de bridés ici, pensait-elle. N'est-ce pas à cause d'eux que nous avons tout perdu, lors de la grande récession de 2013, qui nous oblige à nous pervertir en ce lieu maudit ? En vérité, vous n'êtes tous que les porteurs des germes de l'Apocalypse !
-Jonna, ca va ?
Surprise dans ses pensées, elle tira un sourire de son visage ridé. Saluant poliment la jolie Asusa, elle se disait en elle-même : « Folle, je suis en train de devenir folle ! »
Une foule de souvenirs se bouscula à cet instant. Comme un film de sa vie, passé en acceléré. Sa jeunesse joyeuse, dans les quartiers chics de Londres, pendant les projets d'unification et de fédération Terrienne. Quelle folie ! Ce futur radieux s'était consumé, réduit en miettes quand la société bascula vers l'anarchie, la faim pour tous. Mais elle avait survecu : aux famines, aux guerres civiles et aux tyrannies.
Quelques décennies après, elle se retrouvait la, dans cet endroit artificiel, observée, menacée, sans en saisir la signification. Etait-ce la qu'elle voulait finir sa vie ? Pourquoi avait-elle voulu y être ? Peut-être que l'on ne vit vraiment que quand on sent que celle-ci ne tient qu'à un fil.
Si elle savait pourquoi elle était la, elle cherchait dans ses adversaires la raison qui les avait conduit jusqu'ici. La récompense promise ? La mise en danger ? L'envie d'en finir ? Avaient-ils tous choisi d'être la d'ailleurs ? On ne leur avait rien dit et entre eux, ils n'étaient pas obligés de se dire la vérité.
Ses sens s'étaient considérablement développés depuis cet instant qu'elle n'oublierait plus, ou elle avait frappé pour la première fois. Ce n'était que quelques jours auparavant pourtant, mais tant de choses depuis, et tant de choses à venir... Elle flairait le danger, pour elles, et pour ses alliés dans cette bataille. C'était sa force, c'était pour ça qu'ils ne l'auraient pas, elle.
Asusa s'était toujours assise sur le sofa en face d'elle. Elle portait un regard insistant, la dévisageant sans aucune retenue. Que croyait-elle voir en elle, cette petite pintade ? Certainement pas plus que ce qu'elle laisserait voir. Malgré toute l'animosité qu'elle pouvait tirer de la situation, elle se retint, sachant que ces comportements étaient normaux en ce lieu, en cette heure. Mais elle ne reconnaissait pas en cette fille une silhouette assassine.
-Jonna ? Jonna, je voulais te parler. J'ai besoin de toi.
-De quoi ?
-L'isoloir...
-Tu sais que nous n'avons pas le droit de parler de ce que nous voyons en ce lieu, c'est contraire aux règles.
-Je sais... Mais je n'y arriverai pas, Jonna, c'est au-dessus de mes forces...
-Alors tu te condamnes toi même.
-Je sais.
-Ce n'est pas humain, ce que nous faisons ici.
-Rien n'est plus humain que ce que nous faisons ici...
Asusa resta interloquée par cette réponse.

***

Tancred avait été appellé.
Il se dirigea pour la deuxième fois dans cette salle obscure, l'Isoloir. Pour cela, il devait juste aller au fond du couloir. Celui-ci était illuminé par des puits de lumière, qui conféraient suffisamment de visibilité pour pouvoir de diriger, mais pas plus. Combien de kilomètres effectuait cette douce lueur avant de venir lui caresser sa peau velue ?
Il progressait, et comme il se rapprochait, il sentait sa tension monter, jusqu'à atteindre son paroxysme avant d'atteindre la porte. Il allait frapper, mais la porte pivota silencieusement. Il rentra.
Une grande salle. Au milieu, une table, et une chaise métallique. Tout était si sombre. Il ne distinguait rien. C'était certainement le but de ceux qui avaient organisé les choses comme ça.
Il s'assit.
Il finit par entendre les pas qui venaient de derrière lui. Mais il ne se retourna pas.
« On » était tout près de lui maintenant, mais son souffle était si absent. Sa voix métallique allait certainement souffler de nouveaux ordres. Il lui faudrait agir. Aveuglement.
La « chose » commença à lui répandre des sondes sur le corps. Cela dura quelques minutes. Tancred connaissait la procédure, il devait se rendre en ce lieu quotidiennement.
-Comment vous sentez-vous, Tancred ? finit par cracher la voix sans expression.
-Je suis vivant.
-Vous êtes chanceux, rien de plus, ne l'oubliez pas. Et le moment viendra ou vous devrez choisir. Nous représentons l'unique clé pour votre libération.
Ce faisant, la « chose » lui remontra ce collier qu'il portait, lui et tous les autres humains du groupe. Ceux-ci étaient programmés pour liberer une charge explosive s'ils sortaient de l'enclos, ou s'ils fayssaient à leur mission. Ils permettaient de localiser, et surtout à terrifier. Il sentit une petite pression sur son cou, la «chose» s'affairait maintenant à manipuler son collier.
-Vous avez réussi votre dernière « tache » avec brio. Aussi, permettez-moi de vous féliciter, humain. Vous avez montré de beaucoup de ressources.
-Serais-je votre favori ? lança négligemment Tancred à son mystérieux interlocuteur.
-Ha ! Vous, vous faites preuve de courage quand il le faut, et d'un zeste d'humour que l'on pourrait assimiler à de la naïveté le reste du temps. Mais vous n'êtes rien pour nous.
-Je suis Humain.
-Un concept bien abstrait au fond. Vous vous pensez toujours capable de réussir à aller jusqu'au bout ? Connaissez-vous la signification d'un tel acte, Tancred ? La solitude. A JAMAIS !
-Je ne suis pas seul.
-Croyez-vous ? C'est le jeu qui le dira. Piochez une carte parmi celles qui se trouvent sur cette table.
Ce faisant, il désigna une pile qui devait contenir une dizaine d'enveloppes fermées. L'homme s'exécuta.
« Votre prochaine mission se trouve dans cette enveloppe. Vous avez 24h, faute de quoi, nous vous retirons du jeu. Ce faisant, la chose reprogrammait son collier. Sa montre avait déjà commencé son décompte.
« Le jeu continue. »
L'homme ouvrit l'enveloppe. Puis il s'arrêta à la vue de la photo sur la carte, mortifié.

***

Un petit vent soufflait mais tout était silencieux. Les étoiles qui brillaient dans la nuit noire, cette lune qui divulgait des ombres. Nous approchions du dénouement final. Après l'évasion, la course dans la nuit, et l'escalade nocturne, c'était la fin des épreuves et le début d'une nouvelle vie.
Le grillage ne semblait pas finir.
Il arriva en haut. A sa grande surprise, rien ne se passa de particulier. Il entendit aux murmures que ses compagnons de route semblaient le suivre. Tant mieux, le chemin de croix arrivait à sa fin, l'heure de la rédemption était venue.
Tancred repassa de l'autre coté. Celui de la liberté.
La victoire. Enfin, après toutes ses épreuves...

Peu après, Josh terminait son périple et le rejoignit. Ils eurent un regard ensemble. Tancred lui sourit.
-Sam n'a pas pu escalader le grillage, il est tombé à mi-parcours.
Tancred eut une grimace puis commença à s'éloigner. Sans se retourner, il demanda à Josh, tout en marchant :
-Comment tu es arrivé ici, Josh ?
-Le chemin de l'exclusion, comme la plupart d'entre nous. J'ai été évincé d'une société qui n'avait plus besoin de moi. Ils m'ont simplement dit qu'ils avaient trouvé quelqu'un de plus jeune. Ils n'avaient pas besoin de me dire autre chose. Ils signaient mon arrêt de mort, et ils le savaient. Et puis la spirale : j'ai perdu ma femme, qui a emmené dans ses bagages ma petite fille de deux ans. Sans argent je n'étais plus rien à ses yeux, sinon un poids.
- J'ai l'impression de m'entendre parler de ma vie... A ceci près que moi, je n'ai personne qui me rattache à la réalité.

Tancred et Josh s'étaient éloignés de quelques kilomètres du bouclier. Ils espéraient tomber sur une ville, si jamais cette planète en abritait une. Ce faisant, ils conversaient :
-Asusa m'avait demandé de la protéger. Elle disait qu'il fallait que l'on soit uni pour vaincre. Je crois que je l'aimais.
-Tu croyais ou tu étais sûr ?
-Je sais plus. C'est si loin maintenant.

-C'est toi, Josh, qui a sorti Jonna du jeu ??
-Je n'ai pas pris de plaisir si c'est la question que tu me poses. J'ai échappé à la mort plusieurs fois, je dois avoir une prédisposition pour survivre. Et Ronald n'était pas un tueur né.
-Tu étais sa Cible ?
-C'est le jeu.
-Et maintenant que nous avons gagné ?
-Tu as « presque » gagné, Tancred.
En disant cela, Josh sortit de derrière son dos son arme qu'il braqua sur l'homme. Puis il appuya sur la détente. Tancred s'éffondra.
Regardant quelques instants sa victime, Josh sortit de sa veste une carte avec un visage, celui de Tancred, portant une cible rouge.
Faisant demi-tour, Josh réfléchit sur son geste, et à son avenir. Pourquoi avait-il fait cela ? Qu'allait-il faire maintenant ?
A peine avait-il accompli son geste que plusieurs personnes se rapprochèrent de lui. « Ils » avaient toujours été là, à les observer. S'était-il lui aussi, mis à croire à cette porte de sortie qu'on leur offrait à eux, les déshérités de tout ? Tant de temps et de choses, tant d'horreurs accomplies, de vices supportés. Mais ce qui était pour lui l'enfer n'était pour d'autres que du divertissement d'un nouveau genre, qui avait paraît-il du succès sur les ondes galactiques.
Il repensa à sa fille. Chercha en vain un visage à mettre sur son nom, ses souvenirs. Et pour la première fois il comprit qu'il ne reverrait jamais plus que les visages de ses victimes. C'était la « victoire » que leur proposait les Machines.
Il était monté dans un véhicule, et avait été dirigé vers le Centre dans lequel il avait séjourné pendant la semaine. A côté de lui, aux commandes, un homme jovial, qui le toyait comme un héros de série B. Il lui avait même demandé un autographe.
Des « Machines », ils n'étaient rien d'autre que cela, tous.
A la porte du Centre, plusieurs centaines de ses congénères l'attendaient, lui le vainqueur. Le véhicule se posa à proximité de cette foule, qui, bruyante, vomissait des applaudissements à n'en plus finir. Son accompagnateur lui fit un passage jusqu'au porche d'entrée du bâtiment. Les lumières aveuglantes, le bruit, tout contribuait à donner à ce lieu une atmosphère irréelle. Fermant les yeux, Josh se laissa guider.
Ensemble, ils sortirent de l'obscurité et entrèrent dans la lumière.

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